L’Encyclopédie/1re édition/ASIATIQUES

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 752-755).
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ASIATIQUES. Philosophie des Asiatiques en général. Tous les habitans de l’Asie sont ou Mahométans, ou Payens, ou Chrétiens. La secte de Mahomet est sans contredit la plus nombreuse : une partie des peuples qui composent cette partie du monde a conservé le culte des idoles ; & le peu de Chrétiens qu’on y trouve sont schismatiques, & ne sont que les restes des anciennes sectes, & sur-tout de celle de Nestorius. Ce qui paroîtra d’abord surprenant, c’est que ces derniers sont les plus ignorans de tous les peuples de l’Asie, & peut-être les plus dominés par la superstition. Pour les Mahométans, on sait qu’ils sont partagés en deux sectes. La premiere est celle d’Aboubecre, & la seconde est celle d’Ali. Elles se haïssent mutuellement, quoique la différence qu’il y a entre elles, consiste plûtôt dans des cérémonies & dans des dogmes accessoires, que dans le fond de la doctrine. Parmi les Mahométans, on en trouve qui ont conservé quelques dogmes des anciennes sectes philosophiques, & sur-tout de l’ancienne Philosophie orientale. Le célebre Bernier qui a vécu long-tems parmi ces peuples, & qui étoit lui-même très versé dans la Philosophie, ne nous permet pas d’en douter. Il dit que les Soufis Persans, qu’il appelle cabalistes, « prétendent que Dieu, ou cet être souverain, qu’ils appellent achar, immobile, immuable, a non-seulement produit, ou tiré les ames de sa propre substance ; mais généralement encore tout ce qu’il y a de matériel & de corporel dans l’univers, & que cette production ne s’est pas faite simplement à la façon des causes efficientes, mais à la façon d’une araignée, qui produit une toile qu’elle tire de son nombril, & qu’elle répand quand elle veut. La création n’est donc autre chose, suivant ces docteurs, qu’une extraction & extension que Dieu fait de sa propre substance, de ces rets qu’il tire comme de ses entrailles, de même que la destruction n’est autre chose qu’une simple reprise qu’il fait de cette divine substance, de ces divins rets dans lui-même ; ensorte que le dernier jour du monde qu’ils appellent maperlé ou pralea, dans lequel ils croyent que tout doit être détruit, ne sera autre chose qu’une reprise générale de tous ces rets, que Dieu avoit ainsi tirés de lui-même. Il n’y a donc rien, disent-ils, de réel & d’effectif dans tout ce que nous croyons voir, entendre, flairer, goûter, & toucher : l’univers n’est qu’une espece de songe & une pure illusion, en tant que toute cette multiplicité & diversité de choses qui nous frappent, ne sont qu’une seule, unique & même chose, qui est Dieu même ; comme tous les nombres divers que nous connoissons, dix, vingt, cent, & ainsi des autres, ne sont enfin qu’une même unité repétée plusieurs fois ». Mais si vous leur demandez quelque raison de ce sentiment, ou qu’ils vous expliquent comment se fait cette sortie, & cette reprise de substance, cette extension, cette diversité apparente, ou comment il se peut faire que Dieu n’étant pas corporel, mais simple, comme ils l’avouent, & incorruptible, il soit néanmoins divisé en tant de portions de corps & d’ames, ils ne vous payeront jamais que de belles comparaisons ; que Dieu est comme un océan immense, dans lequel se mouvroient plusieurs fioles pleines d’eau ; que les fioles, quelque part qu’elles pussent aller, se trouveroient toûjours dans le même océan, dans la même eau, & que venant à se rompre, l’eau qu’elles contenoient, se trouveroit en même tems unie à son tout, à cet océan dont elles étoient des portions : ou bien ils vous diront, qu’il en est de Dieu comme de la lumiere, qui est la même par tout l’univers, & qui ne laisse pas de paroître de cent façons différentes, selon la diversité des objets où elle tombe, ou selon les diverses couleurs & figures des verres par où elle passe. Il ne vous payeront, dis-je, que de ces sortes de comparaisons, qui n’ont aucun rapport avec Dieu, & qui ne sont bonnes que pour jetter de la poudre aux yeux d’un peuple ignorant ; & il ne faut pas espérer qu’ils répliquent solidement, si on leur dit que ces fioles se trouveroient véritablement dans une eau semblable, mais non pas dans la même, & qu’il y a bien dans le monde une lumiere semblable, & non pas la même, & ainsi de tant d’autres objections qu’on leur fait. Ils reviennent toûjours aux mêmes comparaisons, aux belles paroles, ou comme les Soufis aux belles poësies de leur Goult-hen-raz.

