L’Encyclopédie/1re édition/BONTÉ

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 329).
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BONTÉ, s. f. (Morale.) La bonté morale consiste en deux points : le premier, ne pas faire du mal à nos semblables ; le second, leur faire du bien.

1°. Ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît ; voilà la regle qui détermine quelle sorte de traitemens la nature nous interdit à l’égard du reste des hommes. Tout ce qui fait à nous-mêmes, nous paroîtroit dur, barbare, & cruel, est compris dans la prohibition : mais cette maxime, d’un usage si étendu, est bien restreinte dans l’application qu’on en fait : la plûpart des hommes se conduisent les uns avec les autres, comme s’ils étoient persuadés qu’elle ne dût avoir lieu qu’entre amis.

Lorsque la passion vous porte à quelque violence contre un autre homme, jettez les yeux sur lui, pour y voir l’empreinte de la main divine, & votre propre ressemblance ; ce sera dequoi rallentir votre emportement. Ne dites point à Dieu ce que Caïn lui dit : m’avez-vous donné mon frere en garde ? Oui sans doute, il vous l’a donné en garde ; & non-seulement il vous défend de lui faire aucun mauvais traitement, mais il vous ordonne même de le servir de tout votre pouvoir.

2°. Lorsqu’on est officîeux & bienfaisant pour ses parens, ses bienfaiteurs ou ses amis, on se croit généreux, quoique d’ailleurs dur & indifférent pour tout le reste des hommes ; & l’on n’est pas même charitable ; qualité cependant bien en-deçà de la générosité, qui est le comble & la perfection de toutes les autres vertus sociales. En pratiquant celles-ci on ne fait qu’éviter les défauts contraires placés tout près d’elle : mais la générosité nous éloigne bien plus du vice, puisqu’elle laisse pour intervalle entr’elle & lui toutes les vertus de précepte. La générosité est un degré de perfection ajoûté aux vertus par-dessus celui que prescrit indispensablement la loi. Faire pour ses semblables précisément ce qu’ordonne la loi, ce n’est pas être généreux ; c’est simplement remplir son devoir.

Mais la charité, ou ce qui est la même chose, cette affection générale que nous devons à tous les hommes, n’est pas une vertu de surérogation : vous ne ferez que satisfaire à ce que l’humanité vous impose, si rencontrant un inconnu que des assassins ont blessé, vous vous en approchez pour panser ses plaies : le besoin qu’il a de votre secours est une loi qui vous oblige à le secourir. Un indigent est pressé par la faim ; vous ne ferez que payer une dette en appaisant son besoin. Les pauvres sont à la charge de la société ; tout le superflu des riches est affecté de droit à leur subsistance. Et ne plaignez pas même le secours que vous leur donnez, quand il seroit le prix de vos sueurs & de pénibles travaux : quoi qu’il vous coûte, il leur coûte encore plus : c’est l’acheter bien cher que de le recevoir à titre d’aumône.

Voulez-vous apprendre en deux mots jusqu’où s’étendent les bons offices que vous devez à vos semblables ? en voici la mesure. Faites à autrui ce que vous voudriez qu’on vous fît. (X)