L’Encyclopédie/1re édition/DESSOLER

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DESSOLER les terres, (Jurisprud.) c’est changer leur état, & l’arrangement des soles & saisons pour leur culture. Ce terme vient du latin solum : en effet, dessoler, c’est changer le sol, c’est-à-dire la superficie de la terre ; par exemple, mettre en terre ce qui étoit en vigne ou en bois. On appelle aussi soles & saisons, la distribution qui est faite des terres labourables en trois parties, qui rapportent chacune alternativement pendant une année du blé, l’année suivante de l’avoine ou autres menus grains, & la troisieme année se reposent, afin de ne point épuiser la terre. Il est d’usage dans les baux des biens de campagne, que le fermier s’oblige de labourer les terres par soles & saisons convenables, & de ne les point dessoler ni dessaisonner ; au moyen de quoi il ne peut mettre en blé toutes les terres à la fois, ni mettre en blé ce qui ne doit être qu’en avoine, ou qui doit se reposer ; ni faire aucuns autres changemens de cette nature, tendans à déranger l’ordre des soles, & à épuiser ou fatiguer la terre. Si le fermier contrevient à cet égard à son bail, le propriétaire peut obtenir contre lui des dommages & intérêts, parce que le dessolement des terres peut dans la suite en diminuer le prix. (A)

Dessoler, v. act. (Maréchall.) c’est arracher la sole à un cheval, ou la corne qui lui couvre le dessous du pié ; opération très-douloureuse que l’on pratique pour le traitement de plusieurs maladies qui surviennent aux piés de cet animal, comme pour clous de rue & autres corps étrangers qui lui entrent dans les piés ; ainsi que pour l’étonnement de sabot, la sole foulée, la bleynie, le javar encorné, la forme, les talons encartelés, les fics ou crapaux, & autres maladies dont on fera mention à leurs articles.

On fera voir au mot enclouüre, combien la méthode de dessoler un cheval pour le clou de rue, est abusive & pernicieuse, par le délabrement que cette opération cause à toutes les parties organiques contenues en cette extrémité ; accident qu’on ne peut éviter, par la complication de maux qu’elle occasionne dans ce genre de maladie.

Un Maréchal, pour bien dessoler, doit savoir l’anatomie de la partie ; il opérera plus sûrement.

Préparation. Avant de dessoler, il faut prendre toutes les précautions possibles pour éviter les accidens qui pourroient non-seulement rendre la maladie rebelle, mais encore incurable, & quelquefois mortelle. Ces inconvéniens ne rempliroient point l’intention de l’opérateur, qui est de rétablir la partie dans son état d’intégrité ; il ne peut y parvenir qu’en observant les regles prescrites par l’art & les lois de l’œconomie animale : ces préceptes sont,

1°. De mettre le cheval à la diete, c’est-à-dire à la paille & au son mouillé, trois ou quatre jours auparavant, ce que l’on pratique jusqu’à parfaite guérison ; & pour rendre l’opération moins laborieuse pour le maréchal & pour le cheval, il faut, après lui avoir bien paré le pié, tenir la sole humectée, en y mettant de deux jours l’un une emmiellure quelques jours avant ; donner au cheval deux lavemens la veille du jour de l’opération : l’on peut de même, après l’opération, donner des lavemens (l’état du cheval en doit décider), & lui préparer la sole.

Cette préparation consiste à lui rendre la sole la plus mince qu’on pourra, avec un instrument qu’on nomme boutoir. Ce même instrument servira aussi à faire une incision tout-autour de l’union de la sole avec le sabot, jusqu’au bord des deux talons, à un demi-pouce du bord, en diminuant cette distance à mesure que l’on approchera des talons. Cette incision doit être assez profonde en sa totalité, pour que le sang commence à se manifester. Après avoir allongé le bout des éponges du fer d’un bon pouce, en les rendant minces & un peu pointues, on attache le fer avec tous ses clous, sans les rogner, & on met une emmiellure dans le pié.

Opération. 2°. Au moment de l’opération, on met le cheval dans le travail, pour l’assujettir le plus qu’on peut, tant pour sa conservation que pour la commodité de l’opérateur. On met une plate-longe au pié malade, pour l’attacher à la traverse du travail, si c’est un pié de derriere ; & à la main de fer, si c’est un pié de devant.

