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L’Encyclopédie/1re édition/CONCUBINAGE

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CONCUBINAGE, s. m. (Jurisprud. & Hist. anc.) ce terme a deux significations différentes ; il signifie quelquefois une espece de mariage moins solennel, qui avoit lieu chez les anciens, & qui se pratique encore en quelques pays. Parmi nous il signifie ordinairement le commerce charnel d’un homme & d’une femme libres, c’est-à-dire qui ne sont point mariés ensemble ni avec un autre.

Si nous remontons au premier âge du monde, nous voyons que quelques-uns des patriarches avoient en même tems plusieurs femmes. Le premier qui en usa de la sorte fut Lamech, fils de Mathusael, (c’étoit la cinquieme génération de l’homme). Lamech eut deux femmes nommées Ada & Sella, qui sont également qualifiées uxores.

Il paroît que les descendans de Seth en userent autrement ; qu’ils avoient plusieurs femmes à la fois, mais que toutes n’avoient pas le titre d’épouses ; car il est dit dans la Genese, acceperunt sibi uxores, ex omnibus quas elegerant, ce qui attira la colere de Dieu sur l’homme qui étoit charnel, dit l’Ecriture.

Depuis Noé jusqu’à Abraham on ne voit point que la pluralité de femmes fût usitée : mais Sara ayant été long tems stérile, ce qui étoit alors un opprobre pour une femme, excita son mari à connoître sa servante Agar, dans l’esperance qu’elle auroit d’elle des enfans. Agar ne devint pas pour cela l’épouse d’Abraham, elle resta toûjours soumise à Sara comme sa servante ; & lorsque Sara eut mis au monde Isaac, Agar & son fils Ismael furent chassés de la maison d’Abraham à la sollicitation de Sara, disant que le fils de sa servante n’hériteroit pas avec Isaac.

Dans le même tems il étoit commun chez les autres nations d’avoir des concubines ; en effet on voit que Sara, femme d’Abraham, fut enlevée pour Pharaon roi d’Egypte, & quelque tems après pour Abimelech roi de Gerar. Mais il paroît aussi qu’il étoit dès-lors défendu de prendre pour concubine la femme d’autrui ; car il ne fut point attenté à l’honneur de Sara, parce que l’on connut qu’elle étoit femme d’Abraham.

Jacob fut le premier des patriarches qui eut à la fois deux femmes & deux concubines, qui étoient les servantes de ses deux femmes. Il eut des unes & des autres plusieurs enfans, qui furent tous traités également.

Esaü son frere eut à la fois trois femmes d’égale condition : Eliphas, l’un de ses fils, eut une concubine, c’est ainsi qu’elle est qualifiée ; il n’est pas dit que ce fût la servante de sa femme.

Le concubinage fut depuis commun chez les Hebreux & les Juifs : il y eut diverses lois faites à ce sujet.

Il est dit au chapitre xjx. du Levitique, que si un homme a commerce avec l’esclave d’autrui, si elle n’est pas préalablement rachetée, quoiqu’elle fût noble, tous deux seront fustigés, parce que cette esclave n’étoit pas libre ; que pour ce délit l’homme offrira à la porte du tabernacle un bélier.

Le chapitre suivant contient des peines contre l’adultere & contre la débauche commise avec des parentes ou alliées.

On distinguoit dès-lors les concubines des femmes livrées à une prostitution publique.

Le concubinage fut toleré chez les Juifs à cause de leur endurcissement ; mais il y eut toûjours une distinction entre les femmes qui avoient le titre d’épouses legitimes, & les concubines, quoiqu’alors le concubinage fût une espece de mariage moins solennel, qui avoit ses lois particulieres.

Salomon eut jusqu’à sept cents femmes & trois cents concubines. Les premieres, quoiqu’en nombre excessif, avoient toutes le titre de reines, au lieu que les concubines ne participoient point à cet honneur.

On vit quelque chose de semblable chez les Perses. Darius, outre la reine son épouse, avoit jusqu’à 365 concubines, dont il se faisoit suivre à l’armée.

Cette coûtume a continué dans tout l’Orient. L’empereur de la Chine a dans son palais jusqu’à deux ou trois mille concubines : le Sophi de Perse & le grand-seigneur en ont aussi un très-grand nombre.

Les Grecs en userent de même que les Perses. Alexandre roi de Macédoine, avoit plusieurs concubines, dont il ceda la plus belle & celle qu’il chérissoit le plus, à Apelles qui en étoit devenu amoureux.

