L’Encyclopédie/1re édition/DIGESTIF
DIGESTIF, adj. terme de Chirurgie concernant la matiere medicale externe. C’est une espece d’onguent ou de liniment qu’on applique sur les plaies, pour en mûrir la matiere & la disposer à une suppuration loüable.
Lorsque le pus qui étoit renfermé dans l’abcès est évacué (voyez Abcés), on doit penser à procurer l’écoulement de celui qui reste infiltré dans les chairs qui avoisinent la cavité de l’abcès, & qui ont été comprises dans l’étendue de l’inflammation qui a précédé. Voyez Phlegmon. Le pus qui étoit amassé dans cette cavité étoit avant l’évacuation un suppuratif qui facilitoit beaucoup le dégorgement de ces chairs dans cette même cavité : en agissant contre leur surface, il entretenoit, par le relâchement qu’il y procuroit, toutes les issues dilatées, & en formoit continuellement de nouvelles par la destruction qu’il causoit dans le tissu de ces mêmes chairs ; l’humeur purulente qui trouvoit moins de résistance à couler vers le foyer de l’abcès où ce tissu étoit relâché, & où toutes les voies lui étoient ouvertes, venoit de toutes parts s’y rassembler.
Il est donc nécessaire de suppléer à cet amas de pus après l’évacuation de l’abcès, par des remedes qui continuent à attendrir & à relâcher les chairs qui doivent achever de se dégorger dans la cavité de l’abcès : sans cette précaution, la surface de ces chairs exposées à l’air se dessécheroit, le pus s’épaissiroit, & causeroit dans ces mêmes chairs un endurcissement qui rendroit la cure difficile. Ainsi la premiere indication que nous avons à remplir pour procurer la suppuration des chairs abscedées, demande que nous les entretenions dans les dispositions qui facilitent cette suppuration, par l’usage des suppuratifs émolliens ou maturatifs introduits dans la cavité de l’abcès, & appliqués extérieurement, surtout si les chairs engorgées sont fermes ou endurcies : il faut au moins dans ce dernier cas continuer d’appliquer ces remedes sur la partie malade, comme on faisoit avant que l’abcès fût ouvert.
Tant que l’abcès n’a pas eu d’issue extérieure, la dépravation des sucs purulens n’a pû faire un progrès si rapide que lorsqu’il est ouvert, & que l’air peut pénétrer dans sa cavité : c’est pourquoi on doit être fort attentif dans ce dernier cas à s’opposer à cette dépravation, qui peut quelquefois rendre en fort peu de tems les matieres purulentes très-nuisibles. Dans cette vûe on ajoûte aux suppuratifs maturatifs qu’on introduit dans la cavité de l’abcès, quelques substances antiputrides & balsamiques, & c’est ce mêlange qui constitue le remede digestif. Il n’est donc point un remede pourrissant, puisqu’il est composé au contraire de remedes balsamiques qui s’opposent à la pourriture ; mais le mêlange de ceux-ci avec les remedes onctueux & relâchans, doit être combiné suivant l’état de la plaie. C’est principalement le relâchement qu’on doit avoir en vûe dans l’usage des digestifs, lorsque les plaies sont susceptibles d’inflammation, qu’elles sont fort douloureuses & susceptibles d’irritation ou d’étranglement. Mais si la plaie est accompagnée de contusion ou d’une disposition à la mortification qui rendent l’action organique des chairs trop languissante, on anime les digestifs par des remedes actifs & spiritueux ; ce qui fait reconnoître en Chirurgie trois sortes de digestifs, les digestifs relâchans, les digestifs balsamiques, & les digestifs animés.
On ne doit pas sans quelque raison particuliere continuer long-tems les digestifs, & sur-tout les relâchans, parce qu’ils affoiblissent trop l’action organique des chairs ; elles deviendroient molles, pâles, & fongueuses. Lorsque le dégorgement est fait, on doit penser à mondifier & à déterger la plaie. Voyez Détersifs.
Le chirurgien intelligent sait varier la formule des onguens digestifs suivant la nature & l’état de la plaie, & du pus qui en sort. Dans quelques cas il faut augmenter, comme nous l’avons dit, l’action des vaisseaux voisins de ceux qui sont embarrassés & rompus ; dans d’autres il faut calmer le jeu des solides : il faut quelquefois délayer des humeurs grossieres & visqueuses dont la tenacité s’oppose au dégorgement des vaisseaux ; quelquefois au contraire il faut donner de la consistance à une sanie trop limpide, & envelopper, pour ainsi dire, par des incrassans ses particules acrimonieuses. Ces différens états déterminés souvent par des causes fort éloignées, demandent toute l’attention d’un savant chirurgien, pour combiner suivant l’indication les remedes qui doivent composer le digestif qu’il est plus convenable d’employer. (Y)