L’Encyclopédie/1re édition/CANTIQUE

La bibliothèque libre.
Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 623).
◄  CANTINE
CANTON  ►

CANTIQUE, s. m. (Hist. & Bell. lett.) discours ou paroles que l’on chante en l’honneur de la divinité.

Les premiers & les plus anciens cantiques furent composés en mémoire de quelques évenemens mémorables, & doivent être comptés entre les premiers monumens historiques.

« Le genre humain s’étant multiplié, dit un auteur moderne, & Dieu ayant fait éclater sa puissance en faveur du juste, contre l’injuste, les peuples reconnoissans immortaliserent le bienfait par des chants qu’une religieuse tradition fit passer à la postérité. C’est de-là que vinrent les cantiques de Moyse, de Debora, de Judith ; ceux de David & des prophetes. » Voyez Pseaume.

M. Fourmont prétend qu’il y a dans les pseaumes & dans les cantiques des Hébreux, des dictions étrangeres, des expressions peu usitées ailleurs, des phrases dont les mots sont transposés ; que leur style, comme celui de nos odes, en devient plus hardi, en paroît plus pompeux & plus énergique ; qu’on y trouve des strophes, des mesures & différentes sortes de vers, & même des rimes. Voyez Rime.

Ces cantiques étoient chantés par des chœurs de musique, au son des instrumens, & souvent accompagnés de danses, comme il paroît par l’écriture. La plus longue piece qu’elle nous offre en ce genre est le Cantique des cantiques, ouvrage attribué à Salomon, & que quelques auteurs prétendent n’être que l’épithalame de son mariage avec la fille du roi d’Egypte. Mais les Théologiens prouvent que sous cet emblème, il s’agit de l’union de Jesus-Christ avec l’Église.

« Quoique les Payens, dit encore l’auteur que nous avons déja cité, se trompassent dans l’objet de leur culte, cependant ils avoient dans le fonds de leurs fêtes le même principe que les adorateurs du vrai Dieu. Ce fut la joie & la reconnoissance qui leur fit instituer des jours solemnels pour célébrer les dieux auxquels ils se croyoient redevables de leur récolte. De là vinrent ces chants de joie qu’il nommoient Dithyrambes, parce qu’ils étoient consacrés au dieu qui, selon la Fable, eut une double naissance, c’est-à-dire, à Bacchus..... Après les dieux, les héros enfans des dieux devinrent les objets de ces chants..... C’est ce qui a produit les poëmes d’Orphée, de Linus, d’Alcée, de Pindare, &c. » Voyez Dithyrambe & Ode. Cours de Bell. lett. tom. II. p. 28 & 29.

Au reste ni parmi les Hébreux ni parmi les Payens, les cantiques n’étoient pas tellement des expressions de la joie publique, qu’on ne les employât aussi dans les occasions tristes & lugubres ; témoin ce beau cantique de David sur la mort de Saül & de Jonathas, qu’on trouve au II. livre des Rois, chap. j. Ces sortes de cantiques ou d’élégies eurent tant de charmes pour les Hébreux, qu’ils en firent des recueils, & que long-tems après la mort de Josias, ils répétoient les plaintes de Jérémie sur la fin tragique de ce roi. II. Paralip. ch. xxxv.

Les anciens donnoient encore le nom de cantiques à certains monologues passionnés & touchans de leurs tragédies, qu’on chantoit sur le mode hypodorien & hypophrygien, comme nous l’apprend Aristote au xix. de ses Problèmes, à peu-près comme certains monologues qui, dans quelques tragédies de Corneille, sont en stances de vers irréguliers, & qu’on auroit pû mettre en musique. Telles sont les stances du Cid, celles de Polieucte qui sont très-belles, & celles d’Héraclius : au reste l’usage de ces stances paroit entierrement banni de nos Tragédies modernes. Voyez Stances. (G)