Nous passons rapidement sur tous ces tems éloignés, pour venir à ce qui se pratiquoit chez les Romains, dont les lois font encore partie de nos usages.

On distinguoit chez les Romains deux sortes de mariages légitimes, & deux sortes de concubinages.

Le mariage le plus honnête, étoit celui qui se faisoit solennellement & avec beaucoup de cérémonie. La femme qui étoit ainsi mariée étoit nommée uxor, justa uxor, conjux, mater-familias.

L’autre sorte de mariage se contractoit sans autre formalité, que d’avoir eu pendant un an entier une femme dans sa maison, ce que l’on appelloit uxorem usucapere ; la femme ainsi mariée s’appelloit uxor tantum ou matrona.

Le concubinage étoit alors tellement autorisé, qu’on le considéroit comme une troisieme espece de mariage, qu’on appelloit injustæ nuptiæ.

Mais ce concubinage étoit de deux sortes ; l’un, nommé injustæ nuptiæ & legitimæ, c’étoit la liaison que l’on avoit avec des concubines Romaines de naissance, qui n’étoient ni sœurs, ni meres, ni filles de celui avec qui elles habitoient, & qui n’étoient point de condition servile.

L’autre espece de concubinage, appellée injustæ nuptiæ & illegitimæ, s’entendoit de ceux qui habitoient avec des concubines incestueuses, étrangeres ou esclaves.

Numa Pompilius fit une loi qui défendoit à la concubine, soit d’un garçon soit d’un homme marié, de contracter un mariage solennel, & d’approcher de l’autel de Junon ; ou si elle se marioit, elle ne devoit point approcher de l’autel de Junon, qu’elle n’eût auparavant coupé ses cheveux & immolé une jeune brebis. Cette concubine y est désignée par le terme de pellex, par lequel on entendoit une femme qui n’étant point mariée, vivoit néanmoins avec un homme comme si elle l’étoit. Il signifioit comme on voit également une concubine simple & une concubine adultere. On se servoit encore de ce terme sous Jules César & sous Auguste, tems auquel on commença à substituer le mot concubina à l’ancien terme pellex.

Ainsi suivant l’ancien Droit, le concubinage étoit permis à Rome à ceux qui restoient dans le célibat, ou qui ayant été mariés ne vouloient pas contracter un second mariage, par considération pour leurs enfans du premier lit. Mais depuis que la loi des douze tables & autres lois postérieures eurent reglé les conditions pour les mariages, il fut ordonné que l’on ne pourroit prendre pour concubines, que des filles que l’on ne pouvoit pas prendre pour femmes à cause de la disproportion de condition, comme des filles de condition servile, ou celles qui n’avoient point de dot, & qui n’étoient pas les unes ni les autres destinées à contracter alliance avec les honnêtes citoyens.

Ainsi les filles ou femmes de condition libre, appellées ingenuæ, ne pouvoient pas être prises pour concubines, cela passoit pour un viol ; & il étoit défendu d’habiter avec elles sur un autre pié que sur celui d’épouses, à moins qu’elles n’eussent dégénéré en exerçant des métiers bas & honteux, auquel cas il étoit permis de les prendre pour concubines.

On voit par-là que le concubinage n’étoit pas absolument deshonorant chez les Romains. Les concubines, à la vérité, ne joüissoient pas des effets civils par rapport aux droits des femmes mariées ; mais elles ne différoient des épouses que pour la dignité de leur état & pour l’habillement, du reste elles étoient loco uxoris. On les appelloit semi-conjuges & le concubinage semi-matrimonium. Le concubinage secret n’étoit pas permis par les lois Romaines, & le nom de concubine, quand le concubinage étoit public, étoit un titre honnête & bien différent de celui de maîtresse, que l’on appelloit scortum.

Jules César avoit permis à chacun d’épouser autant de femmes qu’il jugeroit à-propos, & Valentinien permit d’en épouser deux ; mais il n’étoit pas permis d’avoir plusieurs concubines à la fois. Celle qui étoit de condition libre ne devenoit pas esclave lorsque son maître la prenoit pour concubine, au contraire celle qui étoit esclave devenoit libre. La concubine pouvoit être accusée d’adultere. Le fils ne pouvoit pas épouser la concubine de son pere.

