L’Encyclopédie/1re édition/BRONCHOTOMIE
BRONCHOTOMIE, s. f. opération de Chirurgie, qui consiste à faire une ouverture à la trachée-artere, pour donner à l’air la liberté d’entrer dans les poumons & d’en sortir, ou pour tirer les corps étrangers qui se seroient insinués dans le larynx ou dans la trachée-artere. Ce terme vient du Grec βρόγχος, trachée, & de τέμνω, seco, je coupe. On a aussi appellé cette opération laryngotomie, mais mal-à-propos, puisqu’elle n’ouvre point le larynx. Quelques modernes prétendent qu’on doit lui donner, par préférence, le nom de trachéotomie.
La possibilité de l’opération dont nous parlons, est établie sur la facilité avec laquelle certaines plaies de la trachée-artere, même les plus compliquées, ont été guéries. Il y a peu d’observateurs qui ne nous en ayent laissé des exemples remarquables & assez connus.
Cette opération convient dans plusieurs circonstances, & demande d’être pratiquée différemment, selon le cas qui l’indique. J’en juge ainsi, pour avoir rapproché plusieurs faits les uns des autres, les avoir comparés exactement, & les avoir envisagés sous plusieurs aspects différens.
Les esquinancies, ou inflammations de la gorge, qui ont resisté à tous les remedes ou qui menacent de suffocation, exigent cette opération. Voyez Esquinancie.
Pour la pratiquer dans ce cas il n’est pas nécessaire de faire à la peau & à la graisse une incision longitudinale, qui devroit commencer un demi-travers de doigt plus haut que la partie inférieure du cartilage cricoïde, & qui s’étendroit jusqu’au cinquieme ou sixieme anneau de la trachée-artere, pour séparer ensuite avec le bistouri les muscles sterno-hyoidiens, & porter la pointe de cet instrument ou celle d’une lancette entre le troisieme & le quatrieme anneau : on peut faire cette opération par une ponction seule, qui en rendra l’exécution plus prompte, plus facile, & moins douloureuse. Pour opérer, il faut laisser le malade dans l’attitude où il respire le mieux, soit dans son lit soit dans un fauteuil, de crainte qu’en lui étendant ou renversant la tête, comme quelques auteurs le conseillent, on ne le suffoque. On pose le bout du doigt index de la main gauche sur la trachée-artere, entre le sternum & la partie inférieure du larynx ; on prend de la main droite une lancette, dont la lame est assujettie sur la châsse par le moyen d’une bandelette : on la tient avec le pouce, le doigt index, & celui du milieu, comme une plume à écrire : on la ploye transversalement dans la trachée-artere, en la faisant glisser sur l’ongle du doigt index de la main gauche, qui, appuyé sur la trachée-artere, sert en quelque façon de conducteur à la lancette. Je ne fixe pas l’entre-deux des cartilages qu’il faut ouvrir, parce que la tension de la gorge ne permet pas qu’on les compte. On pénetre fort aisément dans la trachée-artere, qui est fort gonflée par l’air auquel on ouvre un passage libre par la plaie qu’on y pratique. Il faut avoir soin de passer un stylet le long de la lancette avant de la retirer, & sur ce stylet on place dans la trachée-artere une cannule, de façon cependant qu’on se donne de garde qu’elle ne touche la paroi opposée à l’ouverture par où elle passe. Cette cannule doit être de plomb ou d’argent : elle doit être plate, pour s’accommoder à l’entre-deux des cartilages. L’entrée doit être en forme de pavillon, & être garnie de deux petits anneaux qui servent à passer une bandelette, dont on noüe les extrémités à la nuque, afin d’assujettir la cannule dans la trachée-artere. Les dimensions de cette cannule sont déterminées à avoir six lignes de longueur, une ligne de diametre à son bec, qui doit être légerement courbé & arrondi exactement, & deux lignes & demie de largeur à l’endroit du pavillon. Cette longueur de six lignes suffit pour l’opération avec l’incision des tégumens ; mais elle n’est pas suffisante lorsqu’on ne fait qu’une seule ponction commune à la peau, à la graisse, & à la trachée-artere. Il faut que la cannule soit plûtôt plus longue que trop courte, afin qu’on puisse s’en servir pour des personnes grasses, à moins qu’on ne veuille en avoir de plusieurs dimensions pour les différentes personnes qui pourroient en avoir besoin. Voyez fig. 12. Pl. XXVI.
