L’Encyclopédie/1re édition/CHARIDOTÈS

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* CHARIDOTÈS, s. m. (Mythologie.) surnom sous lequel Mercure étoit adoré dans l’île de Samos. Voici une anecdote singuliere de son culte. Le jour de sa fête, tandis qu’on étoit occupé à lui faire des sacrifices, les Samiens voloient impunément tout ce qu’ils rencontroient ; & cela en mémoire de ce que leurs ancêtres, vaincus & dispersés par des ennemis, avoient été réduits à ne vivre pendant dix ans que de rapines & de brigandages ; ou plûtôt à l’exemple du dieu, qui passoit pour le patron des voleurs. Ce trait seul suffiroit, si l’antiquité ne nous en offroit pas une infinité d’autres, pour prouver combien il est essentiel que les hommes ayent des idées justes de la divinité. Si la superstition éleve sur des autels un Jupiter vindicatif, jaloux, sophiste, colere, aimant la supercherie, & encourageant les hommes au vol, au parjure, à la trahison, &c. je ne doute point qu’à l’aide des imposteurs & des poëtes, le peuple n’admire bientôt toutes ces imperfections, & n’y prenne du penchant ; car il est aisé de métamorphoser les vices en vertus, quand on croit les reconnoître dans un être sur lequel on ne leve les yeux qu’avec vénération. Tel fut aussi l’effet des histoires scandaleuses que la théologie payenne attribuoit à ses dieux. Dans Térence, un jeune libertin s’excuse d’une action infâme par l’exemple de Jupiter. « Quoi, se dit-il à lui-même, un dieu n’a pas dédaigné de se changer en homme, & de se glisser le long des tuiles dans la chambre d’une jeune fille ? & quel dieu encore ? celui qui ébranle le ciel de son tonnerre ; & moi, mortel chétif, j’aurois des scrupules ? je craindrois d’en faire autant ? ego vero illud feci, & lubens ». Pétrone reproche au sénat qu’en tentant la justice des dieux par des présens, il sembloit annoncer au peuple qu’il n’y avoit rien qu’on ne pût faire pour ce métal précieux. Ipse senatus recti bonique præceptor, mille pondo auri capitolio promittere solet, & ne quis dubitet pecuniam concupiscere, Jovem peculio exorat.

Platon chassoit les poëtes de sa république ; sans doute parce que l’art de feindre dont ils faisoient profession, ne respectant ni les dieux, ni les hommes, ni la nature, il n’y avoit point d’auteurs plus propres à en imposer aux peuples sur les choses dont la connoissance ne pouvoit être fausse, sans que les mœurs n’en fussent altérées.

C’est le Christianisme qui a banni tous ces faux dieux, & tous ces mauvais exemples, pour en présenter un autre aux hommes, qui les rendra d’autant plus saints, qu’ils en seront de plus parfaits imitateurs.