L’Encyclopédie/1re édition/CONSULTATION
CONSULTATION, s. f. (Jurispr.) est l’examen d’une question de fait ou de Droit, & l’avis qui est donné sur ce qui en résulte.
Ce sont ordinairement des avocats qui donnent des consultations sur les matieres de Droit & de coûtume, & sur tout ce qui a rapport à l’administration de la justice.
Leurs consultations ont beaucoup de rapport avec ces décisions des jurisconsultes, qu’on appelloit chez les Romains responsa prudentum. Ces jurisconsultes étoient les seuls qui avoient la liberté d’interpreter les lois ; & ce furent leurs décisions qui servirent à former le digeste. Il en est à-peu-près de même parmi nous ; quoique toutes sortes de personnes versées dans le Droit & dans la Pratique puissent donner des avis à ceux qui leur en demandent, néanmoins les avocats ont seuls caractere pour donner des consultations authentiques. En effet, les ordonnances veulent qu’en certaines matieres on soit muni de la consultation d’un avocat avant d’être admis à plaider, comme dans les requêtes civiles, où les lettres de chancellerie ne sont expédiées que sur une consultation signée de deux anciens avocats, & de celui qui a fait le raport. Il faut aussi pour les appels comme d’abus une consultation signée de deux anciens avocats ; & ces consultations s’attachent aux lettres de chancellerie. La plupart des commissaires départis dans les provinces sont aussi dans l’usage de ne point autoriser les communautés d’habitans à intenter aucune demande, que sur une consultation d’avocat, afin de ne point les autoriser trop légerement à entreprendre de mauvaises contestations. Enfin ceux qui sont interdits, ou auxquels on a donné un conseil, ne peuvent intenter aucune demande sans la consultation par écrit de l’avocat qui leur a été nommé pour conseil.
Les anciennes ordonnances distinguent les avocats en trois classes ; savoir les avocats conseillers, consiliarii, c’est-à-dire consultans ; les avocats plaidans, & les avocats écoutans, qui sont les jeunes avocats : cette distinction suppose qu’il n’y avoit autrefois que les anciens avocats qui eussent droit de donner des consultations. Cette qualité d’ancien s’acquéroit autrefois au bout de dix ans ; présentement il faut vingt années d’exercice. Il est constant que les anciens avocats sont communément plus propres à la consultation que les jeunes, parce qu’ils ont eu le tems d’acquérir plus de connoissance & d’expérience dans les affaires. Aussi les ordonnances qui requierent une consultation, veulent-elles qu’elle soit signée de deux anciens avocats. Dans toute autre matiere il est libre de consulter ou de ne pas consulter, & de s’adresser à tel avocat que l’on juge à propos, ancien ou jeune.
Les consultations se font verbalement ou par écrit : celles qui se donnent par écrit, commencent ordinairement par ces mots : Le conseil soussigné qui a vû le mémoire & les pieces y jointes, &c. est d’avis, &c. elles finissent ordinairement par ces mots : Délibéré à tel endroit ; ensuite la date & la signature des consultans. Il n’y a cependant pas de forme essentielle ; chacun peut les rédiger comme bon lui semble.
Avant de s’embarquer dans une affaire, il est bon de commencer par consulter, & de ne pas imiter ces plaideurs téméraires & obstinés, qui ne consultent que pour chercher des moyens de soûtenir une cause desespérée. Il faut consulter un homme sage & expérimenté, qui ne soit pas un simple praticien, mais qui ait un fond de principes ; qui écoute avec attention & avec modération ce qu’on lui expose, & les raisons qu’on allegue pour combattre les siennes ; qui ne soit ni indécis ni trop entreprenant, qui ne se détermine ni par humeur ni par vivacité, mais par des raisons solides, & avec beaucoup de circonspection ; qui ne soûtienne point son avis avec trop de chaleur ni par entêtement, ou par un faux point d’honneur ; mais il faut que ce soit par des réflexions judicieuses, & qu’il fasse gloire de se réformer, si on lui fait voir qu’il est dans l’erreur, comme cela peut quelquefois arriver aux plus habiles gens.
On peut consulter plusieurs avocats ensemble ou séparément. Quelques-uns préferent de les consulter chacun en particulier, pensant par-là tirer d’eux plus de lumieres, & que les avis séparés sont plus libres ; que dans une assemblée de consultans, il s’en trouve quelquefois un qui a de l’ascendant sur l’esprit des autres, & qui leur impose ; & que les autres n’ayant pas la fermeté de lui résister, adoptent son avis par condescendance ; ce que l’on appelle vulgairement des consultations moutonnieres. Il est certain que quand chacun rédige séparément son avis par écrit, on trouve communément dans ces différentes consultations une plus grande abondance d’idées, qu’il n’y en auroit dans une seule & même rédaction. Cependant si l’on a l’attention de choisir plusieurs consultans d’égale force, & pour rédacteur un avocat vif & pénétrant, qui ne laisse rien échapper, cette voie paroît la plus sûre pour avoir une bonne consultation, & plus propre à se déterminer ; parce que les différens consultans discutant ensemble les raisons que chacun d’eux propose, elles sont communément bien mieux débattues que par un seul ; & tel qui a donné son avis tout seul, auroit quelquefois été d’un avis opposé, s’il eût prévû les raisons qui ont déterminé l’autre : plus vident oculi quam oculus.
