L’Encyclopédie/1re édition/BÉLEMNITE
BÉLEMNITE. Nous ne pouvons mieux faire que de rapporter ici l’article de M. Formey, secrétaire de l’académie royale des Sciences & Belles-Lettres de Prusse, sur la bélemnite, qui nous a été remis manuscrit.
« Bélemnite (Hist. nat.) ce nom vient de la ressemblance de cette pierre avec le fer d’une fleche. Elle porte aussi celui de dactylus idæus, à cause de sa conformité avec un doigt de la main, & du mont Ida, où Pline dit qu’on la trouve ; & celui de lapis lyncis, ou lyncusius pris de la fabuleuse origine que les anciens lui donnoient ; parce qu’ils pensoient bonnement que c’étoit de l’urine de lynx changée en pierre. D’autres lui ont donné avec aussi peu de fondement le nom de pierre de tonnerre, pensant qu’elle tomboit du ciel. On trouve la bélemnite dans toutes sortes de lits de terre, de sable, de marne & de pierre, presque toûjours accompagnée de coquillages ou d’autres dépouilles de l’Océan, & souvent un peu applaties, à demi cassées, ou autrement défigurées par les mouvemens violens des couches de pierre ou de terre qui les ont comprimées, comme il est arrivé à un grand nombre de coquillages, & à d’autres productions marines.
» Il y a des bélemnites qui sont chargées de petites huîtres & de petits tuyaux de vers marins, dont la nature est d’être nécessairement attachés aux corps, où ils naissent, vivent & meurent sans changer de place ; d’autres ont été rongés par de petits insectes, comme cela arrive souvent aux huîtres & aux autres coquilles de mer. Les bélemnites sont en général d’une figure fort réguliere ; elles different néanmoins en trois manieres entr’elles. Il y en a de parfaitement coniques, d’autres presque cylindriques, dont la pointe paroît au haut après une espece d’arrondissement, qui les fait ressembler à un doigt de la main ; les dernieres ont un renflement à peu près comme les fuseaux. Leur longueur est depuis environ deux pouces jusqu’à huit & davantage, & leur grosseur depuis celle d’une plume médiocre jusqu’à trois & quatre pouces de circonférence ; leur couleur bien que différente ne peut point servir à les distinguer, puisqu’elle dépend uniquement des lieux où on les trouve. Elles ont toutes une cannelure plus ou moins marquée, qui regne depuis la base jusqu’à la pointe, mais dont l’enfoncement va toûjours en diminuant ; & c’est cette cannelure qui fait qu’elles se rendent facilement en long. Toutes celles qui sont entieres, ont à leur base une cavité de figure conique, qui differe en largeur & en longueur, selon que ces pierres sont plus grosses & plus longues. Cette cavité est souvent vuide & quelquefois pleine de sable, de crystaux & d’autres matieres. Il y en a aussi qui renferment une alvéole fort curieuse, composée de plusieurs petites coupes semblables aux verres des montres de poche, enchâssées l’une dans l’autre, & qui toutes ensemble forment un cone parfaitement convenable au vuide de la pierre ; ce qui fait que quoique ces alvéoles soient de differentes matieres, tous les auteurs qui en ont parlé croyent qu’ils appartiennent véritablement à la bélemnite, & qu’ils se sont formés dans sa cavité.
» Leur structure inférieure est toûjours absolument la même. Elles sont toutes composées de plusieurs couches très-régulierement rangées, comme les aubiers des arbres, & si minces qu’il faut une loupe pour les distinguer avec quelque exactitude. Leur matiere forme par ses filets presque imperceptibles des rayons qui vont du centre à la circonférence. Ces rayons partent d’un très-petit tuyau, qui occupe toute la largeur de la pierre, & qui n’est bien visible que dans les plus transparentes ; d’horisontaux qu’ils sont d’abord, ils s’élevent ensuite peu à peu vers la circonférence, surtout en approchant de la pointe. C’est-là la raison pourquoi la partie de la pierre du côté de la base paroît creuse, & l’autre paroît convexe, quand on l’a coupée en travers. Le demi-diametre de la bélemnite qui regarde la cannelure, est toûjours plus court que celui qui lui est opposé ; & l’on remarque par intervalles des lignes longitudinales, qui se terminent en cone autour du petit tuyau. On peut facilement séparer les couches de ces pierres en les mettant sur un charbon allumé, ou à la flamme d’une chandelle. Elles sont en dedans & en dehors d’un parfait poli, & deviennent blanches lorsqu’elles sont exposées au feu. Il en sort une mauvaise odeur, comme de corne brûlée, ou d’urine de chat, quand on les frotte l’une contre l’autre ; mais sur-tout quand on les brûle.
