L’Encyclopédie/1re édition/FUNÉRAILLES

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FUNÉRAILLES, s. m. pl. (Hist. anc.) ce mot est dérivé du latin funus, & celui-ci de funalia ; parce que les torches (funes cerâ circumdati) étoient d’usage dans les enterremens des Romains.

Les funérailles sont les derniers devoirs que l’on rend à ceux qui sont morts, ou, pour mieux dire, c’est un appareil de la vanité & de la misere humaine. Voyons quelles étoient les cérémonies de cet appareil chez les Egyptiens, les Grecs, & les Romains ; car l’histoire en parle si souvent, qu’il est nécessaire d’entrer dans quelques détails à ce sujet.

Funérailles des Egyptiens. Les Egyptiens sont les premiers de tous les peuples qui ont montré le plus grand respect pour les morts, en leur érigeant des monumens sacrés, propres à porter aux siecles futurs la mémoire des vertus qu’ils avoient cultivées pendant leur vie. Voici comme on se conduisoit pour les particuliers.

Quand quelqu’un étoit mort dans une famille, les parens & les amis commençoient par prendre des habits lugubres, s’abstenoient du bain, & se privoient de tous les plaisirs de la bonne-chere. Ce deuil duroit jusqu’à quarante & soixante-dix jours Pendant ce tems-là on embaumoit le corps avec plus ou moins de dépense. Dès que le corps étoit embaumé, on le rendoit aux parens qui l’enfermoient dans une espece d’armoire ouverte, où ils le plaçoient debout & droit contre la muraille, soit dans leur maisons, soit dans les tombeaux de la famille. C’est par ce moyen que la reconnoissance des Egyptiens envers leurs parens se perpétuoit d’âge en âge. Les enfans en voyant le corps de leurs ancêtres, se souvenoient de leurs vertus que le public avoit reconnues, & s’excitoient à aimer les préceptes qu’ils leur avoient laissés. J’ai dit des vertus que le public avoit reconnues ; parce que les morts avant d’être admis dans l’asyle sacré des tombeaux, devoient subir un jugement solennel ; & cette circonstance des funérailles chez les Egyptiens, offre un fait des plus remarquables de l’histoire de ce peuple.

C’est une consolation en mourant de laisser un nom qui soit en estime ; & de tous les biens humains, c’est le seul que le trépas ne peut ravir : mais il falloit en Egypte mériter cet honneur par la décision des juges : car aussi-tôt qu’un homme étoit privé du jour, on l’amenoit en jugement, & tout accusateur public étoit écouté. S’il prouvoit que la conduite du mort eût été mauvaise, on en condamnoit la mémoire, & il étoit privé de la sépulture ; si le mort n’étoit convaincu d’aucune faute capitale, ou l’ensevelissoit honorablement.

Les rois n’étoient pas exempts du jugement qu’il falloit subir après la mort ; & en conséquence d’un jugement défavorable, quelques-uns ont été privés de la sépulture ; coûtume qui passa chez les Israélites. En effet nous lisons dans l’Ecriture-sainte, que les méchans rois d’Israel n’étoient point ensevelis dans les tombeaux de leurs ancêtres.

Lorsque le jugement qui avoit été prononcé se trouvoit à l’avantage du mort, on procédoit aux cérémonies de l’inhumation ; ensuite on faisoit son panégyrique, & où on ne comptoit pour objets de vraies loüanges, que ceux qui émanoient du mérite personnel du mort. Les titres, la grandeur, la naissance, les biens, les dignités, n’y entroient pour rien ; parce que ce sont des présens du hasard & de la fortune : mais on loüoit le mort de ce qu’il avoit cultive la piété à l’égard des dieux, la justice envers ses égaux, & toutes les vertus qui font l’homme de bien ; alors l’assemblée prioit les dieux de recevoir de mort dans la compagnie des justes, & de l’associer à leur bonheur.

Funérailles des Grecs. Nous passons aux funérailles des Grecs qui suivirent l’usage de la république d’Athenes. Ce fut la premiere année de la guerre du Péloponese, que les Athéniens firent des funérailles publiques à ceux qui avoient été tués dans cette campagne, & ils pratiquerent depuis cette cérémonie, tant que la guerre subsista. Pour cela on dressoit, trois jours auparavant, une tente, où l’on exposoit les ossemens des morts, & chacun jettoit sur les ossemens des fleurs, de l’encens, des parfums & autres choses semblables ; puis on les mettoit sur des chariots dans des cercueils de cyprès, chaque tribu ayant son cercueil & son chariot séparé ; mais il y avoit un chariot qui portoit un grand cercueil vuide, pour ceux dont on n’avoit pû trouver les corps : c’est ce qu’on appelloit cénotaphe. La marche se faisoit avec une pompe grave & religieuse ; un grand nombre d’habitans, soit citoyens, soit étrangers, assistoit avec les parens à cette lugubre cérémonie. On portoit ces ossemens dans un monument public, au plus beau fauxbourg de la ville, appellé le céramique, ou l’on renfermoit de tout tems ceux qui étoient morts à la guerre, excepté ceux de Marathon, qui pour leur rare valeur furent enterrés au champ de bataille. Ensuite on les couvroit de terre, & l’un des citoyens des plus considérables de la ville faisoit l’oraison funebre.

Après qu’on avoit ainsi payé solennellement ce double tribut de pleurs & de loüanges à la mémoire des braves gens qui avoient sacrifié leur vie pour la défense de la liberté commune, le public qui ne bornoit pas sa reconnoissance à des cérémonies ni à des larmes stériles, prenoit soin de la subsistance de leurs veuves & des orphelins qui étoient restés en bas âge : puissant aiguillon, dit Thucydide, pour exciter la vertu parmi les hommes ; car elle se trouve toujours où le mérite est le mieux récompense.

Les Grecs ne connurent la magnificence des funérailles, que par celles d’Alexandre le Grand, dont Diodore de Sicile nous a laissé la description ; & comme de toutes les pompes funebres mentionnées dans l’histoire, aucune n’est comparable à celles de ce prince, nous en joindrons ici le précis d’après M. Rollin : on verra jusqu’où la vanité porta le luxe de cet appareil lugubre.

