Aller au contenu

L’Encyclopédie/1re édition/BLEU

La bibliothèque libre.
◄  BLESNEAU
BLEUIR  ►

BLEU, adj. Un corps paroît bleu, parce que ses parties ont une situation & une contexture qui les rend propres à réfléchir les rayons bleus en plus grande quantité que les autres. Voyez Couleur.

Pour expliquer la couleur bleue du firmament, Newton remarque que toutes les vapeurs, quand elles commencent à se condenser & à s’assembler, deviennent d’abord capables de réfléchir des rayons bleus avant qu’elles puissent former des nuages d’aucune autre couleur. Le bleu est donc la premiere couleur que commence à réflechir l’air le plus net & le plus transparent lorsque les vapeurs ne sont pas parvenues à la grosseur suffisante pour réflechir d’autres couleurs.

M. de la Hire remarque, après Léonard de Vinci, qu’un corps noir quelconque vû à travers un autre corps blanc & transparent, paroît de couleur bleue ; & c’est par-là qu’il explique la couleur azurée du firmament, dont l’immense étendue étant entierement dépourvûe de lumiere, est apperçûe à travers l’air qui est éclairé & comme blanchi par la lumiere du soleil. Il ajoûte que par la même raison la suie mêlée avec du blanc forme du bleu. Il explique par le même principe la couleur bleue des veines sur la surface de la peau, quoique le sang dont elles sont remplies soit d’un rouge foncé : car, dit-il, à moins que la couleur rouge ne soit vûe au grand jour, elle paroît un rouge obscur & qui approche du noir ; & comme elle se trouve dans une sorte d’obscurité dans les veines, elle peut avoir l’effet de la couleur noire, qui considérée à travers la membrane de la veine & la blancheur de la peau, produit la sensation du bleu. Voyez Noirceur. (O)

Bleu d’azur, (Chimie.) On peut tirer cette couleur de l’argent : mais le savant Boyle & Henckel prétendent avec raison que cela n’arrive qu’en raison du cuivre qui se trouve ordinairement mêlé à ce métal. Voici la façon la plus courte de le faire : faites fondre dans de fort vinaigre distillé, du sel gemme, du sel alkali, & de l’alun de roche ; suspendez au-dessus de ce vinaigre des lames d’argent fort minces, enterrez le vase où vous aurez fait fondre ces matieres dans du marc de raisin ; vous pourrez tous les trois jours ôter de dessus les lames d’argent la couleur bleue qui s’y sera formée.

Autre maniere. Mettez dans une livre de fort vinaigre des lames d’argent aussi minces que du papier ; joignez-y deux onces de sel ammoniac bien pulvérisé ; mettez le tout dans un pot de terre vernissé, que vous boucherez avec soin ; enterrez ce pot dans du fumier de cheval pendant 15 ou 20 jours, vous trouverez au bout de ce tems les lames d’argent chargées d’un très-beau bleu d’azur.

Autre maniere. Prenez une once d’argent dissous dans l’esprit de nitre, 2 scrupules de sel ammoniac, autant de vinaigre qu’il en faut pour précipiter l’argent, décantez le vinaigre, mettez la matiere précipitée dans un matras bien bouché ; laissez reposer le tout pendant un mois, vous aurez un beau bleu d’azur.

On tire aussi le bleu d’azur du cuivre, du mercure & du plomb : pour le tirer du cuivre, on prend de verd de gris & de sel ammoniac de chacun 3 onces ; on mêle ces deux matieres avec de l’eau où l’on a fait fondre du tartre ; on en fait une pâte molle ; on met le tout dans un vase bien bouché qu’on laisse en repos pendant quelques jours, & l’opération est faite.

Autre. Æs ustum & lie de vin, de chacun 2 onces, de soufre une once ; réduisez en poudre l’æs ustum & le soufre ; versez par-dessus du vinaigre ou de l’urine ; mettez le mêlange dans un pot vernissé, & laissez-le bien bouché pendant 15 jours.

