L’Encyclopédie/1re édition/DIXME

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DIXME, s. f. (Jurisprud.) est une certaine portion des fruits de la terre & autres qui est dûe par le possesseur de l’héritage au décimateur, c’est-à-dire à celui qui a droit de dixme.

On l’appelle dixme du latin decima, parce qu’elle est communément de la dixieme partie des fruits ; elle est cependant plus forte ou moindre dans certains lieux, ce qui dépend des titres & de la possession ou de l’usage du lieu.

La premiere division des dixmes est qu’elles sont ecclésiastiques ou laïques, qu’on appelle communément inféodées.

Quelques-uns font remonter l’origine des dixmes ecclésiastiques jusqu’au tems de l’ancienne loi, & prétendent en conséquence qu’elles sont de droit divin ; d’autres soûtiennent au contraire que les dixmes qui se payent présentement à l’église sont seulement de droit positif.

Ceux qui prétendent que les dixmes sont de droit divin, se fondent d’abord sur ce que dans la Genese, chap. xjv, il est dit qu’Abraham, après avoir défait plusieurs rois, donna à Melchisedech roi de Salem, & prêtre du Très-haut, la dixme de tout le butin qu’il avoit remporté sur ses ennemis, dedit ei decimam ex omnibus : mais on ne voit rien en cet endroit qui dénote que cette offrande fût d’obligation, & cela a peu de rapport avec la dixme qui se paye annuellement des fruits de la terre & autres revenus.

On trouve encore dans la Genese, ch. xxviij, que Jacob, après le songe qu’il eut, dans lequel il vit cette échelle merveilleuse qui montoit au ciel, fit un vœu, disant que si Dieu le conservoit dans son voyage, qu’il lui donnât du pain pour sa nourriture, & des vêtemens pour se couvrir, & qu’il revînt à bon port dans la maison de son pere, il offriroit à Dieu le dixieme de tout ce qu’il lui auroit donné ; ce n’étoit comme l’on voit qu’un vœu conditionnel, & une offrande, decimas offeram tibi.

Il est vrai que dans l’Exode, ch. xxij. où Dieu instruit Moyse des lois qu’il devoit donner à son peuple, il est dit decimas tuas & primitias non tardabis reddere ; ce qui paroît un précepte, mais qui mettant dans la même classe les prémices & les dixmes, semble ne regarder les unes & les autres que comme des offrandes dûes à Dieu même, plûtôt qu’une rétribution dûe à ses ministres.

Il est encore dit au chap. xxviij. du Lévitique, que les dixmes de tous les fruits de la terre & des fruits des arbres appartiennent au Seigneur, & lui sont consacrés ; que si quelqu’un veut racheter ses dixmes, il en ajoûtera la cinquieme partie ; que le dixieme qui naîtra de tous les bœufs, moutons & chevaux, sera offert au Seigneur ; que l’on ne choisira ni le bon, ni le mauvais, & que le dixieme né, ne sera point changé contre un autre ; que si quelqu’un fait de ces changemens, il sera tenu de donner en offrande au Seigneur & l’animal dixieme né, & celui qu’il a voulu donner à la place, & qu’il ne pourra le racheter.

Il est aussi écrit aux Nombres, chap. xviij. que Dieu avoit donné à Aaron & aux Lévites les dixmes, oblations & prémices jure perpetuo pour leur subsistance, à cause qu’ils ne devoient posséder rien autre chose, & que la tribu de Lévi qui étoit consacrée à Dieu, n’auroit aucune portion dans le partage que l’on feroit des terres, & que les Lévites offriroient à Dieu les prémices de la dixme, c’est-à-dire la dixieme partie de la dixme.

On voit encore au chap. xxx. du même livre, qu’après la défaite des Madianites par les Hébreux, Moyse en distribuant à toutes les familles les dépouilles des ennemis, en fit donner une partie à Eléazar grand-prêtre, comme d’un fruit qu’ils avoient recueilli dans le champ de bataille.

Les payens même étoient dans l’usage de payer la dixme à leurs sacrificateurs. Hérodote rapporte de Craesus que ce prince disoit à Cyrus : siste ad singulas portas aliquos ex tuis satellitibus custodes qui vetent exportari opes, ut earum decimæ Jovi necessario reddantur.

Les Juifs payoient aussi la dixme à leurs prêtres. Il est dit en S. Matthieu, ch. xxiij. n. 23. & en saint Luc, chap. xj n. 42. que les Pharisiens donnoient la dixme de la menthe, de l’aneth, de la rue, & autres herbes, tandis qu’ils négligeoient les œuvres de justice & de charité ; qu’il falloit faire l’un sans omettre l’autre : quoique l’Ecriture, en parlant de cette dixme, se serve de ces termes, hæc oportuit facere, il paroît néanmoins que c’étoit une œuvre de surérogation, & que le sens de l’Ecriture est que ces sortes d’œuvres, quoique bonnes en elles-mêmes, ne dispensent pas des devoirs essentiels.

D’ailleurs l’écriture ne dit pas oportet facere, mais oportuit, ce qui paroît se rapporter à l’ancienne loi ; & en effet on ne trouve dans tout le nouveau Testament aucun texte qui ordonne de payer la dixme, ni qui en fasse mention autrement qu’on l’a dit.

Saint Paul parlant de la nourriture dûe au ministre de l’autel n’a point parlé de la dixme, & il n’en est rien dit non plus dans les actes des apôtres.

Il n’en est pas non plus fait mention dans les canons des apôtres, quoique le troisieme & le quatrieme spécifient ce qui doit être offert à l’autel, & que le cinquieme parle des prémices.

S. Clément, dans ses épitres, où il parle de bonis & redditibus ecclesiarum & earum dispensatoribus, ne dit rien des dixmes.

Il est constant que les dixmes n’étoient point connues dans les premiers siecles de l’Eglise. Jusqu’à la dispersion des apôtres & des disciples, les fideles mettoient tous leurs biens en commun ; lorsque cette communauté de biens eut cessé, les fideles faisoient des oblations volontaires, dont le clergé tiroit encore toute sa subsistance au troisieme siecle, comme on le voit dans S. Cyprien : la charité des fideles s’étant refroidie, les peres de l’Eglise exhorterent les fideles de donner la dixme suivant ce qui se pratiquoit dans l’ancien Testament ; mais cela n’étoit proposé que pour exemple, & non comme un précepte, & cet exemple fut d’abord suivi de peu de personnes.

C’est ce que dit S Augustin qui siégeoit dans l’église d’Hyppone jusqu’en 430 : il parle de la dixme comme d’une aumône volontaire, & ne dit que le commandement de les payer ne regardoit que les Juifs, parce que la tribu de Lévi n’avoit point été admise au partage de la terre de promission qui fut fait après la mort de Moyse ; que les ecclésiastiques ne vivoient que des aumônes & des offrandes des fideles ; qu’elles étoient si peu abondantes à son égard, qu’il n’avoit sçu trouver le moyen de payer un maître qui lui avoit enseigné la langue hébraïque.

