L’Encyclopédie/1re édition/ARDOISE

La bibliothèque libre.
Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 628-632).

ARDOISE, s. f. (Hist. nat. Minéralog.) lapisfissilis, ardesia, ardosia ; espece de schist, matiere de la nature de l’argile, de couleur bleue ou grise, ou même rousse, qui se divise en lames minces, plates & unies qu’on employe pour couvrir les maisons. Cette espece de couverture n’étoit pas connue des Anciens : le nom d’ardoise est nouveau ; mais cette matiere a servi dans les tems passés de moilon pour la construction des murs. On en fait encore aujourd’hui le même usage dans les pays où il s’en trouve des carrieres. On dit que la plûpart dès murs d’Angers sont bâtis de blocs d’ardoise, dont la couleur rend cette ville d’un triste aspect. L’ardoise est tendre au sortir de la terre : mais exposée à l’air, elle acquiert assez de dureté pour soûtenir le poids d’un bâtiment : c’est par cette raison apparemment qu’on lui a donné le nom de pierre. Cependant ce n’est qu’une terre plus dure qu’une autre ; c’est un schist, une argile, comme nous l’avons dit, mais qui se trouve à une grande profondeur dans la terre. A mesure qu’on creuse davantage, on trouve cette terre plus dure & plus seche. Elle est disposée par bancs, dans lesquels il y a des fentes qui se trouvent si près les unes des autres, que les lames qu’elles forment ont très-peu d’épaisseur. C’est par ces fentes qu’on les divise, lorsqu’on les prépare à servir de couverture aux bâtimens.

Nos plus fameuses carrieres d’ardoise sont aux environs d’Angers : aussi est-ce dans la province d’Anjou que se fait le plus grand commerce d’ardoise pour ce royaume & pour les pays étrangers. La plus belle vient de Trélaze & des Ayraux, paroisses distantes d’une lieue de la ville d’Angers : mais on trouve de l’ardoise de différentes qualités en d’autres lieux de l’Anjou. Il y en a dans les paroisses de l’Hôtellerie, de Flée, de la Jaille, de Magné près d’Aon, & dans l’élection de Château-Gontier. Celle de Mezieres est plus tendre que les autres. On a trouvé à quelques lieues de Charleville de l’ardoise aussi bonne & aussi belle que celle d’Anjou, quoiqu’elle ne soit pas d’une couleur aussi bleue ou aussi noire. Il y en a plusieurs carrieres à Murat & à Prunet en Auvergne. On en voit auprès de la petite ville de Fumai en Flandre sur la Meuse, au-dessus de Givet. On en tire de la côte de Gènes qui est très-dure. Il y a en Angleterre de l’ardoise bleue & de l’ardoise grise : celle-ci est connue sous le nom de pierre de Horsham, du nom d’une ville de la contrée de Sussex, où elle est très-commune. Pour faire des tables & des carreaux, on donne la préférence aux ardoises les plus dures. On a remarqué sur des morceaux de pierre d’ardoise, mais plus fréquemment sur le schist, des représentations de poissons & de plantes. Voyez Schist.

Après cet historique de l’ardoise, nous allons passer à une considération plus voisine de ses carrieres & de sa fabrication. C’est avec de grands risques qu’on entreprend d’ouvrir & de travailler une carriere d’ardoise. On n’a point de sûreté que la roche découverte dédommagera dans la suite des frais considérables. Il ne faut pas trop compter sur le jugement que les ouvriers ne manquent jamais d’en porter, à la premiere inspection de la cosse. On entend par cosse la premiere surface que présente le rocher, immédiatement au-dessous de la terre. La cosse peut promettre une bonne ardoise, & le fond de la carriere n’offrir que des feuilletis & des chats : deux défauts qui rendent l’ardoise mauvaise, & dont nous parlerons dans la suite. On travaille donc long-tems en aveugles : si la carriere se trouve bonne, on fait sa fortune ; sinon on est ruiné.

