L’Encyclopédie/1re édition/BESOIN

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 213).
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* BESOIN, s. m. c’est un sentiment desagréable, occasionné par l’absence apperçûe, & la présence desirée d’un objet. Il s’ensuit de-là, 1.o que nous avons deux sortes de besoins ; les uns du corps, qu’on nomme appétits ; les autres de l’esprit, qu’on appelle desirs : 2.o que puisqu’ils sont occasionnés par l’absence d’un objet, ils ne peuvent être satisfaits que par sa présence : 3.o que puisque l’absence de l’objet qui occasionnoit le besoin étoit desagréable, la présence de l’objet qui le satisfait est douce : 4.o qu’il n’y a point de plaisir sans besoin : 5.o que l’état d’un homme qui auroit toûjours du plaisir, sans avoir jamais éprouvé de peine, ou toûjours de la peine, sans avoir connu le plaisir, est un état chimérique : 6.o que ce sont les alternatives de peines & de plaisirs, qui donnent de la pointe aux plaisirs & de l’amertume aux peines : 7.o qu’un homme né avec un grand chatouillement qui ne le quitteroit point, n’auroit aucune notion de plaisir : 8.o que des sensations ininterrompues ne feroient jamais ni notre bonheur ni notre malheur : 9.o que ce n’est pas seulement en nous-mêmes que les besoins sont la source de nos plaisirs & de nos peines, mais qu’ils ont donné lieu à la formation de la société, à tous les avantages qui l’accompagnent, & à tous les desordres qui la troublent. Supposons un homme formé & jetté dans cet univers comme par hasard, il repaîtra d’abord ses yeux de tout ce qui l’environne ; il s’approchera ou s’éloignera des objets, selon qu’il en sera diversement affecté : mais au milieu des mouvemens de la curiosité qui l’agiteront, bientôt la faim se fera sentir, & il cherchera à satisfaire ce besoin. A peine ce besoin sera-t-il satisfait, qu’il lui en surviendra d’autres qui l’approcheront de ses semblables, s’il en rencontre : la crainte, dit l’auteur de l’Esprit des lois, porte les hommes à se fuir ; mais les marques d’une crainte réciproque doivent les engager à se réunir. Ils se réunissent donc ; ils perdent dans la société le sentiment de leur foiblesse, & l’état de guerre commence. La société leur facilite & leur assûre la possession des choses dont ils ont un besoin naturel : mais elle leur donne en même tems la notion d’une infinité de besoins chimériques, qui les pressent mille fois plus vivement que des besoins réels, & qui les rendent peut-être plus malheureux étant rassemblés qu’ils ne l’auroient été dispersés.

* Besoin, Nécessité, Indigence, Pauvreté, Disette, (Gram.) La pauvreté est un état opposé à celui d’opulence ; on y manque des commodités de la vie ; on n’est pas maître de s’en tirer ; ce n’est pas un vice en soi, mais il est pis devant les hommes. L’indigence n’est autre chose que l’extrème pauvreté ; on y manque du nécessaire. La disette est relative aux alimens : le besoin & la nécessité, sont des termes qui seroient entierement synonymes l’un à pauvreté, & l’autre à indigence, s’ils n’avoient pas encore quelque rapport aux secours qu’on attend des autres : le besoin seulement presse moins que la nécessité ; on méprise les pauvres ; on a pitié des indigens ; on évite ceux qui ont besoin, & l’on porte à ceux qui sont dans la nécessité. Un pauvre avec un peu de fierté, peut se passer de secours ; l’indigence contraint d’accepter ; le besoin met dans le cas de demander, la nécessité dans celui de recevoir le plus petit don. Si l’on examine les nuances délicates de ces différens états, peut-être y trouvera-t-on la raison des sentimens bisarres qu’ils excitent dans la plûpart des hommes.