Aridée frere naturel d’Alexandre, ayant été chargé du soin de ce convoi, employa deux ans pour disposer tout ce qui pouvoit le rendre le plus riche & le plus éclatant qu’on eût encore vû. La marche fut précédée par un grand nombre de pionniers, afin de rendre pratiquables les chemins par où l’on devoit passer. Après qu’ils eurent été applanis, on vit partir de Babylone le magnifique chariot sur lequel étoit le corps d’Alexandre. L’invention & le dessein de ce chariot se faisoient autant admirer, que les richesses immenses que l’on y découvroit. Le corps de la machine portoit sur deux essieux qui entroient dans quatre roues, dont les moyeux & les rayons étoient dorés, & les jantes revêtues de fer. Les extrémités des essieux étoient d’or, représentant des mufles de lions qui mordoient un dard. Le chariot avoit quatre timons, & à chaque timon étoient attelés seize mulets, qui formoient quatre rangs ; c’étoit en tout seize rangs & soixante-quatre mulets. On avoit choisi les plus forts & de la plus haute taille ; ils avoient des couronnes d’or & des colliers enrichis de pierres précieuses, avec des sonnettes d’or. Sur ce chariot s’élevoit un pavillon d’or massif, qui avoit douze piés de large sur dix-huit de long, soûtenu par des colonnes d’ordre ionique, embellies de feuilles d’acanthe. Il étoit orné au-dedans de pierres précieuses, disposées en forme d’écailles. Tout autour régnoit une frange d’or à réseau, dont les filets avoient un doigt d’épaisseur, où étoient attachées de grosses sonnettes, qui se faisoient entendre de fort loin.

Dans la décoration du dehors, on voyoit quatre bas-reliefs. Le premier représentoit Alexandre assis dans un char, & tenant à la main un sceptre environné d’un côté d’une troupe de Macédoniens, & de l’autre d’une pareille troupe de Persans, tous armés à leur maniere. Devant eux marchoient les écuyers du roi. Dans le second bas-relief on voyoit des éléphans harnachés de toutes pieces, portant sur le devant des Indiens, & sur le derriere des Macédoniens, armés comme dans un jour d’action. Dans le troisieme étoient représentés des escadrons de cavalerie en ordre de bataille. Le quatrieme montroit des vaisseaux tous prêts à combattre. A l’entrée de ce pavillon étoient des lions d’or qui sembloient le garder. Aux quatre coins étoient posées des statues d’or massif représentant des victoires, avec des trophées d’armes à la main. Sous ce dernier pavillon on avoit placé un throne d’or d’une figure quarrée, orné de têtes d’animaux, qui avoient sous leur cou des cercles d’or d’un pié & demi de largeur, d’où pendoient des couronnes brillantes des plus vives couleurs, telles qu’on en portoit dans les pompes sacrées.

Au pié de ce throne étoit posé le cercueil d’Alexandre, tout d’or & travaillé au marteau. On l’avoit rempli à demi d’aromates & de parfums, tant afin qu’il exhalât une bonne odeur, que pour la conservation du cadavre. Il y avoit sur ce cercueil une étoffe de pourpre brochée d’or : entre le throne & le cercueil, étoient les armes du prince, telles qu’il les portoit pendant sa vie. Le pavillon en-dehors étoit aussi couvert d’une étoffe de pourpre à fleurs d’or ; le haut étoit terminé par une très-grande couronne d’or, composée comme de branches d’olivier.

On conçoit aisément que dans une longue marche, le mouvement d’un chariot aussi lourd que celui ci, devoit être sujet à de grands inconvéniens. Afin donc que le pavillon & tous ses accompagnemens, soit que le chariot descendît ou qu’il montât, demeurassent toûjours dans la même situation, malgré l’inégalité des lieux & les violentes secousses qui en étoient inséparables ; du milieu de chacun des deux essieux s’elevoit un axe qui soûtenoit le milieu du pavillon, & tenoit toute la machine en état.

Le corps d’Alexandre, suivant les dernieres dispositions de ce prince, devoit être porté au temple de Jupiter Ammon ; mais Ptolemée gouverneur d’Egypte, le fit conduire à Alexandrie, où il fut inhumé. Ce prince lui érigea un temple magnifique, & lui rendit tous les honneurs que l’antiquité payenne avoit coûtume de rendre aux demi-dieux. On ne voit plus aujourd’hui que les ruines de ce temple.

Funérailles des Romains. Les Romains ont été sans contredit un des peuples les plus religieux & les plus exacts à rendre les derniers devoirs à leurs parens & à leurs amis. On sait qu’ils n’oublioient rien de ce qui pouvoit marquer combien la mémoire leur en étoit chere, & de ce qui pouvoit en même tems contribuer à la rendre précieuse. C’étoit aussi quelquefois un hommage qu’on accordoit à la vertu, pour exciter dans les citoyens la noble passion de mériter un jour de pareils honneurs. En un mot, Pline dit que les funérailles chez les Romains étoient une cérémonie sacrée : les détails en sont fort étendus.

Elle commençoit cette cérémonie sacrée dès le moment que la personne se mouroit. Il falloit dans cet instant que le plus proche parent, & si c’étoit des gens mariés, que le survivant du mari ou de la femme donnât au mourant le dernier baiser comme pour en recevoir l’ame, & qu’il lui fermât les yeux. On les lui ouvroit lorsqu’il étoit sur le bûcher, afin qu’il parût regarder le ciel. On observoit en lui fermant les yeux de lui fermer la bouche, pour le rendre moins effrayant & le faire paroître comme une personne dormante. On ôtoit l’anneau du doigt du défunt, qu’on lui remettoit lorsqu’on portoit le corps sur le bûcher. On l’appelloit plusieurs fois par son nom à haute voix, pour connoître s’il étoit véritablement mort, ou seulement tombé en léthargie. On nommoit cet usage conclamatio, conclamation ; & suivant l’explication qu’un célebre antiquaire a donnée d’un bas-relief, qui est au Louvre dans la salle des antiques, on ne se contentoit pas de la simple voix pour les personnes de qualité, on y employoit le son des buccines & des trompettes, ainsi qu’on peut juger par ce bas-relief. L’on y voit des gens qui sonnent de la trompette près du corps d’une personne qui paroît venir de rendre les derniers soupirs, & que, selon qu’on peut conjecturer par les apprêts qui y sont représentés, on va mettre entre les mains des libitinaires ; les sons bruyans de ces instrumens frappant les organes d’une maniere beaucoup plus éclatante que la voix, donnoient des preuves plus certaines que la personne étoit véritablement morte.