» On agite la question ; si ces pierres sont de vrais minéraux, ou si elles appartiennent à quelque animal, & en ce cas à quelle de ses parties on doit les rapporter. Il faut lire là-dessus les Lettres philosophiques sur la formation des sels & des crystaux, &c. par M. Bourguet. Ce savant de Neuf-châtel y établit d’une maniere qui me paroît démonstrative, que les bélemnites n’appartiennent point au regne minéral, vû que les corps les plus réguliers que ce regne fournisse ne gardent point une symmétrie aussi parfaite dans leur structure. Il compare la bélemnite à la stalactite, qui est de toutes les pierres celle qui en approche le plus ; & il fait voir qu’il reste encore une énorme différence entr’elles. Cela le conduit à conjecturer que c’est une dent d’animal ; & quoiqu’on ne puisse pas encore indiquer l’animal auquel elles ont appartenu, la grande conformité qu’a la bélemnite avec les dents d’autres animaux, & particulierement avec les dents droites du crocodile, met cette conjecture dans une fort grande vraissemblance. La cavité de figure conique que les bélemnites entieres ont à leur base, est en effet semblable à celle qu’on voit aux dents du crocodile & du physeter, aux défenses de l’éléphant, & du poisson nahrwal. La cannelure de la même pierre a beaucoup de rapport avec celles des dents de la scie du spadon, qui sont enchâssées dans cette longue défense, comme dans une mâchoire. Enfin ses petits filets sont de même nature que ceux de la structure intérieure de l’émail des dents de presque tous les autres animaux. Quant à l’alvéole, ses coupes répondent aux couches de la bélemnite par le moyen des lignes longitudinales, qui forment d’espace en espace de petits cones qui marquent peut-être les divers tems de son accroissement. M. Bourguet répond ensuite aux difficultés de M. Scheuchzer, & de quelques autres Physiciens. Enfin il explique la formation & le méchanisme organique de la bélemnite d’une maniere fort plausible. Comme les animaux auxquels ces dents appartiennent, croissent pendant toute leur vie, il n’est pas étonnant qu’il y ait des bélemnites si différentes en grosseur & en longueur ».
Nous ajoûterons seulement à cet article l’opinion de M. Woodward & celle de M. le Monnier le Medecin, de l’académie royale des Sciences. M. Woodward rapporte dans sa lettre sur l’Origine, la nature & la constitution de la bélemnite, que M. Lhwyd prétendoit qu’elle se forme dans le pinceau de mer ou dans le coquillage appellé dentale. Notre auteur réfute ce sentiment par la raison qu’on ne voit jamais aucunes traces du moule dans lequel la bélemnite se seroit formée, comme on voit celle du moule des autres pétrifications ; que le prétendu moule de la bélemnite devroit être bien apparent autour de celles qui ont près de deux piés de longueur, & environ deux pouces de diametre à l’endroit le plus gros ; & que cependant il n’en a apperçû aucun vestige dans des bélemnites de cette grandeur qu’il a observées.
M. Woodward répond ensuite à ceux qui croyent que les bélemnites sont des cornes d’animaux ou des dents de poissons : il soûtient que ce ne sont pas des cornes, parce que la plûpart n’en ont pas la figure ; & pour le prouver, il fait mention des trois principales especes de bélemnites, qui sont la bélemnite conoïde, qui est la plus commune ; la bélemnite en forme de fuseau, & la bélemnite cylindrique terminée en pointe par les deux bouts ; & il conclut que si toutes ces bélemnites ressemblent à des cornes, il n’y a rien qui ne puisse y ressembler. Le même auteur ne croit pas qu’il soit à présumer que la bélemnite soit une corne, parce qu’on la trouve dans la terre avec des coquilles, des dents & d’autres parties d’animaux ; puisqu’il s’y trouve aussi bien d’autres choses qui ne sont certainement pas des cornes. Il nie que toutes les bélemnites ayent une odeur de corne brûlée, c’est-à-dire une odeur animale : il assûre que les bélemnites d’Angleterre n’ont ordinairement aucune odeur, & que toutes celles qu’il a trouvées dans la craie n’en ont point du tout ; & il croit que les bélemnites n’ont que l’odeur qui leur a été communiquée par des matieres salines, sulphureuses ou bitumineuses avec lesquelles elles ont séjourné. Enfin M. Woodward soûtient que les bélemnites ne sont ni des cornes ni des dents, parce que leur pesanteur spécifique est différente de celle des cornes & des dents : les raisons qu’il en donne sont tirées de ses principes sur l’Histoire naturelle de la terre.