Voilà la doctrine des Pendets, gentils des Indes ; & c’est cette même doctrine qui fait encore à présent la cabale des Soufis & de la plûpart des gens de lettres Persans, & qui se trouve expliquée en vers persiens, si relevés & si emphatiques dans leur Goulthen-raz. ou parterre des mysteres. C’étoit la doctrine de Fludd, que le célebre Gassendi a si doctement réfutée : or, pour peu qu’on connoisse la doctrine de Zoroastre & la Philosophie orientale, on verra clairement qu’elles ont donné naissance à celle dont nous venons de parler.

Après les Perses, viennent les Tartares, dont l’empire est le plus étendu dans l’Asie ; car ils occupent toute l’étendue du pays qui est entre le mont Caucase & la Chine. Les relations des voyageurs sur ces peuples sont si incertaines, qu’il est extremement difficile de savoir s’ils ont jamais eu quelque teinture de philosophie. On sait seulement qu’ils croupissent dans la plus grossiere superstition, & qu’ils sont ou mahométans ou idolatres. Mais comme on trouve parmi eux de nombreuses communautés de prêtres, qu’on appelle Lamas, on peut demander avec raison, s’ils sont aussi ignorans dans les sciences, que les peuples grossiers qu’ils sont chargés d’instruire ; on ne trouve pas de grands éclaircissemens sur ce sujet dans les auteurs qui en ont parlé. Le culte que ces lamas rendent aux idoles est fondé sur ce qu’ils croyent qu’elles sont les images des émanations divines, & que les ames qui sont aussi émanées de Dieu habitent dans elles. Tous ces lamas ont au-dessus d’eux un grand prêtre appellé le grand lama, qui fait sa demeure ordinaire sur le sommet d’une montagne. On ne sçauroit imaginer le profond respect que les Tartares idolatres ont pour lui ; ils le regardent comme immortel, & les prêtres subalternes entretiennent cette erreur par leurs supercheries. Enfin tous les voyageurs conviennent que les Tartares sont de tous les peuples de l’Asie les plus grossiers, les plus ignorans, & les plus superstitieux. La loi naturelle y est presque éteinte ; il ne faut donc pas s’étonner s’ils ont fait si peu de progrès dans la Philosophie.

Si de la Tartarie on passe dans les Indes, on n’y trouvera guere moins d’ignorance & de superstition ; jusques-là que quelques auteurs ont crû que les Indiens n’avoient aucune connoissance de Dieu : ce sentiment ne nous paroît pas fondé. En effet, Abraham Rogers raconte que les Bramins reconnoissent un seul & suprème Dieu, qu’ils nomment Vistnou ; que la premiere & la plus ancienne production de ce Dieu, étoit une divinité inférieure appellée Brama, qu’il forma d’une fleur qui flottoit sur le grand abysme avant la création du monde ; que la vertu, la fidélité, & la reconnoissance de Brama avoient été si grandes, que Vistnou l’avoit doüé du pouvoir de créer l’univers. Le détail de leur doctrine est rapporté par différens auteurs avec une variété fort embarrassante pour ceux qui cherchent à démêler la vérité ; variété qui vient en partie de ce que les Bramins sont fort réservés avec les étrangers, mais principalement de ce que les voyageurs sont peu versés dans la langue de ceux dont ils se mêlent de rapporter les opinions. Mais du moins il est constant par les relations de tous les modernes, que les Indiens reconnoissent une ou plusieurs divinités.

Nous ne devons point oublier de parler ici de Budda ou Xekia, si célebre parmi les Indiens, auxquels il enseigna le culte qu’on doit rendre à la Divinité, & que ces peuples regardent comme le plus grand philosophe qui ait jamais existé : son histoire se trouve si remplie de fables & de contradictions, qu’il seroit impossible de les concilier. Tout ce que l’on peut conclurre de la diversité des sentimens que les auteurs ont eus à son sujet, c’est que Xekia parut dans la partie méridionale des Indes, & qu’il se montra d’abord aux peuples qui habitoient sur les rivages de l’Océan ; que de-là il envoya ses disciples dans toutes les Indes, ou ils répandirent sa doctrine.