Ensuite on s’adressoit aux libitinaires pour procéder aux funérailles suivant la volonté du défunt, s’il en avoit ordonné, ou celle des parens & des héritiers, avec le plus ou le moins de dépense qu’on y vouloit faire. Ces libitinaires étoient des gens qui vendoient & fournissoient tout ce qui étoit nécessaire pour la cérémonie des convois ; on les appelloit ainsi, parce qu’ils avoient leur magasin au temple de Vénus Libitine. On gardoit dans ce temple les registres qu’on tenoit à Rome de ceux qui y mouroient ; & c’est de ces registres qu’on avoit tiré le nombre des personnes que la peste y enleva pendant une automne, du tems de Néron.

Les libitinaires avoient sous eux des gens qu’on nommoient pollinctores, pollincteurs : c’étoit entre leurs mains qu’on mettoit d’abord le cadavre ; ils le lavoient dans l’eau chaude, & l’embaumoient avec des parfums. Il paroît qu’ils possédoient la maniere d’embaumer les corps à un plus haut degré de perfection, que ne faisoient les Egyptiens, si l’on en croit les relations de quelques découvertes faites à Rome depuis deux cents ans, de tombeaux où l’on a trouvé des corps si bien conservés, qu’on les auroit pris pour des personnes plûtôt dormantes que mortes ; l’odeur qui sortoit de ces tombeaux étoit encore si forte, qu’elle étourdissoit.

Après que le corps étoit ainsi embaumé, on le revêtoit d’un habit blanc ordinaire, c’est-à-dire de la toge. Si cependant c’étoit une personne qui eût passé par les charges de la république, on lui mettoit la robe de la plus haute dignité qu’il eût possédée, & on le gardoit ainsi sept jours, pendant lesquels on préparoit tout ce qui étoit nécessaire pour la pompe des funérailles. On l’exposoit sous le vestibule, ou à l’entrée de sa maison, couché sur un lit de parade, les piés tournés vers la porte, où l’on mettoit un rameau de cyprès pour les riches, & pour les autres seulement des branches de pin, qui marquoient également qu’il y avoit-là un mort. Il restoit toûjours un homme auprès du corps, pour empêcher qu’on ne volât quelque chose de ce qui étoit autour de lui : mais lorsque c’étoit une personne du premier rang, il y avoit de jeunes garçons occupés à en chasser les mouches.

Les sept jours étant expirés, un héraut public annonçoit le convoi, en criant : exequias L. tel L. filii, quibus est commodum ire, tempus est ; ollus (c’est-à-dire ille) ex ædibus effertur ; ceux qui voudront assister aux obseques d’un tel, fils d’un tel, sont avertis qu’il est tems d’y aller présentement, on emporte le corps de la maison. Il n’y avoit néanmoins que les parens ou les amis qui y assistassent, à moins que le défunt n’eût rendu des services considérables à la république ; alors le peuple s’y trouvoit ; & s’il avoit commandé les armées, les soldats s’y rendoient aussi, portant leurs armes renversées le fer en-bas. Les licteurs renversoient pareillement leurs faisceaux.

Le corps étoit porté sur un petit lit qu’on nommoit exaphore, quand il n’y avoit que six porteurs ; & octophore, s’il s’en trouvoit huit. C’étoient ordinairement les parens, qui par honneur en faisoient l’office, ou les fils du défunt s’il en avoit. Pour un empereur, le lit étoit porté par des sénateurs ; pour un général d’armée, par des officiers & des soldats. A l’égard des gens de commune condition, c’étoit dans une espece de bierre découverte qu’ils étoient portés par quatre hommes, de ceux qui gagnoient leur vie à ce métier. On les appelloit vespillones, parce que pendant un très-long-tems on observa de ne faire les convois que vers le soir : mais dans la suite on les fit autant de jour que de nuit. Le défunt paroissoit ayant sur la tête une couronne de fleurs, & le visage découvert, à moins que sa maladie ne l’eût entierement défiguré ; en ce cas on avoit soin de le couvrir.

Après que les maîtres de cérémonie du convoi avoient marqué à chacun son rang, la marche commençoit par un trompette & les joüeurs de flûte qui joüoient d’une maniere lugubre. Ils étoient suivis de plus ou de moins de gens, qui portoient des torches allumées. Proche du lit étoit un archimime qui contrefaisoit toutes les manieres du défunt ; & l’on portoit devant le lit couvert de pourpre, toutes les marques des dignités dont il avoit été revêtu : s’il s’étoit signalé à la guerre, on y faisoit paroître les présens & les couronnes qu’il avoit reçûs pour ses belles actions, les étendarts & les dépouilles qu’il avoit remportés sur les ennemis. On y portoit en particulier son buste représenté en cire, avec ceux de ses ayeux & de ses parens, montés sur des bois de javelines, ou placés dans des chariots ; mais on n’accordoit point cette distinction à ceux qu’on nommoit novi homines, c’est-à-dire gens qui commençoient leur noblesse, & dont les ayeux n’auroient pu lui faire honneur. On observoit aussi de ne point porter les bustes de ceux qui avoient été condamnés pour crime, quoiqu’ils eussent possédé des dignités ; la loi le défendoit. Toutes ces figures se replaçoient ensuite dans le lieu où elles étoient gardées. Au convoi des empereurs, on faisoit encore porter sur des chariots, les images & les symboles des provinces & des villes subjuguées.

Les affranchis du défunt suivoient cette pompe portant le bonnet qui étoit la marque de leur liberté : ensuite marchoient les enfans, les parens, & les amis atrati, c’est-à-dire en deuil, vêtus de noir ; les fils du défunt avoient un voile sur la tête : les filles vétues de blanc, avoient les cheveux épars sans coëffure, & marchant nuds piés ; après ce cortege venoient les pleureuses, præficæ : c’étoient des femmes dont le métier étoit de faire des lamentations sur la mort du défunt ; & en pleurant, elles chantoient ses loüanges sur des airs lugubres, & donnoient le ton à tous les autres.