On peut tirer le bleu d’azur du vif-argent & du plomb de la maniere suivante : c’est Agricola qui la donne telle qu’il suit. On prend 3 parties de vif-argent, 2 parties de soufre, & une partie de sel ammoniac : on met au fond d’un plat de la litharge, & l’on fait fondre par-dessus le soufre pulvérisé ; on y jette ensuite le sel ammoniac en poudre & le vif-argent ; on remue toutes ces matieres avec un petit bâton, afin qu’elles se mêlent exactement : on laisse refroidir le mêlange qu’on réduit en poudre ; on met cette poudre dans un matras bien luté qu’on laissera un peu ouvert ; lorsque le lut sera seché, on mettra le matras sur un trépié & sur un feu moderé, & on couvrira l’ouverture d’une lame de fer, & on en regardera de tems en tems le dessous pour voir s’il ne s’y forme plus d’humidité. Il faut alors boucher l’ouverture avec du lut ; on pousse le feu pendant une heure ; on l’augmente encore jusqu’à ce qu’il s’éleve une fumée bleue ; cela fait, on trouvera un beau bleu au fond du matras. (—)

Bleu d’émail, (Chimie.) appellé quelquefois smalte bleue, est une couleur d’un grand usage pour les Emailleurs : voici la façon de la préparer suivant Neri, dans son Art de la Verrerie. On prend quatre livres de la fritte ou matiere dont on fait l’émail. V. l’article Email, 4 onces de saffre réduit en poudre, qui n’est autre chose qu’une préparation du cobalt, voyez l’article Cobalt, & 48 grains d’æs ustum, ou de cuivre calciné par trois fois : on mêle exactement ces trois matieres ; on les met au fourneau de verrerie, dans un pot vernissé en blanc ; lorsque le mêlange est bien entré en fonte, il faut le verser dans del’eau claire pour le bien purifier ; on le remet ensuite fondre de nouveau ; on réitere l’extinction dans l’eau, & la fonte deux ou trois fois ; l’on obtient de cette façon un très-beau bleu d’émail.

Kunckel, dans ses remarques sur Neri, observe qu’il n’est guere possible de prescrire exactement la dose de saffre qu’on doit employer pour faire le bleu d’émail ; il est bon de commencer par en faire des épreuves en petit, suivant les différentes nuances qu’on cherche : si on trouve le bleu trop clair, il faut augmenter petit à petit la dose du saffre ; si au contraire elle est trop foncée, il faut remettre plus de la fritte de l’émail. C’est en suivant ainsi certaines proportions, qu’on peut produire dans l’émail les différentes nuances du bleu. Si, par exemple, on vouloit un bleu d’émail céladon ou de couleur d’aigue-marine, il faudroit renverser les doses données ci-dessus, & l’on prendroit alors 4 livres de la fritte d’émail, 2 onces d’æs ustum, & seulement 48 grains de saffre ; on mêleroit bien ces trois matieres : du reste on suivroit exactement la methode précedente, pour leur fonte & leur purification. Il faut bien observer que toutes ces opérations sont fort délicates, & demandent une attention toute particuliere ; car pour peu qu’on ne fasse point d’attention aux circonstances, il se produit des effets tous différens de ceux qu’on veut chercher ; c’est ce que Kunckel avoue lui être arrivé dans l’opération du bleu d’émail céladon que nous venons de donner. Il avoit éprouvé cette méthode qui est de Neri : mais comme elle ne put pas d’abord lui réussir, il crut que cet auteur s’étoit trompé : ayant ensuite réitéré l’opération, & regardé la chose de plus près, il découvrit qu’elle n’avoit manqué la premiere fois, que parce qu’il n’avoit pas bien pris son tems pour retirer la matiere du fourneau, qu’il l’avoit laissée trop long-tems au feu. (—)

* Plus le grain d’émail est gros, & plus le bleu est vif, & tire un peu sur le violet comme l’azur : mais l’émail est d’un plus beau bleu céleste. Le grain d’azur à poudrer est si gros, qu’on ne peut l’employer que très-difficilement, & seulement en détrempe ou à fresque, ou pour mettre dans l’empois ou amydon, avec lequel il se lie fort bien. On l’appelle azur à poudrer, parce que pour faire un beau fond d’un bleu turquin, on le poudre sur un blanc à l’huile couché médiocrement épais & le plus gras qu’on peut. On l’y étend aussi-tôt avec une plume : mais il faut l’avoir bien fait sécher auparavant sur un papier au-dessus du feu. On y en met assez épais ; & on l’y laisse jusqu’à ce que le fond soit bien sec, & ainsi le blanc en prend autant qu’il peut. Ensuite on le secoue, & on en ôte tout ce qui ne tient pas au blanc, en le frottant légerement avec une plume ou une brosse douce. C’est une couleur très-vive & qui dure long-tems, quoiqu’exposée à l’air & à la pluie.

