L’Encyclopédie/1re édition/ENTRE-METS

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ENTRE-METS, s. m. (Hist. mod.) Le mot entre-mets s’est dit pendant long-tems au lieu de celui d’intermede, dans nos pieces de théatre ; entre-mets de la tragédie de Sophonisbe dans les œuvres de Baïf ; il signifioit une espece de spectacle muet, accompagné de machines ; une représentation comme théatrale où l’on voyoit des hommes & des bêtes exprimer une action ; quelquefois des bateleurs & autres gens de cette espece y faisoient leurs tours.

Ces divertissemens avoient été imaginés pour occuper les convives dans l’intervalle des services d’un grand festin, dans l’entre-deux d’un mets ou service à un autre mets ; d’où le mot entre-mets a passé dans nos tables pour désigner simplement le service particulier qui est entre le rôt & le fruit, & les divertissemens se sont évanoüis.

Ces divertissemens anciens, qui méritoient bien mieux le nom d’entre-mets que le service de nos tables honoré aujourd’hui de cette qualification, étoient des spectacles fort singuliers qu’on donnoit du tems de l’ancienne chevalerie, le jour d’un banquet, pour rendre la fête plus magnifique & plus solennelle. Il faut lire tout ce qui concerne ces fêtes dans l’histoire de la chevalerie de M. de Sainte-Palaye ; il en parle avec autant de connoissance que s’il eût vécu dans ces tems-là, & qu’il eût écrit son ouvrage en assistant aux banquets des preux-chevaliers.

On voyoit paroître dans la salle diverses décorations, des machines, des figures d’hommes & d’animaux extraordinaires, des arbres, des montagnes, des rivieres, une mer, des vaisseaux ; tous ces objets entre-mêlés de personnages, d’oiseaux, & d’autres animaux vivans, étoient en mouvement dans la salle ou sur la table, & représentoient des actions relatives à des entreprises de guerre & de chevalerie, sur-tout à celles des croisades.

Il est vraissemblable que l’usage des entre-mets dans les banquets s’étoit introduit avant le regne de saint Louis : aussi furent-ils employés aux noces de son frere Robert à Compiegne en 1237. Une chronique manuscrite de S. Germain fait une ample description des entre-mets qui se virent au festin que Charles V. donna en 1378 au roi des Romains, fils de l’empereur Charles de Luxembourg, que ses indispositions empêcherent de s’y trouver. Mais rien n’est plus curieux que le détail que Matthieu de Couci & Olivier de la Marche nous ont laissé de la fête donnée à Lille en 1453, par Philippe-le-Bon duc de Bourgogne, à toute sa cour & à toute la noblesse de ses états, pour la croisade contre les Turcs qui venoient d’achever la conquête de l’empire d’Orient par la prise de Constantinople. Je pourrois citer un grand nombre d’autres représentations semblables, qui furent long-tems à la mode dans nos cours ; mais ces citations seroient inutiles après les exemples que nous venons de rapporter.

On vit encore les restes de cette ancienne magnificence au mariage du prince de Navarre en 1572, avec la sœur du roi ; de même qu’à la suite d’un autre festin, que la reine donna l’année suivante au duc d’Anjou roi de Pologne. Le goût de ces plaisirs s’est conservé à Florence jusqu’en 1600, suivant la description du banquet donné dans cette ville pour le mariage de Marie de Médicis avec Henri IV.

Enfin la mode des entre-mets s’évanoüit entierement au commencement du xvij. siecle. Louis XIV. fit succéder d’autres magnificences, mieux entendues, dignes de lui, & qui ont aussi cessé. Elles ont été remplacées par un genre de luxe plus général, plus voluptueux, qui se répete journellement, & qui présente à nos yeux toute la mollesse ou l’ennui des Sibarites. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.