Le pansement consiste à mettre sur l’embouchure de la cannule une petite toile fort claire, afin que l’air puisse passer facilement à travers ; on met une compresse fenestrée qu’on contient par quelques tours de bande dont les circonvolutions ne portent pas sur le pavillon de la cannule, que la compresse fenestrée laisse libre. On sent que cette opération ne remédie qu’au danger de la suffocation, qui est l’accident le plus urgent ; il faut donc continuer les secours capables d’en détruire les causes. Voyez Esquinancie.
Quand les accidens sont passés, on retire la cannule, & on panse la plaie à plat ; elle se réunit comme une plaie simple.
L’opération de la bronchotomie convient aussi lorsqu’il y a des corps étrangers qui sont tellement engagés dans le pharynx ou dans l’œsophage, qu’on n’a pû par aucun secours les retirer ni les enfoncer, & que ces corps étrangers sont d’un volume considérable qui comprime la trachée artere, & met le malade dans le danger d’être suffoqué. Habicot maître Chirurgien en l’Université de Paris, dans un traité intitulé, Question chirurgicale sur la possibilité & la nécessité de la bronchotomie, rapporte avoir fait avec succès cette opération à un garçon de 14 ans, qui ayant oüi dire que l’or avalé ne faisoit point de mal, voulut avaler neuf pistoles enveloppées dans un linge, pour les dérober à la connoissance des voleurs. Ce paquet qui étoit fort gros, ne pût passer le détroit du pharynx ; il s’engagea dans cette partie de maniere qu’on ne put le retirer ni l’enfoncer dans l’estomac. Ce jeune garçon étoit sur le point d’être suffoqué par la compression que ce paquet causoit à la trachée-artere : son cou & son visage étoient enflés & si noirs, qu’il en étoit méconnoissable. Habicot chez qui on porta le malade, essaya envain par divers moyens de déplacer ce corps étranger : ce Chirurgien voyant le malade dans un danger évident d’être suffoqué, lui fit la bronchotomie. Cette opération ne fut pas plûtôt faite, que le gonflement & la lividité du cou & de la face se dissiperent. Habicot fit descendre le paquet d’or dans l’estomac par le moyen d’une sonde de plomb ; le jeune garçon rendit huit ou dix jours après par l’anus ses neuf pistoles à diverses reprises ; il guérit parfaitement & très-promptement de la plaie de la trachée-artere. Voyez Œsophagotomie.
La bronchotomie est non-seulement nécessaire pour faire respirer un malade, comme dans le cas dont on vient de parler, mais encore pour tirer les corps étrangers qui se seroient glissés dans la trachée-artere. Dans cette derniere circonstance, il faut faire une incision longitudinale à la peau & à la graisse, comme nous l’avons dit au commencement de cet article, & inciser ensuite la trachée-artere en long, de façon qu’on coupe transversalement trois ou quatre cartilages pour pouvoir saisir & tirer le corps étranger avec des petites pincettes ou autres instrumens. Cette opération a été pratiquée avec succès par M. Heister pour tirer un morceau de champignon qui s’étoit glissé dans la trachée-artere, & M. Raw, au rapport de cet auteur, a ouvert la trachée-artere pour tirer une feve qui s’y étoit introduite.
On voit que dans ce cas on ne pourroit pas se contenter d’une seule ponction, & qu’il faut nécessairement faire une incision ; la plaie à l’extérieur peut même être étendue de trois ou quatre travers de doigt, si le cas le requiert.
