L’Encyclopédie/1re édition/CIGALE

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CIGALE, s. f. cicada (Hist. nat. insect.) espece de mouche très-connue par le bruit qu’elle fait dans la campagne, & que l’on prend communément, mais mal-à-propos, pour une sorte de chant. La tête de cet insecte est large & courte ; il a deux yeux à réseaux, qui sont placés l’un à droite & l’autre à gauche, près du bout postérieur de la tête, & qui ont un grand nombre de facettes ; entre ces deux yeux, il s’en trouve trois autres qui sont lisses & rangés en triangle. Les cigales ont un corcelet composé de deux pieces, ou plûtôt deux corcelets presque aussi larges que la tête ; ils sont pour ainsi dire sculptés, principalement l’antérieur, sur lequel on voit, entr’autres figures, une sorte de triangle. Les aîles sont au nombre de quatre, posées en talus comme les deux pans d’un toit, transparentes, & attachées au second corcelet ; les deux du dessus sont placées fort près du premier leur étendue est plus grande que celle des deux autres ailes ; elles ont de fortes nervures qui soûtiennent un tissu mince. Le corps est composé de huit anneaux écailleux, y compris la partie oblongue & conique qui le termine, & qui est d’une seule piece dans les femelles ; le premier anneau est le plus large, chacun des autres diminue de largeur jusqu’au septieme, qui est au moins aussi large que le second. Les cinq premiers ont chacun à-peu-près le même diametre ; le reste du corps forme une pointe qui est plus allongée dans la femelle que dans le mâle.

On distingue des cigales de trois grandeurs différentes ; les grandes, les moyennes, & les petites. Celles de la grande espece, étant vûes par-dessus, sont les plus brunes ; elles ont le corps d’un brun luisant presque noir ; la couleur des corcelets, sur-tout du premier, est mêlée d’une teinte de jaune. Les cigales de l’espece moyenne ont plus de jaune ; celles de la petite espece, que l’on nomme cigalons aux environs d’Avignon, ont moins de jaune que celles de l’espece moyenne, & on voit sur quelques-unes une teinte rougeâtre. Toutes les petites cigales ont les aîles jaunâtres, tandis que celles des autres sont d’une couleur argentée. Les grandes cigales ont le ventre d’une couleur jaunâtre, sale, & pâle, excepté deux bandes brunes qui sont près des bords ; ces bandes sont formées par les extrémités des arcs écailleux qui recouvrent le dessus du corps, & qui se replient de chaque côté sous le ventre, ou ils aboutissent chacun à une lame écailleuse au moyen de laquelle chaque anneau est complet. En écartant ces lames les unes des autres autant qu’on le peut, en allongeant le ventre de l’insecte, on découvre des stigmates ; il y en a deux entre deux lames, un de chaque côté, placé tout-près de la jonction d’une lame, avec l’arc écailleux qui lui correspond.

