L’Encyclopédie/1re édition/FIANÇAILLES

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FIANÇAILLES, s. f. pl. (Hist. anc. & mod.) Promesse réciproque de mariage futur qui se fait en face d’église. Mais en général ce mot désigne les cérémonies qui se pratiquent solennellement avant la célébration du mariage, & où les deux personnes qui doivent s’épouser, se promettent mutuellement de se prendre pour mari & pour femme.

Le terme de fiancer, despondere, est ancien ; il signifioit promettre, engager sa foi, comme dans le roman de la Rose : & promets, & fiance, & jure. Et dans l’histoire de Bertrand du Guesclin : « au partir, lui & ses gens prindrent quatre chevaliers anglois, qui fiancerent de la main, lesquels se rendirent tant seulement à Bertrand ». Enfin il est dit dans les grandes chroniques de France, que Clotilde ayant recommandé le secret à Aurélien, « il lui jura & fiança, que james onc ne le sçauroit ». Nous avons conservé ce terme fiancé, d’où nous avons fait fiançailles, pour exprimer l’engagement que l’on contracte avant que d’épouser. Les latins ont employé des mots spondeo, sponsalia, dans le même sens. Plaute s’en est servi plusieurs fois : on lit dans l’Aululaire :

M. Quid nunc étiam despondes mihi filiam ? E. Illis legibus, cum illâ dote quam tibi dixi. M. Spondere ergo. E. Spondeo.

De même, Térence, dans sa premiere scène de l’Andrienne :

Hâc famâ impulsus Chremes
Ultrò ad me venit, unicam gnatam suam
Cum dote summâ filio uxorem at dares :
Placuit, despondi, hic nuptiis dictus est dies.

Les fiançailles sont presque aussi anciennes que le mariage ; elles ont été de tout tems des préliminaires d’une union si importante dans la société civile ; & quoiqu’il semble que M. Fleury ait crû que les mariages des Israélites n’étoient accompagnés d’aucune cérémonie de religion, il paroît par les exemples qu’il cite, que le mariage étoit précédé ou par des présens, ou par des démarches, que l’on peut regarder comme des fiançailles, dont la forme a changé dans la suite selon le génie des peuples ; en effet, l’écriture remarque dans le chap. xxjv. de la Genèse, que « Laban & Batuel ayant consenti au mariage de Rebecca avec Isaac, le serviteur d’Abraham se prosterna contre terre, & adora le Seigneur ; il tira ensuite des vases d’or & d’argent, & de riches vêtemens, dont il fit présent à Rebecca ; & il donna aussi des présens à ses freres, & à sa mere ; ils firent ensuite le festin ; ils mangerent & burent ce jour-là. » N’est-ce pas là ce que nous appellons fiançailles ?

Le mariage du jeune Tobie est encore une preuve de l’ancienneté des fiançailles ; on lit dans le chap. vij. que « Raguel prit la main droite de sa fille, la mit dans la main droite de Tobie, & lui dit : que le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, & le Dieu de Jacob soit avec vous ; que lui-même vous unisse, & qu’il accomplisse sa bénédiction en vous ; & ayant pris du papier, ils dresserent le contrat de mariage ; après cela ils firent le festin en bénissant Dieu. »

Nous pratiquons encore aujourd’hui la même chose ; l’on s’engage l’un à l’autre, en se donnant la main ; on écrit les conventions, & souvent la cérémonie finit par un festin : les successeurs des premiers hommes dont il est parlé, ont suivi leur exemple, par une tradition subsistante encore parmi ceux qui professent le Judaïsme.

Selden en a recueilli les preuves, & a même rapporté dans le ch. du deuxieme livre de son traité, intitulé, uxor hebraïca, la formule du contrat de fiançailles des Juifs ; l’on ne peut guere douter que les autres nations n’ayent fait précéder la solennité du mariage par des fiançailles ; plusieurs auteurs en ont publié des traités exprès, où l’on trouvera un détail historique des particularités observées dans cette premiere fête nuptiale.

