L’Encyclopédie/1re édition/DÉCOCTION

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DÉCOCTION, s. f. (Pharmacie.) médicament interne, fluide, semblable à l’infusion, préparé au moyen d’une liqueur menstruelle qu’on fait boüillir avec la matiere à dissoudre. Cette matiere en général, est la même que dans l’infusion. Elle se divise en trois, le menstrue, le corps à dissoudre, & l’accessoire.

Le menstrue est de trois sortes, aqueux, vineux, spiritueux.

La matiere à dissoudre se tire pareillement des trois regnes : il faut qu’elle soit propre à être prise intérieurement, & qu’à l’aide de l’ébullition, elle puisse communiquer au menstrue une vertu qu’il lui seroit impossible d’avoir, ou qu’on auroit difficilement par une simple macération.

Les accessoires sont ceux qui aident la dissolution, soit en aiguisant les parties du menstrue, soit en dilatant celles du corps à dissoudre, soit enfin en les rendant propres l’un pour l’autre : tels sont sur tous les différens genres de sels, les acides, les alkalis, les neutres ; & même, quoique plus rarement, les esprits ardens fermentés simples, ou impregnés de la vertu de quelques végétaux aromatiques.

Les accessoires sont encore ceux qu’on mêle après que la décoction est faite, ou pour en augmenter la vertu, ou pour corriger quelque qualité, soit nuisible, soit desagréable ; tels sont les syrops, les éléosacharum, le miel, les confections molles, les teintures, les essences, les esprits, le vin, &c.

Le choix doit se faire avec discernement. Il faut connoître la nature de la matiere qu’on doit extraire, la vertu dissolvante des menstrues, celle des accessoires, l’action du feu qu’on doit employer. Il nous suffira d’exposer quelques-uns des principes généraux sur ce sujet, & d’observer :

1°. Que dans les décoctions on se sert par préférence d’un menstrue aqueux, parce que par l’ébullition il perd moins que les autres : ainsi on n’employe guere ici des eaux distillées. 2°. Les spiritueux, comme l’esprit-de-vin ordinaire ou rectifié, & autres esprits ardens fermentés, souffrent l’ébullition dans les vases chimiques sans se dissiper ou s’altérer sensiblement. 3°. On ne doit pas donner le même degré de chaleur à tous les menstrues pour les faire bouillir. 4°. La coction, suivant qu’elle est plus ou moins forte, & qu’elle dure plus ou moins de tems, produit une grande différence, desorte qu’une décoction longue ou forte, ne vaut rien pour certains ingrédiens, & convient beaucoup pour d’autres : le contraire arrive aussi. 5°. Il faut choisir un menstrue convenable, ou le rendre tel en lui joignant un accessoire qui lui soit approprié. 6°. Quand la matiere n’est pas propre pour la décoction, il faut lui donner une préparation préliminaire, comme la concassation, la macération des matieres dures, acides, & qui se dissolvent difficilement. 7°. De plus, en choisissant un vase convenable, on peut faire de bonnes décoctions de certaines drogues, qui, sans ce vase, n’auroient jamais pû servir dans cette opération. 8°. Les aqueux ne conviennent point pour les décoctions des terreux, des pierreux, des résineux, des sulphureux, des gras, à moins qu’on ne se serve d’accessoire. On doit dire la même chose des métaux & des demi-métaux non salins. 9°. Quand la macération suffit pour faire passer la vertu des ingrédiens dans le menstrue, il ne faut point employer la coction ; car alors la grande chaleur produit presque toûjours plus ou moins de changemens : on peut néanmoins quelquefois procurer une ébullition douce & courte pour accélerer la dissolution : c’est ce qu’on pratique pour les parties des végétaux qui sont molles & tendres ; ainsi les ingrédiens dont la vertu par l’ébullition se change en une autre vertu qui ne répond point au but du medecin, ne doivent point être mis en décoction : le cabaret en décoction est plus diurétique qu’émétique : la réglisse long-tems bouillie devient amere, & les feuilles de senné purgent avec tranchées, &c. la rhubarbe, les myrobolans par une longue coction acquierent, outre leur vertu purgative, une vertu astringente : les mucilagineux, les racines de grande consoude, de guimauve, de mauve, les graines, les fruits, les sucs, & autres semblables, cuits long-tems, rendent le liquide visqueux & desagréable. 10°. Il n’est pas indifférent que la matiere de la décoction soit nouvelle ou vieille, verte ou seche ; parce que la premiere ordinairement se dissout très-aisément, même dans des menstrues assez peu convenables, & que l’autre au contraire s’y dissout quelquefois très-difficilement.