Lorsque le défunt étoit une personne illustre, on portoit son corps au rostra dans la place romaine, où la pompe s’arrêtoit pendant que quelqu’un de ses enfans ou des plus proches parens faisoit son oraison funebre, & c’est ce qu’on appelloit laudare pro rostris : cela ne se pratiquoit pas seulement pour les hommes qui s’étoient distingués dans les emplois, mais encore pour les dames de condition ; la république avoit permis de les loüer publiquement, depuis que ne s’étant point trouvé assez d’or dans le trésor public, pour acquitter le vœu que Camille avoit fait de donner une coupe d’or à Apollon delphien, après la prise de la ville de Veïes, les dames romaines y avoient volontairement contribué par le sacrifice de leurs bagues & de leurs bijoux.

De la place romaine, on alloit au lieu où l’on devoit enterrer le corps ou le brûler ; on se rendoit donc au champ de Mars, qui étoit le lieu où se laisoit ordinairement cette cérémonie : car on ne brûloit point les corps dans la ville. On avoit eu soin d’avance de dresser un bucher d’if, de pin, de melèze, ou d’autres pieces de bois aisé à s’enflammer, arrangées les unes sur les autres en forme d’autel, sur lequel on posoit le corps vêtu de sa robbe ; on l’arrosoit de liqueurs propres à répandre une bonne odeur ; on lui coupoit un doigt pour l’enterrer, avec une seconde cérémonie ; on lui tournoit le visage vers le ciel ; on lui mettoit dans la bouche une piece d’argent, qui étoit ordinairement une obole, pour payer le droit de passage à Caron.

Tout le bucher étoit environné de cyprès : alors les plus proches parens tournant le dos par derriere & pendant que le feu s’allumoit, ils jettoient dans le bucher les habits, les armes, & quelques autres effets du défunt, quelquefois même de l’or & de l’argent ; mais cela fut défendu par la loi des douze tables. Aux funérailles de Jules-César, les soldats vétérans jetterent leurs armes sur son bucher pour lui faire honneur. On immoloit aussi des bœufs, des taureaux, & des moutons, qu’on jettoit sur le bucher.

On donnoit tout-auprès des combats de gladiateurs pour appaiser les manes du défunt ; on avoit introduit l’usage de ces combats pour suppléer à la barbare coûtume anciennement pratiquée à la guerre, d’immoler les prisonniers auprès du bûcher de ceux qui étoient morts en combattant, comme pour les venger. Les combats des gladiateurs n’étoient pas le seul spectacle qu’on y donnoit ; on faisoit aussi quelquefois des courses de chariots autour du bûcher ; on y représentoit même des pieces de théatre, & par un excès de somptuosité, on y a vû donner des festins aux assistans & au peuple.

Dès que le corps étoit brûlé, on en ramassoit les cendres & les os, que le feu n’avoit pas entierement consumés. C’étoit les plus proches parens ou les héritiers qui en prenoient soin : afin que les cendres ne fussent pas confondues avec celles du bûcher, on avoit la précaution en mettant sur le bûcher le corps du défunt, de l’envelopper d’une toile d’amianthe, que les Grecs appellent asbestos ; on la voit ensuite ces cendres & ces os avec du lait & du vin ; & pour les placer dans le tombeau de la famille, on les enfermoit dans une urne d’une matiere plus ou moins précieuse, selon l’opulence ou la qualité du défunt ; les plus communes étoient de terre cuite.

Ensuite, le sacrificateur qui avoit assisté à la cérémonie, jettoit par trois fois sur les assistans pour les purifier, de l’eau avec un aspersoir fait de branches d’olivier, usage qui s’est introduit dans le Christianisme à l’égard du cadavre seulement, & qu’on a jugé à-propos de conserver. Enfin, la même pleureuse congédioit la compagnie par ce mot I, licet. c’est-à-dire, vous pouvez vous en-aller ; alors les parens & amis du défunt lui disoient par trois fois, en l’appellant par son nom, & à haute voix : vale, vale, vale : nos te ordine quo natura voluerit sequemur ; adieu, adieu, adieu, nous te suivrons quand notre rang marqué par la nature arrivera. On portoit l’urne où étoient les cendres dans le sépulcre, devant lequel il y avoit un petit autel où l’on brûloit de l’encens & d’autres parfums : cérémonie qui étoit renouvellée de tems en-tems, de même que celle de jetter des fleurs sur la tombe.

A l’égard de ceux dont on ne brûloit point les corps, on les mettoit ordinairement dans des bierres de terre cuite ; ou si c’étoient des personnes de distinction, dans un tombeau de marbre creusé ; on mettoit encore dans ce tombeau une lampe dite perpétuelle, & quelquefois de petites figures de divinités, avec des fioles qu’on appelloit lacrymatoires, qui renfermoient l’eau des larmes qu’on avoit répandues à leur convoi, témoignage qu’ils avoient été fort regrettés. On a trouvé dans quelques tombeaux des bijoux qui y avoient été mis avec le corps, parce qu’apparemment le défunt les avoit fort chéris de son vivant.

La cérémonie des funérailles se terminoit par un festin, qui étoit ordinairement un souper, que l’on donnoit aux parens & aux amis ; quelquefois même on distribuoit de la viande au peuple, & neuf jours après on faisoit un autre festin qu’on appelloit le grand souper, la novendale, c’est-à-dire la neuvaine ; on observoit dans ce dernier repas de quitter les habits noirs, & d’en prendre de blancs.

C’en est assez sur ce sujet, où je n’ai crû devoir employer que les traits historiques qui pouvoient convenir ici, en élaguant toutes les citations sans nombre qui m’auroient mené trop loin ; mais le lecteur curieux de plus grands détails, & de détails d’érudition recherchée, peut consulter l’ouvrage latin de funeribus Romanorum, publié par Jean Kirchman, dont la premiere édition parut à Lubeck en 1604. Cet ouvrage acquit de la célébrité à son auteur, & contribua à lui procurer un bon mariage. (D. J.)

Funérailles, (Hist. mod.) après avoir rapporté les cérémonies funebres des anciens, on peut parcourir celles qui sont usitées de nos jours chez quelques peuples d’Asie, d’Afrique, & d’Amérique ; il semble que la nature a par-tout inspiré aux hommes ce dernier devoir envers leurs semblables qui leur sont enlevés la mort ; & la religion, soit vraie, soit fausse, a consacré cet usage.

