L’Encyclopédie/1re édition/EXÉCUTEUR DE LA HAUTE JUSTICE

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EXÉCUTEUR DE LA HAUTE JUSTICE, (Jurispr.) est celui qui exécute les jugemens qui condamnent les criminels à mort ou à quelque peine afflictive.

On l’appelle exécuteur de la haute justice, parce que les hauts-justiciers, ce qui comprend aussi les juges royaux, sont les seuls qui ayent ce que l’on appelle jus gladii, droit de mettre à mort.

On l’appelle aussi d’un nom plus doux, maître des hautes œuvres, à cause que la plûpart des exécutions à mort, ou autres peines afflictives, se font sur un échafaud ou au haut d’une potence, échelle ou pilori.

Mais le nom qu’on lui donne vulgairement est celui de bourreau. Quelques-uns tiennent que ce mot est celtique ou ancien gaulois ; &, en effet, les bas Bretons, chez lesquels ce langage s’est le mieux conservé sans aucun mélange, se servent de ce terme, & dans le même sens que nous lui donnons. D’autres le font venir de l’italien sbirro ou birro, qui signifie un archer ou satellite du prevôt, dont la fonction est réputée infâme. On en donne encore d’autres étymologies, mais qui n’ont rien de vraissemblable.

Il n’y avoit point de bourreau ou exécuteur en titre chez les Israélites ; Dieu avoit commandé à ce peuple que les sentences de mort fussent exécutées par tout le peuple, ou par les accusateurs du condamné, ou par les parens de l’homicide, si la condamnation étoit pour homicide, ou par d’autres personnes semblables, selon les circonstances. Le prince donnoit souvent à ceux qui étoient auprès de lui, & sur-tout aux jeunes gens, la commission d’aller mettre quelqu’un à mort, on en trouve nombre d’exemples dans l’Ecriture ; & loin qu’il y eût aucune infamie attachée à ces exécutions, chacun se faisoit un mérite d’y avoir part.

Il y avoit aussi chez les Juifs des gens appellés tortores, qui étoient établis pour faire subir aux criminels les tortures ou peines auxquelles ils étoient condamnés : quelquefois ils se servoient de certains satellites de leurs préfets, nommés spiculatores, parce qu’ils étoient armés d’une espece de javelot ou pique ; mais il semble que l’on ne se servoit de ceux-ci que lorsqu’il s’agissoit de mettre à mort sur le champ, comme de couper la tête, & non pas lorsqu’il s’agissoit de foüetter, ou faire souffrir autrement les criminels : c’est de-là que l’exécuteur de la haute justice est nommé parmi nous en latin tortor, spiculator : on l’appelle aussi carnifex.

Chez les Grecs cet office n’étoit point méprisé, puisqu’Aristote, liv. VI. de ses Politiques, chap. dernier, le met au nombre des magistrats. Il dit même que par rapport à sa nécessité, on doit le tenir pour un des principaux offices.

Les magistrats romains avoient des ministres ou satellites appellés lictores, licteurs, qui furent institués par Romulus, ou même, selon d’autres, par Janus ; ils marchoient devant les magistrats, portant des haches enveloppées dans des faisceaux de verges ou baguettes. Les consuls en avoient douze ; les proconsuls, préteurs & autres magistrats en avoient seulement six ; ils faisoient tout-à-la-fois l’office de sergent & de bourreau. Ils furent nommés licteurs, parce qu’ils lioient les piés & les mains des criminels avant l’exécution ; ils délioient leurs faisceaux de verges, soit pour foüetter les criminels, soit pour trancher la tête.

On se servoit aussi quelquefois d’autres personnes pour les exécutions ; car Cicéron, dans la septieme de ses Verrines, parle du portier de la prison, qui faisoit l’office de bourreau pour exécuter les jugemens du préteur : aderat, dit-il, janitor carceris, carnifex prætoris, mors, terrorque sociorum, & civium lictor. On se servoit même quelquefois du ministere des soldats pour l’exécution des criminels, non-seulement à l’armée, mais dans la ville même, sans que cela les deshonorât en aucune maniere.