On commence par enlever les terres de l’endroit où l’on veut ouvrir la carriere. Il n’y a rien de fixe sur la profondeur de ces terres ; elle est tantôt grande, tantôt petite. Quelquefois le sommet de la roche est à la surface de la terre ; d’autres fois il en est à quelque distance. Aussitôt qu’on a découvert la cosse, on fait sur le plan de cette cosse, dans son milieu, une ouverture d’environ neuf piés de profondeur ; c’est à l’étendue du rocher à déterminer ses autres dimensions. Cette ouverture s’appelle premiere foncée. Ainsi Planche I. d’ardoise, en supposant que q soit la superficie de la terre, & que q, 1, représente le commencement de la cosse ; 1, 2 sera la premiere foncée. La foncée n’a pas par-tout exactement la même profondeur ; on lui donne un peu de pente de l’un à l’autre bout du banc qu’elle forme. Cette pente sur toute la longueur du banc peut aller à un pié ; ensorte qu’à l’extrémité du banc, la foncée peut avoir dix piés de profondeur. On pratique cette pente pour déterminer les eaux des sources qu’on peut rencontrer, à la suivre & à descendre.

Le moins de largeur qu’on puisse donner à la foncée, est celle qui est nécessaire pour qu’un ouvrier qui y est descendu, puisse travailler sans être gêné. Lorsque la premiere foncée est faite, on a, comme on le voit en 1, par le moyen de cette opération, & de celle qui a précédé, savoir la coupe ou le percement de la cosse, un banc 1 tout formé.

Lorsque le banc 1 est formé, il arrive ou que la pierre ou ardoise est tendre & parsemée de veines, ce qu’on appelle être en feuilletis ; & alors elle n’est pas assez faite ; elle n’a pas assez de consistance pour se diviser exactement par lames, & pour que ces lames ayent la dureté requise : ou elle est excessivement dure & cassante ; défaut opposé au précédent, mais qui ne permet pas de tirer de l’ardoise un meilleur parti ; on donne à l’ardoise de cette derniere qualité le nom de chat : ou elle a la fermeté convenable, & les ouvriers sont, comme ils disent, en bonne chambrée. Dans les deux premiers cas, on ne retire aucun fruit de son travail ; avec cette différence, que l’ardoise devenant plus dure & plus consistante à mesure que la carriere prend plus de profondeur, il peut arriver qu’on trouve de la bonne ardoise après les feuilletis ; mais qu’il est à présumer par la même raison, que la carriere qui commence par donner seulement des chats, ira toûjours en devenant plus dure, & n’en sera que plus mauvaise.

D’une premiere foncée on passe au travail d’une seconde ; du travail d’une seconde à celui d’une troisieme, & ainsi de suite, formant toûjours un banc à chaque foncée. Ces bancs formés par les foncées, ressemblent par leur figure & leur disposition à de grands & longs degrés d’un escalier, par lequel on descendroit du haut de la carriere au fond, s’ils avoient moins de hauteur. On continue les foncées & les bancs, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à une bonne qualité d’ardoise ; alors les ouvriers prennent un instrument, tel qu’on le voit en B, b ; chacun le choisit gros ou petit, selon sa force ; il est de fer, aigu par un bout & quarré par l’autre : on l’appelle pointe. A l’aide de cet instrument, on pratique un petit enfoncement sur la nife d’un des bancs, à 4, 5, 6 pouces, plus ou moins, de son bord ; ce petit enfoncement pratiqué tout le long du banc s’appelle chemin, & l’opération faire le chemin. On entend par la nife, la surface supérieure d’un banc ; ainsi la même Planche & la même figure marque en KK le chemin, & en 1, 2, 3, 4, 5, &c. les nifes des bancs.