Funérailles des Arabes. Dès que quelqu’un a rendu les derniers soupirs chez les Arabes, on lave le corps avec décence : on le coud dans un morceau de toile s’il s’en trouve dans la maison, ou dans quelques guenilles s’il est pauvre ; on le met sur un brancard composé de deux morceaux de bois avec quelques traverses d’osier, & quatre ou six hommes le portent où il doit être enterré. Comme ces peuples changent souvent de camp, ils n’ont point de cimetieres fixes. Ils choisissent toûjours un lieu élevé & écarté du camp ; ils y font une fosse profonde, où ils mettent le corps la tête du côté de l’orient, le couvrent de terre, & mettent dessus de grosses pierres, afin d’empêcher les bêtes sauvages de venir le déterrer & le dévorer. Ceux qui portent le corps à la sépulture & ceux qui l’accompagnent, chantent des prieres pour le défunt & des loüanges à Dieu.

Dans ces occasions les hommes ne pleurent point, ce qu’on regarde comme une preuve de leur courage & de leur fermeté. Mais en récompense les femmes s’acquittent très-bien de cette fonction. Les parentes du défunt crient, s’égratignent le visage & les bras, s’arrachent les cheveux, & ne sont couvertes que d’un vêtement déchiré, avec un voile bleu & sale ; toutes marques de douleur extraordinaire, vraie ou apparente.

Les cérémonies des funérailles qui ne sont pas longues étant achevées, on revient au camp. Tous ceux qui y ont assisté trouvent un repas préparé, & mangent dans une tente ; les femmes dans une autre. Les hommes à leur ordinaire gardent la gravité, les femmes essuient leurs larmes ; les uns & les autres se consolent ; on fait à la famille des complimens de condoléance qui sont fort courts, puisqu’ils ne consistent qu’en ces deux mots, kalherna aandek, c’est-à-dire je prends part à votre affliction : & en ces deux autres, selamet erask, qui signifient Dieu conserve votre tête. Après quoi les parens du défunt font le partage de ses biens entre ses enfans. Mém. du chevalier d’Arvieux, tom. III.

Funérailles des Turcs. En Turquie, lorsqu’une personne est morte, on met son corps au milieu de la chambre, & l’on répete tristement ces mots à-l’entour, subanna allah, c’est-à-dire, ô Dieu miséricordieux, ayez pitié de nous. On le lave ensuite avec de l’eau chaude & du savon ; & après avoir brûlé assez d’encens pour chasser le diable & les autres esprits malins qu’on suppose roder autour de lui, on l’enveloppe dans un suaire sans couture, afin, dit-on, que dans l’autre monde il puisse se mettre à genoux lorsqu’il subira son jugement ; tout cela est accompagné de lamentations, où les femmes ont la principale part.

Autrefois on exposoit le mort sur une table, comme dans un lit de parade, orné de ses plus beaux habits, & de diverses fleurs de la saison ; après quoi on le portoit sur des brancards hors de la ville, dans un lieu destiné à la sépulture des morts. Aujourd’hui on se contente de le mettre dans une bierre, couverte d’un poîle convenable à sa profession, sur lequel on répand des fleurs, pour marquer son innocence. La loi défend à qui que ce soit de garder un corps mort au-delà d’un jour, & de le porter plus loin d’une lieue. Il n’y a que le corps du grand-seigneur défunt qui en soit excepté.

Les Turcs sont persuadés qu’au moment que l’ame quitte le corps, les anges la conduisent au lieu où il doit être inhumé, & l’y retiennent pendant 40 jours dans l’attente de ce corps ; ce qui les engage à le transporter au plus vîte au lieu de la sépulture, afin de ne pas faire languir l’ame. Quelques-uns prétendent que les femmes & filles n’assistent point au convoi, mais demeurent à la maison pour préparer à manger aux imans, qui après avoir mis le corps dans le tombeau, reviennent pour faire bonne chere, & recevoir dix aspres qui sont leur rétribution ordinaire.

Aussi-tôt que le deuil est fini autour du mort & qu’on l’a enseveli, on le porte sur les épaules au lieu destiné à la sépulture, soit dans les cimetieres situés hors des villes, s’il est pauvre, soit au cimetiere des mosquées, à l’entrée desquelles on le porte s’il est riche, & à l’entrée desquelles les imans font des prieres qui ne consistent qu’en quelques complaintes & dans le récit de certains vers lugubres qui sont répétés mot pour mot par ceux qui accompagnent le convoi, & qui suivent couverts d’une piece de drap gris ou de feutre pendante devant & derriere.

Arrivés au tombeau, les Turcs tirent le mort du cercueil, & le descendent dans la fosse avec quelques sentences de l’alcoran. On ne jette point la terre immédiatement sur le corps, de peur que sa pesanteur ne l’incommode ; pour lui donner un peu d’air, on pose de longues pierres en-travers, qui forment une espece de voûte sur le cadavre, ensorte qu’il y est enfermé comme dans un coffre. Les cris & les lamentations des femmes cessent aussi-tôt après l’inhumation. Une mere peut pleurer son fils jusqu’à trois fois ; au-delà elle peche contre la loi.

Les funérailles du Sultan sont accompagnées d’une majesté lugubre. On mene en main tous ses chevaux avec les selles renversées, couverts de housses de velours noir traînantes jusqu’à terre. Tous ses officiers, tant ceux du serrail que ceux de la garde, solaks, jannissaires & autres, y marchent en leur rang. Les mutaféracas précedent immédiatement le corps, armés d’une lance, au bout de laquelle est le turban de l’empereur défunt, & portant une queue de cheval. Les armes du prince & ses étendarts traînent par terre. La forme du cercueil est celle d’un chariot d’armes : il est couvert d’un riche poile sur lequel est posé un turban, & lorsque son corps est une fois déposé dans le tombeau, un iman gagé pour y lire l’alcoran a soin de le couvrir tous les jours, surtout le vendredi, de tapis de drap sur lesquels il place ce que le feu empereur avoit coûtume de porter de son vivant, comme son turban, &c. Guer, mœurs & usag. des Turcs, tom. I. (G)

Funérailles des Chinois. Ils lavent rarement leurs morts ; mais ils revêtent le défunt de ses plus beaux habits, & le couvrent des marques de sa dignité ; ensuite ils le mettent dans le cercueil qu’on lui a acheté, ou qu’il s’étoit fait construire pendant sa vie ; car ils ont grand soin de s’en pourvoir long-tems avant que d’en avoir besoin. C’est aussi une des plus sérieuses affaires de leur vie, que de trouver un endroit qui leur soit commode après leur mort. Il y a des chercheurs de sépulture de profession ; ils courent les montagnes ; & lorsqu’ils ont découvert un lieu où il regne un vent frais & sain, ils viennent promptement en donner avis aux gens riches qui accordent quelquefois à leurs soins une récompense excessive.