Les Indiens & les Chinois attestent unanimement que cet imposteur avoit deux sortes de doctrines : l’une faite pour le peuple ; l’autre secrete, qu’il ne révéla qu’à quelques-uns de ses disciples. Le Comte, la Loubere, Bernier, & sur-tout Kempfer, nous ont suffisamment instruits de la premiere qu’on nomme exoterique. En voici les principaux dogmes.

1°. Il y a une différence réelle entre le bien & le mal.

2°. Les ames des hommes & des animaux sont immortelles, & ne different entr’elles qu’à raison des sujets où elles se trouvent.

3°. Les ames des hommes, séparées de leurs corps, reçoivent ou la récompense de leurs bonnes actions dans un séjour de délices, ou la punition de leurs crimes dans un séjour de douleurs.

4°. Le séjour des bienheureux est un lieu où ils goûteront un bonheur qui ne finira point, & ce lieu s’appelle pour cela gokurakf.

5°. Les dieux different entr’eux par leur nature, & les ames des hommes par leurs mérites ; par conséquent le degré de bonheur dont elles joüiront dans ces champs élysées, répondra au degré de leurs mérites : cependant la mesure de bonheur que chacune d’entr’elles aura en partage sera si grande, qu’elles ne souhaiteront point d’en avoir une plus grande.

6°. Amida est le gouverneur de ces lieux heureux, & le protecteur des ames humaines, sur-tout de celles qui sont destinées à joüir d’une vie éternellement heureuse. C’est le seul médiateur qui puisse faire obtenir aux hommes la rémission de leurs péchés & la vie éternelle. (Plusieurs Indiens & quelques Chinois rapportent cela à Xekia lui-même.)

7°. Amida n’accordera ce bonheur qu’à ceux qui auront suivi la loi de Xekia, & qui auront mené une vie vertueuse.

8°. Or la loi de Xekia renferme cinq préceptes généraux, de la pratique desquels dépend le salut éternel : le premier, qu’il ne faut rien tuer de ce qui est animé ; 2°. qu’il ne faut rien voler ; 3°. qu’il faut éviter l’inceste ; 4°. qu’il faut s’abstenir du mensonge, 5°. & sur-tout des liqueurs fortes. Ces cinq préceptes sont fort célebres dans toute l’Asie méridionale & orientale. Plusieurs lettrés les ont commentés, & par conséquent obscurcis ; car on les a divisés en dix conseils pour pouvoir acquérir la perfection de la vertu ; chaque conseil a été subdivisé en cinq go fiakkai, ou instructions particulieres, qui ont rendu la doctrine de Xekia extrèmement subtile.

9°. Tous les hommes, tant séculiers qu’ecclésiastiques, qui se seront rendus indignes du bonheur éternel, par l’iniquité de leur vie, seront envoyés après leur mort dans un lieu horrible appellé dsigokf, où ils souffriront des tourmens qui ne seront pas éternels, mais qui dureront un certain tems indéterminé : ces tourmens répondront à la grandeur des crimes, & seront plus grands à mesure qu’on aura trouvé plus d’occasions de pratiquer la vertu, & qu’on les aura négligées.

10°. Jemma O est le gouverneur & le juge de ces prisons affreuses ; il examinera toutes les actions des hommes, & les punira par des tourmens différens.

11°. Les ames des damnés peuvent recevoir quelque soulagement de la vertu de leurs parens & de leurs amis : & il n’y a rien qui puisse leur être plus utile que les prieres & les sacrifices pour les morts, faits par les prêtres & adressés au grand pere des misericordes, Amida.

12°. L’intercession d’Amida fait que l’inexorable juge des enfers tempere la rigueur de ses arrêts, & rend les supplices des damnés plus supportables, en sauvant pourtant sa justice, & qu’il les renvoye dans le monde le plûtôt qu’il est possible.

13°. Lorsque les ames auront ainsi été purifiées, elles seront renvoyées dans le monde pour animer encore des corps, non pas des corps humains, mais les corps des animaux immondes, dont la nature répondra aux vices qui avoient infecté les damnés pendant leur vie.