Quand le chemin est fait, on plante dans cette espece de rainure une espece de coin fourchu, comme on en voit un même Planche, fig. K 2 ; ce coin s’appelle fer : il y a deux sertes de fers, qui ne different que par la grosseur ; on appelle l’un fer moyen, & l’autre grand fer. Après qu’on a planté des fers moyens dans la rainure, selon toute sa longueur, à un pié ou environ de distance les uns des autres, les ouvriers tous rangés sur une même ligne, & tous armés de masses, frappent tous en même tems sur les fers : quoiqu’ils soient en grand nombre on n’entend qu’un seul coup ; par ce moyen les fers enfoncent tous également & en même tems ; le morceau du banc s’ébranle également dans toute sa longueur, & se sépare de la roche en des parties plus grandes ; c’est précisement comme s’il n’y avoit qu’un seul ouvrier, & que son coup tombât sur un grand tranchant qui occuperoit toute la longueur du chemin : on voit en K, K, des fers plantés dans le chemin. Selon que la roche est plus ou moins dure & les foncées plus ou moins profondes, on se sert, pour faire le chemin, de pointes plus ou moins fortes ; & pour enfoncer les fers moyens, de masses plus ou moins pesantes.

Quand les fers moyens sont enfoncés, on leur en fait succéder de plus gros, qu’on appelle grands fers : on enfonce ceux-ci comme on a enfoncé les précédens. Après les grands fers, on employe les quilles, qui ne sont à proprement parler que de plus grands fers encore, puisqu’ils n’en different que par le volume & l’extrémité qui n’est pas fourchue. Les ouvriers font entrer les quilles comme les autres fers ; ce sont elles qui séparent du banc la piece d’ardoise. Voyez, fig. K 3, une quille.

Quoique la chambrée soit bonne, il ne faut pas s’imaginer que la piece d’ardoise se separe entiere & sans fraction ; il se rencontre des veines dans la carriere ; ces veines sont blanches : on les appelle chauves quand leur direction verticale suit celle du chemin, & finnes quand au contraire cette direction est oblique & fait angle avec celle du chemin. Il est évident que dans ce dernier cas la piece ne peut manquer de se fracasser. Les finnes gâtent l’ardoise ; les chauves, dont les ouvriers ne manquent pas de profiter, hâtent & facilitent la séparation ; les feuilletis ne leur coûtent guere à séparer, puisqu’ils sont d’ardoise trop tendre, mais ils ne servent à rien. Quand les ouvriers sont tombés dans les feuilletis, ils ont perdu leur tems. Ils disent qu’ils ont fait une enferrure, ou qu’ils ont enferré une piece, quand ils ont achevé l’opération que nous venons de décrire.

Quand les quilles ont été conduites dans le rocher jusqu’à leur tête à coups de masses, si l’on en est aux premieres foncées ; & à coups de pics, si l’on en est aux dernieres ; quand la piece est bien séparée de son banc, on la jette dans la derniere foncée faite, soit avec des cables, soit d’une autre maniere ; là on travaille à la diviser : pour cet effet on pratique dans son épaisseur une trace ou chemin avec la pointe ; on place dans ce chemin un instrument de fer ou une espece de coin, tel que celui qu’on voit, même Planc. & fig. K 1, & qu’on appelle un alignouet. On frappe sur l’alignouet avec un pic moyen ; & après quelques coups, la separation se fait continue & dans un même plan de toute l’épaisseur de la piece, s’il ne s’y rencontre ni finne, ni feuilletis, ni chats, ni même de chauves, dont on n’a point profité faute de les avoir appercûs.

Avant que la séparation se fasse, les ouvriers sont quelquefois obligés de se servir du gros pic. Les morceaux qui viennent de cette premiere division, sont soûdivisés à l’aide du pic moyen ou du gros pic, en d’autres morceaux d’une grosseur à pouvoir être portés par une seule personne : on les appelle crenons.