Les cercueils des personnes aisées sont faits de grosses planches épaisses d’un demi-pié & davantage ; ils sont si bien enduits en-dedans de poix & de bitume, & si bien vernissés en-dehors, qu’ils n’exhalent aucune mauvaise odeur : on en voit qui sont ciselés délicatement, & couverts de dorure. Il y a des gens riches qui employent jusqu’à mille écus pour avoir un cercueil de bois précieux, orné de quantité de figures.

Avant que de placer le corps dans la bierre, on répand au fond un peu de chaux ; & quand le corps y est placé, on y met ou un coussin ou beaucoup de coton, afin que la tête soit solidement appuyée, & ne remue pas aisément. On met aussi du coton ou autres choses semblables, dans tous les endroits vuides, pour le maintenir dans la situation où il a été mis.

Il est défendu aux Chinois d’enterrer leurs morts dans l’enceinte des villes & dans les lieux qu’on habite ; mais il leur est permis de les conserver dans leurs maisons, enfermés dans des cercueils ; ils les gardent plusieurs mois & même plusieurs années comme en dépôt, sans qu’aucun magistrat puisse les obliger de les inhumer. Un fils vivroit sans honneur, sur-tout dans sa famille, s’il ne faisoit pas conduire le corps de son pere au tombeau de ses ancêtres, & on refuseroit de placer son nom dans la salle où on les honore : quand on les transporte d’une province à une autre : il n’est pas permis, sans un ordre de l’empereur, de les faire entrer dans les villes, ou de les faire passer au-travers ; mais on les conduit autour des murailles.

La cérémonie solennelle que les Chinois rendent aux défunts, dure ordinairement sept jours, à-moins que quelques raisons essentielles n’obligent de se contenter de trois jours. Pendant que le cercueil est ouvert, tous les parens & les amis, qu’on a eu soin d’inviter, viennent rendre leurs devoirs au défunt ; les plus proches parens restent même dans la maison. Le cercueil est exposé dans la principale salle, qu’on a parée d’étoffes blanches qui sont souvent entremêlées de pieces de soie noire ou violette, & d’autres ornemens de deuil. On met une table devant le cercueil. L’on place sur cette table l’image du défunt, ou bien un cartouche qui est accompagné de chaque côté de fleurs, de parfums, & de bougies allumées.

Ceux qui viennent faire leurs complimens de condoléance saluent le défunt à la maniere du pays. Ceux qui étoient amis particuliers accompagnent ces cérémonies de gémissemens & de pleurs, qui le font entendre quelquefois de fort loin.

Tandis qu’ils s’acquittent de ces devoirs, le fils aîné accompagné de ses freres, sort de derriere le rideau qui est à côté du cercueil, se traînant à terre avec un visage sur lequel est peinte la douleur, & fondant en larmes, dans un morne & profond silence ; ils rendent le salut avec la même cérémonie qu’on a pratiquée devant le cercueil : le même rideau cache les femmes, qui poussent à diverses reprises les cris les plus lugubres.

Quand on a achevé la cérémonie, on se leve ; un parent éloigné du defunt, ou un ami, étant en deuil, fait les honneurs ; & comme il a été vous recevoir à la porte, il vous conduit dans un appartement où l’on vous présente du thé, & quelquefois des fruits secs, & semblables rafraîchissemens : après quoi il vous accompagne jusqu’à votre chaise.

Lorsqu’on a fixé le jour des obseques, on en donne avis à tous les parens & amis du défunt, qui ne manquent pas de se rendre au jour marqué. La marche du convoi commence par ceux qui portent différentes statues de carton, lesquelles représentent des esclaves, des tigres, des lions, des chevaux, &c. diverses troupes suivent & marchent deux à deux ; les uns portent des étendarts, des banderolles, ou des cassolettes remplies de parfums : plusieurs jouent des airs lugubres sur divers instrumens de Musique.

Il y a des endroits où le tableau du défunt est élevé au-dessus de tout le reste ; on y voit écrits en gros caracteres d’or son nom & sa dignité. Le cercueil paroît ensuite, couvert d’un dais en forme de dôme, qui est entierement d’étoffe de soie violette, avec des houpes de soie blanche aux quatre coins, qui sont brodées & très-proprement entrelacées de cordons. La machine dont nous parlons, & sur laquelle on a posé le cercueil, est portée par soixante-quatre personnes ; ceux qui ne sont point en état d’en faire la dépense, se servent d’une machine qui n’exige pas un si grand nombre de porteurs. Le fils aîné à la tête des autres enfans & des petits-fils, suit à pié, couvert d’un sac de chanvre, appuyé sur un bâton, le corps tout courbé, & comme accablé sous le poids de sa douleur.

On voit ensuite les parens & les amis tous vêtus de deuil, & un grand nombre de chaises couvertes d’étoffe blanche, ou sont les filles, les femmes, & les esclaves du défunt, qui font retentir l’air de leurs cris.

Quand on est arrivé au lieu de la sépulture, on voit à quelque distance de la tombe des tables rangées dans des salles qu’on a fait élever exprés ; & tandis que les cérémonies accoûtumées se pratiquent, les domestiques y préparent un repas, qui sert ensuite à régaler toute la compagnie.

Quelquefois après le repas, les parens & les amis se prosternent de nouveau, en frappant la terre du front devant le tombeau. Le fils aîné & les autres enfans répondent à leurs honnêtetés par quelques signes extérieurs, mais dans un profond silence. S’il s’agit d’un grand seigneur, il y a plusieurs appartemens à sa sépulture ; & après qu’on y a porte le cercueil, un grand nombre de parens y demeurent un & même deux mois, pour y renouveller tous les jours avec les enfans du défunt les marques de leur douleur. (D. J.)