Adrien Beyer, qui étoit pensionnaire de Roterdam, fait voir dans un de ses ouvrages, dont l’extrait est au journal des Savans de 1703, p. 88. qu’anciennement les juges exécutoient souvent eux-mêmes les condamnés ; il en rapporte plusieurs exemples tirés de l’histoire sacrée & profane ; qu’en Espagne, en France, Italie & Allemagne, lorsque plusieurs étoient condamnés au supplice pour un même crime, on donnoit la vie à celui qui vouloit bien exécuter les autres ; qu’on voit encore au milieu de la ville de Gand deux statues d’airain d’un pere & d’un fils convaincus d’un même crime, où le fils servit d’exécuteur à son pere ; qu’en Allemagne, avant que cette fonction eût été érigée en titre d’office, le plus jeune de la communauté ou du corps de ville en étoit chargé ; qu’en Franconie c’étoit le nouveau marié ; qu’à Reutlingue, ville impériale de Suabe, c’étoit le conseiller dernier reçû ; & à Stedien, petite ville de Thuringe, celui des habitans qui étoit le dernier habitué dans le lieu.

On dit que Witolde, prince de Lithuanie, introduisit chez cette nation que le criminel condamné à mort eût à se défaire lui-même de sa main, trouvant étrange qu’un tiers, innocent de la faute, fût employé & chargé d’un homicide ; mais suivant l’opinion commune, on ne regarde point comme un homicide, ou du moins comme un crime, l’exécution à mort qui est faite par le bourreau, vû qu’il ne fait qu’exécuter les ordres de la justice, & remplir un ministere nécessaire.

Puffendorf, en son traité du droit de la nature & des gens, met le bourreau au nombre de ceux que les lois de quelques pays excluent de la compagnie des honnêtes gens, ou qui ailleurs en sont exclus par la coûtume & l’opinion commune ; & Beyer, que nous avons déjà cité, dit qu’en Allemagne la fonction de bourreau est communément jointe au métier d’écorcheur ; ce qui annonce qu’on la regarde comme quelque chose de très-bas.

Il y a lieu de croire que ce qu’il dit ne doit s’appliquer qu’à ceux qui font les exécutions dans les petites villes, & qui ne sont apparemment que des valets ou commis des exécuteurs en titre établis dans les grandes villes ; car il est notoire qu’en Allemagne ces sortes d’officiers ne sont point réputés infâmes, ainsi que plusieurs auteurs l’ont observé : quelques-uns prétendent même qu’en certains endroits d’Allemagne le bourreau acquiert le titre & les priviléges de noblesse, quand il a coupé un certain nombre de têtes, porté par la coutume du pays.

Quoi qu’il en soit de ce dernier usage, il est certain que le préjugé où l’on est en France & ailleurs à cet égard, est bien éloigné de la maniere dont le bourreau est traité en Allemagne. Cette différence est sur-tout sensible à Strasbourg, où il y a deux exécuteurs, l’un pour la justice du pays, l’autre pour la justice du roi : le premier, qui est allemand, y est fort considéré : l’autre au contraire, qui est françois, n’y est pas mieux accueilli que dans les autres villes de France.

Les gens de ce métier sont aussi en possession de remettre les os disloqués ou rompus, quoique le corps des Chirurgiens se soit souvent plaint de cette entreprise ; il est intervenu différentes sentences qui ont laissé le choix à ceux qui ont des membres disloqués ou démis, de se mettre entre les mains des Chirurgiens, ou en celles du bourreau pour les fractures ou luxations seulement, à l’exclusion de toutes autres opérations de Chirurgie : il en est de même en France dans la plûpart des provinces.

Beyer dit encore que quelques auteurs ont mis au nombre des droits régaliens, celui d’accorder des provisions de l’office d’exécuteur. Il ajoûte que ceux qui ont droit de justice, n’ont pas tous droit d’avoir un exécuteur, mais seulement ceux qui ont merum imperium, qu’on appelle droit de glaive ou justice de sang.