Tandis que les ouvriers sont occupés à mettre en morceaux les pieces d’ardoise ; & les morceaux en crenons, d’autres sont occupés à sortir les crenons de la foncée, & à enlever les petits restes qui sont demeurés attachés au banc, & qui ne sont pas venus avec la piece ; ce qu’ils exécutent avec les fers moyens, sur lesquels on frappe, soit avec les mains, soit avec des pics, selon qu’ils sont plus ou moins adhérens. Ils mettent ces petits morceaux, qu’on appelle escots, dedans un seau qui est enlevé du fond de la foncée avec beaucoup de promptitude, par une machine appellée le trait. V. même Pl. fig. 10, le trait. La partie du trait ST, à l’extrémité de laquelle S est attachée la corde qui enleve le seau, s’appelle verne ; la partie Rq s’appelle le gland ; le gland tourne sur le support Pq ; le seau est enlevé en vertu de la pesanteur de la partie T de la verne, & il est conduit où le desire l’ouvrier de la fig. 9, qui en poussant l’extrémité T de la verne, fait mouvoir en sens contraire l’extrémité S ; c’est aussi à l’aide de cette machine qu’on peut tirer de la roncée les crenons ; elle serviroit même, si l’on vouloit, à en enlever de très-grosses pieces d’ardoise ; & l’on est bien forcé d’y avoir recours, lorsque la foncée est trop étroite, & qu’on ne peut y manier une grosse piece d’ardoise commodément : alors on la perce d’un trou, comme on voit Planc. II. fig. 20 ; on passe dans ce trou un crochet qu’on nomme havet ; ce crochet tient à une corde, à l’aide de laquelle la piece est enlevée.

Lorsque l’ardoise est en crenons, si ces crenons sont éloignés du bout de la foncée auquel correspond l’engin ou machine, on les y porte avec des hottes ; là, d’autres ouvriers en chargent un bassicot attaché au cable de l’engin : on voit Planche II. ce bassicot fig. 22, il est lié de bandes de fer, u, u ; ces bandes s’élevent au-dessus du bassicot d’environ 6 à 7 pouces, & font terminées par une boucle à laquelle sont attachées des cordes qu’on appelle bertos. Les bertos sont passés dans un crochet de fer qui tient le bassicot suspendu ; ce crochet est traversé d’une goupille qui empêche les bertos de s’en échapper ; zz est une planche de bois qui est placée au bout du bassicot, où elle est fixée par les deux tenons qu’on voit : cette planche s’appelle le lucet. Aussi-tôt que le bassicot est au haut de la carriere, on ôte le lucet, & on nettoye le bassicot de toutes les ordures qui y sont.

Le bassicot est enlevé hors de la carriere par la machine ou l’engin : on voit Planche II. premiere vignette, cette machine. La partie AX qu’on nomme saillie, avance sur la carriere environ de douze piés ; elle y est soûtenue par le chef de la carriere. Elle a sa parallele à l’autre bout, dont elle est éloignée de quinze piés & davantage. La piece B, qui s’appelle un surbadier, est fixée d’un bout dans le chef, & emmortoisée de l’autre dans la saillie. La piece parallele à la saillie est une espece de gardefou ; elle est élevée sur la saillie d’environ trois piés : elle a aussi sa parallele de l’autre côté. Les pieces HE sont des poteaux fixés perpendiculairement sur les saillies. Les pieces KK sont des traverses ; elles portent celles sur lesquelles se meuvent les tourillons des poulies PP. Les traverses II sont soûtenues par des aisseliers. Les pieces HL se nomment filieres. La piece LL sur laquelle l’extrémité des filieres est soûtenue, s’appelle chapeau du bâtis MMLL, qui n’est autre chose qu’un chevalet à deux pieces de bois perpendiculaires. La figure 20 est une fusée dont l’extrémité R se meut dans le chapeau LL, & son extrémité O porte sur une crapaudine ou couette de fer, emboîtée dans une piece de bois enterrée. La piece à laquelle le cheval est attaché se nomme queue ; elle est emmortoisée dans la piece qui sert d’axe à la fusée. Tandis que le cheval marche vers O, le cable R s’enveloppe sur le cylindre, & le cable S se développe ; c’est-à-dire que le bassicot attaché au premier de ces cables monte, & que celui qui est attaché au second descend. L’homme qui conduit le cheval s’appelle le toucheur. Ceux qui sont au fond de la carriere l’avertissent ; & ils ont un crochet avec lequel ils atteignent le bassicot vuide, qu’ils conduisent ainsi dans l’endroit de la foncée où ils en ont besoin.