L’émail qui est d’autant plus pâle qu’il est plus fin, sert dans la détrempe & à fresque : mais on ne s’en sert guere à l’huile, parce qu’il noircit, à moins qu’il ne soit mêlé avec beaucoup de blanc.

* Bleu d’Inde & Indigo : l’inde est plus claire & plus vive que l’indigo, ce qui vient seulement du choix de la matiere dont on les fait ; car au fond c’est la même : c’est la feuille de l’anil, voyez Anil. On en fait tremper les feuilles dans l’eau pendant deux jours ou environ ; ensuite on sépare l’eau qui a une légere teinture de bleu verdâtre : on bat cette eau avec des palettes de bois durant deux heures, & l’on cesse de battre quand elle mousse. On y jette alors un peu d’huile d’olive, en aspergeant. On voit aussi-tôt la matiere de l’inde qui se sépare de l’eau par petits grumeaux, comme quand le lait se tourne ; & l’eau étant bien reposée, elle devient claire, & l’eau se trouve au fond comme de la lie, qu’on ramasse après avoir ôté l’eau, & qu’on fait sécher au soleil. L’inde se fait avec les jeunes feuilles & les plus belles, & l’indigo avec le reste de la plante. Cette plante croît dans les Indes orientales & occidentales. L’inde est ordinairement par petites tablettes de deux à trois lignes d’épaisseur & d’un bleu assez beau : mais l’indigo est par morceaux irréguliers d’un bleu brun, tirant sur le violet. Cette couleur est excellente pour la peinture à détrempe, tant pour le brun des bleux, que des verds, en y mêlant pour le verd, de la teinture de graine d’Avignon, ou du verd de vessie. On pourroit se servir de l’inde à l’huile, & elle a beaucoup de corps avec le blanc : mais elle se décharge en séchant, & perd la plus grande partie de sa force ; c’est pourquoi on n’en use pas, à moins que ce ne soit en draperie, qu’on glace d’outre-mer par-dessus. Voyez Glacer.

Il y a un bleu de tournesol qui peut être d’usage dans la peinture à détrempe & dans l’enluminure. Le tournesol est une pâte qu’on forme ordinairement en pains quarrés avec le fruit de la plante appellée heliotropium tricoccon. Cette plante croît en France ; on met tremper cette pâte dans l’eau ; & il vient une assez belle teinture bleue. Il arrive aussi qu’elle est rouge, ce qui est occasionné par le mêlange d’acide : mais on lui rend sa couleur bleue, en y mêlant de l’eau de chaux.

Bleu d’outre-mer, (Chimie.) la base de cette couleur est le lapis lazuli ; c’est aussi ce qui la rend fort chere, indépendamment des opérations qu’il faut pour en tirer le bleu, qui ne laissent pas d’être longues & pénibles : on en jugera par ce qui suit.

Pour connoître si le lapis lazuli dont on veut tirer la couleur, est d’une bonne qualité, & propre à donner un beau bleu, il faut en mettre des morceaux sur des charbons ardens, & les y faire rougir : s’ils ne se cassent point par la calcination, & si après les avoir laissé refroidir, ils ne perdent rien de l’éclat de leur couleur, c’est une preuve de leur bonté. On peut encore les éprouver d’une autre façon : c’est en faisant rougir des morceaux de lapis sur une plaque de fer, & les jettant ensuite tout rouges dans du vinaigre blanc très-fort ; si la pierre est d’une bonne espece, cette opération ne lui fera rien perdre de sa couleur. Après s’être assûré de la bonté du lapis, voici comme il faut le préparer pour en tirer le bleu d’outre-mer. On le fait rougir plusieurs fois, & on l’éteint chaque fois dans de l’eau, ou dans de fort vinaigre, ce qui vaut encore mieux ; plus on réitere cette opération, plus il est facile de le réduire en poudre : cela fait, on commence par piler les morceaux de lapis ; on les broye sur un porphyre, en les humectant avec de l’eau, du vinaigre, ou de l’esprit-de-vin ; on continue à broyer jusqu’à ce que tout soit réduit en une poudre impalpable ; car cela est très-essentiel : on fait sécher ensuite cette poudre après l’avoir lavée dans l’eau, & on la met à l’abri de la poussiere pour en faire l’usage qu’on va dire.