Funérailles des sauvages d’Amérique. « Parmi les peuples d’Amérique, dit le P. de Charlevoix, sitôt qu’un malade a rendu les derniers soupirs, tout retentit de gémissemens ; & cela dure autant que la famille est en état de fournir à la dépense ; car il faut tenir table ouverte pendant tout ce tems-là. Le cadavre paré de sa plus belle robe, le visage peint, ses armes & tout ce qu’il possédoit à côté de lui, est exposé à la porte de la cabanne, dans la posture qu’il doit avoir dans le tombeau ; & cette posture, en plusieurs endroits, est celle où l’enfant est dans le sein de sa mere. L’usage de quelques nations est que les parens du défunt jeûnent jusqu’à la fin des funérailles ; & tout cet intervalle se passe en pleurs, en éjulations, à régaler tous ceux dont on reçoit la visite, à faire l’éloge du mort, & en complimens réciproques. Chez d’autres, on loue des pleureuses, qui s’acquittent parfaitement de leur devoir ; elles chantent, elles dansent, elles pleurent sans cesse, & toûjours en cadence : mais ces démonstrations d’une douleur empruntée ne préjudicient point à ce que la nature exige des parens du défunt.

» On porte, sans aucune cérémonie le corps au lieu de sa sépulture : mais quand il est dans la fosse, on a soin de le couvrir de maniere que la terre ne le touche point : il y est dans une cellule toute tapissée de peaux ; on dresse ensuite un poteau où l’on attache tout ce qui peut marquer l’estime qu’on faisoit du mort, comme son portrait, &c. . . . On y porte tous les matins de nouvelles provisions ; & comme les chiens & d’autres bêtes ne manquent point d’en faire leur profit, on veut bien se persuader que c’est l’ame du défunt qui y est venue prendre sa réfection.

» Quand quelqu’un meurt dans le tems de la chasse, on expose son corps sur un échafaut fort élevé, & il y demeure jusqu’au départ de la troupe qui l’emporte avec elle au village. Les corps de ceux qui meurent à la guerre sont brûlés, & leurs cendres rapportées pour être mises dans la sépulture de leurs peres. Ces sépultures, parmi les nations les plus sédentaires, sont des especes de cimetieres près du village : d’autres enterrent leurs morts dans les bois au pié des arbres, ou les font secher & les gardent dans des caisses jusqu’à la fete des morts.

» On observe en quelques endroits, pour ceux qui se sont noyés ou qui sont morts de froid, un cérémonial assez bisarre. Les préliminaires des pleurs, des danses, des chants, & des festins, étant achevés, on porte le corps au lieu de la sépulture ; ou, si l’on est trop éloigné de l’endroit où il doit demeurer en dépôt jusqu’à la fête des morts, on y creuse une fosse très-large, & on y allume du feu ; de jeunes gens s’approchent ensuite du cadavre, coupent les chairs aux parties qui ont été crayonnées par un maître des cérémonies, & les jettent dans le feu avec les visceres ; puis ils placent le cadavre ainsi déchiqueté dans le lieu qui lui est destiné. Durant cette opération, les femmes, & sur-tout les parentes du défunt, tournent sans cesse autour de ceux qui travaillent ; les exhortent à bien s’acquitter de leur emploi ; & leur mettent des grains de porcelaine dans la bouche, comme on y mettroit des dragées à des enfans pour les engager à quelque chose qu’on souhaiteroit d’eux ».

L’enterrement est suivi de présens qu’on fait à la famille affligée ; & cela s’appelle couvrir le mort : on fait ensuite des festins accompagnés de jeux & de combats, où l’on propose des prix ; & là, comme dans l’antiquité payenne, une action toute lugubre est terminée par des chants & des cris de victoire.

Le même auteur rapporte que chez les Natchez, une des nations sauvages de la Loüisianne, quand une femme chef, c’est-à-dire noble, ou de la race du soleil, meurt, on étrangle douze petits enfans & quatorze grandes personnes, pour être enterrés avec elles. Journ d’un voyag. d’Amériq. (G)

Funérailles des Misilimakinaks. Il y a d’autres sauvages de l’Amérique qui n’enterrent point leurs morts, mais qui les brûlent ; il y en a même, divisés en ce qu’ils nomment familles, parmi lesquelles est la prérogative attachée à telle famille uniquement, de pouvoir brûler ses morts, tandis que les autres familles sont obligées de les enterrer : c’est ce qu’on voit chez les Misilimakinaks, peuple sauvage de l’Amérique septentrionale de la Nouvelle-France, où la seule famille du grand Lievre joüit du privilége de brûler ses cadavres ; dans les deux autres familles qui forment cette nation, quand quelqu’un de ses capitaines est décédé, on prépare un vaste cercueil, où après avoir couché le corps vêtu de ses plus beaux habits, on y renferme avec lui sa couverture, son fusil, sa provision de poudre & de plomb, son arc, ses fleches, sa chaudiere, son plat, son casse-tête, son calumet, sa boîte de vermillon, son miroir, & tous les présens qui lui ont été donnés à sa mort ; ils s’imaginent qu’avec ce cortége, il fera plus aisément le voyage dans l’autre monde, & qu’il sera mieux reçû des plus grands capitaines de la nation, qui le conduiront avec eux dans un lieu de délices. Pendant que tout cet attirail s’ajuste dans le cercueil, les parens du mort assistent à cette cérémonie en chantant d’un ton lugubre, & en remuant en cadence un bâton où ils ont attaché plusieurs petites sonnettes. (D. J.)

Funérailles des Ethiopiens. Lorsque quelqu’un d’eux vient à mourir, on entend de tous côtés des cris épouvantables ; tous les voisins s’assemblent dans la maison du défunt, & pleurent avec les parens qui s’y trouvent. On lave le corps mort ; après l’avoir enveloppé d’un linceuil de coton, on le met dans un cercueil, au milieu d’une salle éclairée par des flambeaux de cire : on redouble alors les cris & les pleurs au son des tambour de basque ; les uns prient Dieu pour l’ame du défunt, les autres disent des vers à sa loüange ; d’autres s’arrachent les cheveux ; & d’autres se déchirent le visage, pour marquer leur douleur : cette folie touchante & ridicule dure jusqu’à ce que les religieux viennent lever le corps. Après avoir chanté quelques pseaumes, & fait les encensemens, ils se mettent en marche, tenant à la main droite une croix de fer, un livre de prieres à la gauche, & psalmodient en chemin : les parens & amis du défunt suivent, & continuent leurs cris avec des tambours de basque. Ils ont tous la tête rasée, qui est la marque du deuil. Quand on passe devant quelque église, le convoi s’y arrête ; on fait quelques prieres, & ensuite on continue sa route jusqu’au lieu de la sépulture. Là on recommence les encensemens ; on chante encore pendant quelques tems des pseaumes d’un ton lugubre, & on met le corps en terre. Les assistans retournent à la maison du défunt, où l’on leur fait un festin : on s’y trouve matin & soir pendant trois jours, & on ne mange point ailleurs. Au bout de trois jours, on se sépare jusqu’au huitieme ; & de huit en huit jours, on se rassemble pendant un certain espace de tems, pour pleurer le défunt, & manger chez lui.

