L’Encyclopédie/1re édition/EXPÉRIENCE

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EXPÉRIENCE, s. f. terme abstrait, (Philosophie.) signifie communément la connoissance acquise par un long usage de la vie, jointe aux réflexions que l’on a faites sur ce qu’on a vû, & sur ce qui nous est arrivé de bien & de mal. En ce sens, la lecture de l’Histoire est fort utile pour nous donner de l’expérience ; elle nous apprend des faits, & nous montre les évenemens bons ou mauvais qui en ont été la suite & les conséquences. Nous ne venons point au monde avec la connoissance des causes & des effets ; c’est uniquement l’expérience qui nous fait voir ce qui est cause & ce qui est effet, ensuite notre propre réflexion nous fait observer la liaison & l’enchaînement qu’il y a entre la cause & l’effet.

Chacun tire plus ou moins de profit de sa propre expérience, selon le plus ou le moins de lumieres dont on a été doüé en venant au monde.

Les voyages sont aussi fort utiles pour donner de l’expérience ; mais pour en retirer cet avantage, on doit voyager avec l’esprit d’observation.

Homere, au commencement de l’Odyssée, voulant nous donner une grande idée de son héros, nous dit d’abord qu’Ulysse avoit vû plusieurs villes, & qu’il avoit observé les mœurs de divers peuples. Voici comment Horace a rendu les vers d’Homere :

Dic mihi, musa, virum, captæ post tempora Troja,
Qui mores hominum multorum vidit & urbes.

Art poét. vers. 141.

Ainsi quand on dit d’un homme qu’il a de l’expérience, qu’il est expérimenté, qu’il est expert, on veut dire qu’outre les connoissances que chacun acquiert par l’usage de la vie, il a observé particulierement ce qui regarde son état. Il ne faut pas séparer le fait de l’observation : pour être un officier expérimenté, il ne suffit pas d’avoir fait plusieurs campagnes, il faut les avoir faites avec l’esprit d’observation, & avoir sû mettre à profit ses propres fautes & celles des autres.

La raison qui doit nous inspirer beaucoup de confiance en l’expérience, c’est que la nature est uniforme aussi-bien dans l’ordre moral que dans l’ordre physique ; ainsi toutes les fois que nous voyons les mêmes causes, nous devons nous attendre aux mêmes effets, pourvû que les circonstances soient les mêmes.

Il est assez ordinaire que deux personnes qui sont de sentiment différent, alleguent chacun l’expérience en sa faveur : c’est l’observateur le plus exact, le plus desintéressé & le moins passionné qui seul a raison. Souvent les passions sont des lunettes qui nous font voir ce qui n’est pas, ou qui nous montrent les objets autrement qu’ils ne sont. Il est rare que les jeunes gens qui entrent dans le monde, ne tombent pas en inconvénient faute d’expérience. Après les dons de la nature, l’expérience fait le principal mérite des hommes.

En Physique le mot expérience se dit des épreuves que l’on fait pour découvrir les différentes opérations & le méchanisme de la Nature. On fait des expériences sur la pesanteur de l’air, sur les phosphores, sur la pierre d’aimant, sur l’électricité, &c. La pratique de faire des expériences est fort en usage en Europe depuis quelques années, ce qui a multiplié les connoissances philosophiques, & les a rendues plus communes ; mais ces épreuves doivent être faites avec beaucoup de précision & d’exactitude, si l’on veut en recueillir tout le fruit qu’on en doit attendre : sans cette précaution, elles ne serviroient qu’à égarer. Les spéculations les plus subtiles & les méditations les plus profondes ne sont que de vaines imaginations, si elles ne sont pas fondées sur des expériences exactes. (F)

Expérience, (Philosophie nat.) est l’épreuve de l’effet qui résulte de l’application mutuelle ou du mouvement des corps naturels, afin de découvrir certains phénomenes, & leurs causes. Voyez Expérimental.

Expérience, ἐμπείρια, (Medecine.) c’est la connoissance acquise par des observations assidues & par un long usage, de tout ce qui peut contribuer à la conservation de la santé & à la guérison des maladies. Voyez Empirisme & Empirique.

Expérience se dit aussi de l’épreuve que font les Medecins sur le corps humain ou sur celui de quelqu’animal, d’un moyen, d’une opération, d’une drogue dont ils ont lieu de croire, par le raisonnement, que l’usage peut être utilement appliqué contre quelque maladie, ou dont ils cherchent à connoître le bon ou le mauvais effet. Voyez Drogue, Remede, Opération. (d)