Mais avant que de sortir de la carriere, il est à propos de remarquer, 1° que quand on est parvenu à une certaine quantité de foncées, l’eau abonde de tous côtés ; elle descend du rocher par des veines : nous avons déjà indiqué le moyen que l’on prend pour la déterminer à couler vers un bout de la foncée. Elle y est conduite par un petit chemin, & elle y est reçue dans un endroit qu’on y a creusé, & qu’on nomme cuvette ; cette eau est renvoyée de la cuvette dans une cuve profonde, qui est au pié du chef de la carriere, opposé à celui où l’engin est placé. Ce renvoi se fait avec un seau & la machine appellée trait : mais on n’use guere du trait pour cela, que dans les carrieres où l’eau est en si grande quantité, qu’à peine la foncée est-elle faite qu’elle est pleine d’eau. Dans les autres carrieres la corde de la machine destinée à vuider les eaux, se rend directement au réservoir qu’on leur a pratiqué à l’autre bout de la foncée, & les enleve, comme nous allons l’expliquer.

On se sert pour vuider l’eau, de la machine représentée dans la vignette de la Planche II. cette machine se nomme engin. Sa position sur le chef de la carriere est à peu près la même que celle de la machine à enlever l’ardoise ou le bassicot : mais sa construction est fort différente. Au lieu d’une saillie à chaque côté, l’engin en a trois & trois surbadiers ; dont les extrémités inférieures b, b, b sont ou dans le chef de la carriere, ou dans un mur dont ce chef est revêtu ; les extrémités supérieures sont emmortoisées dans les saillies ; ces saillies avancent sur l’ouverture de la carriere environ de quinze piés : on a été forcé d’en employer ici trois de chaque côté, parce qu’on a fait sur elles un bâtis ou pont, sur lequel on est continuellement placé pour recevoir tout ce qui vient de la carriere ; au lieu que dans la machine on est toûjours sur le solide, c’est-à-dire sur le chef de la carriere. Si l’on examine de près la machine ou bassicot, l’on verra que quand le cable R est arrivé entre les deux saillies, ou à la lumiere, on peut facilement l’attirer à soi & exposer le bassicot sur le chef de la carriere, mais que dans l’engin que nous décrivons on n’a pas cette commodité. Aux deux extrémités h, f, de la fusée, sont des tourillons de fer qui roulent sur des couettes de fonte. On appelle la piece comprise entré f & g & montée sur l’arbre g, un tabouret ; l’arbre fh s’appelle le farfus de la fusée. Les pieces qui contiennent entr’elles les fuseaux du tabouret s’appellent tourtelles. La piece CC s’appelle le roüet. On voit à sa circonférence des alluchons posés verticalement ; ils sont en talus ; ils s’engrenent dans les fuseaux du tabouret, qui tourne & entraîne avec lui la fusée, dont la corde i monte, tandis que la corde l descend. Le cheval qui met en mouvement le roüet se fait si bien à cet exercice, qu’après s’être mû de droite à gauche, il revient de lui-même de gauche à droite aussi-tôt qu’il est à propos, c’est-à-dire lorsqu’un des seaux étant monté & l’autre descendu, il faut faire descendre celui-là & monter celui-ci.