Mais nous allons laisser les cérémonies des fiançailles du paganisme & du judaïsme, pour dire un mot de leur usage parmi les chrétiens.

L’église greque & l’église latine ont eu des sentimens différens sur la nature des fiançailles, & sur les effets qu’elles doivent produire. L’empereur Alexis Comnene fit une loi, par laquelle il donnoit aux fiançailles la même force qu’au mariage électif ; ensorte que sur ce principe, les peres du sixieme concile tenu in Trullo, l’an 98, déclarerent que celui qui épouseroit une fille fiancée à un autre, seroit puni comme adultere, si le fiancé vivoit dans le tems du mariage.

Cette décision du concile parut injuste à plusieurs personnes ; les uns disoient (au rapport de Balsamon) que la fille fiancée n’étant point sous la puissance de son fiancé, celui qui l’épousoit ne pouvoit être accusé ni d’adultere, ni même de fornication : les autres trouvoient injuste de punir le mari, qui pouvoit même être dans la bonne-foi, & ignorer les fiançailles de sa femme, & de ne prononcer aucune peine contre cette femme, dont la faute ne pouvoit être justifiée par aucune raison : mais pour éviter cet inconvénient, les Grecs ne mirent point d’intervalle entre les fiançailles & le mariage ; ils accomplissoient l’un & l’autre dans le même jour.

L’église latine a toûjours regardé les fiançailles comme de simples promesses de s’unir par le mariage contracté selon les lois de l’église ; & quoiqu’elles ayent été autorisées par la présence d’un prêtre, elles ne sont pas indissolubles. C’est donc une maxime certaine dans tous les tribunaux, que fille fiancée n’est pas mariée, & que par conséquent elle peut disposer de sa personne & de son bien, pendant les fiançailles, sans blesser la foi conjugale, & sans avoir besoin de l’autorité de son fiancé, parce qu’enfin elle n’est point sa femme, & il n’est point son mari. Elle est si peu sa femme, que s’il vient à décéder avant la célébration du mariage, & qu’elle se trouve grosse du fait de son fiancé, elle ne peut prendre la qualité de veuve, ni l’enfant être censé légitime, & habile à succéder. Dict. de Richelet, édit. de Lyon, enrichie des notes de M. Aubert.

Aussi la donation faite par un fiancé à sa fiancée entre le contrat de mariage & la consommation, est nulle, & la répétition des présens a lieu, lorsque les nôces ne s’ensuivent point. Il y a, ce me semble, beaucoup d’équité dans un passage de l’alcoran sur ce sujet ; il dit que si le fiancé répudie sa fiancée avant la consommation du mariage, elle peut garder la moitié des présens qu’il lui avoit faits, si le fiancé ne veut pas les lui laisser tous entiers.

Nous ne passons point en revûe toutes les diversités d’usages qui se sont succédés dans la célébration des fiançailles, tant en France qu’ailleurs, c’est assez de remarquer ici, qu’autrefois dans notre royaume, on ne marioit les grands, comme les petits, qu’à la porte de l’église. En 1559, lorsqu’Elisabeth de France, fille d’Henri II, épousa Philippe II roi d’Espagne, Eustache du Bellay, évêque de Paris, alla à la porte de Notre-Dame, & se fit (pour me servir des termes du cérémonial françois) la célébration des fiançailles audit portail, selon la coûtume de notre mere sainte Eglise. Quand le cardinal de Bourbon eut fiancé au Louvre en 1572 Henri de Bourbon roi de Navarre, & Marguerite de Valois, il les épousa sur un échafaut, posé pareillement devant Notre-Dame ; la discipline est différente à cet égard aujourd’hui ; c’est dans l’église que se fait la célébration des fiançailles, ainsi que du sacrement de mariage. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Fiançailles, (Jurispr.) du latin fido, qui signifie se fier à quelqu’un, sont les promesses de mariage futur que deux personnes font publiquement & en face de l’Eglise, qui reçoit ces promesses & les autorise.