Il est vrai que Gratien, canon 66, rapporte un texte qu’il suppose avoir tiré du sermon 219 de saint Augustin, & dans le canon 68, une prétendue épitre de S. Jerôme qui parlent des dixmes, comme étant déja de précepte ; mais les critiques éclairés ont rejetté ces pieces comme supposées.

Il y a apparence que les pasteurs chargés de l’administration des sacremens, se trouvant la plûpart peu avantagés des biens qui avoient été donnés à l’Eglise, demanderent la dixme pour leur subsistance, & que le payement de la dixme étant passé en coûtume, on en fit insensiblement une loi ; mais il est difficile de marquer le tems où la dixme est devenue précepte.

Il n’est point fait mention des dixmes dans les lois romaines, mais seulement d’oblations qui étoient volontaires, puisqu’il y étoit défendu d’user de contrainte ni d’excommunication. L. 39. cod. de episc. & cler.

Les dixmes ne sont encore qu’une aumône volontaire dans toute l’église greque.

Les conciles des cinq premiers siecles ne font point mention des dixmes.

Une lettre circulaire écrite par les évêques après le second concile de Tours en 567, paroît ordonner le payement de la dixme, mais comme d’une aumône.

Le second concile de Mâcon tenu en 585, suppose le précepte de la dixme plus ancien, & y ajoûte la peine de l’excommunication.

Charlemagne qui fit plusieurs constitutions en faveur de l’Eglise, ordonna que chacun payeroit la dixme, & qu’elle seroit distribuée par ordre de l’évêque.

Les conciles de Mayence, d’Arles, de Châlons & de Reims, tenus en 813, sont les premiers qui fassent mention des dixmes ecclésiastiques ; celui de Mayence, au chap. xiij. ne se sert que de ces termes : admonemus vel præcipimus, decima de omnibus dari non negligatur.

Le concile de Châlons fut plus rigoureux, ayant ordonné que ceux qui post crebras admonitiones & precationes sacerdoti dare neglexerint, excommunicentur.

Celui de Reims veut que decimæ pleniter dentur.

Enfin au concile de Latran, tenu sous Alexandre III. en 1179, elles sont devenues de précepte, & furent déclarées préférables aux tributs dûs par le peuple.

Ce même concile confirma les laïcs dans la possession des dixmes qui leur avoient été inféodées précédemment.

Il paroît donc que les dixmes ecclésiastiques, quoique réputées spirituelles & consacrées à Dieu pour la subsistance de ses ministres, ne sont point de précepte divin, mais seulement de droit positif ; qu’elles ont été établies par la piété des fideles qui ne se sont pas crûs moins obligés de pourvoir à la subsistance de leurs prêtres, que les peuples de l’ancienne loi l’étoient envers la tribu de Lévi ; que ces dixmes n’étoient d’abord que des offrandes & aumônes volontaires ; mais que le zele & le consentement unanime des fideles, en ayant rendu cet usage général, on en fit peu-à-peu une loi, que l’on obligea tous les chrétiens d’observer par la crainte de l’excommunication.

Ce qui confirme bien que les dixmes ne sont pas de droit divin, c’est :

1°. Que si elles eussent été telles, elles auroient été payées aux prêtres chrétiens dès la naissance de l’Église, aucun laïc ne s’en seroit pû dispenser sans crime ; au lieu qu’il ne paroît point que durant les huit premiers siecles de l’Église, où la piété des fideles étoit dans sa plus grande ferveur, les prêtres ni les autres ministres des autels les ayent jamais prétendues ; ils ne vivoient que des offrandes qui se faisoient volontairement sur les autels : aussi saint Hilaire qui étoit évêque de Poitiers en 369, dit-il que le joug des dixmes avoit été ôté par J. C.

2°. Si les dixmes étoient de droit divin, elles auroient été payées aux ecclésiastiques dans tout le monde chrétien, ce qui n’a point eu lieu, puisque les prêtres de l’église greque, & même ceux de toute l’église orientale, soit durant les huit premiers siecles de l’Église, ou depuis, n’ont jamais prétendu que les laïcs fussent obligés en conscience de leur payer aucune dixme, & ont toûjours pensé que les offrandes sont volontaires, suivant ce que dit saint Jean Chrysostome : ubi decima est, ibi etiam eleemosina.

3°. Si la dixme étoit de droit divin, elle seroit dûe par-tout sur le pié de la dixieme partie des fruits, comme on la payoit aux lévites ; au lieu que la quantité n’en est pas par-tout uniforme, étant en un lieu du onzieme, en d’autres du douzieme, vingtieme, trentieme des fruits. S. Thomas, secunda secundæ, quæst. lxxxvij. art. 1 & 2. tient même que les dixmes ne sont point dûes de nécessité expresse, & que par la coûtume le droit de les payer peut être prescrit ; mais dans notre usage on tient que les dixmes ordinaires sont imprescriptibles, quant au droit, de la part des laïcs ; qu’ils peuvent seulement en prescrire la quotité & la forme de la prestation, mais une église en peut prescrire le fonds contre une autre église.

4°. Les papes eux-mêmes ont donné des dixmes à des laïcs. Urbain donna aux rois d’Espagne celles de toutes les provinces dont ils avoient chassé les Maures. Salgado de Salmoza, tract. de supp. ad sum. pontif. II. part. cap. xxv. n. 41.

5°. Le saint siége a exempté du payement des dixmes des ordres entiers, tels que l’ordre de Malthe, celui de Cîteaux, les Chartreux & les Celestins, du moins pour les terres qu’ils façonnoient & cultivoient par leurs mains.

6°. Les papes ont aussi attribué les novales en tout ou partie à certains ordres, à l’exclusion des curés.

Enfin les accords & compositions faites entre les ecclésiastiques sur le fait des dixmes contestées entre eux, ont toûjours été approuvés & autorisés par le droit canonique.

Ces différens usages observés par rapport aux dixmes, font voir qu’elles sont de droit positif.

Au reste personne ne révoque en doute que les dixmes en général sont ecclésiastiques de leur nature, & qu’elles appartiennent de droit commun aux curés, chacun dans leur territoire, sans qu’ils ayent besoin pour cet effet d’autre titre que de leur clocher, c’est-à-dire de leur qualité de curé. C’est ce que l’on infere du capitulaire de Charlemagne, de l’an 802 ; & d’une décision du pape Léon, de l’an 850.

Elles peuvent néanmoins appartenir en tout ou partie à d’autres ecclésiastiques, tels que des évêques, abbés & prieurs ; & à des chapitres séculiers ou réguliers, lorsqu’ils sont fondés en titre ou possession suffisante.

