L’Encyclopédie/1re édition/EONS ou EONES

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EONS ou EONES, (Theologie.) mot tiré du grec αἰὼν, qui signifie siecle, éternité, Voyez Siecle.

Quelques anciens hérétiques ont attaché une autre idée au mot æon ; & partant des principes de la philosophie de Platon, qu’ils entendoient mal, ils donnerent de la réalité aux idées que ce philosophe avoit imaginées en Dieu ; c’est-à-dire qu’ils les personnifierent, & les distinguerent de Dieu même, prétendant qu’il les avoit produites les unes mâles & les autres femelles. Voyez Idée & Platonisme.

Ils appelloient ces idées éons ou éones ; & de leur assemblage complet ils formoient la Divinité, qu’ils nommoient πλήρωμα, c’est-à-dire plénitude.

A commencer des Simon le Magicien, tous les hérétiques des premiers siecles trouvant la doctrine de l’Église trop simple, & à force de vouloir relever plus haut le Dieu qu’ils reconnoissoient pour souverain, avoient ainsi confondu les idées corporelles avec les spirituelles, & formé une science mystérieuse qu’ils appelloient Gnose, qui leur fit donner à tous en général le nom de Gnostiques, c’est-à-dire plus parfaits ou plus éclairés que le commun des hommes.

« L’hérésiarque Valentin qui parut vers l’an 134 de J. C. rafinant, dit M. Fleury, sur ceux qui l’avoient précédé, déduisoit une longue généalogie de plusieurs Eones ou Aiones ; il en faisoit des personnes. Le premier & le plus parfait étoit dans une profondeur invisible & inexplicable, & il le nommoit Proon, préexistant, & de plusieurs autres noms ; mais plus ordinairement Bythos, c’est-à-dire profondeur. Il étoit demeuré plusieurs siecles inconnu en silence & en repos, ayant avec lui seulement Ennoïa, c’est-à-dire la pensée, que Valentin nommoit aussi Charis, grace, ou Sigé, silence, & dont il faisoit la femme. Enfin Bythos avoit voulu produire le principe de toutes choses, & avec Sigé il avoit engendré Nous, son fils unique, semblable & égal à lui, seul capable de le comprendre. Ce fils étoit le pere & le principe de toutes choses. Νοῦς en grec signifie intelligence, mais il est du genre masculin, c’est pourquoi les Valentiniens en faisoient un fils ; & quoiqu’il fût unique, ils lui donnoient une sœur Aletheïa, c’est-à-dire la vérité. Ces deux premiers couples, Bythos & Sigé, Nous & Aletheïa, formoient un quarré qui étoit comme la racine & le fondement de tout le système : car Nous avoit engendré deux autres personnages ou Eones, Logos & Zoé, le verbe & la vie, & ces deux en avoient encore produit deux autres, Anthropos & Ecclesia, l’homme & l’église.

Le Verbe & la Vie, continue le même auteur, voulant glorifier le pere, avoient encore produit dix autres éones, c’est-à-dire cinq couples ; car ils étoient toûjours deux à deux. L’Homme & l’Église avoient produit douze autres éones, entre lesquelles étoit le paraclet, la foi, l’espérance, la charité. Les deux derniers étoient Teletos, le parfait, & Sophia, la sagesse. Voilà les trente éones, qui tous ensemble faisoient le pleroma ou plénitude invisible & spirituelle ». Hist. ecclés. tom. I. liv. III. pag. 443. & 444.

Ces hérétiques croyoient trouver clairement tout cela dans quelques passages de l’Ecriture, auxquels ils donnoient des explications allégoriques & forcées. En voilà plus qu’il n’en faut sur ces extravagances. (G)