On fait une pâte avec une livre d’huile de lin bien pure ; de cire jaune, de colophone, & de poix résine, de chacune une livre ; de mastic blanc, deux onces. On fait chauffer doucement l’huile de lin ; on y mêle les autres matieres, en remuant le mêlange qu’on fait bouillir pendant une demi-heure, après quoi on passe ce mêlange à travers d’un linge, & on le laisse refroidir. Sur 8 onces de cette pâte, on mettra 4 onces de la poudre de lapis indiquée ci-dessus ; on pêtrira long-tems & avec soin cette masse ; quand la poudre y sera bien incorporée, on versera de l’eau chaude par-dessus, & on la pêtrira de nouveau dans cette eau, qui se chargera d’une couleur bleue ; on la laissera reposer quelques jours, jusqu’à ce que la couleur soit tombée au fond du vase ; ensuite de quoi on decantera l’eau, & en laissant sécher la poudre, on aura du bleu d’outre-mer.

Il y a bien des manieres de faire la pâte dont nous venons de parler : mais nous nous contenterons d’indiquer encore celle-ci. C’est avec de la poix-résine, térebenthine, cire vierge, & mastic, de chacun six onces ; d’encens & d’huile de lin, deux onces, qu’on fera fondre dans un plat vernissé, le reste comme dans l’opération précédente. Voici la méthode que Kunckel nous dit avoir suivie avec succès pour faire le bleu d’outre-mer.

Après avoir cassé le lapis lazuli en petits morceaux de la grosseur d’un pois, on le fait calciner, & on l’éteint dans du vinaigre distillé à plusieurs reprises ; ensuite on le réduit en une poudre extrèmement déliée : on prend de cire vierge & de colophone de chacune moitié du lapis réduit en poudre ; on les fait fondre dans une poelle, ou plat de terre vernissé : on y jette petit à petit la poudre, en remuant & mêlant avec soin les matieres ; l’on verse le mêlange ainsi fondu dans de l’eau claire, & on l’y laisse pendant huit jours ; au bout de ce tems, on remplit de grands vases de verre, d’eau aussi chaude que la main peut la souffrir : on prend un linge bien propre, on pêtrit la masse, & lorsque cette premiere eau sera bien colorée, on retirera la masse pour la mettre dans de nouvelle eau chaude : on procedera de la même façon jusqu’à ce que toute la couleur soit exprimée ; c’est cependant la couleur qui s’est déchargée dans la premiere eau, qui est la plus prétieuse : on laisse ensuite reposer l’eau colorée pendant trois ou quatre jours, au bout desquels on voit que la couleur s’est précipitée au fond du vase. Une même masse fournit trois ou quatre sortes de bleu d’outre-mer : mais on n’en retire que fort peu de la plus belle.

Il y a encore bien des manieres de tirer du bleu d’outre-mer : mais comme leur différence ne consiste que dans la pâte à laquelle on mêle le lapis pulvérisé, on a cru inutile d’en dire davantage. On reconnoît si le bleu d’outremer a été falsifié, non-seulement au poids, qui est moindre que celui du véritable, mais encore parce qu’il perd sa couleur au feu. (—)

