L’Encyclopédie/1re édition/ALLEU

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 282-283).
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ALLEU, (franc) s. m. Jurisprud. fief possédé librement par quelqu’un sans dépendance d’aucun Seigneur. Voyez Allodial. Le mot alleu a été formé des mots alodis, alodus, alodium, aleudum, usités dans les anciennes lois & dans les anciens titres, qui tous signifient terre, héritage, domaine ; & le mot franc, marque que cet héritage est libre & exempt de tout domaine. Mais quelle est l’origine de ces mots Latins eux-mêmes ? C’est ce qu’on ne sait point.

Casseneuve dit qu’elle est aussi difficile à découvrir que la source du Nil. Il y a peu de langues en Europe à laquelle quelque étymologiste n’en ait voulu faire honneur. Mais ce qui paroît de plus vraissemblable à ce sujet, c’est que ce mot est François d’origine.

Bollandus définit l’alleu, prædium, seu quævis possessio libera jurisque proprii, & non in feudum clientelari onere accepta. Voyez Fief.

Après la conquête des Gaules, les terres furent divisées en deux manieres, savoir en bénéfices & en alleus, beneficia & allodia.

Les bénéfices étoient les terres que le Roi donnoit à ses Officiers & à ses Soldats, soit pour toute leur vie, soit pour un tems fixe. Voyez Bénéfice.

Les alleus étoient les terres dont la propriété restoit à leurs anciens possesseurs ; le soixante-deuxieme titre de la Loi Salique est de allodis : & là ce mot est employé pour fonds héréditaire, ou celui qui vient à quelqu’un, de ses peres. C’est pourquoi alleu & patrimoine sont souvent pris par les anciens Jurisconsultes pour deux termes synonymes. Voyez Patrimoine.

Dans les Capitulaires de Charlemagne & de ses successeurs, alleu est toûjours opposé à fief : mais vers la fin de la deuxieme race les terres allodiales perdirent leurs prérogatives ; & les Seigneurs fieffés obligerent ceux qui en possédoient à les tenir d’eux à l’avenir. Le même changement arriva aussi en Allemagne. Voyez Fief & Tenure.

L’usurpation des Seigneurs fieffés sur les terres allodiales alla si loin, que le plus grand nombre de ces terres leur furent assujetties ; & celles qui ne le furent pas, furent du moins converties en fiefs : delà la maxime que, nulla terra sine Domino, nulle terre sans Seigneur.

Il y a deux sortes de franc-alleu, le noble & le roturier.

Le franc-alleu noble est celui qui a justice, censive, ou fief mouvant de lui ; le franc-alleu roturier est celui qui n’a ni justice, ni aucunes mouvances.

Par rapport au franc-alleu, il y a trois sortes de Coûtumes dans le Royaume ; les unes veulent que tout héritage soit réputé franc, si le Seigneur dans la justice duquel il est situé, ne montre le contraire : tels sont tous les pays de droit écrit, & quelques portions du pays coûtumier. Dans d’autres le franc-alleu n’est point reçû sans titre ; & c’est à celui qui prétend posséder à ce titre, à le prouver. Et enfin quelques autres ne s’expliquent point à ce sujet ; & dans ces dernieres on se regle par la maxime générale admise dans tous les pays coûtumiers, qu’il n’y a point de terre sans Seigneur, & que ceux qui prétendent que leurs terres sont libres, le doivent prouver, à moins que la Coûtume ne soit expresse au contraire.

Dans les Coûtumes même qui admettent le franc-alleu sans titre, le Roi & les Seigneurs sont bien fondés à demander que ceux qui possedent des terres en franc-alleu aient à leur en donner une déclaration, afin de connoître ce qui est dans leur mouvance, & ce qui n’y est pas. (H)