L’Encyclopédie/1re édition/FIDELITÉ

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FIDELITÉ, s. f. (Morale.) c’est une vertu qui consiste à garder fermement sa parole, ses promesses ou ses conventions, en tant qu’elles ne renferment rien de contraire aux lois naturelles, qui en ce cas-là rendent illicite la parole donnée, les promesses faites & les engagemens contractés ; mais autrement rien ne peut dispenser de ce à quoi l’on s’est engagé envers quelqu’un : encore moins est-il permis en parlant, en promettant, en contractant, d’user d’équivoques ou autres obscurités dans le langage ; ce ne sont-là que des artifices odieux.

Les vices ne doivent pas non plus donner atteinte à la fidélité, & ne fournissent point par eux-mêmes un sujet suffisant de refuser à l’homme vicieux l’accomplissement de ce qu’on lui a promis. Lorsqu’un poëte, dit admirablement Ciceron dans ses Offices, (liv. III. ch. xxjx.), met dans la bouche d’Atrée ces paroles : « je n’ai point donné & ne donne point ma foi à qui n’en a point ; il a raison de faire parler ainsi ce méchant roi, pour bien représenter son caractere : mais si l’on veut établir là-dessus pour regle générale, que la foi donnée à un homme sans foi, est nulle, je crains bien que l’on ne cherche sous ce voile spécieux, une excuse au parjure & à l’infidélité. » Ainsi le serment, la promesse, la parole une fois donnée de faire quelque chose, en demande absolument l’exécution ; la bonne foi ne souffre point de raisonnemens & d’incertitude.

Elle est la source de presque tout commerce entre les êtres raisonnables : c’est un nœud sacré qui fait l’unique bien de la confiance dans la société de particulier à particulier ; car dès l’instant qu’on auroit posé pour maxime qu’on peut manquer à la fidélité sous quelque prétexte que ce soit, par exemple, pour un grand intérêt, il n’est pas possible de se fier à un autre lorsque cet autre pourra trouver un grand avantage à violer la foi qu’il a donnée. Mais si cette foi est inviolable dans les particuliers, elle l’est encore plus pour les souverains, soit vis-à-vis les uns des autres, soit vis-à-vis de leurs sujets : quand même elle seroit bannie du reste du monde, disoit l’infortuné roi Jean, elle devroit toûjours demeurer inébranlable dans la bouche des princes. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Fidélité. (Morale.) La fidélité en amour n’est pas la constance, mais c’est une vertu plus délicate, plus scrupuleuse & plus rare. Je dis que c’est une vertu plus rare. En effet, on voit beaucoup d’amans constans. On trouve peu d’amans fideles. C’est qu’en général les hommes sont plus aisément séduits qu’ils ne sont véritablement touchés.

La fidélité est donc cette attention continuelle par laquelle l’amant occupé des sermens qu’il a faits, est engagé sans cesse à ne jamais devenir parjure. C’est par elle que toûjours tendre, toûjours vrai, toûjours le même, il n’existe, ne pense & ne sent que pour l’objet aimé ; il ne trouve que lui d’aimable. Lisant dans les yeux adorés & sen amour & son devoir, il sait que pour prouver la vérité de l’un, il ne doit s’écarter jamais des regles que lui prescrit l’autre.

Que de choses charmantes pour l’amant qui est fidele ! Qu’il trouve de bonheur à l’être, & de plaisir à penser qu’il le sera toûjours ! Les plus grands sacrifices sont pour lui les plus chers. Sa délicatesse voudroit qu’ils fussent plus précieux encore. C’est la belle Thetis qui desiroit que Jupiter soûpirant pour elle, eût encore plus de grandeur, pour le sacrifier à Pelée avec plus de plaisir.

La fidélité est la preuve d’un sentiment très-vrai, & l’effet d’une probité bien grande.

Il ne faut qu’aimer d’un amour sincere, pour goûter la douceur qu’on sent à demeurer fidele. Passer tous les instans de sa vie près de l’objet qui en fait le charme, employer tous ses jours à faire l’agrément & le plaisir des siens, ne songer qu’à lui plaire, & penser qu’en ne cessant point de l’aimer on lui plaira toûjours, voilà les idées délicieuses du véritable amant, & la situation enchantée de l’amant fidele.

Je dis encore que la fidélité appartient à une ame honnête. En effet, examinons ce qu’en amour les femmes font pour nous, & nous verrons par-là ce que nous devons faire pour elles.

Ce qui est préjugé dans l’ordre naturel, devient loi dans l’ordre civil. L’honneur, la réputation & la gloire, pures chimeres pour la femme de la nature, sont pour la femme qui vit en société, dans l’ordre le plus nécessaire de ses devoirs. Instruite dès l’enfance de ce que prescrivent ces derniers & de ce qui les altere, quels efforts ne doit-elle pas faire, quand elle veut y manquer ? que l’on regarde la force de ses chaînes, & l’on jugera de celle qu’il faut pour les briser. Voilà pourtant tout ce qu’il en coûte à la femme qui devient sensible, pour l’avoüer. Ajoûtez à cet état forcé les craintes de la foiblesse naturelle & les combats de la fierté mourante. Quelle reconnoissance ne devons-nous donc pas avoir pour de si grands sacrifices ! Ce n’est qu’en aimant bien, comme en aimant toûjours, que nous pouvons les mériter ; c’est en portant la fidélité jusqu’au scrupule, en pensant enfin que les choses agréables, même les plus legeres, que l’on dit à l’objet qui n’est pas l’objet aimé, sont autant de larcins que l’on fait à l’amour. On voit assez par-là qu’il n’y a guere que l’amour vertueux qui puisse donner l’amour fidele. Cet article est de M. Margency.