La ponction, comme je l’ai décrite, est moins avantageuse & plus embarrassante même dans le cas de l’esquinancie, que celle qui se feroit avec un trocart armé de sa cannule. On en a imaginé de petits qui sont très-commodes pour cette opération. (Voyez la fig. 1. Pl. XXVIII.) A leur défaut, on pourroit faire faire une petite cannule sur l’extrémité du poinçon d’un trocart ordinaire, en observant de le garnir depuis le manche jusqu’au pavillon de la cannule, afin de ne se servir que de la longueur qui est nécessaire. Je fonde la préférence de l’opération avec le trocart sur une observation de M. Virgili Chirurgien-major de l’Hôpital de Cadix, qu’on peut lire dans un Mémoire de M. Hevin, sur les corps étrangers arrêtés dans l’œsophage, inséré dans le premier volume de ceux de l’Académie royale de Chirurgie. Un soldat Espagnol prêt à être suffoqué par une violente inflammation du larynx & du pharynx fut porté à l’hôpital de Cadix ; M. Virgili jugeant que l’unique moyen de lui sauver la vie étoit de lui faire sur le champ la bronchotomie, ne crut pas, par rapport au grand gonflement, devoir préférer la simple ponction à la trachée-artere ; il fit une incision aux tégumens avec le bistouri, sépara les muscles sterno-hyoidiens, & ouvrit transversalement la trachée-artere entre deux anneaux. Cette ouverture ne fut pas plûtôt faite, que le sang qui sortoit des petits vaisseaux ouverts, & qui tomba dans la trachée-artere, excita une toux convulsive si violente, que la cannule qu’on introduisit dans la plaie, ne put être retenue en situation, quoiqu’on la remît plusieurs fois en place.
M. Virgili qui voyoit le danger auquel le malade étoit exposé par le sang qui continuoit de couler dans la trachée-artere, dont l’ouverture dans certains mouvemens qu’excitoient les convulsions ne se trouvoit plus vis-à-vis celle de la peau, se détermina à fendre la trachée-artere en long jusqu’au sixieme anneau cartilagineux. Après cette seconde opération, le malade respira facilement, & le poulx qu’on ne sentoit presque point, commença à reparoître. On fit situer le malade la tête panchée hors du lit, la face vers la terre, afin d’empêcher le sang de glisser dans la trachée-artere ; M. Virgili ajusta à la plaie une plaque de plomb percée de plusieurs trous, & par ses soins le malade guérit parfaitement.
L’entrée du sang dans la trachée-artere a été la cause des accidens terribles qui ont presque fait périr le malade dont on vient de parler. Une simple ponction avec la lancette ne l’auroit peut-être point mis dans la triste extrémité où il a été réduit par le moyen qu’on employoit pour lui sauver la vie ; la ponction avec le trocart évite encore plus sûrement l’hémorrhagie, parce que la cannule ayant plus de volume que le poinçon qu’elle renferme, comprime tous les vaisseaux que la pointe divise pour son passage.
Cette opération a été pratiquée avec succès à Edimbourg en Ecosse ; le malade en reçut d’abord tout le soulagement qu’on avoit lieu d’espérer : mais la cannule s’étant bouchée par l’humeur que filtrent les glandes bronchiques, le malade fut menacé d’une suffocation prochaine ; un ministre homme de génie, qui étoit près du malade, conseilla l’usage d’une seconde cannule, dont le diametre seroit égal à celui du poinçon d’un trocart. Cette cannule fut placée dans la premiere ; & lorsque la matiere des crachats s’opposoit au passage libre de l’air, on retiroit cette cannule, on la nettoyoit, & on la remettoit en place. Cette manœuvre étoit très-importante pour le malade, & avoit l’avantage de ne lui causer aucune fatigue. Je tiens cette observation de M. Elliot, qui l’a oüi raconter à M. Monro, célebre professeur en Anatomie & en Chirurgie à Edimbourg.
Enfin on a cru que la bronchotomie étoit un secours pour rappeller les noyés d’une mort apparente à la vie : la persuasion où l’on est que les noyés meurent faute d’air & de respiration, comme si on leur eût bouché la trachée-artere, est le motif de cette application : mais il est constant que les noyés meurent par l’eau qu’ils inspirent, & dont leurs bronches sont remplies. J’ai présenté un mémoire à l’Académie royale des Sciences sur la cause de la mort des noyés, où je donne le détail de plusieurs expériences & observations convaincantes sur ce point. J’ai noyé des animaux dans des liqueurs colorées en présence de MM. Morand & Bourdelin que l’Académie avoit nommés commissaires pour vérifier mes expériences, & ils ont vû que la trachée-artere & les bronches étoient absolument pleines de la liqueur dans laquelle j’avois noyé les animaux sujets de mes démonstrations. (Y)