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L’Encyclopédie/1re édition/DIDACTIQUE

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DIDACTIQUE, adj. terme d’école, qui signifie la maniere de parler ou d’écrire, dont on fait usage pour enseigner ou pour expliquer la nature des choses. Ce mot est formé du grec διδάσκω, j’enseigne, j’instruis.

Il y a un grand nombre d’expressions uniquement consacrées au genre didactique. Les anciens & les modernes nous ont donné beaucoup d’ouvrages didactiques, non seulement en prose, mais encore en vers.

Du nombre de ces derniers sont le poëme de Lucrece de rerum natura ; les géorgiques de Virgile ; l’art poétique d’Horace imité par Boileau ; l’essai sur la critique, & l’essai sur l’homme de Pope, &c. On peut ranger dans cette classe les poëmes moraux, comme les discours de M. de Voltaire qui sont si philosophiques, les satyres de Boileau qui souvent le sont si peu, &c. M. Racine de l’académie des belles Lettres, fils du grand Racine, dans des réflexions sur la poésie données au public depuis la mort de son pere, examine cette question : si les ouvrages didactiques en vers méritent le nom de poëme que plusieurs auteurs leur contestent ; il décide pour l’affirmative, & soûtient son sentiment par des raisons dont nous donnerons le précis. Les poëtes ne sont vraiment estimables qu’autant qu’ils sont utiles, & l’on ne peut pas contester cette derniere qualité aux poëtes didactiques. Parmi les anciens, Hesiode, Lucrece, Virgile, ont été regardés comme poëtes, & le dernier sur-tout, pour ses georgiques, indépendamment de son Énéide & de ses églogues. On n’a pas refusé le même titre au P. Rapin, pour son poëme sur les jardins, ni à M. Despreaux pour son art poétique. Mais, dit-on, les plus excellens ouvrages en ce genre ne peuvent passer pour de vrais poëmes, ou parce que le style en est trop uniforme, ou parce qu’ils sont dénués de fictions qui font l’essence de la poésie. A cela M. Racine répond, 1°. que l’uniformité peut être ou dans les choses ou dans le style ; que la premiere peut se rencontrer dans les poëmes dont les sujets sont trop bornés, mais non dans ceux qui présentent successivement des objets variés, tels que les georgiques & la poétique de Despreaux, dans lesquels l’uniformité de style n’est pas moins évitée, comme cela est en effet : 2°. qu’il faut distinguer deux sortes de fictions, les unes de récit & les autres de style. Par fictions de récit, il entend les merveilles opérées par des personnages qui n’ont de réalité que dans l’imagination des poëtes ; & par fictions de style, ces images & ces figures hardies, par lesquelles le poëte anime tout ce qu’il décrit. Que le poëme didactique & même toute autre poësie, peut subsister sans les fictions de la premiere espece, que Virgile, s’il les y avoit cru nécessaires, pouvoit dans ses géorgiques introduire Cerès, les Faunes, Bacchus, les Dryades ; que Boileau pouvoit de même faire parler les Muses & Apollon, & que l’un ni l’autre n’ayant usé de la liberté qu’ils avoient à cet égard, c’est une preuve que le poëme didactique n’a pas besoin de ce premier genre de fiction pour être caractérisé poëme. Que quant aux fictions de style elles lui sont essentielles, & que les deux grands auteurs sur lesquels il s’appuie, en ont répandu une infinité dans leurs ouvrages. D’où il conclud que les poëmes didactiques n’en méritent pas moins le nom de poëme, & leurs auteurs celui de poëtes. (G)

Il y a une façon plus naturelle de décider cette question : c’est de nier absolument que la fiction soit essentielle à la poésie. La poésie est l’art de peindre à l’esprit. Ou la poésie peint les objets sensibles, ou elle peint l’ame elle-même, ou elle peint les idées abstraites qu’elle revêt de forme & de couleur. Ce dernier cas est le seul où la poésie soit obligée de feindre ; dans les deux autres, elle ne fait qu’imiter. Ce principe incontestable une fois établi, tout discours en vers qui peint mérite le nom de poëme, & le poëme didactique n’est qu’un tissu de tableaux d’après nature, lorsqu’il remplit sa destination. La froideur est le vice radical de ce genre ; il n’est surtout rien de plus insoutenable qu’un sujet sublime en lui-même didactiquement traité par un versificateur foible & lâche qui glace tout ce qu’il touche, qui met de l’esprit où il faut du génie, & qui raisonne au lieu de sentir. Add. de M. Marmontel.

Les Anglois ont plusieurs poëmes didactiques en leur langue, mais ils ne leur ont jamais donné que le titre modeste d’essai ; tels sont l’essai sur la critique & l’essai sur l’homme, par M. Pope, l’essai sur la maniere de traduire en vers par le comte de Roscommon, & l’essai sur la poésie, par le comte de Bukingham. (G)