Autrefois même les évêques avoient de droit un quart dans les dixmes, quand ils n’étoient pas en état de s’en passer, suivant le sixieme concile de Paris, de l’an 829 ; mais il s’est trouvé peu d’évêques qui se soient attribués les dixmes, & pour en joüir ils ont besoin d’un titre spécial, ou d’une possession de quarante ans.

Un seigneur laïc peut encore posséder toutes les dixmes à titre d’inféodation. Voyez ci-après Dixmes inféodées.

La plûpart des concessions de dixmes faites aux monasteres, sont des x. & xj. siecles. Les évêques, en fondant des monasteres, ce qui étoit la grande dévotion de ces tems-là, leur donnoient pour dotation les dixmes de leurs églises. L’ignorance profonde qui regnoit alors, & les desordres des prêtres séculiers, ayant obligé d’employer les moines à l’administration des cures, ils s’approprierent les dixmes, tellement que quand les conciles ont ordonné aux religieux de se retirer dans leurs cloîtres, ils ont encore retenu le titre de curés primitifs & les dixmes.

Beaucoup de laïcs qui étoient en possession des dixmes, les remirent aussi pour la décharge de leur conscience, pro remedio animæ suæ, à des chapitres ou à des monasteres ; elles sont comprises dans ces concessions sous le titre d’altare & decimas, & quelquefois simplement altare, qui comprend le patronage, les dixmes, & autres droits utiles & honorifiques.

C’est au moyen de ces différentes concessions que les chapitres, monasteres, abbés, prieurs & autres bénéficiers, sont gros décimateurs de la plus grande partie du royaume.

Il y a eu des dixmes établies par l’Église même, lors de la concession qu’elle faisoit de certaines terres à des particuliers ; elle se reservoit nonas & decimas : nonas, c’étoit la rétribution dûe pour la connoissance. A l’égard de la dixme, elle étoit retenue pour se conformer à l’usage général. Il est parlé de ces nones & dixmes dans des capitulaires des années 756, 779, 802, 803, 819 & 823.

Suivant le droit canonique, la dixme ecclésiastique est dûe de toutes sortes de fruits, soit de la terre ou des animaux, & de tous autres profits & revenus ; mais parmi nous on ne suit pas à cet égard entierement le droit canon, on se conforme à l’usage, aux titres & à la possession.

Il n’est pas nécessaire en matiere de dixme, que l’usage sur lequel on se fonde soit un usage universel dans tout le royaume ; il y en a même fort peu de cette espece : on suit l’usage de chaque province, & même de chaque paroisse ; ce qui est conforme à l’ordonnance de Blois & à l’édit de Melun, qui veulent que l’on se regle par la coûtume des lieux, & la quote accoûtumée en iceux.

La dixme est dûe par toutes sortes de personnes catholiques ou hérétiques, Juifs & autres : les nobles & les roturiers, les chapitres, monasteres, bénéficiers & autres ecclésiastiques, les hôpitaux, la doivent de même que les autres personnes.

Le preneur à rente est tenu d’acquitter les dixmes à la décharge du bailleur ; & le fermier, lorsqu’il y en a un, est tenu de les payer à la décharge de tous propriétaires & usufruitiers, sans aucune répétition.

Les décimateurs ecclésiastiques sont exempts de dixmes sur les terres situées dans leur dixmerie, par la regle nemini res sua servit.

Les terres de l’ancien domaine des curés sont exemptes de la dixme envers les décimateurs, quoique ce soit autre que le curé ; mais les terres acquises depuis la fondation, à quelque titre que ce soit, doivent la dixme.

La plûpart des ordres religieux ont obtenu des papes des bulles qui les exemptent des dixmes ; mais ces bulles n’ont aucun effet en France, à moins qu’elles ne soient revêtues de lettres patentes dûement enregistrées.

Les religieux de l’ordre de Cîteaux joüissent de cette exemption sur les terres qu’ils sont valoir par leurs mains, ou qu’ils ont affermées par bail qui n’excede pas neuf ans : il faut aussi que ces terres ayent été acquises avant le concile de Latran, de 1216, ou par la premiere fondation du monastere qui réclame l’exemption.

L’ordre des Chartreux, de Cluny & celui de Prémontré, joüissent de la même exemption.

Elle a lieu aussi en faveur des commandeurs de l’ordre de Malthe, soit qu’ils fassent valoir leurs terres, soit qu’ils les afferment : autre chose seroit si les terres étoient données à cens.

Lorsque des religieux exempts de dixme alienent de leurs héritages, l’acquéreur ne joüit point de l’exemption, à moins que les religieux qui ont vendu ne fussent en même tems gros décimateurs du chef de leur ordre, ou du moins du cher d’un religieux de leur ordre, curé du lieu.

Les parcs, clos & jardins fermés d’ancienneté, qui ne sont que pour l’agrément, ou qui ne rapportent que des légumes ou de l’herbe pour l’usage du propriétaire, ne doivent point la dixme ; cependant en 1266 le roi saint Louis souffrit qu’on le condamnât à payer à son curé la dixme des fruits de son jardin, ce qui n’auroit pas lieu présentement : mais si on défrichoit nouvellement & ensemençoit quelques terres, en ce cas la dixme en seroit dûe, comme novale. Suivant le fameux arrêt d’Orly, les clos anciens doivent la dixme, quoiqu’elle n’y eût point encore été perçue.

On conçoit aisément par ce qui vient d’être dit, que la dixme des nouveaux clos est dûe lorsque les terres encloses sont ensemencées en fruits décimables.

Les bois de haute futaie ne sont point sujets à la dixme : il en est de même des taillis, à moins qu’il n’y eût un usage contraire dans la paroisse où ils sont.

Les bas prés ne sont pas non plus communément sujets à la dixme.

Si l’on mettoit en pré ou en bois une grande quantité de terres qui auparavant étoient décimables, le décimateur pourroit demander la dixme sur les nouveaux fruits substitués aux anciens ; mais il faut pour cela que la quantité des terres dénaturées soit considérable, & que le curé eût peine autrement à trouver sa subsistance, ce qui dépend des circonstances & de l’arbitrage du juge. Suivant la derniere jurisprudence, la dixme est dûe de tout ce qui excede le tiers dans la conversion.

Le décimateur ne peut obliger les propriétaires ou possesseurs de cultiver leurs fonds, ou de lui payer la dixme qu’il en recueilleroit s’ils étoient cultivés : il ne peut pas non plus se mettre en possession des terres incultes pour les faire valoir, sous prétexte de s’indemniser de la perte de sa dixme. Il n’est pas à présumer que les possesseurs des fonds les laissent incultes pour faire préjudice au décimateur, ils y perdroient plus que lui ; & s’il se trouvoit une grande quantité de terre que l’on laissât venir en herbages, tout ce que le curé pourroit faire, seroit d’y demander la dixme par subrogation, suivant ce qui a été dit ci-devant.