L’ordre, en général, s’observe dans la décoction comme dans l’infusion. S’il y a des ingrédiens qui demandent, les uns une longue, les autres une courte coction, il faut ou l’ordonner, ou s’en rapporter à l’intelligence de l’apothicaire. La plûpart des fossiles, bois compacts, demandent souvent une coction de plusieurs heures, & même une macération préliminaire, tandis que les parties tendres des végétaux ne doivent être que simplement jettées dans la décoction encore bouillante.

La dose est plus ou moins grande à raison de l’efficacité de la matiere mise en décoction, de la nature du menstrue, de l’intention du medecin, de l’âge du malade, & de la facilité qu’il a à prendre les remedes. Cette dose se détermine par poids ou par mesure, c’est-à-dire par cuillerée, par verre, par tasse.

La quantité générale n’est point fixe ; elle contient quelquefois plusieurs livres, & d’autres fois une seule dose.

La proportion mutuelle des ingrédiens n’est aussi déterminée par aucune regle ; elle varie beaucoup, eu égard à la matiere de la décoction, au menstrue, à l’usage, & même aux malades.

La proportion du menstrue avec la matiere de la décoction, differe, suivant que sa vertu est plus ou moins grande, qu’elle est plus ou moins facile à dissoudre, que la coction se fait avec évaporation ou sans évaporation.

La souscription du medecin, s’il ne veut pas s’en rapporter à l’apothicaire, indique ce qu’il faut pratiquer avant la coction ; savoir la concassation, l’humectation, la mansation, les ingrédiens, le vase convenable, la coction, le degré de feu, l’ordre de la décoction, & la durée du tems de la cuisson : il prescrit enfin ce qu’il faut faire après la coction ; comme la dépuration, la clarification lorsqu’elle est nécessaire, le mêlange des accessoires, &c.

La décoction pour une seule dose s’appelle potion, teinture ; quand c’est pour plusieurs doses, décoction, apozeme ; quand la matiere a pour base des parties d’animaux, bouillon ; quand on fait cuire avec de nouvelle eau une matiere qui a déjà servi à une décoction, on l’appelle décoction secondaire. Au surplus on n’a que trop multiplié toutes ces dénominations puériles.

L’usage des décoctions est universel, convient dans presque toutes les maladies, à tout âge, & dans toutes sortes d’intentions ; mais cette forme a l’inconvénient d’être ordinairement desagréable à la vûe & au goût : au reste on ne s’en sert point dans les cas urgens, parce qu’elle ne peut pas s’exécuter avec promptitude.

Tout ce qu’on vient de lire est extrait des formules de M. Gaubius, qui a traité ce sujet avec beaucoup d’ordre & de précision. Mais nous devons au génie de Boerhaave, d’avoir fourni le premier dans sa chimie des vûes, des lumieres vraiment utiles aux Medecins, sur la nature & la vertu des végétaux, dont on fait les décoctions, les infusions, les robs, les sapas, les extraits, & toutes les autres préparations de ce genre. On ne connoissoit avant lui que le manuel de ces opérations ; il a remonté aux principes qui doivent servir de guides. Les principes sont aux Arts, ce que la boussole est à la navigation. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.