Elles sont de bienséance, & non de nécessité.

Elles se peuvent contracter par toutes sortes de personnes qui peuvent exprimer leur volonté & leur consentement, c’est-à-dire saines d’entendement, & âgées de sept ans au moins, & du consentement de ceux qui les ont en leur puissance, & entre personnes qui pourroient contracter mariage ensemble, lorsqu’elles seront en âge ; de sorte que s’il y a quelque autre empêchement au mariage, les fiançailles ne sont pas valables.

L’usage des fiançailles est fort ancien. Il en est parlé dans le digeste, au titre de sponsalibus ; dans le code théodosien, dans celui de Jursinien, dans le decret de Gratien & les decrétales, & dans les novelles 18, 93, & 109 de l’empereur Léon.

Cet usage a été introduit, afin que les futurs conjoints s’assûrent de leurs dispositions mutuelles, par rapport au mariage, avant de se présenter pour recevoir la bénédiction nuptiale ; & afin qu’ils ne s’engagent pas avec trop de précipitation, dans une société dont les suites ne peuvent être que très-fâcheuses, quand les esprits sont mal assortis.

Il y avoit autrefois des fiançailles par paroles de présent, appellées sponsalia de præsenti, qui ne différoient du mariage qu’en ce qu’elles n’étoient point accompagnées de la bénédiction sacerdotale : mais ces sortes de fiançailles ont été entierement défendues par l’article 44 de l’ordonnance de Blois, comme le concile de Trente l’avoit déjà fait, ordonnant que aucuns mariages ne seroient valables, qu’ils ne fussent précédés de publication de bans, & faits en présence du propre curé, ou autre par lui commis, & des témoins ; ensorte qu’il n’y a plus d’autres fiançailles valables, que celles appellées en droit sponsalia de futuro, c’est-à-dire la promesse de se prendre pour mari & femme.

L’effet des fiançailles est :

1°. Qu’elles produisent une obligation réciproque de contracter mariage ensemble : mais si l’un des fiancés refuse d’accomplir sa promesse, le juge d’église ni le juge laïc ne peuvent pas l’y contraindre, & l’obligation se résout en dommages & intérêts, sur lesquels le juge laïc peut seul statuer, & non le juge d’église. Ces dommages & intérêts s’estiment, eu égard au préjudice réel que l’autre fiancé a pû souffrir, & non pas eu égard à l’avantage qu’il peut perdre.

2°. Il se forme par les fiançailles une espece d’affinité réciproque, appellée en droit canon justitia publicæ honestatis, entre chacun des fiancés & les parens de l’autre ; de maniere que les parens du fiancé ne peuvent pas épouser la fiancée ; & vice versâ, les parentes de la fiancée ne peuvent pas épouser le fiancé : mais le concile de Trente a restraint cet empêchement au premier degré, & a décidé que cette affinité, & conséquemment que l’empêchement qui en résulte, n’ont point lieu lorsque les fiançailles sont nulles.

La fiancée n’est point en la puissance du fiancé, & conséquemment elle n’a pas besoin de son autorisation, soit pour contracter avec lui ou avec quelqu’autre, soit pour ester en jugement.

Les fiances peuvent se faire toutes sortes d’avantages permis par les lois, & qui sont seulement défendus aux conjoints, pourvû que ce soit par contrat de mariage, ou que l’acte soit fait en présence de tous les parens qui ont assisté au contrat.

L’engagement résultant des fiançailles peut être résolu de plusieurs manieres :

1°. Par le consentement mutuel des parties.

2°. Par la longue absence de l’un des fiancés ; mais si le fiancé s’absente pour une cause nécessaire, & que ce soit dans la même province, la fiancée doit attendre deux ans ; & si c’est dans une autre province, trois ans.

3°. Par la profession monastique des fiancés, ou de l’un d’eux ; mais le simple vœu de chasteté ne dissout pas les fiançailles.

4°. Lorsque le fiancé prend les ordres sacrés.