14°. Les ames passeront successivement des corps vils dans des corps plus nobles, jusqu’à ce qu’elles méritent d’animer encore un corps humain, dans lequel elles puissent mériter le bonheur éternel par une vie irréprochable. Si au contraire elles commettent encore des crimes, elles subiront les mêmes peines, la même transmigration qu’auparavant.

Voilà la doctrine que Xekia donna aux Indiens, & qu’il écrivit de sa main sur des feuilles d’arbre. Mais sa doctrine exotérique ou intérieure est bien différente. Les auteurs Indiens assurent que Xekia se voyant à son heure derniere, appella ses disciples, & leur découvrit les dogmes qu’il avoit tenu secrets pendant sa vie. Les voici tels qu’on les a tirés des livres de ses successeurs.

1°. Le vuide est le principe & la fin de toutes choses.

2°. C’est de là que tous les hommes ont tiré leur origine, & c’est là qu’ils retourneront après leur mort.

3°. Tout ce qui existe vient de ce principe, & y retourne après la mort : c’est ce principe qui constitue notre ame & tous les élémens ; par conséquent toutes les choses qui vivent, pensent & sentent, quelques différentes qu’elles soient par l’usage ou par la figure, ne different pas en elles-mêmes & ne sont point distinguées de leur principe.

4°. Ce principe est universel, admirable, pur, limpide, subtil, infini ; il ne peut ni naître, ni mourir, ni être dissous.

5°. Ce principe n’a ni vertu, ni entendement, ni puissance, ni autre attribut semblable.

6°. Son essence est de ne rien faire, de ne rien penser, de ne rien desirer.

7°. Celui qui souhaite de mener une vie innocente & heureuse, doit faire tous ses efforts pour se rendre semblable à son principe, c’est-à-dire, qu’il doit dompter, ou plûtôt éteindre toutes ses passions, afin qu’il ne soit troublé ou inquiété par aucune chose.

8°. Celui qui aura atteint ce point de perfection sera absorbé dans des contemplations sublimes, sans aucun usage de son entendement, & il joüira de ce repos divin qui fait le comble du bonheur.

9°. Quand on est parvenu à la connoissance de cette doctrine sublime, il faut laisser au peuple la doctrine esotérique, ou du moins ne s’y prêter qu’à l’extérieur.

Il est fort vraissemblable que ce système a donné naissance à une secte fameuse parmi les Japonois, laquelle enseigne qu’il n’y a qu’un principe de toutes choses ; que ce principe est clair, lumineux, incapable d’augmentation ni de diminution, sans figure, souverainement parfait, sage, mais destitué de raison ou d’intelligence, étant dans une parfaite inaction, & souverainement tranquille, comme un homme dont l’attention est fortement fixée sur une chose sans penser à aucune autre : ils disent encore que ce principe est dans tous les êtres particuliers, & leur communique son essence en telle maniere, qu’elles font la même chose avec lui, & qu’elles se résolvent en lui quand elles sont détruites.

Cette opinion est différente du Spinosisme, en ce qu’elle suppose que le monde a été autrefois dans un état fort différent de celui où il est à présent. Un sectateur de Confucius a réfuté les absurdités de cette secte, par la maxime ordinaire, que rien ne peut venir de rien ; en quoi il paroît avoir supposé qu’ils enseignoient que rien est le premier principe de toutes choses, & par conséquent que le monde a eu un commencement, sans matiere ni cause efficiente : mais il est plus vraissemblable que par le mot de vuide ils entendoient seulement ce qui n’a pas les propriétés sensibles de la matiere, & qu’ils prétendoient désigner par-là ce que les modernes expriment par le terme d’espace, qui est un être très-distinct du corps, & dont l’étendue indivisible, impalpable, pénétrable, immobile & infinie, est quelque chose de réel. Il est de la derniere évidence qu’un pareil être ne sauroit être le premier principe ; s’il étoit incapable d’agir, comme le prétendoit Xekia. Spinosa n’a pas porté l’absurdité si loin ; l’idée abstraite qu’il donne du premier principe, n’est, à proprement parler, que l’idée de l’espace, qu’il a revêtu de mouvement, afin d’y joindre ensuite les autres propriétés de la matiere.

