L’Encyclopédie/1re édition/DILEMME

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DILEMME, s. m. (Logique.) Le dilemme est un argument composé de deux ou de plusieurs propositions, arrangées de façon, qu’en accordant telle de ces propositions que vous voudrez, la conclusion sera toûjours contre vous.

Un dilemme est un argument composé de deux parties, ou faces contraires, l’une & l’autre desquelles portent contre l’adversaire. C’est pour cette raison qu’on l’appelle argument cornu ; ces deux parties étant disposées de façon, que si on élude l’une, on ne peut éviter l’autre.

On l’appelle aussi crocodilus, parce que de même que le crocodile conduit dans le Nil tous ceux qu’il suit, & court après ceux qui s’enfuyent pour les dévorer ; de même, quelque parti que prenne un adversaire, soit qu’il accorde ou qu’il nie, cette espece de sylogisme tourne toûjours à son desavantage.

Cicéron, pour prouver qu’il faut supporter toutes les peines avec patience se sert de ce dilemme : Omnis dolor aut est vehemens aut levis ; si levis, facilè feretur ; si vehemens, certè brevis futurus est. Le même auteur prouve par un autre dilemme qu’il ne faut point envoyer des députés à Antoine : legatos decernitis ; si ut deprecentur, contemnet ; si ut imperetis, non audiet.

Il ne faut point passer sous silence ce beau dilemme dont se sert Tertullien pour détromper les payens, & pour faire des reproches à Trajan, qui avoit défendu de faire la recherche des chrétiens, & avoit cependant ordonné qu’on les punît lorsqu’on les auroit arrêtés. O sententiam necessitate confusam ! negat inquirendos, ut innocentes ; & mandat puniendos, ut nocentes : parcit & sævit, dissimulat & animadvertit. Quid temetipsum censurâ circumvenis ! si damnas, cur non & inquiris ? si non inquiris, cur non & absolvis ?

Pour qu’un dilemme soit exact, deux choses sont nécessaires : 1°. une parfaite énumération des parties. Ainsi ce fameux dilemme par lequel Aristippe vouloit dissuader du mariage, n’est pas exact, parce qu’il y a un défaut dans l’énumération, y ayant un milieu entre la beauté & la laideur. Si vous vous mariez, votre femme sera belle ou laide ; si vous la prenez belle, elle vous causera de la jalousie : si vous la prenez laide, elle vous donnera du dégoût. 2°. Que le dilemme ne soit que contre l’adversaire seul, & que celui qui le fait ne soit point exposé à le voir retorquer contre lui. Tel est ce fameux dilemme, par lequel un ancien philosophe prouvoit qu’on ne devoit point se mêler des affaires de la république. Si en vous chargeant du gouvernement de l’état, vous vous en acquitez bien, vous offenserez les hommes : si vous vous en acquittez mal, vous offenserez Dieu : donc vous ne devez pas vous charger du gouvernement de l’état. L’argument rétorqué est : Si vous vous en acquittez bien, vous plairez à Dieu : si vous vous en acquittez mal, vous plairez aux hommes : donc, &c.