Lorsque le décimateur a levé pendant quarante années consécutives la dixme de certains fruits, & de telle ou telle maniere, il acquiert par cette possession le droit de continuer à lever cette dixme de la même maniere, quoiqu’il n’ait point d’autre titre que sa possession ; ce qui est conforme à l’ordonnance de Philippe-le-Bel, de 1303.

Pour ce qui est de la prescription de la dixme de la part de ceux qui la doivent, l’ordonnance de Blois, art. 50. semble l’admettre, en disant que les propriétaires & possesseurs ne pourront alléguer prescription ni possession autre que celle de droit.

Mais, suivant la jurisprudence, on tient pour maxime certaine que le droit de dixme, soit ecclésiastique ou inféodée, est imprescriptible en lui-même, & que la prescription n’a lieu que pour la qualité & la quotité de la dixme ; ainsi l’on peut acquérir la possession de ne point payer la dixme de certains fruits, ou de ne la payer qu’à une quotité moindre que celle qui se percevoit anciennement, & qui se perçoit encore dans d’autres dixmeries.

Un particulier ne peut cependant pas prescrire seul la qualité ou la quotité de la dixme ; sa possession ne peut valoir qu’autant qu’elle est conforme à celle de tous les habitans du même canton.

Les décimateurs ecclésiastiques peuvent prescrire les uns contre les autres le fonds même de la dixme, au moyen d’une possession de bonne foi pendant quarante ans avec juste titre, ou même sans titre ; & cette prescription a lieu contre les exempts. de même que contre d’autres personnes, le retour au droit commun étant toûjours favorable.

Si l’on seme dans une paroisse une nouvelle espece de fruits que l’on n’avoit pas coûtume d’y recueillir, en ce cas la dixme en seroit insolite, suivant l’ordonnance de 1302 ; il paroît cependant que l’on doit sur ce point se conformer à ce qui est prescrit pour la quotité de la dixme par l’art. 50. de l’ordonnance de Blois, & l’article 29. de l’édit de Melun, c’est-à-dire qu’au défaut d’usage certain dans la paroisse, on doit suivre celui des paroisses circonvoisines.

On doit avertir les décimateurs avant de commencer la récolte & laisser la dixme des grains dans le champ, si ce n’est dans quelques endroits, où la dixme. des grains se paye à la grange. Celle du vin se paye communément au pressoir ou dans les caves.

C’est un principe certain que la dixme n’arrérage point, c’est-à-dire que le décimateur ne peut demander au possesseur que la derniere année.

Cette regle souffre cependant trois exceptions, savoir, 1o  lorsqu’il y a eu demande en justice renouvellée tous les ans : 2o  lorsque la dixme est abonnée ; mais en ce cas l’opinion la plus générale est que l’on n’en peut demander que cinq années, & non pas vingt-neuf, attendu que l’abonnement ne rend pas cette redevance fonciere : 3o  lorsqu’un décimateur a perçû la dixme au préjudice d’un autre, il peut être condamné à les restituer à proportion du nombre d’années dont il a joüi, même jusqu’à trente-neuf années, pourvu qu’il n’ait pas acquis la prescription.

Il y a trois principales charges qui se prennent sur les grosses dixmes, savoir, 1° les réparations grosses & menues, même les reconstructions des églises paroissiales, ce qui ne s’étend néanmoins qu’au chœur & cancel, la nef étant à la charge des paroissiens, de même que le clocher, quand il est construit sur la nef : 2° la fourniture des ornemens nécessaires, tels que les chasubles, calices, livres d’église, &c. 3° le payement de la portion congrue des curés & des vicaires.

Lorsqu’il y a plusieurs décimateurs, ils contribuent à ces charges chacun à proportion de la part qu’ils ont dans les grosses dixmes.

Les décimateurs ne sont obligés d’employer que le tiers des dixmes aux réparations ; si ce tiers ne suffit pas, on peut se pourvoir subsidiairement sur les dixmes inféodées. Voyez Réparations.

La connoissance des dixmes inféodées appartient aux juges royaux, tant au petitoire qu’au possessoire.

Pour ce qui est des dixmes ecclésiastiques, le petitoire appartient au juge d’église, & le possessoire au juge royal ; mais lorsque celui-ci a jugé le possessoire, le juge d’église ne peut plus prendre connoissance du petitoire, parce le juge royal étant présumé avoir jugé sur le mérite des titres, ce seroit donner au juge d’église le pouvoir de réformer ce qu’auroit fait le juge royal. (A)

Dixme abonnée, est celle pour laquelle on a composé avec le décimateur à une certaine somme d’argent, ou quantité fixe en vin ou grain.

Il y a des abonnemens à tems, soit pour un nombre fixe d’années, soit pour la vie du bénéficier ; & des abonnemens perpétuels. Ils sont tous valables entre ceux qui les ont faits ; mais les abonnemens perpétuels étant considérés comme de véritables aliénations, ne sont valables à l’égard des successeurs aux bénéfices, qu’au cas qu’ils soient revêtus dès formalités nécessaires aux aliénations, & qu’il y ait eu nécessité ou utilité évidente pour l’église. L’abonnement perpétuel de tout un canton peut subsister, quoiqu’on n’en rapporte pas le titre constitutif, lorsqu’il est soûtenu d’une possession immémoriale jointe à des titres énonciatifs, comme transactions, quittances anciennes, &c. (A)

Dixmes anciennes, sont toutes les dixmes qui se perçoivent de tems immémorial, à la différence des novales, qui sont les dixmes des terres défrichées depuis quarante ans. Voyez ci-après Dixmes novales. (A)

Dixme des autains, voyez Dixme des hautins, & Dixme du haut et du bas.

Dixme du bas, voyez Dixme du haut et du bas.

Dixme de carnelage, est la même chose que dixme de charnage. Le terme de carnelage n’est usité que dans quelques provinces de droit écrit. Cette espece de dixme comprend toutes les prestations qui sont dûes au décimateur par rapport au bétail, comme le droit de prendre le dixieme ou onzieme agneau, ou de prendre les langues de tous les bœufs, veaux & moutons qui se tuent dans la boucherie d’un lieu, & autres prestations semblables. Voyez la Rocheflavin, liv. VI. lett. D. tit. xxxviij. arr. 2. Biblioth. can. tome I. p. 468. col. 1. Catelan, liv. I. ch. xv. (A)

Dixme de charnage, est la dixme des animaux, soit du gros & menu bétail, ou de la volaille. On l’appelle aussi dixme sacramentelle, parce qu’elle appartient ordinairement à celui qui administre les sacremens : il n’y a cependant point de loi qui affecte spécialement aux curés ces sortes de dixmes, & ils ne les ont pas par-tout ; cela dépend des titres & de la possession, tant pour la perception en général, que pour la quotité. Les dixmes des animaux & des laines appartiennent au décimateur du lieu où les animaux couchent Voyez ci-dev. Dixme de carnelage. (A)

Dixme des clos, est celle qui se perçoit sur les fruits qui croissent dans les parcs, jardins & autres lieux enclos. (A)

Dixme à discrétion, voyez ci-après Dixme à volonté.