Mais on n’entendroit que très-imparfaitement l’effet de l’engin, si l’on ne connoissoit un peu la construction des seaux, voyez-en un par pieces assemblées & détaillées, Planche II. le cerceau de fer 7 en est le chapeau ; il est tout semblable à celui qu’on voit en 6, 6, 6 sur le seau ; 10 est une oreille ; 11 un aileron ; 12 l’ance. Voy. toutes ces pieces assemblées sur le seau, & dans la figure 9, 9 ; 8, 8, qu’il est facile d’imaginer en place ; 4, 4, est un cercle de fer qui entoure le seau un peu au-dessus de son bouge. L’anse tient à ce cercle par deux gros boulons qui font partie du cercle même, & sur lesquels l’anse peut se mouvoir ; 5, 5 sont des pieces qu’on appelle bride, elles soûtiennent le fond qui est ordinairement double. Il n’est pas difficile de concevoir que si deux crochets s’engagent sur le cercle de fer qui est en 6, 6, 6, sur le seau, à son approche du bassin, ils arrêteront sa partie supérieure qui baissera nécessairement, tandis que la fusée marchant toûjours, la partie inférieure du seau montera, ou le fond sera renversé & l’eau tombera dans le bassin. Ce méchanisme est fort simple, & produit bien l’effet qu’on en attend.

Remarquez 1°. qu’il y a toûjours dans la carriere une personne qui conduit la coupe du rocher le plus perpendiculairement qu’il lui est possible ; c’est ce qu’on appelle couper en chef. On voit combien il importe au service des machines qui sont établies sur le chef de la carriere, que cette conduite se fasse bien ; aussi dit-on, au lieu de couper en chef, mener le soutien des machines : de ces machines l’une correspond à l’extrémité de la foncée, & l’autre correspond à l’autre extrémité.

Remarquez 2°. que le bassicot ne remonte pas tout. Il y a des enfans qui montent & descendent par des échelles placées de banc en banc, & qui sortent les vuidanges les plus légeres.

Remarquez 3°. que chaque foncée donne toûjours deux bancs, l’un à droite & l’autre à gauche : pour cela, il ne faut que jetter l’œil sur la premiere vignette de la Planche premiere ; quand on a épuisé l’un, ce qui se fait toûjours par les enferrures, on passe à l’autre banc. Du côté de la figure 11. tous les bancs sont épuisés : mais pour faire une nouvelle foncée, on n’attend pas que tous les bancs soient épuisés, parce que les ouvriers qui fabriquent l’ardoise manqueroient de matiere ; les travaux du fond de la carriere, & ceux du dessus, doivent marcher de concert.

Nous voilà sortis de la carriere. Voyons maintenant ce que deviendront les morceaux d’ardoise que le bassicot a enlevés sous le nom de crenons, après avoir été détachés de la piece enferrée, avec un instrument qu’on voit Planche premiere en V, & qu’on appelle ciseau d’en-bas, parce qu’on ne s’en sert qu’au fond de la carriere.

Quand on a déchargé les crenons, en ôtant le lucet du bassicot, il y a des ouvriers tout prêts avec des hottes qu’on appelle hottes à quartier, pour les distinguer de celles dont on se sert dans la carriere, & qu’on appelle hottes à vuidanges, voyez Planche I. vig. I. La fig. A est une hotte à vuidange, & Pl. II. figure 1. vig. I. hotte à quartier ; d’autres ouvriers prennent le crenon chacun par un bout, & le posent sur la hotte ; les hottiers chargés vont déposer leurs fardeaux autour des ouvriers qui fabriquent l’ardoise : c’est ce que fait la fig. 1. de la IIe vig. de la Planche I. la fig. FE, fe, représente assez bien les crenons quand déposés autour des ouvriers, ils travaillent à les repartir. Voyez Planche I.