En France, le roi est le seul qui ait des exécuteurs de justice, lesquels sont la plûpart en titre d’office ou par commission du roi. Ces offices, dit Loyseau, sont les seuls auxquels il n’y a aucun honneur attaché ; ce qu’il attribue à ce que cet office, quoique très-nécessaire, est contre nature. Cette fonction est même regardée comme infâme ; c’est pourquoi quand les lettres du bourreau sont scellées, on les jette sous la table.

Les seigneurs qui ont haute-justice, n’ont cependant point de bourreau, soit parce qu’ils ne peuvent créer de nouveaux offices, soit à cause de la difficulté qu’il y a de trouver des gens pour remplir cette fonction. Lorsqu’il y a quelqu’exécution à faire dans une justice seigneuriale, ou même dans une justice royale pour laquelle il n’y a pas d’exécuteur, on fait venir celui de la ville la plus voisine.

Barthole sur la loi 2. ff. de publicis judiciis, dit que si l’on manque de bourreau, le juge peut absoudre un criminel, à condition de faire cette fonction, soit pour un tems, soit pendant toute sa vie ; & dans ce dernier cas celui qui est condamné à faire cette fonction, est proprement servus pana : il y en a un arrêt du parlement de Bordeaux, du 13 Avril 1674. Voyez la Peyrere, lett. E.

Si le juge veut contraindre quelqu’autre personne à remplir cette fonction, il ne le peut que difficilement. Gregorius Tolosanus dit, vix potest. Paris de Puteo, en son traité de syndico, au mot manivoltus, dit que si on prend pour cela un mendiant ou autre personne vile, il faut lui payer cinq écus pour son salaire, quinque aureos.

Il s’éleva en l’échiquier tenu à Roüen à la S. Michel 1312, une difficulté par rapport à ce qu’il n’y avoit point d’exécuteur, ni personne qui en voulût faire les fonctions. Pierre de Hangest, qui pour lors étoit bailli de Roüen, prétendit que cela regardoit les sergens de la vicomté de l’eau ; mais de leur part ils soûtinrent avec fermeté qu’on ne pouvoit exiger d’eux une pareille servitude ; que leurs prédécesseurs n’en avoient jamais été tenus, & qu’ils ne s’y assujettiroient point ; qu’ils étoient sergens du roi, & tenoient leurs sceaux de Sa Majesté ; que par leurs lettres il n’étoit point fait mention de pareille chose. Ce débat fut porté à l’échiquier, où présidoit l’évêque d’Auxerre, où il fut décidé qu’ils n’étoient pas tenus de cette fonction ; mais que dans le cas où il ne se trouveroit point d’exécuteur, ils seroient obligés d’en aller chercher un, quand bien même ils iroient au loin, & que ce seroit aux dépens du roi, à l’effet de quoi le receveur du domaine de la vicomté de Roüen seroit tenu de leur mettre entre les mains les deniers nécessaires.

Cependant un de mes confreres, parfaitement instruit des usages du parlement de Roüen, où il a fait long-tems la profession d’avocat, m’a assûré qu’on tient pour certain dans ce parlement, que le dernier des huissiers ou sergens du premier juge peut être contraint, lorsqu’il n’y a point de bourreau, d’en faire les fonctions. Comme ces cas arrivent rarement, on ne trouve pas aisément des autorités pour les appuyer.

En parcourant les comptes & ordinaires de la prevôté de Paris, rapportés par Sauval, on trouve que c’étoient communément des sergens à verge du châtelet qui faisoient l’office de tourmenteur juré du roi au châtelet de Paris. Ce mot tourmenteur venoit du latin tortor, que l’on traduit souvent par le terme de bourreau. Ces tourmenteurs jurés faisoient en effet des fonctions qui avoient beaucoup de rapport avec celles du bourreau. C’étoient eux, par exemple, qui faisoient la dépense & les préparatifs nécessaires pour l’exécution de ceux qui étoient condamnés au feu ; ils fournissoient aussi les demi-lames ferrées où on exposoit les têtes coupées sur l’échafaud : enfin on voit qu’ils fournissoient un sac pour mettre le corps de ceux qui avoient été exécutés à mort, comme on voit par les comptes de 1439, 1441 & 1449.