5°. Si l’un des deux fiancés contracte mariage avec une autre personne, auquel cas il ne reste à l’autre fiancé que l’action en dommages & intérêts, supposé qu’il y ait lieu.

6°. Par la fornication commise par l’un des fiancés, ou par tous les deux, avec une autre personne depuis les fiançailles, & même auparavant, si c’est de la part de la fiancée, & que le fiancé n’en eût pas connoissance lors des fiançailles. Voyez Fevret, traité de l’abus, lib. V. ch. j. n. 12.

Il faut encore observer à cet égard, que si c’est la fiancée qui commet une telle faute, elle peut être accusée d’adultere, parce que les fiançailles sont l’image du mariage. L. si uxor §. divus, & l. penult. ff. ad leg. jul. de adult.

Si c’est le fiancé qui a abusé sa fiancée, il doit être puni, pœna stupri, quoique la fiancée fût proche de l’âge de puberté, & qu’elle ait consenti à ses desirs : mais s’il y a eu de la violence de la part du fiancé, il doit être puni comme ravisseur. Voyez Franc. Marc, part. II. quest. 70. Chorier ; jurisprud. de Guipape, pag. 270.

La seule jactance publique vraie ou fausse de la part du fiancé d’avoir eu commerce avec sa fiancée, est un moyen pour rompre les fiançailles.

Si le fiancé a rendu sa fiancée enceinte, & qu’il décede avant le mariage, la fiancée ne peut se dire sa veuve, & l’enfant qui en provient n’est point censé légitime, ni habile à succéder. D’Olive, act. for. part. III. act. 13.

7°. Si l’un des fiancés avoit quelque vice considérable, dont l’autre n’avoit pas connoissance lors des fiançailles, c’est encore un moyen de dissolution. Par exemple, si la fiancée apprend que son fiancé est totalement adonné au vin, ou qu’il soit brutal & violent à l’excès ; ou si l’un des fiancés apprend que l’autre ait en lui quelque cause d’impuissance, soit qu’elle ait précédé ou suivi les fiançailles.

8°. Si l’un des fiancés étoit sujet au mal caduc, ou à quelque infirmité considérable, dont l’autre n’eût pas connoissance.

9°. Si depuis les fiançailles il étoit survenu à l’un des fiancés quelque difformité considérable ; comme s’il avoit perdu la vûe, ou seulement un œil, s’il étoit estropié de quelque membre.

10°. L’infamie survenue.

Les dons & avantages faits de part & autre entre fiancés en contemplation du futur mariage, ne sont point réalisés par les fiançailles, si le mariage ne suit pas.

La loi si à sponso, cod. de donat. ant. nupt. décide que le fiancé venant à décéder post osculum, c’est-à-dire après le baiser que la fiancée lui accorde ordinairement, elle est bien fondée à retenir la moitié des bagues & joyaux, & autres choses qu’elle a reçûs de son fiancé. Le motif de cette loi étoit, que osculo delibata censebatur virginitas. Mais en France où ces sortes de baisers ne sont considérés que comme une simple civilité, la fiancée en pareil cas n’est point en droit de rien retenir ; & Godefroi, Mornac, Loüet, & Automne, disent que cette loi n’est point suivie en France.

M. de Catelan rapporte cependant, l. IV. ch. ij. un arrêt du parlement de Toulouse du 11 Avril 1656, qui permit à la fiancée de garder des habits & linge que son fiancé lui avoit donnés ; mais on l’obligea de rapporter les perles, les diamans, & l’argent, & des habits qu’elle avoit retirés du tailleur depuis le décès du fiancé. Voyez Onselage.

Voyez Cujas, ad cap. j. de sponsalibus ; Florent, de sponsal. pag. 114 ; Cironius, in paratit. Covarruvias, de sponsal. Franc. Marc. tom. II. quest. 709 ; Papon, liv. XXII. tit. vj. n. 6. Louet, lett. F, n°. 18. Cambolas, liv. V. ch. xvij. (A)