L’Encyclopédie/1re édition/EPIDERME

La bibliothèque libre.
◄  EPIDEMIE
EPIDIDYME  ►

EPIDERME, s. m. & par quelques-uns f. (Anat.) Cette pellicule fine, transparente, & insensible, qui recouvre extérieurement toute la peau à laquelle elle est étroitement attachée, s’appelle épiderme, sur-peau, cuticule (voyez Cuticule) ; & pour en completer l’article, joignez-y du moins les observations suivantes, dans lesquelles on examine la structure de cette toile merveilleuse, qui enveloppe tout le corps humain, excepté les endroits occupés par les ongles.

Il faut remarquer dans l’épiderme, 1°. son union étroite avec la peau, dont on le sépare néanmoins dans les cadavres par le moyen de l’eau bouillante. Le feu, la brûlure, les vésicatoires, levent l’épiderme en maniere de vessies dans les sujets vivans. Quoiqu’il adhere fortement aux mammelons cutanés, & plus encore au corps réticulaire, dont il paroît être une portion, on peut cependant l’en séparer avec de l’eau chaude, ou, ce qui est mieux & qui l’altere moins, en le faisant tremper pendant quelque tems dans de l’eau froide. La séparation par le scalpel n’est pas impossible, mais elle ne découvre rien de sa structure.

2°. Sa régénération. Elle est évidente, prompte, & même surprenante, sans aucune marque de cicatrice, lorsque l’épiderme a été détaché par quelque cause externe ou interne. Il se régénere au palais de la bouche, après en avoir été enlevé par les alimens trop chauds ; il se régénere aussi par-tout ailleurs, même sous les emplâtres qu’on y applique ; enfin il se répare autant de fois qu’il a été détruit.

3°. Son origine ou sa formation. Elle est encore inconnue. Il ne faut pas s’imaginer, avec les anciens, que cette membrane soit produite par la condensation des vapeurs de la transpiration ; il ne faut pas non plus croire avec Morgagny, que l’action de l’air desséchant la surface de la peau, fasse naître l’épiderme, car il se trouve formé dans le fœtus avant qu’il ait vû le jour. Il vaudroit donc mieux attribuer, avec Leuwenhoek, l’origine de l’épiderme à l’expansion des conduits excrétoires de la peau ; ou avec Ruysch, à l’expansion des houppes nerveuses du même organe qui forment plusieurs petites lames en s’unissant ; ou avec Heister, à l’expansion des tuyaux excrétoires, & des papilles nerveuses réunies ; ou enfin avec M. Winslow, à une matiere qui suinte des mammelons.

4°. La substance. Elle paroît uniforme du côté de la peau, & composée au-dehors de plusieurs petites lames écailleuses d’une grande finesse, & très-étroitement unies, mais par-tout sans apparence de tissu fibreux ou vasculeux, excepté de petits filamens qui l’attachent aux mammelons. Cette substance est serrée, quoique susceptible de quelque gonflement ou épaississement, comme la simple macération dans l’eau commune, & les cloches ou ampoules qui s’élevent sur la peau par des vésicatoires, par la brûlure ou autrement, le font assez voir ; de sorte qu’à cet égard l’épiderme paroît être une espece de tissu spongieux ; il prête considérablement dans les enflures, mais il n’y résiste pas toûjours.

Les attouchemens durs & réitérés détachent l’épiderme plus ou moins imperceptiblement, & aussi-tôt il renaît une nouvelle couche qui soûleve la premiere, & à laquelle en pareil cas il arrive un pareil détachement par la naissance d’une troisieme couche nouvelle.

C’est à-peu-près de cette maniere que se forment les callosités aux piés, aux mains & aux genoux, & qu’arrive la pluralité des lames ou couches que quelques anatomistes ont prises pour être naturelles.

En effet, les callosités ne sont autre chose que des couches de plusieurs épidermes ; mais pour que ces callosités se forment, il ne faut pas que l’épiderme se sépare entierement, car alors la matiere de la transpiration ou de la sueur s’éleveroit en vésicules : c’est ce qui arrive dans les brûlures. Voyez Callosité, Brulure.

5°. Ses trous ou pores. Ils donnent passage aux poils, aux liqueurs du dehors en-dedans ; à celles du dedans en-dehors, telles que sont les exhalaisons de la transpiration & de la sueur. Cependant les petits trous ou pores par où s’échappe la sueur, étant bien examinés, il semble que l’épiderme s’y insinue pour achever les tuyaux excrétoires des glandes cutanées. Les niches ou fossettes des poils sont garnies des allongemens de l’épiderme, & les poils mêmes en paroissent recevoir une espece d’écorce : les canaux presqu’imperceptibles des pores cutanés en sont encore intérieurement revêtus. En effet, au moyen d’une longue macération de la peau, on en peut détacher avec l’épiderme tous ces allongemens, de façon qu’ils entraînent les poils, leurs racines, & même les glandes axillaires.

On pourroit expliquer par cette remarque, comment les cloches ou empoules qui s’élevent sur la peau, restent gonflées pendant un tems considérable, sans laisser la sérosité extravasée échapper par les trous, qui doivent être aggrandis par la distraction & l’extension de l’épiderme soûlevé. Lorsqu’il se détache ainsi du corps de la peau, il arrache quelquefois des portions de ces petits tuyaux cutanés, qui se plissent & bouchent les pores de l’épiderme soûlevé, à-peu-près comme les tuyaux des ballons à joüer. Ne seroit-ce point ces petites portions de l’épiderme détaché, que quelques anatomistes ont prises pour des valvules des tuyaux cutanés ?