Cependant il est constant que cet office de tourmenteur juré n’étoit point le même que celui de bourreau : ce tourmenteur étoit le même officier que l’on appelle présentement questionnaire.

Il est vrai que dans les justices où il n’y a point de questionnaire en titre, on fait souvent donner la question par le bourreau. On fait néanmoins une différence entre la question préparatoire & la question définitive ; la premiere ne doit pas être donnée par la main du bourreau, afin de ne pas imprimer une note d’infamie à celui qui n’est pas encore condamné à mort : c’est apparemment l’esprit de l’arrêt du 8 Mars 1624, rapporté par Basset, tome I. liv. VI. tit. xij. ch. ij. qui jugea que la question préparatoire ne devoit pas être donnée par le bourreau, mais par un sergent ou valet du concierge : il paroît par-là qu’il n’y avoit pas de questionnaire en titre.

Pour revenir au châtelet, les comptes dont on a déjà parlé justifient que les tourmenteurs jurés n’étoient pas les mêmes que le bourreau ; celui-ci est nommé maître de la haute justice du roi, en quelques endroits exécuteur de la haute justice & bourreau.

Ainsi dans un compte du domaine de 1417, on couche en dépense 45 s. parisis payés à Etienne le Bré, maître de la haute justice du roi notre sire, tant pour avoir fait les frais nécessaires pour faire bouillir trois faux monnoyeurs, que pour avoir ôté plusieurs chaînes étant aux poutres de la justice de Paris, & les avoir apportées en son hôtel : c’étoit le langage du tems.

Dans un autre compte de 1425, on porte 20 sols payés à Jean Tiphaine, exécuteur de la haute justice, pour avoir dépendu & enterré des criminels qui étoient au gibet.

Le compte de 1446 fait mention que l’on paya à Jean Dumoulin, sergent à verge, qui étoit aussi tourmenteur juré, une somme pour acheter à ses dépens trois chaînes de fer pour attacher contre un arbre près du Bourg-la-Reine, & là pendre & étrangler trois larrons condamnés à mort. On croiroit jusque-là que celui qui fit tous ces préparatifs, étoit le bourreau ; mais la suite de cet article fait connoître le contraire, car on ajoûte : & pour une échelle neuve où lesdits trois larrons furent montés par le bourreau qui les exécuta & mit à mort, &c.

En effet, dans les comptes des années suivantes il est parlé plusieurs fois de l’exécuteur de la haute justice, lequel, dans un compte de 1472, est nommé maître des hautes-œuvres ; & l’on voit que le fils avoit succédé à son pere dans cet emploi : & en remontant au compte de 1465, on voit qu’il avoit été fait une exécution à Corbeil.

On trouve encore dans le compte de 1478, que l’on paya à Pierre Philippe, maître des basses-œuvres, une somme pour avoir abattu l’échafaud du pilori, avoir rabattu les tuyaux où le sang coule audit échafaud, blanchi iceux & autres choses semblables, qui ont assez de rapport aux fonctions de l’exécuteur de la haute justice : ce qui pourroit d’abord faire croire que l’on a mis, par erreur, maître des basses-œuvres pour maître des hautes-œuvres ; mais tout bien examiné, il paroît que l’on a en effet entendu parler du maître des basses-œuvres que l’on chargeoit de ces réparations, sans doute comme étant des ouvrages vils que personne ne vouloit faire, à cause du rapport que cela avoit aux fonctions du bourreau.

Du tems de saint Louis il y avoit un bourreau fémelle pour les femmes : c’est ce que l’on voit dans une ordonnance de ce prince contre les blasphémateurs, de l’année 1264, portant que celui qui aura mesfait ou mesdit, sera battu par la justice du lieu tout de verges en appert ; c’est à sçavoir li hommes par hommes, & la femme par seules femmes, sans présence d’hommes. Traité de la Pol. tome l. p. 546.