Dixmes domaniales ou patrimoniales, sont celles qui appartiennent en propriété à des laïcs. Voyez Dixme inféodée. (A)

Dixme domestique, est celle qui se perçoit sur toutes les choses qui croissent dans les cours & basse-cours des maisons, par l’industrie des paroissiens, comme poulets, oisons, canards, &c. Ces sortes de dixmes ne sont point mises au nombre des dixmes prédiales dûes aux curés primitifs & gros décimateurs ; elles appartiennent toûjours au curé ou vicaire perpétuel, à l’exclusion des autres décimateurs. Voyez ci-après Dixme domiciliaire, & les définitions canoniques, au mot Dixmes. (A)

Dixme domiciliaire, c’est un nom que l’on donne en quelques pays aux dixmes de charnage, à cause qu’elles se perçoivent en la maison des redevables. Voyez ci-dev. Dixme domestique. (A)

Dixme de droit, est celle qui est dûe de droit commun, à la différence de certaines dixmes singulieres, qui ne sont fondées que sur l’usage & la possession particuliere du décimateur qui la perçoit. (A)

Dixme ecclésiastique, c’est toute dixme qui appartient à quelque décimateur ecclésiastique ; elle est opposée à dixme inféodée, qui appartient à des laïcs. (A)

Dixme extraordinaire, n’est pas celle qui se paye extraordinaire, mais celle qui est singuliere & insolite. Voyez Dixme insolite. (A)

Dixme des gros fruits, ce sont les dixmes des blés froment, seigle, avoine & orge, & autres fruits qui forment le principal produit de la terre, selon la qualité du terroir & l’usage du pays, tels que le blé sarrasin dans les pays où il ne croît pas de froment.

Ces dixmes appartiennent aux gros décimateurs, & sont opposées aux menues & vertes dixmes, qui appartiennent toûjours au curé, quand même il ne seroit pas gros décimateur. (A)

Dixme (grosse) est la même chose que dixme des gros fruits. (A)

Dixme du haut et du bas, c’est celle qui se perçoit tant sur les fruits qui rampent sur terre, que sur ceux qui croissent sur les arbres, comme sur les pommes en Normandie. (A)

Dixme des hautains : on appelle ainsi en Dauphiné la dixme des vignes hautes qui montent sur des arbres ; elle est dûe lorsque ces vignes forment un objet considérable, & sur-tout si elles ont été ainsi plantées dans des jardins en fraude de la dixme. Voyez Basset, tome I. liv. II. tit. vj. chap. j. Grimaudet, des dixmes, liv. III. ch. iij. n. 5 & suiv. Expilly, plaid. xxxiij. n. 3. Forget, des choses décimables, ch. jv. n. 3. in fine. Voy. ci-dev. Dixme du haut et du bas ; & dans le code des curés, le cahier présenté au Roi par le clergé en 1730. article 1. (A)

Dixme de l’industrie ou Dixme personnelle, voyez ci-après Dixme personnelle. (A)

Dixmes inféodées, sont celles qui sont possédées par des laïcs à titre d’inféodation, c’est-à-dire qui sont tenues en fief, soit de l’Eglise, soit du Roi, ou de quelque seigneur particulier. On les appelle aussi dixmes laïques ou dixmes militaires, parce qu’elles ont été données originairement à des officiers militaires, en récompense des services qu’ils avoient rendus à l’Eglise.

Les auteurs s’accordent assez sur un point, qui est que les dixmes inféodées étoient dans l’origine des dixmes ecclésiastiques qui ont été données à des laïcs : mais les sentimens sont fort partagés sur le tems où ces dixmes ont ainsi changé de nature.

Quelques-uns croyent que l’origine des dixmes inféodées vient de ce que les Romains levoient la dixme sur les biens par eux conquis, par forme de tribut ; que nos rois ayant conquis la France sur les Romains, se mirent en possession du tribut de la dixme qu’ils y trouverent établi ; qu’ensuite Charles Martel en inféoda une partie aux seigneurs qui l’avoient assisté aux guerres qu’il avoit eu contre les Infideles, qui faisoient des incursions sur la Chrétienté ; que le surplus des dixmes fut depuis affecté par nos rois aux ecclésiastiques pour leur entretien. Voyez Chenu, cent. 2. quest. 6. Carond. en ses pand. liv. I. ch. xiij. Mathœus, sur la quest. 4. de Guy-Pape.

D’autres, & c’est l’opinion la plus commune, rapportent l’origine des dixmes inféodées à Charles Martel, lequel vers l’an 730 inféoda une partie des dixmes aux seigneurs & officiers qui l’avoient secondé dans les guerres contre les Sarrasins. L’on a même à cette occasion débité beaucoup de fables, entr’autres une prétendue révélation de S. Eucher au sujet de Charles Martel, que ce prince étoit damné pour avoir pris les dixmes, & que l’on n’avoit trouvé qu’un serpent dans son tombeau.

Quelques-uns prétendent que ce fut seulement sous Philippe I. lors de l’entreprise du premier voyage d’outremer, que les dixmes furent données à des laïcs. Telle est l’opinion de Pasquier, en ses recherches de la Fr. liv. III. ch. xxxv.

Si l’on ne peut assûrer que les dixmes inféodées qui subsistent en France tirent leur origine des Romains, il est du moins certain qu’il y avoit dès-lors des dixmes temporelles, puisque S. Jérôme qui vivoit en 420, dit que de son tems les laïcs possédoient les dixmes, comme on voit par le canon quoniam xvj. quæst. 1.

Fulbert évêque de Chartres, qui vivoit en 987, dans son ép. 34. qu’il écrit au clergé de Chartres, marque qu’il blâme & déclare excommunié Liscard archidiacre de Paris, parce qu’il donnoit les dixmes à des laïcs ; decimas & obligationes altarium seculari militiæ tradiderat.

Le même, en son ép. 58. qu’il écrit à l’évêque de Paris, remarque que l’évêque son prédécesseur en l’évêché de Paris, dit que par une témérité sacrilége il avoit donné en fief les dixmes aux laïcs ; altaria laicis in beneficium dederat.

Mais quoique les laïcs possédassent dès-lors des dixmes, on ne les qualifioit point encore de dixmes inféodées. Pasquier dans ses recherches, assûre que ce terme inféodées fut inconnu sous la seconde race de nos rois, & que cent ans après l’avenement de Hugues Capet on ne savoit encore ce que c’étoit.