En regardant les cigales par-dessous, on apperçoit deux petites antennes qui n’ont que quelques lignes de longueur, & qui sont posées près des yeux à réseaux. Il y a au bout de la tête une piece triangulaire qui ressemble en quelque façon à un menton, qui recouvre le dessus de la tête, & qui s’étend plus loin ; la base est en-avant, & le sommet en-arriere ; il forme une pointe dont sort la trompe avec laquelle la cigale tire le suc des feuilles & des branches d’arbres. Le fourreau de la trompe tient à des parties membraneuses qui se trouvent au-dessous du menton, vis-à-vis son milieu. Ce fourreau s’étend au-delà de la pointe du menton, comme un fil de la grosseur & de la longueur d’une petite épingle. Lorsqu’on leve la pointe du menton, la trompe sort de son étui, & elle y rentre lorsque cette pointe se remet dans sa position naturelle ; quelquefois la trompe entraîne son fourreau, lorsque l’insecte le fait mouvoir. Il est fait en forme de gouttiere, le long de laquelle on voit une legere fente, lorsqu’on regarde la cigale par-dessous. Cette fente s’élargit quand la trompe sort : on peut la tirer de son fourreau avec la pointe d’une épingle, & la diviser en trois filets écailleux. Les organes dont vient le bruit que l’on appelle le chant de la cigale, sont placés dans son ventre ; on ne les trouve que dans les mâles, car les femelles ne font aucun bruit. Il y a sur le ventre des cigales mâles de la grande espece, deux plaques écailleuses qui sont assez grandes, qui tiennent au second corcelet, & qui s’étendent presque jusqu’au troisieme anneau ; elles sont posées de façon que l’une recouvre un peu l’autre. On peut soûlever ces plaques par leur extrémité supérieure, mais elles sont arrêtées par une espece de cheville faite en forme d’épines, dont chacune tient par l’une de ses extrémités à la partie de la jambe postérieure qui s’articule avec le corcelet, & appuie par l’autre extrémité sur l’une des plaques. Ces épines empêchent que les plaques ne soient trop soûlevées, & les remettent en situation. Lorsqu’on a relevé les plaques, on trouve dans la partie antérieure du ventre une cavité qui est partagée en deux loges ; le fond de chacune de ces loges est luisant comme un miroir ; il y a une membrane tendue & transparente comme le verre, sur laquelle on voit toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, lorsqu’on la regarde obliquement.

Si on enleve la partie supérieure du premier & du second anneau, & si on met à découvert du côté du dos l’endroit qui correspond à la cavité où sont les miroirs, on y trouve deux muscles qui sont composés d’un grand nombre de fibres droites ; ils forment ; en s’approchant, un angle aigu sur les revers de la piece triangulaire dont il a déjà été fait mention. Ces muscles aboutissent aux organes qui produisent le bruit de la cigale ; ils sont situés dans deux réduits dont les deux orifices communiquent de chaque côté dans la grande cavité où sont les miroirs. On trouve dans chacun de ces réduits une membrane plissée, raboteuse, & contournée en forme de timbale. Elles sont placées de chaque côté, sous une partie triangulaire du premier anneau de la cigale, qui est plus élevée que le reste ; si on enleve cette partie, on met la membrane à découvert. Dès qu’on la touche elle resonne comme un parchemin sec, & même comme une membrane, encore plus sonore ; celle dont il s’agit rend des sons, lorsqu’après avoir été enfoncée dans quelques endroits elle se releve par son ressort. Les muscles dont on vient de parler aboutissent à la surface concave de ces membranes, & en l’attirant en-dedans par leur contraction, ils la mettent en état de resonner, lorsqu’elles se rétablissent par leur élasticité, en même tems que le muscle se relâche. Ce son passe au-dehors par les orifices de deux réduits qui communiquent dans la grande cavité, & peut être modifié par les volets écailleux, les miroirs, & toutes les différentes parties qui se trouvent dans les cavités. Les cigales de la petite espece & de l’espece moyenne ont à-peu-près les mêmes organes & font presque le même bruit.