Pour repartir, les ouvriers se servent du ciseau CI, qu’on voit Planche I. & qu’ils appellent ciseau à crenet ; ils l’inserent dans le crenon, comme on le voit dans la fig. F E, fe, même Planche, ou comme on le voit faire à la fig. 2. vig. II. Planc. I. Les morceaux g qui sont autour de cette fig. 2. sont des divisions du crenon, & ces divisions s’appellent repartons. Le morceau qu’on voit entre ses jambes est un portion de crenon qu’il faut achever de débiter en repartons. Les repartons passent à un ouvrier, qu’on voit fig. 4. qui avec le ciseau C2 appellé ciseau moyen, même Planche, pousse la division des repartons en contrefendis. Quand l’ardoise est en contrefendis, les mêmes ouvriers prennent le passe-partout ou ciseau C3, ou ceux de la même espece C4, C4, & mettent le contrefendis en fendis ou ardoise brute. Toutes les divisions du reparton en crenons, en contrefendis & en fendis ou ardoise brute, se font d’épaisseur seulement ; les fendis passent entre les mains des ouvriers 3 & 5 ; ces ouvriers sont assis à terre derriere des paillassons soûtenus par des fourches, qui les garantissent de la chaleur & du mauvais tems ; on les appelle tue-vents ; ils ont les jambes couvertes des guêtres qu’on voit Planche I. fig. AB, &c. & entr’elles une sorte de billot cylindrique OPQ, dont on a enlevé une portion ; ce billot ou espece d’établi s’appelle le chaput : c’est sur le chaput que l’ouvrier pose le fendis, & c’est la surface verticale de la section qui dirige le mouvement du doleau ou de l’instrument tranchant dont il se sert pour terminer l’ardoise, & lui donner la forme qu’il desire. Selon la forme que l’on donne au chaput, on a la commodité de façonner diversement l’ardoise : quant au doleau, vous en avez la représentation en T & en V, même Planche I. il a une surface platte comme celle d’un ciseau à deux branches, & son autre surface est arrondie.

Le fendis, au sortir des mains de ceux qui se servent du doleau, est ardoise, mais d’une qualité telle que le permet le morceau de fendis, tant par la nature de la pierre dont il est venu, que par la figure qu’on lui a donnée sur le chaput : comme toutes les couches de l’ardoise ne sont pas exactement paralleles, les petits angles qu’elles forment entr’elles font perdre beaucoup de matiere ; une portion d’ardoise ou un contrefendis dont on espere deux fendis, se divisera souvent obliquement, & au lieu de deux ardoises on n’en aura qu’une avec un morceau ou fragment dont on ne fera qu’une qualité d’ouvrage subalterne : mais ce n’est pas seulement en passant de l’état de contrefendis à celui de fendis que l’ouvrage se détériore ; toutes les divisions de la pierre ont leurs inconvéniens.

Exemple : soit, Planche I. fig. FE, fE, un morceau de pierre que l’ouvrier d’en-bas a mis en crenon avec l’alignouet & le pic moyen, que le ciseau C y ait été inséré pour en tirer les repartons EF, fE, il peut arriver que son épaisseur totale soit traversée de chauve ou de finne, ou qu’il s’y rencontre de petits chats qui empêcheront une exacte division ; ces chats & la finne s’apperçoivent à merveille dans le fendis, fig. M, même Planche : si, même Planche I. il y a une finne dans la direction ZZ, il n’en viendra qu’une ardoise, & &. Ces finnes ne s’apperçoivent que par l’effet, quand on travaille la pierre au haut. On insere son ciseau dans un crenon FEfE ; on en espere quatre contrefendis, & il arrive qu’on n’en tire qu’un entier, la finne arrêtant toûjours la division.

Les ouvriers d’en-bas ne sont pas si surpris des finnes ; aussi-tôt qu’ils ont entamé un banc, elles se montrent distinctement, s’il y en a ; alors ils songent à en tirer parti pour avoir des morceaux de pierre plus petits, ce qu’ils font en appliquant deux ou trois coups de pic moyen sur la finne ; ces coups donnent lieu à une division qui se continue dans une même direction que la finne, sur la surface de la pierre où la finne se rencontre, au lieu que sans elle ils auroient été obligés de recourir à l’enferrure, qui est un moyen qui demande plus de peine & de précision.

