L’Encyclopédie/1re édition/ABELIENS, ABELONIENS et ABELOITES
ABELIENS, ABELONIENS & ABELOITES, s. m. pl. sorte d’hérétiques en Afrique proche d’Hippone, dont l’opinion & la pratique distinctive étoit de se marier, & cependant de faire profession de s’abstenir de leurs femmes, & de n’avoir aucun commerce charnel avec elles.
Ces hérétiques peu considérables par eux-mêmes, (car ils étoient confinés dans une petite étendue de pays, & ne subsisterent pas long-tems) sont devenus fameux par les peines extraordinaires que les Savans se sont données pour découvrir le principe sur lequel ils se fondoient & la raison de leur dénomination.
Il y en a qui pensent qu’ils se fondoient sur ce texte de S. Paul, I. Cor. VII. 29. Reliquum est ut & qui habent uxores, tanquam non habentes sint.
Un Auteur qui a écrit depuis peu prétend qu’ils régloient leurs mariages sur le pié du Paradis Terrestre ; alléguant pour raison qu’il n’y avoit point eu d’autre union entre Adam & Eve dans le Paradis Terrestre que celle des cœurs. Il ajoûte qu’ils avoient encore en vûe l’exemple d’Abel, qu’ils soûtenoient avoir été marié, mais n’avoir jamais connu sa femme, & que c’est de lui qu’ils prirent leur nom.
Bochart observe qu’il couroit une tradition dans l’Orient, qu’Adam conçut de la mort d’Abel un si grand chagrin qu’il demeura cent trente ans sans avoir de commerce avec Eve. C’étoit, comme il le montre, le sentiment des Docteurs Juifs ; d’où cette fable fut transmise aux Arabes ; & c’est de-là, selon Giggeus, que חאבל Thabala en Arabe, est venu à signifier s’abstenir de sa femme. Bochart en a conclu qu’il est très-probable que cette histoire pénétra jusqu’en Afrique, & donna naissance à la secte & au nom des Abéliens.
Il est vrai que les Rabbins ont cru qu’Adam après la mort d’Abel, demeura long-tems sans user du mariage, & même jusqu’au tems qu’il engendra Seth. Mais d’assûrer que cet intervalle fut de cent trente ans, c’est une erreur manifeste & contraire à leur propre chronologie, qui place la naissance de Seth à la cent trentieme année du Monde, ou de la vie d’Adam, comme on peut le voir dans les deux ouvrages des Juifs intitulés Seder Olam.
Abarbanel dit que ce fut cent trente ans après la chûte d’Adam, ce qui est conforme à l’opinion d’autres Rabbins, que Caïn & Abel furent conçûs immédiatement après la transgression d’Adam. Mais, disent d’autres, à la bonne heure que la continence occasionnée par la chûte d’Adam ou par la mort d’Abel ait donné naissance aux Abéliens : ce fut la continence d’Adam, & non celle d’Abel, que ces hérétiques imiterent ; & sur ce pié, ils auroient dû être appellés Adamites, & non pas Abéliens. En effet il est plus que probable qu’ils prirent leur nom d’Abel sans aucune autre raison, si ce n’est que comme ce Patriarche ils ne laissoient point de postérité ; non qu’il eût vécu en continence après son mariage, mais parce qu’il fut tué avant que d’avoir été marié.
Les Abéliens croyoient apparemment, selon l’opinion commune, qu’Abel étoit mort avant que d’avoir été marié : mais cette opinion n’est ni certaine ni universelle. Il y a des Auteurs qui pensent qu’Abel étoit marié & qu’il laissa des enfans. Ce fut même, selon ces Auteurs, la cause principale de la crainte de Caïn, qui appréhendoit que les enfans d’Abel ne tirassent vengeance de sa mort.
* On croit que cette secte commença sous l’empire d’Arcadius & qu’elle finit sous celui de Théodose le jeune ; & que tous ceux qui la composoient réduits enfin à un seul village, se réunirent à l’Église. S. Aug. de hæres. c. lxxxv. Bayle, dictionn. (G)