Suivant l’ancien Droit Romain il étoit permis de donner à sa concubine ; elle ne pouvoit cependant être instituée héritiere universelle, mais seulement pour une demi-once, qui faisoit un vingt-quatrieme du total. On permit ensuite de donner trois onces, tant pour la mere que pour les enfans, ce qui fut étendu jusqu’à six onces ; & on leur accorda deux onces ab intestat, dont la mere auroit une portion virile, le tout dans le cas où il n’y auroit ni enfans ni femme légitimes.

Les enfans procréés des concubines n’étoient pas soûmis à la puissance paternelle, & n’étoient ni légitimes ni héritiers de leur pere, si ce n’est dans le cas où il n’avoit point d’autres enfans légitimes ; ils ne portoient pas le nom de leur pere, mais on ne les traitoit pas de spurii, comme ceux qui étoient les fruits de la débauche ; ils portoient publiquement le nom de leur mere & le surnom de leur pere ; & quoiqu’ils ne fussent point de la famille paternelle, leur état n’étoit point honteux, & ils n’étoient point privés du commerce des autres citoyens.

Le concubinage, tel qu’on vient de l’expliquer, fut long-tems autorisé chez les Romains : on ne sait pas bien certainement par qui il fut aboli ; les uns disent que ce fut Constantin le grand, d’autres que ce fut l’empereur Léon ; tous deux en effet eurent part à ce changement.

Constantin le grand commença à restraindre indirectement cet usage, en ordonnant aux citoyens d’épouser les filles qu’ils auroient eues auparavant pour concubines ; & que ceux qui ne voudroient pas se conformer à cette ordonnance, ne pourroient avantager leurs concubines, ni les enfans naturels qu’ils auroient eu d’elles.

Valentinien adoucit cette défense, & permit de laisser quelque chose aux enfans naturels.

Ceux qui épouserent leurs concubines suivant l’ordonnance de Constantin, légitimerent par ce moyen leurs enfans comme l’empereur leur en avoit accorde le privilége.

Justinien donna le même effet au mariage subséquent ; mais le concubinage n’étoit point encore aboli de son tems : on l’appelloit encore licita consuetudo, & il étoit permis à chacun d’avoir une concubine.

Ce fut l’empereur Léon qui défendit absolument le concubinage par sa novelle 91. laquelle ne fut observée que dans l’empire d’Orient. Dans l’Occident le concubinage continua d’être fréquent chez les Lombards & les Germains ; il fut même long-tems en usage en France.

Le concubinage est encore usité en quelques pays, où il s’appelle demi-mariage, ou mariage de la main gauche, mariage à la Morganatique ces sortes de mariages sont communs en Allemagne, dans les pays ou l’on suit la confession d’Ausbourg.

Suivant le droit canon, le concubinage, & même la simple fornication, sont expressément défendus : Hæc est voluntas Domini, dit S. Paul aux Thessaloniciens, ut abstineatis à fornicatione ; & S. Augustin, distinct. 24. Fornicari vobis non licet, sufficiant vobis uxores ; & si non habetis uxores, tamen non licet vobis habere concubinas. Ducange observe que suivant plusieurs épîtres des papes, les concubines paroissent avoir été autrefois tolérées ; mais cela se doit entendre des mariages, lesquels quoique moins solennels, ne laissoient pas d’être légitimes. C’est aussi dans le même sens que l’on doit prendre le dix-septieme canon du premier concile de Tolede, qui porte que celui qui avec une femme fidele a une concubine, est excommunié ; mais que si la concubine lui tient lieu d’épouse, de sorte qu’il n’ait qu’une seule femme à titre d’épouse ou concubine à son choix, il ne sera point rejetté de la communion. Quelques auteurs prétendent qu’il en étoit de même des concubines de Clovis, de Théodoric, & de Charlemagne ; que c’étoient des femmes épousées moins solennellement, & non pas des maîtresses.

Comme les ecclésiastiques doivent donner aux autres l’exemple de la pureté des mœurs, le concubinage est encore plus scandaleux chez eux que dans les laïcs. Cela arrivoit peu dans les premiers siecles de l’Église ; les prétres étoient long-tems éprouvés avant l’ordination ; les clercs inférieurs étoient la plûpart mariés.

Mais dans le dixieme siecle la concubinage étoit si commun & si public, même chez les prêtres, qu’on le regardoit presque comme permis, ou au moins toléré.

Dans la suite on fit plusieurs lois pour réprimer ce desordre. Il fut défendu au peuple d’entendre la messe d’un prêtre concubinaire ; & on ordonna que les prêtres qui seroient convaincus de ce crime, seroient déposés.

Le concile provincial de Cologne, tenu en 1260, dénote pourtant que le concubinage étoit encore commun parmi les clercs.