On prétend qu’elles ne commencerent à être ainsi appellées que depuis le concile de Latran en 1179, qui confirma les laïcs dans la possession de ces dixmes.

M. Louet, lett. D. n. 60. dit qu’avant le pape Innocent III. ce qui est en 1200, on ne se servoit point du terme de dixme inféodée ; & même jusqu’à la philippine de l’an 1203, que le pape ayant accordé à Philippe le Bel que le concile de Latran n’auroit point lieu en France, en ce qu’il ordonnoit que les laïcs ne joüiroient des dixmes que pendant leur vie, & qu’ensuite elles retourneroient à l’Eglise, cela donna lieu aux seigneurs qui possédoient ces dixmes de les appeller inféodées, afin de les faire considérer comme des fiefs, & que dès-lors on commença à les donner par dénombrement.

On peut concilier les différentes opinions au sujet de l’origine des dixmes inféodées, en disant, comme en effet cela paroît présentement reconnu, que ces dixmes n’ont pas eu toutes la même origine.

Il se peut bien faire qu’anciennement, & dans des tems difficiles, nos rois & ceux qui commandoient leurs armées ayent fait contribuer les ecclésiastiques à la défense du royaume, en prenant une partie des dixmes pour récompenser les officiers qui avoient servi l’état ; il se peut même faire qu’une partie des dixmes inféodées vienne de l’usurpation des seigneurs qui étoient alors très-puissans, & abusoient souvent de leur pouvoir pour s’emparer du bien des églises : mais il faut aussi convenir qu’une grande partie des dixmes inféodées a été concédée volontairement à ce titre par les ecclésiastiques à différens seigneurs, pour les engager à prendre leur défense contre d’autres seigneurs qui les opprimoient. Quelques églises en donnerent aussi à vie à certaines personnes pour de moindres services ; & il est arrivé que les héritiers ont retenu ces dixmes. Il y eut aussi des prélats qui en donnerent à perpétuité à leurs officiers & domestiques, & à leurs parens : c’est ainsi que les dixmes ecclésiastiques ont été démembrées par différentes voies.

Les laïcs ont encore pû avant le concile de Latran acquérir des dixmes ecclésiastiques par d’autres moyens légitimes, comme par échange avec d’autres biens & droits qu’ils ont cédés à l’Eglise.

Enfin il y a beaucoup d’apparence que l’on a compris sous le titre de dixmes inféodées ; des droits qui appartenoient naturellement & légitimement à des seigneurs laïcs, tels que des champarts, cens, & autres droits seigneuriaux qui se percevoient en nature de fruits, auxquels on a appliqué le nom de dixmes inféodées ; de même qu’à la dixme ou décime saladine qui fut levée sous Philippe Auguste, ou bien à cause du rapport que cette redevance avoit avec la dixme ecclésiastique, soit pour la forme ou pour la qualité & la quotité, ou enfin pour donner plus de faveur à ce droit, & engager les redevables à le payer plus exactement.

Dans la suite on a confondu les dixmes inféodées proprement dites, avec les champarts & autres droits, qui étoient aussi qualifiés de dixmes.

Comme on ne pouvoit à cause de l’éloignement des tems distinguer les unes d’avec les autres, ni obliger les seigneurs laïcs de rapporter les titres primitifs de ces dixmes ; le concile de Latran tenu en 1179 confirma les laïcs dans la possession des dixmes qu’ils avoient acquises précédemment. Mais on n’oblige pas aujourd’hui ceux qui ont des dixmes inféodées de justifier d’un titre ou possession antérieurs à ce concile : ceux qui ont acquis depuis des dixmes ecclésiastiques à titre onéreux, & avec les formalités prescrites pour l’aliénation des biens d’Eglise, doivent y être maintenus ; il suffit même, suivant l’édit du mois de Juillet 1708, de justifier d’une possession de cent années.

Un seigneur laïc peut tenir à titre d’inféodation les menues dixmes de même que les grosses, pourvû à l’égard des menues dixmes que sa possession soit conforme à d’anciens aveux. Il en est de même par rapport aux novales, supposé que ce soit des dixmes perçûes comme telles avant le concile de Latran.

Les domaines annexés aux cures depuis le concile de Latran sont sujets à la dixme inféodée, à moins qu’ils n’en ayent été exemptés nommément.

Les dixmes inféodées sont patrimoniales, & entrent dans le commerce : on en peut disposer comme des autres biens, soit avec le fief auquel elles sont attachées, ou séparément.

Lorsque la dixme inféodée est vendue, cédée, ou donnée à l’Eglise séparément du fief auquel elle étoit attachée, elle est censée rentrer dans son premier état, & devient dixme ecclésiastique ; c’est pourquoi l’Eglise la peut posséder sans permission du Roi : elle n’est point sujette au retrait lignager ni au féodal, & dépend de la jurisdiction ecclésiastique pour le pétitoire : mais si elle est vendue ou donnée à l’Eglise avec le fief dont elle fait partie, elle continue d’être considérée comme inféodée ; elle suit la nature du fief dont elle n’est que l’accessoire ; elle est toûjours du ressort de la jurisdiction séculiere, tant pour le pétitoire que pour le possessoire : l’amortissement en est dû au Roi ; & si c’est par vente qu’elle passe à l’Eglise, elle est sujette au retrait féodal & lignager.

Il y a des pays où l’on paye double dixme ; c’est-à-dire qu’outre celle qui se paye à un décimateur ecclésiastique, on paye encore la dixme inféodée au seigneur ; ce qui suppose en ce cas que la dixme du seigneur n’étoit pas ecclésiastique dans son origine : car un même héritage ne doit pas deux dixmes de cette nature sur une même récolte ; mais il se peut faire que les grosses dixmes soient partagées entre le décimateur ecclésiastique & le seigneur ; ou que celui-ci ait seulement les grosses dixmes, & que le décimateur ecclésiastique ait les menues dixmes & les novales.

Dans le Béarn, les laïcs qui possedent des dixmes inféodées s’appellent abbés, & les maisons auxquelles ces dixmes sont attachées ont le titre d’abbayes. Ces abbés laïcs ont la plûpart le patronage & les droits honorifiques de la paroisse où ils dixment. Dans certaines paroisses il n’y a qu’un abbé, dans d’autres il y en a trois ou quatre. Ils sont obligés de laisser au curé pour sa portion congrue le quart des dixmes, à moins que le curé n’ait le droit de prémices, qui est en quelques endroits de la trente-unieme gerbe, en d’autres de la quarante-unieme, en d’autres de la soixante-unieme, & ailleurs d’une certaine quantité de grain ou de vin que les habitans payent au curé. M. de Marca, en son hist. de Béarn, dit que l’on paye la dixme aux curés pour les domaines anciens des abbayes laïques, parce que ces domaines sont considérés comme un démembrement des cures.

