L’Encyclopédie/1re édition/ANSICO

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 490).

* ANSICO, (Géog. mod.) royaume d’Afrique sous la ligne. On lit dans le Dictionnaire géographique de M. Vosgien, que les habitans s’y nourrissent de chair humaine ; qu’ils ont des boucheries publiques où l’on voit pendre des membres d’homme ; qu’ils mangent leurs peres, meres, freres, & sœurs aussi-tôt qu’ils sont morts ; & qu’on tue deux cens hommes par jour, pour être servis à la table du grand Macoco, c’est le nom de leur Monarque. Plus ces circonstances sont extraordinaires, plus il faudra de témoins pour les faire croire. Y a-t-il sous la ligne un royaume appellé Ansico ? les habitans d’Ansico sont-ils de la barbarie dont on nous les peint, & sert-on deux cens hommes par jour dans le palais du Macoco ? ce sont des faits qui n’ont pas une égale vraissemblance : le témoignage de quelques voyageurs suffit pour le premier ; les autres exigent davantage. Il faut soupçonner en général tout voyageur & tout historien ordinaire d’enfler un peu les choses, à moins qu’on ne veuille s’exposer à croire les fables les plus absurdes. Voici le principe sur lequel je fonde ce soupçon, c’est qu’on ne veut pas avoir pris la plume pour raconter des aventures communes, ni fait des milliers de lieues pour n’avoir vû que ce qu’on voit sans aller si loin ; & sur ce principe j’oserois presque assûrer que le grand Macoco ne mange pas tant d’hommes qu’on dit : à deux cens par jour ce seroit environ soixante & treize mille par an ; quel mangeur d’hommes ! mais les seigneurs de sa cour apparemment ne s’en passent pas, non plus que les autres sujets. Si toutefois le pays pouvoit suffire à une si horrible anthropophagie, & que le préjugé de la nation fût qu’il y a beaucoup d’honneur à être mangé par son souverain, nous rencontrerions dans l’histoire des faits appuyés sur le préjugé, & assez extraordinaires pour donner quelque vraissemblance à celui dont il s’agit ici. S’il y a des contrées où des femmes se brûlent courageusement sur le bûcher d’un mari qu’elles détestoient ; si le préjugé donne tant de courage à un sexe naturellement foible & timide ; si ce préjugé, tout cruel qu’il est, subsiste malgré les précautions qu’on a pû prendre pour le détruire, pourquoi dans une autre contrée les hommes entêtés du faux honneur d’être servis sur la table de leur monarque, n’iroient-ils pas en foule & gaiment présenter leur gorge à couper dans ses boucheries royales ?