Bleu de montagne, (Hist. nat. & Mineralogie.) lapis armenus ou cæruleum montanum, en Allemand, berg-blau. C’est un minéral ou pierre fossile bleue, tirant un peu sur le verd d’eau. Elle ressemble assez au lapis lazuli, mais avec cette différence qu’elle est plus tendre, plus légere & plus cassante que lui, & que sa couleur ne résiste point au feu comme la sienne. Lorsqu’on fait usage du bleu de montagne dans la peinture, il est à craindre que par la suite la couleur n’en devienne verdâtre. Cette pierre se trouve en France, en Italie, en Allemagne, & surtout dans le Tirol. On dit que celle qui vient de l’Orient ne perd point sa couleur dans le feu. Le bleu de montagne contient beaucoup de cuivre ; celui qui est léger en fournit moins que celui qui est pesant ; le premier contient un peu de fer, suivant M. Cramer. On dit qu’on contrefait le bleu de montagne en Hollande, en faisant fondre du souffre, & en y mêlant du verd de gris pulvérisé. Pour employer le bleu de montagne dans la peinture, il faut le broyer, le laver ensuite, & en séparer les petites pierres qui y sont quelquefois mêlées.

Dans la Medecine on s’en est servi quelquefois, il a une vertu purgative & émétique ; il paroît cependant qu’il est à propos de s’en défier, attendu le cuivre qui en est la base. (—)

Bleu de Prusse, est une matiere utile pour la peinture. On l’appelle bleu de Prusse, par ce que c’est en Prusse que sa préparation a été trouvée. Voyez le premier volume des Miscellanea Berolinensia, 1710 ; & les Transactions philosophiques en ont publié la composition, dans les mois de Janvier & Février 1724. Depuis, M. Geoffroy, de la faculté de Medecine & de l’académie des Sciences de Paris, en a donné la préparation dans les Mémoires de l’Académie de 1725. La préparation du bleu de Prusse est une suite de plusieurs procédés difficiles. On a plusieurs raisons pour croire que ce bleu vient du fer. On sait que les dissolutions de fer prennent dans l’eau une couleur bleue par la noix de galle. L’acier bien poli & échauffé à un feu moderé, prend une couleur bleue ; & il paroît par cette expérience que cette couleur bleue vient d’une substance grasse, que le feu éleve à la surface du fer. On sait qu’il y a dans le fer une matiere bitumineuse, qui n’est pas parfaitement unie avec les autres principes, ou qui y est en trop grande quantité.

C’est ce bitume qui doit être la base du bleu qu’on veut faire : mais certainement il est trop compact ; Il faut le subtiliser : or les alkalis sont les dissolvans naturels des bitumes.

Il y a apparence qu’on a essayé, pour faire le bleu de Prusse, plusieurs huiles végétales, & que ç’a été sans succès : on a aussi éprouvé les huiles animales ; & le sang de bœuf calciné & réduit en poudre a rempli l’attente ; & pour l’alkali, on y a employé le plus puissant, qui est celui de tartre.

Le bitume du fer est attaché à une terre métallique jaune ; cette terre altéroit la couleur bleue du bitume, quelque raréfié qu’il fût : on le transporte de dessus la terre jaune sur une terre blanche, qui est celle de l’alun ; & alors la couleur bleue non-seulement n’est plus altérée par le fonds qui la soûtient, mais de sombre & trop foncée qu’elle étoit, elle devient plus claire & plus vive.

Il faut observer que ce bitume qu’on veut avoir, on ne le cherche pas dans du fer en substance ; mais dans du vitriol où le fer est déja très-divisé.

Il y a donc trois liqueurs nécessaires pour faire le bleu de Prusse : une lessive de sang de bœuf calciné avec le sel alkali ; une dissolution de vitriol, & une dissolution d’alun.

De toutes ces opérations, il résulte une espece de fécule d’une couleur de verd de montagne, & qui par l’esprit de sel devient dans l’instant d’une belle couleur bleue foncée ; & c’est-là le bleu de Prusse. Cet article est de M. Formey, secrétaire perpétuel de l’académie royale de Prusse.

M. Maloüin, dans un mémoire qu’il a donné à l’academie en 1745, dit, qu’il a tiré un bleu de Prusse du mêlange de la creme de chaux, & du sel alkali du tartre ; que ce bleu étoit semblable à celui qui lui a donné l’eau-mere du sel de Seignette par l’esprit de vitriol.

Il faut remarquer que M. Maloüin avoit trouvé aussi du fer dans la chaux ; & il dit que la noix de galle épineuse peut tirer de l’eau de chaux une teinture bleue.

