L’Encyclopédie/1re édition/AGATE
AGATE. Les Tireurs d’or appellent ainsi un instrument dans le milieu duquel est enchassée une agate qui sert à rebrunir l’or.
Agate, Achates, s. f. (Hist. nat.) Pierre fine que les Auteurs d’Histoire naturelle ont mise dans la classe des Pierres fines demi-transparentes. Voyez Pierre fine.
On croit que le nom de l’agate vient de celui du fleuve Achates dans la vallée de Noto en Sicile, que l’on appelle aujourd’hui le Drillo ; & on prétend que les premieres pierres d’agate furent trouvées sur les bords de ce fleuve.
La substance de l’agate est la même que celle du caillou, que l’on appelle communément pierre à fusil : toute la différence que l’on peut mettre entre l’une & l’autre, est dans les couleurs ou dans la transparence. Ainsi l’agate brute, l’agate imparfaite, par rapport à la couleur & à la transparence, n’est pas différente du caillou ; & lorsque la matiere du caillou a un certain degré de transparence ou des couleurs marquées, on la nomme agate.
On distingue deux sortes d’agates par rapport à la transparence : sçavoir, l’agate orientale & l’agate occidentale : la premiere vient ordinairement des pays Orientaux, comme son nom le désigne, & on trouve la seconde dans les pays Occidentaux, en Allemagne, en Boheme, &c. On reconnoît l’agate orientale à la netteté, à la transparence, & à la beauté du poli ; au contraire l’agate occidentale est obscure, sa transparence est offusquée, & son poliment n’est pas aussi beau que celui des agates orientales. Toutes les agates que l’on trouve en Orient n’ont pas les qualités qu’on leur attribue ordinairement, & on rencontre quelquefois des agates en Occident que l’on pourroit comparer aux orientales.
La matiere ou la pâte de l’agate orientale, comme disent les Lapidaires, est un caillou demi-transparent, pur & net : mais dès qu’un tel caillou a une teinte de couleur, il retient rarement le nom d’agate. Si la couleur naturelle du caillou est laiteuse & mêlée de jaune ou de bleu, c’est une chalcedoine ; si le caillou est de couleur orangée, c’est une sardoine ; s’il est rouge, c’est une cornaline. Voyez Caillou, Chalcedoine, Cornaline, Sardoine. On voit par cette distinction qu’il y a peu de variété dans la couleur des agates orientales ; elles sont blanches, ou plûtôt elles n’ont point de couleur. Au contraire l’agate occidentale a plusieurs couleurs & différentes nuances dans chaque couleur ; il y en a même de jaunes & de rouges, que l’on ne peut pas confondre avec les sardoines ni les cornalines, parce que le jaune de l’agate occidentale, quoique mêlé de rouge, n’est jamais aussi vif & aussi net que l’orangé de la sardoine. De même le rouge de l’agate occidentale semble être lavé & éteint en comparaison du rouge de la cornaline : c’est la couleur du minium comparée à celle du vermillon.
La matiere de l’agate occidentale est un caillou, dont la transparence est plus qu’à demi-offusquée, & dont les couleurs n’ont ni éclat ni netteté.
Il est plus difficile de distinguer l’agate des autres pierres demi-transparentes, telles que la chalcedoine, la sardoine & la cornaline, que de la reconnoître parmi les pierres opaques, telles que le jaspe & le jade ; cependant on voit souvent la matiere demi-transparente de l’agate mêlée dans un même morceau de pierre avec une matiere opaque, telle que le jaspe ; & dans ce cas on donne à la pierre le nom d’agate jaspée, si la matiere d’agate en fait la plus grande partie ; & on l’appelle jaspe agaté si c’est le jaspe qui domine.
L’arrangement des taches & l’opposition des couleurs dans les couches, dont l’agate est composée, sont des caracteres pour distinguer différentes especes qui sont l’agate simplement dite, l’agate onyce, l’agate œillée, & l’agate herborisée.
L’agate simplement dite est d’une seule couleur ou de plusieurs, qui ne forment que des taches irrégulieres posées sans ordre & confondues les unes avec les autres. Les teintes & les nuances des couleurs peuvent varier presqu’à l’infini ; de sorte que dans ce mêlange & dans cette confusion il s’y rencontre des hasards aussi singuliers que bisarres. Il semble quelquefois qu’on y voit des gasons, des ruisseaux & des paysages, souvent même des animaux & des figures d’hommes ; & pour peu que l’imagination y contribue, on y apperçoit des tableaux en entier : telle étoit la fameuse agate de Pyrrhus Roi d’Albanie, sur laquelle on prétendoit voir, au rapport de Pline, Apollon avec sa lyre, & les neuf Muses, chacune avec ses attributs : ou l’agate dont Boece de Boot fait mention ; elle n’étoit que de la grandeur de l’ongle, & on y voyoit un Evêque avec sa mitre : & en retournant un peu la pierre, le tableau changeant, il y paroissoit un homme & une tête de femme. On pourroit citer quantité d’autres exemples, ou plûtôt il n’y a qu’à entendre la plûpart des gens qui jettent les yeux sur certaines agates, ils y distinguent quantité de choses que d’autres ne peuvent pas même entrevoir. C’est pousser le merveilleux trop loin, les jeux de la nature n’ont jamais produit sur les agates que quelques traits toujours trop imparfaits, même pour y faire une esquisse.