6°. Son épaisseur différente en diverses parties du corps. L’épiderme est fort épais dans le creux des mains & aux plantes des piés, ou plûtôt il y a dans ces endroits plusieurs couches d’épidermes les unes sur les autres ; par-tout ailleurs l’épiderme n’est qu’un tissu fort fin. Remarquons ici que quand quelque portion de cette toile se détache de la peau, cette portion devient alors plus épaisse, comme on le voit dans la cuticule des vessies, & dans celle qui se sépare des bords des ulceres ou des plaies.

7°. Ses sillons plus ou moins considérables en différentes parties du corps. On les remarque sur-tout à la paume des mains & au bout des doigts, où ils se manifestent en lignes spirales. Ils défendent peut-être les vaisseaux excrétoires qui sont dans leurs cavités. Quoi qu’il en soit, comme l’épiderme est intimement applique à la superficie de la peau, il n’est pas étonnant qu’il en prenne la forme, & qu’il soit marqué comme elle des mêmes plis, des mêmes rides, des mêmes sillons & des mêmes losanges.

8°. Son insensibilité. On n’y apperçoit point non plus de vaisseaux, & Ruysch n’a jamais pû en découvrir par ses injections les plus subtiles : de-là vient qu’il ne coule point de sang quand l’épiderme est blessé. Cependant il est naturellement si souple, qu’il permet aux corps tangibles de communiquer suffisamment leur impression aux houppes nerveuses situées au-dessous.

9°. Son incorruptibilité, si je puis parler ainsi : du moins l’épiderme est la partie de tout le corps la moins exposée à la corruption, & la moins sujete à être rongée. Dans les abcès le pus n’a guere d’autre action sur l’épiderme, que de le séparer de la peau, & de le déchirer ; mais il ne le dissout pas. Dans la gangrene & le sphacele l’épiderme se conserve entier, tandis que toutes les parties qu’il recouvre tombent en pourriture. Il ne permet pas même à la pierre infernale de le pénétrer, & de détruire les parties qu’il couvre, sans avoir été divisé le premier. Ces effets viennent-ils de ce qu’il n’a point de vaisseaux qui lui soient propres, & de ce qu’il ne reçoit point la liqueur ?

10°. Sa couleur. L’épiderme est généralement blanc, du moins les recherches exactes ont fait voir qu’il change peu chez les divers peuples, & qu’il conserve presque dans tous sa couleur blanche. Je dis qu’il conserve presque dans tous sa couleur blanche, parce qu’on a observé que dans les Negres il n’est point aussi blanc que dans les peuples de nos climats ; mais il est d’une couleur de corne brûlée, c’est-à-dire jaunâtre. Ainsi la couleur de l’épiderme ne détermine point absolument celle de la peau, mais plûtôt celle du corps muqueux situé au-dessous. Cela n’empêche pas que l’épiderme qui recouvre immédiatement le corps réticulaire, ne rende le teint plus ou moins délicat, selon qu’il est plus ou moins épais.

11°. Son usage : le voici. L’épiderme sert à maintenir les pinceaux ou filamens nerveux des mammelons dans une situation égale, à les empêcher de floter confusément, & à modifier l’impression des objets, qui auroient été douloureux, si cette impression s’étoit faite immédiatement sur les papilles nerveuses de la peau.

D’un autre côté, le tact particulier, aussi-bien que le toucher en général, est plus ou moins exquis, selon la finesse ou l’épaisseur de l’épiderme, dont la callosité affoiblit, & même fait perdre l’un & l’autre.

Un autre usage de l’épiderme, est de régler les évacuations cutanées ; je veux dire celles de la sueur, & de la transpiration insensible qui est la plus considérable. Il sert vraissemblablement à retrécir les vaisseaux cutanés, parce qu’il en forme les extrémités. En effet, nous remarquons que toutes les fois qu’il est enlevé, ces vaisseaux laissent échapper les liqueurs qu’ils contiennent, en plus grande abondance que de coûtume.

Enfin, comme l’épiderme rend la surface de la peau égale & polie, il contribue extrèmement à la beauté de cette partie ; car plus la cuticule est mince & diaphane, plus le teint est brillant & délicat.

Au surplus l’épiderme mérite fort l’examen & les recherches des Physiologistes ; car outre que sa structure n’est pas à beaucoup près bien connue, il a des propriétés singulieres, qu’aucun auteur ne s’est donné la peine d’approfondir jusqu’à ce jour.

Je finis cet article par une remarque utile aux Accoucheurs. Comme les enfans naissent rarement sans épiderme, comme cette toile ne doit point son origine à la condensation de l’air, j’avoue que lorsqu’elle se détache du corps des enfans avant leur naissance, dans les parties par lesquelles ils se présentent, on a lieu de craindre pour leurs jours, & de soupçonner qu’ils soient déjà morts dans l’utérus ; cependant il ne faut pas regarder le détachement de l’épiderme pour un signe certain de la mort de l’enfant, l’expérience a souvent justifié la fausseté d’un pareil jugement, & l’erreur de ceux qui l’avoient prononce : on en trouvera la preuve dans les observateurs. M. Saviard, qui en particulier a eu tant d’occasions de s’éclairer sur ce sujet, en sa qualité de chirurgien-accoucheur de l’Hôtel-Dieu de Paris, nous assûre qu’il a vû plusieurs enfans dont l’épiderme s’enlevoit avant leur naissance ; lesquels enfans sont toutefois venus au monde bien-vivans, & ont vécu depuis aussi long-tems que son âge lui a permis d’en être le témoin. Les signes de la virginité des filles, de la grossesse des meres, de leur accouchement prochain, de la vie ou de la mort des enfans qu’elles portent, sont quatre points qui demandent l’époché des Grecs, ou le non-liquet des Latins. C’est-là le doute raisonnable qui distingue le physicien éclairé, modeste, & par conséquent toûjours retenu dans ses décisions, du dogmatique ignorant, hardi, & présomptueux. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.