L’Encyclopédie/1re édition/FOI (complément)

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FOI, (Théolog.) Qu’on me permette de joindre ici quelques réflexions philosophiques, au détail qu’on a fait sur les articles de foi dans le Dictionnaire.

S’il y a quantité de gens qui se forment une si haute idée de la morale, qu’ils ne rendent pas à la foi les hommages qu’elle mérite, il est encore un plus grand nombre de théologiens qui élevent tellement la nécessité de la foi, qu’on se persuaderoit après les avoir lus, qu’elle constitue seule toute la religion ; erreur d’autant plus dangereuse, qu’il est plus aisé de croire que de pratiquer ; car quoique la morale & la foi ayent chacune des prérogatives particulieres, je pense néanmoins que la premiere l’emporte sur l’autre à divers égards.

1°. Parce que presque toute la morale, suivant l’idée que je m’en forme, est d’une nature immuable, & qu’elle durera dans toute l’éternité, lorsque la foi ne subsistera plus, & qu’elle sera changée en convictions ; 2°. parce qu’on ne peut être en état de faire plus de bien, & de se rendre plus utile au monde par la morale sans la foi, que par la foi sans la morale ; 3°. parce que la morale donne une plus grande perfection à la nature humaine que la foi, en ce qu’elle tranquillise l’esprit, & qu’elle avance le bonheur de chacun en particulier ; 4°. parce que les préceptes de la morale sont réellement plus certains que divers articles de foi, puisque toutes les nations civilisées s’accordent sur tous les points essentiels de la morale, autant qu’elles different sur ceux de la foi ; 5°. parce que l’incrédulité n’est pas d’une nature si maligne que le vice, ou pour envisager la même idée sous un autre vue, parce qu’on convient en général qu’un incrédule vertueux peut être sauvé, surtout dans le cas d’une ignorance invincible, & qu’il n’y a point de salut pour un croyant vicieux.

De ces vérités incontestables, on peut tirer plusieurs conséquences très-importantes. Il en résulte par exemple, 1°. qu’on ne devroit établir pour article de foi, rien de tout ce qui peut affoiblir ou renverser les devoirs de la morale ; 2°. que dans tous les articles de foi douteux, & sur lesquels disputent les sectes du christianisme, il faudroit examiner avant que de les admettre, les suites fâcheuses qui peuvent naître de leur croyance ; 3°. que dans tous les articles de foi au sujet desquels les hommes ne s’accordent point, la raison les engage à se tolérer les uns les autres, dès que ces articles litigieux ne servent pas directement à la confirmation ou aux progrès de la morale ; 4°. que toute chose contraire ou incompatible avec les décisions de la raison claires & évidentes par elles-mêmes, n’a pas droit d’être reçue comme un article de foi, auquel la raison n’ait rien à voir.

Je sai que la révélation divine doit prévaloir sur nos préjugés, & exiger de l’esprit un parfait assentiment ; mais une telle soumission de la raison à la foi, loin d’ébranler les fondemens de la raison, nous laisse la liberté d’employer nos facultés à l’usage pour lequel elles nous ont été données. Si la droite raison n’a rien à faire en matiere de religion, tout est perdu ; car c’est pour ne l’avoir point consultée cette droite raison, qu’il regne tant d’opinions étranges, superstitieuses & extravagantes dans la plûpart des religions qui divisent le genre humain. (D. J.)