Lorsque plusieurs avocats concourent pour une même consultation, c’est le plus jeune qui fait le rapport du fait & des pieces, & qui est chargé de rédiger la consultation : il la signe le premier comme rédacteur, & la présente ensuite à signer à ses anciens ; ce qui se fait ordinairement par ordre de matricule : cependant cela ne s’observe pas toûjours exactement.
Les consultations par écrit sont mises le plus souvent ensuite du mémoire à consulter, & en ce cas elles sont relatives au mémoire pour les pieces & les faits qui y sont énoncés. Lorsque la consultation est rédigée séparément du mémoire, il est à-propos de faire mention en tête des mémoires & pieces qui ont été communiqués ; & cela sert à justifier le consultant, si on a omis de lui communiquer quelque piece essentielle, comme font quelquefois ceux qui consultent, soit par inadvertance ou par un esprit de ruse mal-entendu ; car c’est s’abuser soi-même que de ne pas déclarer tout à son conseil, même ce qu’il y a de plus fort contre soi.
Il seroit bon de désigner de quelle part on a été consulté, pour ne pas tomber dans l’inconvénient de consulter pour & contre ; car quoique la vérité soit une dans son langage, il n’est pas séant que celui qui a eu le secret d’une partie puisse le communiquer à son adversaire.
Les consultations ne doivent avoir pour but que la justice & la vérité ; un avocat qui plaide une cause qu’il croit bonne ou au moins problématique, peut employer tous les moyens légitimes qu’il croit propres à la soûtenir ; mais un consultant ne doit épouser les intérêts d’aucune partie ; il doit condamner sans ménagement celui qui le consulte s’il est mal-fondé, & ne point lui dissimuler la difficulté que peut souffrir la question.
Il ne suffit pas au-surplus au consultant de dire son avis séchement, viventis non est autoritas ; c’est pourquoi il doit appuyer son avis de toutes les raisons & autorités qui peuvent être utiles pour le soutien de la cause.
On appelle pilier des consultations, le premier pilier de la grand’salle du palais, où les avocats consultans se rassemblent le matin depuis onze heures environ jusqu’à une heure.
Les chambres des consultations sont différentes chambres situées dans l’enclos du palais, où les avocats se retirent pour donner des consultations : la plus grande de ces chambres, qu’on appelle la grand’chambre des consultations, sert aussi quelquefois pour certaines assemblées de discipline.
Les consultations de charité se donnent en la bibliotheque des avocats un jour de chaque semaine. On nomme à cet effet, pour chaque fois, six d’entre ceux qui ont au moins dix ans de palais, & un avocat plus jeune pour faire le rapport des questions & rédiger les consultations.
Le roi Stanislas duc de Lorraine & de Bar, a fondé à Nancy des consultations de charité.
On appelle aussi consultation un droit que les procureurs comprennent dans leurs mémoires de frais & dans la taxe des dépens ; ce droit a été établi en certains cas où le procureur est censé avoir consulté un avocat, comme pour former la demande introductive, pour produire, sur un interrogatoire, sur des criées, &c.
Il ne faut pas confondre ces droits de consultation avec le droit de conseil que les procureurs ont sur les défenses, repliques, & autres procédures.
Consultation est aussi employée dans quelques ordonnances pour déliberations & arrêts du parlement. Charles V. alors régent du royaume, dans des lettres du 18 Octobre 1358 adressées aux gens du parlement leur ordonne, judicetis & consultationes vestras atque judicia pronuncietis, &c. (A)
Consultation, (Medecine.) συμβούλευσις, consultatio, deliberatio : on entend par ce terme la partie de l’exercice de la profession du medecin, qui consiste dans l’examen qu’il fait, soit en particulier soit en commun, avec un ou plusieurs de ses confreres, de l’état présent d’une personne en santé ou en maladie, des causes & des conséquences qu’on peut tirer de cet état, & des moyens qu’il convient d’employer relativement aux indications que présentent ces considérations ; pour conserver la santé si elle est actuellement existante, pour préserver des maladies que l’on peut avoir à craindre & que l’on peut prévenir ; pour guérir celles qui troublent présentement l’œconomie animale, ou au moins pour les pallier si elles ne sont pas jugées susceptibles de guérison, lesquels moyens doivent être dirigés par la juste application de la méthode prescrite par les regles de l’art.
Cet examen, qui forme la consultation & d’où resulte un jugement porté sur le cas proposé, peut être fait, soit sur l’exposé de la personne qui a besoin de conseil pour sa santé & qui le demande elle-même, soit sur la relation qui est faite de son état de vive voix ou par écrit.
Ce jugement d’un ou de plusieurs medecins, qui est le résultat de la consultation, est ce qu’on appelle l’avis du ou des medecins. Ceux de cette profession qui sont actuellement ou habituellement consultés, sont dits conséquemment medecins consultans : on donne particulierement cette épithete à ceux qui ont spécialement la fonction de donner leurs avis sur la santé ou sur les maladies des princes. Voyez sur tout ce qui regarde la consultation & les regles qui la concernent, la préface de Fréderic Hoffman à la tête du tome IV. de ses œuvres, qui sert d’introduction à son recueil de consultations & de réponses médicinales. Voyez Medecin, Medecine. Article de M. d’Aumont.