L’agate onyce est de plusieurs couleurs : mais ces couleurs au lieu de former des taches irrégulieres, comme dans l’agate simplement dite, forment des bandes ou des zones qui représentent les différentes couches dont l’agate est composée. La couleur de l’une des bandes n’anticipe pas sur les bandes voisines. Chacune est terminée par un trait net & distinct. Plus les couleurs sont opposées & tranchées l’une par rapport à l’autre, plus l’agate onyce est belle. Mais l’agate est rarement susceptible de ce genre de beauté, parce que ses couleurs n’ont pas une grande vivacité. Voyez Onyce.
L’agate œillée est une espece d’agate onyce dont les couches sont circulaires. Ces couches forment quelquefois plusieurs cercles concentriques sur la surface de la pierre ; elles peuvent être plus épaisses les unes que les autres, mais l’épaisseur de chacune en particulier est presqu’égale dans toute son étendue : ces couches ou plûtôt ces cercles ont quelquefois une tache à leur centre commun, alors la pierre ressemble en quelque façon à un œil ; c’est pourquoi on les a nommées agates œillées. Il y a souvent plusieurs de ces yeux sur une même pierre ; c’est un assemblage de plusieurs cailloux qui se sont formés les uns contre les autres, & confondus ensemble en grossissant. Voyez Caillou. On monte en bagues les agates œillées, & le plus souvent on les travaille pour les rendre plus ressemblantes à des yeux. Pour cela on diminue l’épaisseur de la pierre dans certains endroits, & on met dessous une feuille couleur d’or ; alors les endroits les plus minces paroissent enflammés, tandis que la feuille ne fait aucun effet sur les endroits de la pierre qui sont les plus épais. On ne manque pas aussi de faire une tache noire au centre de la pierre en dessous, pour représenter la prunelle de l’œil, si la nature n’a pas fait cette tache.
On donne à l’agate le nom d’herborisée ou de dendrite, (Voyez Dendrite.) lorsqu’on y voit des ramifications qui représentent des plantes telles que des mousses, & même des buissons & des arbres. Les traits sont si délicats, le dessein est quelquefois si bien conduit, qu’un Peintre pourroit à peine copier une belle agate herborisée : mais elles ne sont pas toutes aussi parfaites les unes que les autres. On en voit qui n’ont que quelques taches informes ; d’autres sont parsemées de traits qui semblent imiter les premieres productions de la végétation, mais qui n’ont aucun rapport les uns aux autres. Ces traits quoique liés ensemble, ne forment que des rameaux imparfaits & mal dessinés. Enfin, les belles agates herborisées présentent des images qui imitent parfaitement les herbes & les arbres ; le dessein de ces especes de peintures est si régulier, que l’on peut y distinguer parfaitement les troncs, les branches, les rameaux, & même les feuilles : on est allé plus loin, on a cru y voir des fleurs. En effet, il y a des dendrites dans lesquelles les extrémités des ramifications sont d’une belle couleur jaune, ou d’un rouge vif. Voyez Cornaline herborisée, Sardoine herborisée.
Les ramifications des agates herborisées sont d’une couleur brune ou noire, sur un fond dont la couleur dépend de la qualité de la pierre ; il est net & transparent, si l’agate est orientale ; si au contraire elle est occidentale, ce fond est sujet à toutes les imperfections de cette sorte de pierre. Voyez Caillou. (I)
* Les agates & les jaspes se peuvent facilement teindre : mais celles de ces pierres qui sont unies naturellement, sont par cette même raison, composées de tant de parties hétérogenes, que la couleur ne sauroit y prendre uniformément : ainsi, on n’y peut faire que des taches, pour perfectionner la régularité de celles qui s’y rencontrent ; mais non pas les faire changer entierement de couleur, comme on fait à l’agate blanchâtre nommée chalcedoine.
Si l’on met, sur un morceau d’agate chalcedoine, de la dissolution d’argent dans de l’esprit de nitre, & qu’on l’expose au soleil, on la trouvera teinte au bout de quelques heures, d’une couleur brune tirant sur le rouge. Si l’on y met de nouvelle dissolution, on l’aura plus foncée, & la teinture la pénetrera plus avant, & même entierement ; si l’agate n’a qu’une ou deux lignes d’épaisseur, & qu’on mette de la dissolution des deux côtés, cette teinture n’agit pas uniformément. Il y a dans cette sorte d’agate, & dans la plûpart des autres pierres dures, des veines presqu’imperceptibles qui en sont plus facilement pénétrées que le reste ; ensorte qu’elles deviennent plus foncées, & forment de très-agréables variétés qu’on ne voyoit point auparavant.
Si l’on joint à la dissolution d’argent le quart de son poids, ou environ, de suie & de tartre rouge mêlés ensemble, la couleur sera brune tirant sur le gris.