A mesure que les ouvriers fabriquent leur ardoise, il y a un ouvrier, qu’on appelle le conteur, qui prend l’ardoise dans une espece de broüette, la transporte en un endroit où il la range, & sépare chaque qualité ; c’est ce que fait la fig. 6. Planche l. vig. II. les ardoises élevées marquent les cents. L’endroit où l’ardoise est séparée par qualité & rangée par cent, s’appelle magasin.

Le conteur met l’ouvrage de chaque ouvrier à part, avec le nom & la quantité sur la derniere ardoise. On voit, au bas de la Planche, des piles séparées par cent.

De toutes les qualités de l’ardoise, la plus belle & la plus estimée est la quarrée ; elle est faite du cœur de la pierre ; elle a la figure rectangulaire qu’on lui voit Planche I. fig. 2. elle porte environ huit pouces de large sur onze pouces de long, & doit être sans rousseur. La seconde qualité est celle du gros noir : le gros noir n’a ni tache ni rousseur, non plus que l’ardoise quarrée ; la seule différence qu’il y ait entre ces deux sortes d’ardoise, c’est que le gros noir n’a pas été tiré d’un morceau de pierre qui pût fournir les dimensions requises dans l’ardoise quarrée. La troisieme est le poil noir, qui a la même qualité & la même figure que le gros noir, mais qui est plus mince & plus légere. La quatrieme est le poil taché, qui a les mêmes dimensions que le gros noir, mais qui n’a pas la même netteté : on lui remarque des endroits roux. La cinquieme est le poil roux ; cette ardoise est en effet toute rousse ; ce sont les premieres foncées qui la donnent, & ce n’est proprement que de la cosse. Il n’en est pas de même du poil taché, il se trouve partout ; il n’y a gueres de foncées où il ne s’en rencontre. La sixieme est la carte, qui a la même figure & la même qualité que la quarrée, mais qui est plus petite d’aire & plus mince. La septieme est l’héridelle, ardoise étroite & longue, dont les côtés seulement ont été taillés, mais dont on a laissé les deux autres extrémités brutes. Il y a des ardoises de quelques autres qualités, mais dont on ne fabrique guere : entre ces ardoises, on peut compter la fine, qui est assez propre à couvrir des domes, parce qu’elle a une convexité qui lui vient, non de l’ouvrier, mais de la pierre dont les couches sont convexes.

Comme la grandeur de la quarrée est déterminée, on seroit tenté de croire que les ouvriers prennent quelque précaution pour la couper : cependant il n’en est rien ; ils ont une si grande habitude à donner à l’ardoise, de chaque espece ou sorte, les dimensions qui lui conviennent, qu’ils s’en acquittent très-exactement sans la moindre attention.

Les monceaux 6, 6, 6 sont les déchets des ouvriers qui fabriquent l’ardoise. Les ouvriers 8, 8, 8, &c. transportent ces déchets dans des hottes.

La maison E, autour de laquelle on travaille, vignette II. Planche I. est celle du clerc de la carriere. Ce clerc gouverne l’ouvrage, tient les livres, rend compte aux intéressés, &c. Celle qui lui est voisine est une forge où des forgerons sont continuellement occupés à la réparation des outils qui se gâtent dans la carriere.

On voit, fig. 18. une ardoise taillée en écaille, & fig. 20. & 19. les outils dont le Couvreur se sert pour la tailler, avec la maniere dont il la dispose, en 22, 22, 21, 21.

Les ardoises peuvent encore être considérées selon leurs échantillons. La grande quarrée forte fait le premier échantillon ; on dit que le millier couvre environ cinq toises d’ouvrage : la grande quarrée fine fournit par millier cinq toises & demie, & fait le second échantillon : la petite fine environ trois toises par millier, & est du troisieme échantillon : la quatrieme, qu’on appelle quartelette, fait le quatrieme échantillon, & donne deux toises & demie de couverture. Nous finissons ici cet article des ardoises, où nous avons suivi l’ardoise du fond de la carriere jusque sur les toits.

Ardoises. Elles servent aux Passementiers pour les liantes lisses, au lieu de platines. Voyez Platine.