L’Encyclopédie/1re édition/BRICOTEAUX

La bibliothèque libre.
Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 416-417).
◄  BRICOLIER
BRIDE  ►

BRICOTEAUX, s. m. pl. chez les Rubaniers, les Gaziers, &c. ce sont deux pieces détachées & enfilées (fig. 1. Pl. V.) dans la broche qui porte les poulies du côté gauche du chatelet. Il y en a un (figure 5.) qui est représenté seul pour en laisser voir toutes les parties. AA est la piece enfourchée qui soûtient le bricoteau ; B la broche du chatelet où il s’attache ; C l’endroit de la bascule où s’attache le bricoteau ; D l’endroit où s’attache le tirant des marches ; E la corde qui porte la pierre ou le poids F, qui sert à donner plus de charge à la bascule ; G le nœud des quatre lacs des quatre lames, qui seules font agir le bricoteau ; H les quatre lames dont on vient de parler, & qui sont enfilées dans leur chassis toutes les quatre du même côté ; I les quatre marches qui font mouvoir les quatre lames, & sont les quatre en-dehors du côté gauche de l’ouvrier, marchées du même pié gauche ; K l’endroit où se place la corde de la traverse, qui sert à lever également toute cette machine ; LL les deux cordes qui soûtiennent le lisseron MM, qui porte les lissettes NN ; OO les quatre rouleaux du porte-rame de devant, sur lesquels & entre les différentes grilles sont passées les rames de fond PP, qui viennent aboutir en QQ, où elles sont noüées en RR aux lissettes.