Au lieu de suie & de tartre, si on met la même quantité d’alun de plume, la couleur sera d’un violet foncé tirant sur le noir.
La dissolution d’or ne donne à l’agate qu’une légere couleur brune qui pénetre très-peu ; celle du bismuth la teint d’une couleur qui paroît blanchâtre & opaque, lorsque la lumiere frappe dessus, & brune quand on la regarde à travers le jour. Les autres dissolutions de métaux, & de minéraux, employées de la même maniere, n’ont donné aucune sorte de teinture.
Pour réussir à cette opération, il est nécessaire d’exposer l’agate au soleil : M. Dufay en a mis sous une moufle ; mais elles n’ont pris que très-peu de couleur, & elle ne pénetroit pas si avant. Il a même remarqué plusieurs fois que celles qu’il avoit exposées au soleil ont pris moins de couleur dans tout le cours de la premiere journée, qu’en une demi-heure du second jour, même sans y remettre de nouvelle dissolution. Cela lui a fait soupçonner, que peut-être l’humidité de l’air étoit très-propre à faire pénétrer les parties métalliques. En effet, il a fait colorer des agates très-promptement, en les portant dans un lieu humide aussi-tôt que le soleil avoit fait sécher la dissolution, & les exposant de rechef au soleil.
Pour tracer sur la chalcedoine des figures qui aient quelque sorte de régularité, la maniere qui réussit le mieux est de prendre la dissolution d’argent avec une plume, ou un petit bâton fendu, & de suivre les contours avec une épingle, si l’agate est dépolie ; le trait n’est jamais bien fin, parce que la dissolution s’étend en très-peu de tems : mais si elle est bien chargée d’argent, & qu’elle se puisse crystalliser promptement au soleil, elle ne court plus risque de s’épancher, & les traits en seront assez délicats. Ils n’approcheront cependant jamais du trait de la plume, & par conséquent de ces petits arbres qu’on voit si délicatement formés par les dendrites.
Supposé pourtant qu’on parvînt à les imiter, voici deux moyens de distinguer celles qui sont naturelles d’avec les factices. 1°. En chauffant l’agate colorée artificiellement, elle perd une grande partie de sa couleur, & on ne peut la lui faire reprendre qu’en remettant dessus de nouvelle dissolution d’argent. La seconde maniere, qui est plus facile & plus simple, est de mettre sur l’agate colorée un peu d’eau forte ou d’esprit de nitre, sans l’exposer au soleil ; il ne faut qu’une nuit pour la déteindre entierement. Lorsque l’épreuve sera faite, on lui restituera, si l’on veut, toute sa couleur, en l’exposant au soleil plusieurs jours de suite : mais il ne faut pas trop compter sur ce moyen, comme on verra par ce qui suit.
On sait que par le moyen du feu, on peut changer la couleur de la plûpart des pierres fines ; c’est ainsi qu’on fait les saphirs blancs, les amethistes blanches. On met ces pierres dans un creuset, & on les entoure de sable ou de limaille de fer ; elles perdent leurs couleurs à mesure qu’elles s’échauffent ; on les retire quelquefois fort blanches. Si l’on chauffe de même la chalcedoine ordinaire, elle devient d’un blanc opaque ; & si l’on fait des taches avec de la dissolution d’argent, ces taches seront d’un jaune citron, auquel l’eau-forte n’apporte plus aucun changement. La dissolution d’argent mise sur la chalcedoine ainsi blanchie & exposée au soleil plusieurs jours de suite, y fait des taches brunes.
La dissolution d’argent donne à l’agate orientale une couleur plus noire qu’à la chalcedoine commune. Sur une agate parsemée de taches jaunes, elle a donné une couleur de pourpre. Voyez Mémoires de l’Académie, année 1728, par M. Dufay. Nous avons dit dans l’endroit où l’on propose le moyen de reconnoître l’agate teinte d’avec l’agate naturelle, qu’il ne falloit pas trop compter sur l’eau-forte. En effet, M. de la Condamine ayant mis deux dendrites naturelles dans de l’eau-forte, pendant trois ou quatre jours, il n’y eut point de changement. Les dendrites mises en expérience, ayant été oubliées sur une fenêtre pendant quinze jours d’un tems humide & pluvieux, il se mêla un peu d’eau de pluie dans l’eau-forte ; & l’agate où les arbrisseaux étoient très-fins, se déteignit entierement : le même sort arriva à l’autre, du moins pour la partie qui trempoit dans l’eau-forte ; il fallut pour cette expérience de l’oubli, au lieu de soin & d’attention.
Agate, (Mat med.) on attribue de grandes vertus à l’agate, de même qu’à d’autres pierres précieuses : mais elles sont toutes imaginaires. Geoffroy. (N)
L’agate (en Architecture.) sert à l’embellissement des tabernacles, des cabinets de pieces de rapport, de marqueterie, &c. (P)
* AGATE, (St) Géog. petite ville d’Italie au Royaume de Naples, dans la Province ultérieure. Long. 32-8. lat. 40-55.
Agate, Gatte, Jatte. (Marine.) Voyez Gatte. (Z)