Cet abus régnoit pareillement encore parmi ceux d’Espagne, suivant le concile de Valladolid, tenu en 1322, qui prononce des peines plus grieves contre ceux dont les concubines n’étoient pas Chrétiennes.

Le mal continuant toûjours, la rigueur des peines s’est adoucie.

Suivant le concile de Bâle, les clercs concubinaires doivent d’abord être privés pendant trois mois des fruits de leurs bénéfices, après lequel tems ils doivent être privés des bénéfices mêmes, s’ils ne quittent leurs concubines ; & en cas de rechûte, ils doivent être déclarés incapables de tous offices & bénéfices ecclésiastiques pour toûjours.

Ce decret du concile de Bâle fut adopté par la pragmatique-sanction, & ensuite compris dans le concordat.

Le concile de Trente a encore adouci la peine des clercs concubinaires ; après une premiere monition, ils sont seulement privés de la troisieme partie des fruits ; après la seconde, ils perdent la totalité des fruits, & sont suspendus de toutes fonctions ; après la troisieme, ils sont privés de tous leurs bénéfices & offices ecclésiastiques, & déclarés incapables d’en posséder aucun ; en cas de rechûte, ils encourent l’excommunication.

En France, le concubinage est aussi regardé comme une débauche contraire à la pureté du Christianisme, aux bonnes mœurs, non-seulement par rapport aux clercs, mais aussi pour les laïcs : c’est un délit contraire à l’intérêt de l’état. Reipublicæ enim interest legitima sobole repleri civitatem.

Si les ordonnances n’ont point prononcé directement de peine contre ceux qui vivent en concubinage, c’est que ces sortes de conjonctions illicites sont le plus souvent cachées, & que le ministere public n’a pas coûtume d’agir pour réprimer la débauche, à moins qu’elle n’occasionne un scandale public.

Mais nos lois réprouvent toutes donations faites entre concubinaires : c’est la disposition des coûtumes de Tours, art. 246. Anjou, 342. Maine, 354. Grandperche, art. 150. Lodunois, ch. xxv. art. 10. Cambrai, tit. iij. art. 7. Celle de Normandie, art. 437 & 438, défend même de donner aux bâtards.

La coûtume de Paris n’en parle pas : mais l’article 282 défendant aux mari & femme de s’avantager, à plus forte raison ne permet-elle pas de le faire entre concubinaires qui sont moins favorisés, & entre lesquels la séduction est encore plus à craindre.

L’ordonnance du mois de Janvier 1629, art. 132. défend toutes donations entre concubinaires.

Conformément à cette ordonnance, toutes donations de cette nature faites entrevifs ou par testament, sont nulles, ou du moins réductibles à de simples alimens ; car on peut donner des alimens à une concubine, & aux enfans naturels ; on accorde même quelquefois, outre les alimens, quelques dommages & intérêts à la concubine, eu égard aux circonstances : par exemple, si la fille qui a été séduite est jeune, de bonne famille, & que sa conduite soit d’ailleurs sans reproche ; si le garçon est plus âgé qu’elle, & qu’il soit riche, &c.

Ce que le mari donne à sa concubine ne doit pas se prendre sur la masse de la communauté, mais sur la part du mari seulement, ou sur ses autres biens ; ou si cela est pris sur la masse de la communauté, il en est dû récompense pour moitié à la femme.

Si la concubine donataire est une femme mariée ou une fille livrée à une débauche publique, la donation en ce cas ne doit avoir aucun effet ; il n’est dû ni alimens, ni dommages & intérêts.

Les reconnoissances faites au profit des concubinaires sont nulles, aussi bien que les donations ; parce que de telles reconnoissances sont toûjours reputées simulées, & que qui non potest dare non potest confiteri. Voyez au ff. 25. tit. vij. & au code 5. tit. xxvij. Ricard, des donat. part. I. ch. iij. sect. 8. n. 416. Dumolin, sur le conseil 196 de Decius. Duplessis, tr. de la comm. liv. I. chap. iij. Cujas, sur la novelle 18. Louet, lett. D. somm. 43. Dupineau, nouvelle édition, liv. VI. des arréts, ch. xiij. Plaid. de Gillet, tom. I. pag. 280. L’hist. de la jurisprud. Rom. de Terrasson, pag. 45. & 48. Causes célebres, tom. VII. pag. 92. Ferrieres sur Paris, article 292. gloss. 2. n. 26. & suiv. (A)