C’est en conséquence de ces mêmes principes que M. Woodward met la bélemnite dans la classe des corps talqueux, parce que sa pesanteur est égale à celle de ces corps. La couleur jaune de certaines bélemnites est semblable à celle de quelques talcs, spars, & autres productions minérales.
La substance de la bélemnite, dit M. Woodward, n’est pas coriace & ténace comme celle des animaux, mais friable & cassante comme celle du talc, &c. à la vûe elle paroît minérale ; & on en est convaincu par les épreuves chimiques : sa tissure, ajoûte le même auteur, est directement contraire à celle des dents, & des autres parties solides des animaux ; ses fibres coupent diamétralement son axe, au lieu que celles des dents, des os, des cornes, &c. sont paralleles à leur axe. Le talc fibreux ou cannelé, le gypse strié, le spar talqueux, l’amiante, l’alun de plume, &c. ont leurs fibres transversales comme celles des bélemnites. L’auteur cite un exemple remarquable de cette tissure, qu’il a observée dans quelques stalactites composées d’un spar talqueux, qui sont suspendues dans des grottes soûterreines ; il en a vû plusieurs qui étoient cannelées.
De tout ceci M. Woodward conclut affirmativement que les bélemnites ne peuvent venir d’un animal. Quand on lui objecte qu’elles ont été altérées comme d’autres pétrifications, il répond que cela n’est pas possible, parce qu’il en seroit resté au moins quelqu’une sans altération, comme il y a tant de coquilles fossiles qui ne sont pas pétrifiées.
Les tuyaux vermiculaires, & les coquilles d’huîtres qui sont attachées sur quelques bélemnites, ne prouvent rien pour leur origine ; puisque l’on trouve les mêmes choses sur des cailloux, des pyrites, &c. D’ailleurs si la bélemnite étoit une dent de poisson, on trouveroit au moins quelques vestiges de cette dent, ou quelques marques de son adhérence à une mâchoire. On aura beau dire que cette dent aura été séparée de la mâchoire, M. Woodward ne conçoit pas que cela puisse être pour toutes les bélemnites qui sont si nombreuses, tandis que toutes les vraies dents fossiles sont reconnoissables à ces mêmes marques qui manquent aux bélemnites. Géographie, Physique, &c. page 363.
M. Le Monnier n’est point opposé au sentiment de M. Woodward, pour l’origine de la bélemnite ; il la croit appartenante au regne minéral. Il en a vû dans le Berri qui étoient entierement solides, & d’autres qui étoient creuses en-dedans : celles-ci avoient une cavité conique comme la surface extérieure de la bélemnite ; l’axe du cone extérieur étoit double de celui du cone intérieur ; de sorte que la pointe de la bélemnite étoit entierement solide, & cette solidité alloit toûjours en diminuant jusqu’aux bords de la base, qui n’étoit qu’une lame transparente, & mince comme une feuille de papier ; cette cavité étoit remplie d’une terre très-fine, jaune, grasse & humide, qui paroissoit être, pour ainsi dire, la matrice des bélemnites. M. Le Monnier n’a pas vû d’apparence que ces bélemnites fussent des tuyaux, des pointes d’hérisson de mer, non plus que des dents du souffleur ; il lui a semblé au contraire que ce sont des productions de la terre, comme des stalactites ou des pyrites. M. le Monnier appuie cette conjecture sur ce que les bélemnites incrustées dans la pierre & dans la craie, & qui n’ont pour ainsi dire plus de vie, ne renferment point de cette terre jaune & humide ; que cette même terre se trouve par-tout où il y a des bélemnites en certaine quantité ; & que le feuillet mince, transparent & fragile qui termine la bélemnite, peut être regardé comme un ouvrage en train, auquel la nature n’a pas encore mis la derniere main. M. le Monnier sait parfaitement que l’on trouve avec les bélemnites des cornes d’ammon, & d’autres coquilles, telles que les gryphytes, les petoncles, les cames, &c. mais il fait remarquer qu’on rencontre aussi dans les mêmes endroits du gypse & des pyrites. Mérid. de l’Observ. de Paris, &c. Observ. d’Hist. nat. p. 125. & suiv.
On voit par cet exposé, que les Naturalistes ne sont point d’accord sur l’origine & la nature de la bélemnite : on n’a pas encore prouvé d’une maniere décisive que ce soit un minéral ou une pétrification originaire du regne animal. (I)
Belemnite, ou Pierre de Lynx, (Mat. med.) Les Allemands la croyent bonne contre le cochemar & le calcul des reins ; ils en ordonnent la poudre depuis un gros jusqu’à un gros & demi. (N)