Voici l’usage de ces bricoteaux. Dans les ouvrages extrèmement composés il y a jusqu’à cinquante ou soixante livres pesant de fuseaux attachés aux lissettes, & cela, comme il a été dit à leur article, pour faire retomber ces lissettes : on voit cette masse énorme dans la fig. 1. Pl. V. comme on en voit une petite partie dans la fig. 5. en SS : ce poids considérable doit être levé presqu’en totalité par le pié gauche, toutes les fois que l’ouvrier en aura levé du pié droit une partie, quelquefois très-petite, d’autres fois plus considérable, mais toûjours bien moins considérable que la quantité qu’il leve avec le pié gauche, puisque c’est de ce pié que seront levées toutes les soies de fond ; au lieu que le droit ne levant que la figure qui s’exécute sur l’ouvrage, n’opere très-souvent que de très-petites levées, par la marche des vingt marches du pié droit ; (car elles sont dans cet ordre, vingt du pié droit pour la figure, & quatre du pié gauche pour le fond) Pendant cette petite levée toutes les soies de chaîne restent en-bas : mais après un coup de navette lancé à travers cette levée, le fond venant à lever par une des quatre marches du pié gauche, ce fond chargé, comme nous avons dit plus haut, rend cette levée d’une lourdeur extraordinaire, qui est considérablement diminuée par le moyen du bricoteau ou des deux bricoteaux qui font ici l’office d’un levier, encore aidée du poids de la pierre F. C’est donc avec raison que la bascule CD, qui passe par l’enfourchement A, est d’inégale longueur : cette nécessité n’a pas besoin d’être prouvée. Dans certains ouvrages ce bricoteau leve encore les quatre hautes lisses de devant qui portent les rames de lisiere, & qui sont levées alternativement par chacune des quatre marches du pié gauche ; dans ce cas ces quatre hautes lisses sont à claire voie, c’est-à-dire, qu’elles n’ont qu’une très-petite quantité de mailles distribuées sur les deux bouts de leurs lisserons FF, GG, de la fig. 2. les rames II qui forment les lisieres y étant seules passées, le sont en cet ordre : si la premiere rame fait un pris sur la premiere haute lisse, elle fera un laissé sur la seconde, un pris sur la troisieme, & un laissé sur la quatrieme ; la 2e au contraire de la 1re, fera un laissé sur la 1re haute lisse, un pris sur la 2e, un laissé sur la troisieme, & un pris sur la quatrieme ; ainsi des autres rames de lisiere : ces quatre hautes lisses ne portant que les rames que l’on vient d’expliquer, n’ayant besoin que de quelques mailles sur les extrémités, doivent par conséquent laisser un grand vuide entr’elles, qui donne passage à la grande quantité de rames de figure qui vient aboutir sur les différens rouleaux, & à travers les différentes grilles du porte-rames de devant. Si l’on faisoit de l’ouvrage en plein, c’est-à-dire, qui ne représentât qu’un même fonds sans aucune figure, il n’y auroit pour lors besoin que des deux lisses AA, fig. 2. dont la seconde CC porteroit en BB, comme la premiere AA, un poids à chacune des quatre extrémités de leurs deux lisserons. Ce poids composé d’un ou de plusieurs fuseaux, serviroit à faire retomber la lisse qui baisse : mais la chaîne D est passée dans ces deux lisses en cette sorte ; le premier brin est passé dans les deux premieres mailles de la premiere lisse ; le second brin est passé dans les deux premieres mailles de la 2e lisse, & toûjours de même de l’une à l’autre ; par conséquent il y auroit toûjours une moitié de la chaîne qui leveroit par le moyen de la lisse dans laquelle cette moitié se trouve ainsi passée : or c’est à travers ces levées égales que la navette qui porte la trame est lancée ; ce coup de navette qui reçoit sur lui un coup de battant pendant que le pas est encore ouvert, est ce qu’on appelle duitt : (Voyez Duitte) ) ; ce pas est fermé par l’ouverture de l’autre, où la même chose se fait encore, & toûjours de même. Cette égalité de répartition de chaîne dont on vient de parler, est bien différente dans les ouvrages figurés ; car c’est de la quantité de chaîne plus ou moins considérable qui leve, que dépend la formation des différentes parties de dessein, comme on le voit fig. 4.a, qui fait la figure, est en-bas, pendant que b, qui fait le fond, leve. Ce pas ainsi ouvert va recevoir le coup de trame de la navette n, qui est de soie ; & à l’autre pas où a qui fait la figure sera levé, il recevra le coup de la navette N qui est chargée de deux brins de fil d’or ou d’argent. Mais pourquoi ces deux différentes navettes, l’une de soie & l’autre de filé ? Si lorsque le pas b est ouvert, où presque toute la chaîne est levée, on lançoit la navette N qui porte le filé, ce coup se trouveroit absorbé, & comme enseveli sous la grande quantité de soie qui le couvriroit ; & ce seroit presqu’autant de filé de perdu ; au lieu que lorsque le pas de figure sera ouvert, comme a qui fait la figure dans la figure 3. pendant que le fond B est en-bas, le coup de la navette N qui est de filé qui y va être lancé, se trouvera presque tout à découvert. On aura par ces diverses opérations le développé du dessein X : il y a une double nécessité de la seconde navette de soie ; car la soie qu’elle contient occupant bien moins d’espace que le filé, & étant toûjours placée entre deux coups de filé qui en occupent beaucoup plus qu’elle, la liaison du tout est plus aisée à se faire par les coups de battans : dans ce cas où deux navettes sont lancées comme ici l’une après l’autre, l’ouvrier reçoit l’une entre les doigts index & medius, & l’autre navette est reçûe entre ce même medius & l’annulaire, tantôt d’une main tantôt de l’autre : de même, comme il arrive quelquefois, s’il y en avoit trois qui allassent alternativement, il recevroit le troisieme entre l’annulaire & l’auriculaire : il n’en peut conduire davantage, n’ayant que ces trois ouvertures. Lorsqu’il y a plus de navettes, puisqu’il y en a quelquefois jusqu’à 25 ou 26, celles qui ne travaillent pas sont posées jusqu’à leur tour sur le carton. Voyez Carton.

On trouvera dans cet article beaucoup de choses qui auroient dû faire la matiere d’autant d’articles différens : mais comme on a l’estampe sous les yeux, on a cru devoir traiter sous un même point de vûe tout ce qu’elle renferme : par-là on évite aussi les redites continuelles, presqu’inévitables en traitant une matiere si étendue, & si sujette à la prolixité.