Un des droits de l’exécuteur de la haute justice, est d’avoir la dépouille du patient, ce qui ne s’est pourtant pas toûjours observé par-tout de la même maniere ; car en quelques endroits les sergens & archers avoient cette dépouille, comme il paroît par une ordonnance du mois de Janvier 1304, rendue par le juge & courier de la justice séculiere de Lyon, de l’ordre de l’archevêque de cette ville, qui défend aux bedeaux ou archers de dépouiller ceux qu’ils mettoient en prison, sauf au cas qu’ils fussent condamnés à mort, à ces archers d’avoir les habits de ceux qui auroient été exécutés.

L’exécuteur de la haute justice avoit autrefois droit de prise, comme le roi & les seigneurs, c’est-à-dire de prendre chez les uns & les autres, dans les lieux où il se trouvoit, les provisions qui lui étoient nécessaires, en payant néanmoins dans le tems du crédit qui avoit lieu pour ces sortes de prises. Les lettres de Charles VI. du 5 Mars 1398, qui exemptent les habitans de Chailly & de Lay près Paris, du droit de prise, défendent à tous les maîtres de l’hôtel du roi, à tous ses fourriers, chevaucheurs (écuyers), à l’exécuteur de notre haute justice, & à tous nos autres officiers, & à ceux de la reine, aux princes du sang, & autres qui avoient accoûtumé d’user de prises, d’en faire aucunes sur lesdits habitans. L’exécuteur se trouve là, comme on voit, en bonne compagnie.

Il est encore d’usage en quelques endroits, que l’exécuteur perçoive gratuitement certains droits dans les marchés.

Un recueil d’ordonnances & style du châtelet de Paris, imprimé en 1530, gothique, fait mention que le bourreau avoit à Paris des droits sur les fruits, verjus, raisins, noix, noisettes, foin, œufs & laine ; sur les marchands forains pendant deux mois ; un droit sur le passage du Petit-pont, sur les chasse-marées, sur chaque malade de S. Ladre, en la banlieue ; sur les gateaux de la veille de l’Epiphanie ; cinq sols de chaque pilorié ; sur les vendeurs de cresson, sur les pourceaux, marées, harengs : que sur les pourceaux qui couroient dans Paris, il prenoit la tête ou cinq sols, excepté sur ceux de S. Antoine. Il prenoit aussi des droits sur les balais, sur le poisson d’eau douce, chenevis, senevé ; & sur les justiciés tout ce qui est au-dessous de la ceinture, de quelque prix qu’il fût. Présentement la dépouille entiere du patient lui appartient.

Sauval en ses antiquités de Paris, tome II. p. 457. titre des redevances singulieres dûes par les ecclésiastiques, dit que les religieux de S. Martin doivent tous les ans à l’exécuteur de la haute justice cinq pains & cinq bouteilles de vin, pour les exécutions qu’il fait sur leurs terres ; mais que le bruit qui court que ce jour-là ils le faisoient dîner avec eux dans le refectoire, sur une petite table que l’on y voit, est un faux bruit.

Que les religieux de sainte Genevieve lui payent encore cinq sols tous les ans le jour de leur fête, à cause qu’il ne prend point le droit de havée, qui est une poignée de chaque denrée vendue sur leurs terres.

Que l’abbé de Saint-Germain-des-Prés lui donnoit autrefois, le jour de S. Vincent patron de son abbaye, une tête de pourceau, & le faisoit marcher le premier à la procession.

Que du tems que les religieux du Petit-Saint-Antoine nourrissoient dans leur porcherie près l’église des pourceaux qui couroient les rues, & que ceux qui en nourrissoient à Paris n’osoient les faire sortir, tout autant que le bourreau en rencontroit, il les menoit à l’hôtei-Dieu, & la tête étoit pour lui, ou bien on lui donnoit cinq sous ; que présentement il a encore quelques droits sur les denrées étalées aux halles & ailleurs les jours de marché.

Ces droits, dont parle Sauval, sont ce que l’on appelle communément havage, & ailleurs havée, havagium, havadium, vieux mot qui signifie le droit que l’on a de prendre sur les grains dans les marchés autant qu’on en peut prendre avec la main. Le bourreau de Paris avoit un droit de havage dans les marchés, & à cause de l’infamie de son métier, on ne lui laissoit prendre qu’avec une cuillere de fer-blanc, qui servoit de mesure. Ses préposés qui percevoient ce droit dans les marchés, marquoient avec la craie sur le bras ceux & celles qui avoient payé ce droit, afin de les reconnoître : mais comme la perception de ce droit occasionnoit dans les marchés de Paris beaucoup de risque entre les préposés du bourreau & ceux qui ne vouloient pas payer ou se laisser marquer, il a été supprimé pour Paris depuis quelques années.