Le dernier anneau du corps des cigales femelles est plus allongé que dans les mâles, & il renferme une partie à laquelle on a donné le nom de tariere, parce que les cigales s’en servent pour faire des trous dans de petits morceaux de bois où elles déposent leurs œufs. Les mâles n’ont pas cette tariere, qui est fort apparente dans les femelles, puisqu’elle a environ cinq lignes de longueur dans celles de la grande espece. Elle est renfermée dans un étui dont on peut la faire sortir en comprimant légerement le ventre de l’insecte ; elle est à-peu-près de même grosseur sur toute sa longueur, & terminée à son extrémité par une pointe angulaire qui ressemble à un fer de pique dont les bords seroient dentelés. La substance de cette partie est de la nature de l’écaille ou de la corne, aussi solide & aussi dure qu’aucune autre qui se trouve dans les insectes. En l’examinant de près on reconnoît qu’elle est composée de trois parties, c’est pourquoi on a été tenté de changer le nom de tariere que l’on avoit donné à cette partie, & on a mieux aimé dire qu’elle est composée de deux limes & d’un support, limes ou tariere, n’importe du nom. La partie dont il s’agit est composée de trois pieces, dont deux sont posées à côté de la troisieme, & sont engrenées en façon de coulisse avec cette piece du milieu, de maniere qu’elles glissent tout le long sans s’en écarter, & elles peuvent être mûes alternativement ; par ce moyen, les deux rangs de dents qui sont sur les bords de la pointe angulaire, dont nous avons déjà parlé, avancent & reculent, parce qu’ils tiennent à chacune des pieces des côtés. Ce qui cause ce déplacement, c’est qu’elles sont repliées en-dehors & en-avant par leur extrémité antérieure, relativement à l’insecte. Des muscles, en augmentant ou en diminuant cette courbure par leur contraction ou leur relâchement, font glisser en-avant ou en-arriere la piece latérale, & par conséquent mettent en jeu les dents qui sont à chaque côté de la pointe, qui est faite en forme de fer de lance, & composée de trois pieces. Les dents sont posées obliquement, & dirigées du côté de la pointe du fer de lance, de sorte qu’elles déchirent ce qui leur fait obstacle dans leur mouvement, lorsque la cigale se sert de cette partie pour faire des trous dans le bois où elle depose ses œufs.

Les cigales femelles font toûjours ces trous dans de très-petites branches de bois qui est sec & qui a de la moëlle. On les reconnoit par des fibres qui ont été soûlevées à l’endroit de ces trous ; ils sont rangés par files assez régulierement pour l’ordinaire ; ils ont chacun trois lignes & demie ou quatre lignes de longueur. Ses trous peuvent contenir huit à dix œufs, & il y en au moins quatre ou cinq dans chacun ; ils sont blancs, oblongs, & pointus par les deux bouts. La ponte est fort abondante, puisqu’on a compté jusqu’à sept cents œufs dans les ovaires. Il sort de chaque œuf un ver blanc qui a six longues jambes, & qui ressemble en quelque façon à une puce pour la figure. Lorsqu’ils ont abandonné le trou où ils sont éclos, ils se logent dans la terre, & ensuite ils se transforment en nymphes, qui marchent & qui prennent des alimens & de l’accroissement. Aristote les a nommées tettigometres ou meres cigales ; elles ne different pas beaucoup du ver qui est sorti de l’œuf. Ces nymphes peuvent pénetrer dans la terre jusqu’à deux ou trois piés de profondeur. On les trouve ordinairement auprès des racines des arbres. Lorsque le tems de leur métamorphose approche, elles sortent de terre, montent sur les arbres, & s’y accrochent pendant les chaleurs de l’été. C’est dans cet état qu’elles parviennent à quitter leur fourreau de nymphe ou de chrysalide, pour paroître sous la forme de cigale. Mémoires pour servir à l’hist. des insect. tom. V. (I)

Cigales, s. f. (Hist. mod.) Les Espagnols de l’Amérique nomment ainsi un petit rouleau de tabac de la grosseur du petit doigt au plus, & long de cinq à six pouces au moins. Ce rouleau est composé de plusieurs brins de tabac parallélement disposés à côté les uns des autres, & assujettis ensemble par une large feuille qui leur sert de robe ou d’enveloppe. On allume une des extrémités de ce rouleau, & l’autre se met dans la bouche, au moyen de quoi on fume sans pipe. Nos insulaires, qui font un grand usage de ces cigales, les nomment simplement bouts de tabac.

Il n’est pas hors de propos d’ajoûter ici que les Caraïbes des îles Antilles ont une singuliere façon de fumer : ils enveloppent des brins de tabac dans certaines écorces d’arbre très-unies, flexibles, & minces comme du papier ; ils en forment un rouleau, l’allument, en attirent la fumée dans leur bouche, serrent les levres, & d’un mouvement de langue contre le palais, font passer la fumée par les narines. Art. comm. par M. Le Romain.