Le même auteur rapporte aussi dans ce mémoire, qu’ayant fait mettre dans un creuset entre les charbons ardens, de la chaux vive & du sel marin mêlés ensemble, il sortit de la matiere contenue dans le creuset, une flamme bleue qui répandit une odeur aromatique. Il apperçut cette flamme lorsqu’il découvrit le creuset ; & il y avoit un quart d’heure que le creuset étoit rouge lorsqu’il le découvrit. (M)

Le bleu entre dans presque toutes les parties fuyantes d’un tableau ; l’on s’en sert aussi dans les ciels, la mer, &c.

On distingue différentes nuances de bleu ; le bleu blanc, bleu mourant, bleu céleste, bleu turquin foncé, bleu de Perse entre le verd & le bleu, bleu d’enfer ou noirâtre, bleu de forge, bleu artificiel. Il n’y a guere que les Teinturiers qui différencient ainsi leurs bleus ; les Peintres ne les distinguent que par ces expressions : ce bleu est plus tendre que celui-ci ; ces bleus sont de différent ton, ne sont pas du même ton.

Bleu tenant lieu d’outremer dans le lavis. Pour suppléer à l’outremer qui est d’un trop grand prix, & qui a trop de corps pour être employé en lavis, on recueille en été une grande quantité de fleurs de bluets qui viennent dans les blés ; on en épluche bien les feuilles en ôtant ce qui n’est point bleu : puis on met dans de l’eau tiede de la poudre d’alun bien subtile. On verse de cette eau imprégnée d’alun dans un mortier de marbre, on y jette les fleurs ; & avec un pilon de marbre ou de bois, on pile jusqu’à ce que le tout soit réduit de maniere qu’on puisse aisément en exprimer tout le suc, que l’on passe à travers une toile neuve, faisant couler la liqueur dans un vase de verre, où on a mis auparavant de l’eau gommée, faite avec de la gomme arabique bien blanche. Remarquez qu’il ne faut guere mettre d’alun pour conserver l’éclat, parce qu’en en mettant trop on obscurcit le coloris. On peut de même faire des couleurs de toutes les fleurs qui ont un grand éclat, observant de les piler avec de l’eau d’alun, qui empêche que la couleur ne change ; pour rendre ces couleurs portatives, on les fait sécher à l’ombre, dans des vaisseaux de verre ou de fayence bien couverts. (R)

Bleu, officier bleu (Marine) lieutenant ou enseigne bleu ; c’est un officier que le capitaine d’un vaisseau crée dans son bord pour y servir, faute d’officier major. (Z)

Bleu, mettre au Bleu (en terme de Cuisine) c’est une façon d’accommoder le poisson en le faisant cuire avec ses écailles dans du vin blanc, avec de l’oignon, des feuilles de laurier, du clou de girofle, sel & poivre, & autres épices : on le sert ainsi préparé, avec de l’huile & du vinaigre dans un vase à part.

* Bleues, (Cendres) sont d’un très-grand usage dans la peinture à détrempe ; il y en a qui sont très-vives en couleur : mais à l’huile elles noircissent & deviennent verdâtres ; car elles tiennent de la nature du verd de gris ; & de plus quand on les met à l’huile, elles ne paroissent pas plus brunes ou foncées en couleur. On les trouve en pierre tendre dans les lieux où il y a des mines de cuivre ou de rosette, & l’on ne fait que les broyer à l’eau pour les réduire en poudre fine. Cette espece de bleu doit être employé sur-tout dans la peinture en détrempe, qu’on ne voit qu’aux lumieres, comme les décorations de théatre ; car quoiqu’on y mêle beaucoup de blanc, il ne laisse pas de paroître fort beau. Il tire pourtant un peu sur le verd, tout au contraire de l’émail qui est fort vif au jour, & qui paroît gris aux lumieres.

On trouve quelquefois des cendres bleues, qui paroissent aussi belles que l’outremer : mais on connoît bien-tôt que ce ne sont que des cendres, si on les mêle avec un peu d’huile ; car elles ne deviennent guere plus brunes qu’auparavant, au contraire de l outremer qui devient fort brun. Au feu elles deviennent noires.