Un seigneur laïc peut prescrire les dixmes inféodées contre un autre seigneur, par l’espace de tems ordinaire des prescriptions suivant les coûtumes des lieux. Il en est de même des ecclésiastiques, qui peuvent aussi prescrire les dixmes inféodées. (A)

Dixmes insolites, sont celles qui sont extraordinaires, soit par rapport à la nature des fruits sur lesquels elles se perçoivent, soit par rapport à la quotité & à la forme de la perception, & qui de mémoire d’homme n’ont jamais été payées dans la paroisse. Ce qui détermine si une dixme est insolite ou non, ce n’est pas la qualité de la dixme, mais l’usage du lieu : ainsi la même dixme peut être ordinaire dans un lieu & insolite dans un autre. Cependant par le terme de dixme insolite on entend ordinairement celle qui est exorbitante de l’usage commun, telles que sont dans la plûpart des pays les dixmes des légumes & des fruits tendres & à couteau. L’ordonnance de Philippe le Bel de l’an 1303, appellée vulgairement la philippine, défend aux ecclésiastiques de lever aucune dixme insolite & non accoûtumée, & l’exécution de cette ordonnance appartient au juge royal ; ce que Dumolin en ses notes sur le conseil 6. d’Alexandre, liv. IV. dit avoir été toûjours gardé inviolablement dans ce royaume. On observe aussi la même chose dans les états voisins. L’empereur Charles-Quint, par édit du premier Octobre 1520 donné à Malines, ordonna que les ecclésiastiques se contenteroient des dixmes accoûtumées, sans en exiger de nouvelles & inusitées ; & que l’interprétation de ces droits de dixmes insolites appartiendroit aux consuls & juges ordinaires. Covarruvias, variar. cap. xvij. n. 3. dit que cela s’observe de même en Espagne ; ce qui est encore confirmé par deux autres auteurs espagnols, Barbosa, ad l. titia, ff. solut. matrim. & par Olivanus, en son traité de jure fisci. Par les anciennes lois d’Angleterre des rois Edgar, Ethelstan, Canut, & Edoüard, traduites par Guillaume Lambard, il est parlé du dixieme poulain d’un haras, du douzieme veau, du dixieme fromage, du dixieme cochon, de la douzieme toison des brebis ; & suivant ces lois, ceux qui refusent de payer ces dixmes insolites peuvent être assignés devant le prevôt royal : mais il faut noter que la plûpart des dixmes. dont il vient d’être parlé, & qui sont qualifiées d’insolites, ne sont pas réputées telles en d’autres pays ; cela dépend de l’usage du pays. (A)

Dixmes judaïques, sont celles que les Juifs payoient à leurs prêtres suivant la loi de Moyse. (A)

Dixmes laïques, sont celles qui appartiennent à des laïcs à titre d’inféodation : on les appelle plus communément dixmes inféodées. Voyez ci-dev. Dixmes inféodées. (A)

Dixmes, (menues) sont celles qui se perçoivent sur les menus grains, telles que les pois, vesces, lentilles ; & elles sont opposées aux grosses dixmes qui se perçoivent sur les gros fruits. Voyez ci-devant Dixme des gros fruits.

Le droit de percevoir les menues & vertes dixmes se regle par la possession entre les curés & les gros décimateurs. Ces sortes de dixmes peuvent être tenues à titre d’inféodation. (A)

Dixmes militaires, sont la même chose que dixme inféodée ; elles sont ainsi appellées dans des anciens titres, à cause qu’elles ont été inféodées à des militaires, en considération des services qu’ils avoient rendus à l’Eglise, ou de la protection qu’elle attendoit d’eux. Voyez Dixme inféodée. (A)

Dixmes mixtes, sont celles qui se perçoivent sur des choses qui proviennent en partie des héritages, & en partie de l’industrie de l’homme, comme sont celles qui se levent sur les agneaux & autres animaux, sur le lait, sur la laine, & autres choses semblables. Ces sortes de dixmes sont réputées réelles. Voyez ci-après Dixme personnelle & Dixme réelle. (A)

Dixme novale, est celle qui se perçoit sur les terres novales ou héritages défrichés depuis quarante ans, & qui de tems immémorial n’avoient point été cultivés, ou qui n’avoient point porté de fruits sujets à la dixme.

Elles appartiennent de droit commun spécialement au curé, à l’exclusion des autres décimateurs. Le principe sur lequel les curés sont fondés à cet égard, est que toute dixme en général leur appartient de droit commun ; ils ne peuvent en être dépouillés que par l’acquisition que les décimateurs en ont faite, ou par la prescription : or les décimateurs ne peuvent pas avoir acquis anciennement ni prescrit des terres défrichées depuis peu ; c’est pourquoi elles appartienent de droit aux curés, lorsque ceux-ci en sont en possession, & ne les ont pas laissé prescrire par les décimateurs.

Le droit des curés sur les novales a lieu contre les religieux privilégiés aussi-bien que contre les autres décimateurs.

Quelques ordres religieux, tels que Cluny, Cîteaux, Prémontré, & quelques autres, ont obtenu des papes le privilége de percevoir les novales à proportion de la part qu’ils ont dans les grosses dixmes.

Le parlement de Paris adjuge toutes les novales indistinctement au curé. Le grand-conseil adjuge les novales aux religieux privilégiés, à proportion de leur part dans la dixme.

Les curés à portion congrue jouissent aussi des novales : mais suivant la déclaration du 29 Janvier 1686, cela ne s’entend que des terres défrichées depuis que les curés ont fait l’option de la portion congrue ; les novales précédentes ne leur sont point affectées ; elles tournent au profit des gros décimateurs, soit que les curés les leur abandonnent, soit qu’ils les retiennent sur & tant moins de la portion congrue.