La doctrine de Xekia n’a pas été inconnue aux Juifs modernes ; leurs cabalistes expliquent l’origine des choses, par des émanations d’une cause premiere, & par conséquent préexistente, quoique peut-être sous une autre forme. Ils parlent aussi du retour des choses dans le premier être, par leur restitution dans leur premier état, comme s’ils croyoient que leur En-soph ou premier être infini contenoit toutes choses, & qu’il y a toûjours eu la même quantité d’êtres, soit dans l’état incréé, soit dans celui de création. Quand l’être est dans son état incréé, Dieu est simplement toutes choses : mais quand l’être devient monde, il n’augmente pas pour cela en quantité ; mais Dieu se développe & se répand par des émanations. C’est pour cela qu’ils parlent souvent de grands & de petits vaisseaux, comme destinés à recevoir ces émanations de rayons qui sortent de Dieu, & de canaux par lesquels ces rayons sont transmis : en un mot, quand Dieu retire ces rayons, le monde exterieur périt, & toutes choses redeviennent Dieu.

L’exposé que nous venons de donner de la doctrine de Xekia pourra nous servir à découvrir sa véritable origine. D’abord il nous paroît très-probable que les Indes ne furent point sa patrie, non-seulement parce que sa doctrine parut nouvelle dans ce pays-là lorsqu’il l’y apporta, mais encore parce qu’il n’y a point de nation Indienne qui se vante de lui avoir donné la naissance ; & il ne faut point nous opposer ici l’autorité de la Croze, qui assûre que tous les Indiens s’accordent à dire que Xekia naquit d’un roi Indien ; car Kempfer a très-bien remarqué, que tous les peuples situés à l’orient de l’Asie, donnent le nom d’Indes à toutes les terres australes. Ce concert unanime des Indiens ne prouve donc autre chose, sinon que Xekia tiroit son origine de quelque terre méridionale. Kempfer conjecture que ce chef de secte étoit Africain, qu’il avoit été élevé dans la Philosophie, & dans les mysteres des Egyptiens ; que la guerre qui desoloit l’Egypte l’ayant obligé d’en sortir, il se retira avec ses compagnons chez les Indiens ; qu’il se donna pour un autre Hermès & pour un nouveau législateur, & qu’il enseigna à ces peuples non-seulement la doctrine hieroglyphique des Egyptiens, mais encore leur doctrine mystérieuse.

Voici les raisons sur lesquelles il appuie son sentiment.

1o. La religion que les Indiens reçûrent de ce législateur, a de très-grands rapports avec celle des anciens Egyptiens ; car tous ces peuples représentoient leurs dieux sous des figures d’animaux & d’hommes monstrueux.

2o. Les deux principaux dogmes de la religion des Egyptiens, étoient la transmigration des ames, & le culte de Sérapis, qu’ils représentoient sous la figure d’un bœuf ou d’une vache. Or il est certain que ces deux dogmes sont aussi le fondement de la religion dès nations Asiatiques. Personne n’ignore le respect aveugle que ces peuples ont pour les animaux, même les plus nuisibles, dans la persuasion où ils sont que les ames humaines sont logées dans leurs corps. Tout le monde sait aussi qu’ils rendent aux vaches des honneurs superstitieux, & qu’ils en placent les figures dans leurs temples. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que plus les nations barbares approchent de l’Egypte, plus on leur trouve d’attachement à ces deux dogmes.

3o. On trouve chez tous les peuples de l’Asie orientale la plûpart des divinités Egyptiennes, quoique sous d’autres noms.

4o. Ce qui confirme sur-tout la conjecture de Kempfer, c’est que 536 ans avant J. C. Cambyse roi des Perses, fit une irruption dans l’Egypte, tua Apis, qui étoit le palladium de ce royaume, & chassa tous les prêtres du pays. Or si on examine l’époque ecclésiastique des Siamois, qu’ils font commencer à la mort de Xekia, on verra qu’elle tombe précisément au tems de l’expédition de Cambyse ; de-là il s’ensuit qu’il est très-probable que Xekia se retira chez les Indiens, auxquels il enseigna la doctrine de l’Egypte.

5o. Enfin l’idole de Xekia le représente avec un visage Ethiopien, & les cheveux crêpus : or il est certain qu’il n’y a que les Africains qui soient ainsi faits. Toutes ces raisons bien pesées, semblent ne laisser aucun lieu de douter, que Xekia ne fût Africain, & qu’il n’ait enseigné aux Indiens les dogmes qu’il avoit lui-même puisés en Egypte.