Fidélité, (Mythol. Médailles, Littér.) en latin fides, déesse des Romains qui présidoit à la bonne foi dans le commerce de la vie, & à la sûreté dans les promesses. On la prenoit à témoin dans ses engagemens, & le serment qu’on faisoit par elle, étoit de tous les sermens le plus inviolable ; elle tenoit en conséquence le premier rang dans la religion, & étoit regardée comme la principale conservatrice de la sûreté publique.

On la représentoit par deux mains qui se joignoient ensemble, ainsi qu’on le voit sur plusieurs médailles, par exemple, dans celle d’Antoine, de Vitellius, de Vespasien & d’autres, avec ces mots, fides exercituum, & dans celles d’Hostilien, avec ceux ci, fides senatûs. Consultez l’ouvrage numismatique de Bandury. Ailleurs elle est représentée debout, tenant d’une main une patere, & quelquefois de l’autre une corne d’abondance, avec ces paroles, fides publica. Souvent elle paroît avec une ou plusieurs aigles romaines.

On voit encore cette déesse gravée sur les médailles, sous la figure d’une femme couronnée de feuilles d’olivier ; d’autres fois elle est assise tenant d’une main une tourterelle, symbole de la fidélité, & de l’autre un signe militaire. Enfin elle est dépeinte avec plusieurs autres attributs sur quantité de médailles, qui ont pour inscription, fides aug. mutua, publica, equit. exercitus, militum, cohortium, legionum, &c. Quelquefois avec ces inscriptions, on trouve deux figures qui joignent la main ensemble, pour désigner l’union de gens qui se conservent la foi les uns aux autres. Dans une médaille de Titus, derriere les deux mains jointes, s’élevent un caducée & deux épics de blé.

Cette divinité n’avoit pour tout habillement qu’un voile blanc, symbole de sa candeur & de sa franchise ; te spes & albo rara fides colit velata panno, dit Horace. Ses autels n’étoient point arrosés de sang, & on ne tuoit aucun animal dans ses sacrifices, parce qu’elle détestoit l’ombre même du carnage. Ses prêtres avoient à son exemple la tête & les mains couvertes d’un voile blanc, pour faire connoître qu’ils agissoient avec une extrème sincérité, & dans ce qu’ils méditoient, & dans ce qu’ils exécutoient. Ils lui présentoient toûjours leurs offrandes avec la main droite enveloppée du voile ; & c’est par cette raison, suivant quelques-uns, que l’on prête encore serment de cette main.

Numa, selon les historiens de Rome, considérant la fidélité comme la chose du monde la plus sainte & la plus vénérable, fut le premier de tous les hommes qui lui bâtit un temple : & il voulut que les frais de son culte & de ses autels se fissent aux dépens du public, qui y étoit si fort intéressé. Ce temple de Numa étant tombé en ruine, fut réédifié par les soins d’Attilius Collatinus, car c’est ainsi qu’on doit interprêter un passage du II. livre de la nature des dieux. La statue de la fidélité fut placée dans le capitole, tout près de celle de Jupiter, quam in capitolio, dit Ciceron, vicinam Jovis optimi maximi majores nostri esse voluerunt ; ils croyoient qu’elle étoit respectable à Jupiter même, dont elle scelloit les sermens. C’est ce qu’Ennius nous apprend dans ce passage que Ciceron rapporte, & trouve avec raison si beau :

O fides alma, apta pinnis, & jusjurandum Jovis !

« O divine foi, vous méritez d’être placée au plus haut des temples, vous qui proprement n’êtes rien autre chose que le serment de Jupiter ».

En effet, Numa ne fit rien de plus digne de lui, que de consacrer un temple à la fidélité, afin que tout ce qu’on promettoit sans écriture & sans témoins fût aussi stable que ce qui seroit promis & juré avec toutes les formalités des contrats, & le peuple qu’il gouvernoit pensa de même que le législateur. Polybe & Plutarque rendent aux Romains ce témoignage glorieux, qu’ils garderent long-tems & inviolablement leur foi, sans caution, témoin ni promesse ; au lieu, disent-ils, que dix cautions, vingt promesses & autant de témoins, ne mettoient personne en sûreté contre l’infidélité des Grecs. Je crains bien que les peuples de nos jours si civilisés, ne ressemblent aux Grecs de Plutarque & de Polybe ; hé comment ne leur ressembleroient-ils pas, puisque les Romains mêmes ne tenoient plus aucun compte de la foi sous le regne d’Octave ! C’est pourquoi les écrivains du siecle de cet empereur donnoient à cette vertu le nom d’antique, cana fides, pour marquer que les siecles où elle avoit été dans sa force, étoient déjà bien éloignés ; elle existoit avant Jupiter, dit Silius Italicus. Ils l’appelloient encore rare, rara fides, pour faire entendre qu’elle ne se trouvoit presque plus chez les nations policées, & qu’elle n’y a guere paru depuis. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.