On ôte le fer ; on lie le paturon avec un cordon de moyenne grosseur, pour arrêter l’effusion du sang, crainte de troubler l’attention de celui qui opere. L’on commence par détacher la sole du petit pié avec la pointe du bistouri, tout autour de l’incision qu’on a faite la veille, en penchant cet instrument du côté du quartier du sabot, & en frappant sur le dos de la lame avec le manche du brochoir : on se sert ensuite du leve-sole, qui fait ici l’office du levier ; on introduit le bout le plus mince sous la sole du côté de la pince, ce qui fait la résistance. Le bord du sabot sert de point d’appui, & la main de l’opérateur, en appuyant sur l’autre bout de l’instrument, en fait la puissance. Cette manœuvre fait soulever la sole, ce qui donne la facilité à un garçon maréchal de la prendre avec des pinces qu’on nomme tricoises : il la tire fortement à lui en la soûlevant, & l’arrache. L’opérateur conduit son opération à sa perfection avec un bistouri appellé feuille de sauge, en détachant les lames de la corne qui sont adhérantes au sabot, & en extirpant les corps viciés qui se trouvent dans la substance du petit pié.

Ensuite on attache le fer avec tous ses clous, sans les rogner, & on lâche le pié à terre ; on le délie de la petite ligature, pour le laisser saigner un volume de sang à-peu-près égal à une saignée du cou.

Pansement. 3°. On reprend le pié pour l’assujettir de nouveau au travail ; on lie le paturon avec la petite ligature, pour la même raison que nous avons dite ci-dessus : on bassine la plaie avec un plumasseau de filasse trempé dans de l’eau-de-vie ou de l’eau vulnéraire. L’appareil doit être tout prêt ; il consiste en une quantité suffisante de bourdonnets & plumasseaux de filasse de différente longueur & grosseur.

On choisit deux des bourdonnets mollement roulés de la longueur à-peu-près du fer, & d’une grosseur à pouvoir entrer sous les branches ; on les introduit dessous avec une spatule, après les avoir trempés dans de la térébenthine fine un peu tiede. On prend un troisieme bourdonnet d’une longueur & d’une grosseur à pouvoir remplir le vuide qui se trouve entre les deux autres ; on en prend un quatrieme de la longueur de deux pouces, & assez gros pour remplir la fente de la fourchette, & pour en conserver la figure naturelle ; on le trempe, comme les trois autres, dans le même liniment : & on les place tous de façon qu’ils compriment également toute la plaie, afin que la régénération de la corne se fasse avec une juste proportion, conforme à celle de la nature.

On a trois éclisses de bois, deux desquelles jointes ensemble, font la longueur, la largeur & la rondeur de l’intérieur du pié ; on les met l’une après l’autre sous le fer, pour comprimer l’appareil. La troisieme éclisse, égale en longueur à la largeur du fer, & épaisse d’un bon pouce, doit être posée transversalement sous les éponges, pour arrêter les deux autres.

On rogne ensuite les clous, & on les rive en les frappant légerement, pour donner moins d’ébranlement à la partie affligée. On prend après un cinquieme bourdonnet de la longueur de l’éclisse qui sert de traverse, qu’on trempe dans la même térébenthine, & qu’on met transversalement aux talons sous les bouts des éclisses. On applique enfin aux deux talons, aux parties latérales du sabot, de l’onguent de pié étendu sur de la filasse : la grosseur d’un œuf suffit pour le tout. On entoure le pié d’une bande de toile de la largeur de quatre pouces, que l’on lie & que l’on arrête avec du ruban de fil.

Quatre heures après l’opération on fait une saignée au cou du cheval, & on la répete le lendemain matin.

Au bout de six jours en été, & de sept en hyver, si la maladie est simple, & plûtôt, si le cas l’exige, on leve l’appareil, en ôtant la bande, les éclisses & les bourdonnets, que l’on fait resservir en les trempant dans la térébenthine, & en observant les mêmes précautions & la même méthode. On continue ce pansement tous les six ou sept jours pendant trois semaines ou un mois, tems à-peu-près nécessaire pour la guérison, si la maladie est simple ; si elle ne l’est pas, on ne sauroit en fixer le terme. Dans tous les cas, il faut attendre que le pié du cheval soit parfaitement raffermi avant de le faire travailler.

Quelques critiques trouveront peut-être qu’on peut dessoler un cheval sans tant de préparations, comme les emmiellures & les lavemens qui précedent & suivent l’opération ; mais les gens sensés & experts jugeront de la conséquence de ces précautions dans une opération aussi douloureuse. Cet article est de M. Genson.