L’Encyclopédie/1re édition/ALRUNES

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 298-299).

* ALRUNES, s. f. c’est ainsi que les anciens Germains appelloient certaines petites figures de bois dont ils faisoient leurs Lares, ou ces Dieux qu’ils avoient chargés du soin des maisons & des personnes, & qui s’en acquitoient si mal. C’étoit pourtant une de leurs plus générales & plus anciennes superstitions. Ils avoient deux de ces petites figures d’un pié ou demi-pié de hauteur ; ils représentoient des sorcieres, rarement des sorciers ; ces sorcieres de bois tenoient selon eux, la fortune des hommes dans leurs mains. On les faisoit d’une racine dure ; on donnoit la préférence à celle de mandragore. On les habilloit proprement. On les couchoit mollement dans de petits coffrets. On les lavoit toutes les semaines avec du vin & de l’eau. On leur servoit à chaque repas à boire & à manger, de peur qu’elles ne se missent à crier comme des enfans qui ont besoin. Elles étoient renfermées dans un lieu secret. On ne les tiroit de leur sanctuaire que pour les consulter. Il n’y avoit ni infortune, ni danger, ni maladies à craindre, pour qui possédoit une Alrune : mais elles avoient bien d’autres vertus. Elles prédisoient l’avenir, par des mouvemens de tête, & même quelquefois d’une maniere bien plus intelligible. N’est-ce pas là le comble de l’extravagance ? a-t-on l’idée d’une superstition plus étrange, & n’étoit-ce pas assez pour la honte du genre humain qu’elle eût été ? falloit-il encore qu’elle se fût perpétuée jusqu’à nos jours. On dit que la folie des Alrunes subsiste encore parmi le peuple de la basse Allemagne, chez les Danois, & chez les Suédois.