On dit communément en parlant des terres novales ou dixmes novales, novale semper novale ; ce qui s’entend pourvû que le curé soit en possession de les percevoir comme telles, ou du moins que par des actes juridiques il ait interrompu la possession de ceux qui les lui contestent. Mas si le gros décimateur a possédé paisiblement ces dixmes pendant quarante ans sous le titre de novales, le curé ne peut plus les reclamer ; elles sont censées faire partie des grosses dixmes. (A)

Dixme ordinaire, est celle qui n’excede point ce que l’on a coûtume de donner au décimateur suivant l’usage du lieu. Elle est opposée à dixme insolite. Voyez ci-devant Dixme insolite. (A)

Dixme patrimoniale, est la même chose que dixme inféodée. On l’appelle quelquefois dixme domaniale ou patrimoniale ; parce qu’elle est in bonis, de même que les héritages des particuliers. (A)

Dixme personnelle, est celle qui se leve sur les profits que chacun fait par son industrie, dans l’étendue de la paroisse où il reçoit les sacremens : c’est proprement la dixme de l’industrie. Ces sortes de dixmes ne sont plus en usage ; elles sont opposées aux dixmes réelles & mixtes. Voyez ci-dev. Dixme mixte, & ci-après Dixme réelle. (A)

Dixmes prédiales, sont toutes celles qui se perçoivent sur les fruits de la terre, soit grosses dixmes anciennes ou novales, telles que celles du blé & d’avoine ; soit menues & vertes dixmes, telles que celles des poix, feves, lentilles, &c. On les appelle aussi dixmes réelles ; elles appartiennent au curé du lieu où sont situés les héritages ; elles sont opposées aux dixmes personnelles & mixtes. Voyez ci-dev. Dixme mixte & personnelle. (A)

Dixmes prémices, qu’on appelle aussi prémices simplement, sont les dixmes des animaux, comme des veaux, moutons, chevreaux, cochons, &c. (A)

Dixme réelle, est la même chose que dixme prédiale dont il est parlé ci-devant. (A)

Dixme royale : on a ainsi appellé une dixme dont M. le maréchal de Vauban donna le projet dans un petit traité, intitulé la dixme royale. Cette dixme ; suivant le système de l’auteur, devoit être levée en nature de fruits dans tout le royaume au profit du Roi, & devoit tenir lieu de toutes les autres impositions qui se levent sur les sujets du Roi. Ce projet, quoique fort avantageux, n’a pas été adopté. (A)

Dixme sacramentaire ou sacramentelle, est celle qui est dûe au curé en considération de ce qu’il administre les sacremens aux paroissiens : telles sont les dixmes de charnage qui appartiennent toûjours au curé, quand même il n’auroit pas les autres dixmes. (A)

Dixme saladine, appellée aussi décime saladine, étoit une subvention extraordinaire que le roi Philippe Auguste fit lever en 1188, après en avoir obtenu la permission du pape. (A)

Dixmes de suite, sont celles que le décimateur perçoit par droit de suite dans une autre paroisse que la sienne, comme sur les troupeaux qui appartiennent à un de ses paroissiens, mais qui couchent hors de la paroisse, ou sur des héritages situés hors de la paroisse, & cultivés par un de ses paroissiens ; ou lorsque des bêtes de labour passent l’hyver dans une paroisse, & travaillent en été sur une autre ; ou lorsqu’un habitant d’une paroisse exploite des fermes situées en différentes paroisses.

Dans certains lieux, la dixme des terres suit le domicile du laboureur qui les a cultivées. Dans d’autres, la dixme suit le lieu où les bœufs & autres bêtes qui ont servi à labourer la terre, ont couché pendant l’hyver ; & s’ils ont couché en diverses paroisses, le droit de suite est partagé à proportion du tems. Il y a quelques cantons où le droit de suite emporte toute la dixme des terres, que les bêtes de labour ont cultivée ; dans d’autres lieux, l’effet du droit de suite est seulement que la dixme se partage également entre les décimateurs des différentes paroisses.

Il est parlé de ces dixmes dans la coûtume de Nivernois, titre xij. art. 1. 2. & 4. Valencay, locale de Blois, art. 3. Berri, til. x. art. 18. Solle, tit. xvij. art. 10. La Marche, art. 332, ou elle s’appelle aussi suite de rhilhage. Voyez l’ancienne coûtume de Mehun, tit. jv. Voyez Coquille, tome II. quest. 77. Mais ces dixmes de suite ne sont dûes que par coûtume, & selon que les curés en sont en possession. Voyez les décis. des curés, décis. 202. Boerius, sur la coûtume de Berri. Henrys, tom. I. liv. I. ch. iij. quest. 2. Bouvot, tom. II. verbo dixme, quest. 5. Grimaudet, liv. III. ch. v. & vj. Arrêt du parlement du 20 Décemb. 1683. rapporté dans le recueil des priviléges des curés, p. 141. (A)

Dixme surnuméraire, que l’on devroit plûtôt appeller dixme des surnuméraires, est celle qui se perçoit sur les dixmes surnuméraires d’un champ. Supposons, par exemple, que ce soit dans un pays où la dixme se perçoive à la dixieme gerbe, qu’il y ait dans un champ 1009 gerbes, le décimateur prendra dans ce champ cent gerbes pour sa dixme de 1000 gerbes ; & comme il en reste encore neuf sur lesquelles il ne peut pas prendre la dixieme, le propriétaire du champ est obligé d’en payer la dixme, en accumulant ces gerbes surnuméraires avec celles des autres champs dont il fait la dépouille : de maniere que si en plusieurs champs il se trouve jusqu’à concurrence de dix gerbes surnuméraires, il en est dû une au décimateur. C’est ce qui fut jugé par une sentence de la chambre du conseil de Bar-le-Duc, du 2 Décembre 1701, confirmée par arrêt du parlement du 13 Août 1703, rapportés l’un & l’autre dans le code des curés, parmi les réglemens qui concernent les dixmes. (A)

Dixme de verdages, c’est ainsi qu’on appelle en Normandie les vertes dixmes. Voyez Basnage, tit. de jurisd. art. 3. & ci-après Dixmes vertes. (A)

Dixmes vertes, sont celles qui se perçoivent sur les mêmes grains qui se consomment ordinairement pour la plus grande partie en verd, soit pour la nourriture des hommes, ou pour celle des bestiaux, comme les pois, feves, aricots, vesces, &c. On comprend aussi sous ce terme les dixmes de chanvre, & en général on confond souvent les dixmes vertes avec les menues dixmes en général, qui comprennent les dixmes vertes. Quand on parle de ces dixmes, on les joint ordinairement ensemble en ces termes, les menues & vertes dixmes ; parce qu’elles se reglent l’une comme l’autre, & suivent le même sort. Voyez ci-devant Menues dixmes. (A)

Dixme à volonté ou à discrétion, seroit celle qui dépendroit de la libéralité des personnes sujettes à la dixme. On ne connoît plus de dixme de cette nature. Voyez ce qui a été dit de l’obligation de payer la dixme en général, au commencement de cet article, & Boniface, tom. I. liv. II. titre xij. chap. j. (A)

Dixme d’usage, est opposée à dixme de droit. Voyez ci-devant Dixme de droit. (A)

Voyez le titre de decimis, primitiis, & oblat. D. Grat. 13. quest. 1. & 2 ; 16 quest. 1. c. xlj. §. de his & quest. 7 ; 25 quest. 1. de consec. dist. 5. c. xvj. & extr. 3. 30. cl. 3. 8. Le gloss. de Ducange, au mot decimæ. Forget, Grimaudet, & Duperray, en leurs traités des dixmes. Bibliot. canon. & défin. can. au mot dixmes. (A)