L’exécuteur de la haute-justice de Pontoise avoit aussi le même droit ; mais par accommodement il appartient présentement à l’hôpital-général.

Il y a néanmoins encore plusieurs endroits dans le royaume où le bourreau perçoit ce droit ; & dans les villes mêmes où il n’y a pas de bourreau, lorsque celui d’une ville voisine vient y faire quelque exécution, ce qui est ordinairement un jour de marché, il perçoit sur les grains & autres denrées son droit de havage ou havée.

L’exécuteur ne se saisit de la personne du condamné qu’après avoir oüi le prononcé du jugement de la condamnation.

Il n’est pas permis de le troubler dans ses fonctions, ni au peuple de l’insulter ; mais lorsqu’il manque à son devoir, on le punit selon la justice.

Sous Charles VII. en 1445, lors de la ligue des Armagnacs pour la maison d’Orléans contre les Bourguignons, le bourreau étoit chef d’une troupe de brigands ; il vint offrir ses services au duc de Bourgogne, & eut l’insolence de lui toucher la main. M. Duclos, en son histoire de Louis XI. fait à cette occasion une réflexion, qui est que le crime rend presque égaux ceux qu’il associe.

Lorsque les fureurs de la ligue furent calmées, & que les affaires eurent repris leur cours ordinaire, le bourreau fut condamné à mort pour avoir pendu le célebre président Brisson, par ordre des ligueurs, sans forme de procès.

Il n’est pas permis au bourreau de demeurer dans l’enceinte de la ville, à moins que ce ne soit dans la maison du pilori, où son logement lui est donné par ses provisions ; comme il fut jugé par un arrêt du parlement du 31 Août 1709.

Cayron, en son style du parlement de Toulouse, l. II. tit. jv. dit que l’exécuteur de la haute-justice doit mettre la main à tout ce qui dépend des excès qui sont capitalement punissables ; comme à la mort, fustigation & privation de membres, tortures, gehennes, amendes honorables, & bannissement en forme, la hart au cou ; car, dit-il, ce sont des morts civiles.

Cette notion qu’il donne des exécutions qui doivent être faites par la main du bourreau, n’est pas bien exacte ; le bourreau doit exécuter tous les jugemens, soit contradictoires ou par contumace, qui condamnent à quelque peine, en portant mort naturelle ou civile, ou infamie de droit : ainsi c’est lui qui exécute tous les jugemens emportant peine de mort ou mutilation de membres, marque & fustigation publique, amende honorable in figuris. Il exécute aussi le bannissement, soit hors du royaume, ou seulement d’une ville ou province, lorsque ce bannissement est précédé de quelque autre peine, comme du foüet, ainsi que cela est assez ordinaire ; auquel cas, après avoir conduit le criminel jusqu’à la porte de la ville, il lui donne un coup de pié au cul en signe d’expulsion.

Le bourreau n’assiste point aux amendes honorables qu’on appelle seches.

Ce n’est point lui non plus qui fait les exécutions sous la custode, c’est-à-dire dans la prison ; telles que la peine du carcan & du foüet, que l’on ordonne quelquefois pour de legers délits commis dans la prison, ou à l’égard d’enfans qui n’ont pas encore atteint l’âge de puberté : ces exécutions se font ordinairement par le questionnaire, ou par quelqu’un des geoliers ou guichetiers.

Pour ce qui est de la question ou torture, voyez ce qui en a été dit ci-devant.

Enfin le bourreau exécute toutes les condamnations à mort, rendues par le prevôt de l’armée ; il exécute aussi les jugemens à mort, ou autre peine afflictive, rendus par le conseil de guerre, à l’exception de ceux qu’il condamne à être passés par les armes, ou par les baguettes. (A)