Au surplus, les gens curieux de parcourir les folies des hommes en fait de funérailles, les trouveront semées dans le grand ouvrage des cérémonies religieuses, & rassemblées dans le petit traité de Muret, pere de l’Oratoire, des cérémonies funebres de toutes les nations. Paris 1675. in-12. (D. J.)

Funérailles des Chrétiens, (Hist. mod. ecclésiast. ) « Les Chrétiens de la primitive Eglise, dit M. l’abbé Fleury, pour mieux témoigner la foi de la résurrection, avoient grand soin des sépultures, & y faisoient grande dépense, à proportion de leur maniere de vivre : ils ne brûloient point les corps, comme les Grecs & les Romains ; ils n’approuvoient pas non plus la curiosité superstitieuse des Egyptiens, qui les gardoient embaumés & exposés à la vûe sur des lits dans leurs maisons ; mais ils les enterroient selon la coûtume des Juifs. Après les avoir lavés, ils les embaumoient, & y employoient plus de parfums, dit Tertullien, que les Payens à leurs sacrifices ; ils les enveloppoient de linges très-fins ou d’étoffes de soie ; quelquefois ils les revêtoient d’habits précieux ; ils les exposoient pendant trois jours, ayant grand soin de les garder cependant & de veiller auprès en prieres : ensuite ils les portoient au tombeau, accompagnant le corps avec quantité de cierges & de flambeaux, chantant des pseaumes & des hymnes pour loüer Dieu, & marquer l’espérance de la résurrection. On prioit aussi pour eux ; on offroit le sacrifice ; & l’on donnoit aux pauvres le festin nommé agapes, & d’autres aumônes. On en renouvelloit la mémoire au bout de l’an ; & on continuoit d’année en année, outre la commémoraison qu’on en faisoit tous les jours au saint sacrifice.

» L’Eglise avoit ses officiers destinés pour les enterremens, que l’on appelloit en latin fossores, laborantes, copiatæ, c’est-à-dire fossoyeurs ou travailleurs, & qui se trouvent quelquefois comptés entre le clergé. On enterroit souvent avec les corps différentes choses pour honorer les défunts, ou pour en conserver la mémoire ; comme les marques de leur dignité, les instrumens de leur martyre, des phioles ou des éponges pleines de leur sang, les actes de leur martyre, leur épitaphe, ou du-moins leur nom, des médailles, des feuilles de laurier ou de quelqu’autre arbre toûjours verd, des croix, l’évangile. On observoit de poser le corps sur le dos, le visage tourné vers l’orient. Les Payens, pour garder les cendres des morts, bâtissoient des sépulcres magnifiques le long des grands chemins, & par-tout ailleurs dans la campagne. Les chrétiens au contraire cachoient les corps, les enterrant simplement ou les rangeant dans des caves, comme étoient auprès de Rome les tombes ou catacombes. Voyez Catacombes.

» Les anciens cimetieres ou lieux où l’on déposoit leurs corps, sont quelquefois appellés conciles des martyrs, parce que leurs corps y étoient assemblés ; ou arenes, à cause du terrein sablonneux. En Afrique, on nommoit aussi les cimetieres des aires.

» On a toûjours eu grande dévotion à se faire enterrer auprès des martyrs ; & c’est ce qui a enfin attiré tant de sépultures dans les églises, quoique l’on ait gardé long-tems la coûtume de n’enterrer que hors des villes. La vénération des reliques & la créance distincte de la résurrection, ont effacé parmi les Chrétiens l’horreur que les anciens, même les Israélites, avoient des corps morts & des sépultures ». Mœurs des chrétiens, art. 31.

Cette coûtume d’enterrer les morts, & de les porter au lieu de leur sépulture en chantant des pseaumes, a toûjours été observée parmi les Chrétiens ; les cérémonies seulement ont varié suivant les tems & les usages. M. Lancelot, dans un mémoire sur une ancienne tapisserie, qui représente les faits & gestes de Guillaume le Conquérant, observe que dans un morceau de cette tapisserie sont figurées les cérémonies des funérailles d’Edoüard le confesseur, qui ont beaucoup d’affinité avec celles qui se pratiquent encore aujourd’hui en pareil cas : « On y voit Edoüard mort & étendu sur une espece de drap mortuaire parsemé de larmes, dans lequel deux hommes, l’un placé à la tête l’autre aux piés, arrangent le corps. A côté est un autre homme debout, tenant deux doigts de la main droite élevés ; cette attitude & son habillement, qui paroît ressembler à une chasuble, désignent un prêtre qui lui donne les dernieres bénédictions… On y voit aussi une église… & un homme par lequel on a voulu désigner les sonneurs de cloches… La bierre est portée par huit hommes ; elle est d’une figure presque quarrée, traversée de plusieurs bandes, & chargée de petites croix & autres ornemens : de ces huit hommes quatre sont en-devant, & les quatre autres derriere ; ils la portent sur leurs épaules par le moyen de longs bâtons excédans la bierre, 2 à chaque bâton : c’étoit alors la maniere de porter les morts… cet usage s’est même conservé jusqu’à nos jours ; & les hanovars ou porteurs de sel, qui avoient le privilége de porter les corps ou les effigies de nos rois, porterent encore le corps ou l’effigie d’Henri IV. de la même maniere sur leurs épaules en 1610. Dans cette même tapisserie, aux deux côtés de la bierre, paroissent deux autres hommes, qui ont une sonnette en chaque main. L’usage d’avoir des porteurs de sonnettes dans les pompes funebres, & qui subsiste encore en la personne des jurés-crieurs, lorsqu’ils vont faire leurs semonces, est très-ancien. Suidas, & un ancien scholiaste de Théocrite, en parlent ; on les appelloit alors codonophori ; ils ont été depuis connus sous le nom de pulsatores & exequiates, & leurs sonnettes, campanæ manuales pro mortuis, ou campana bajulæ… à la suite du cercueil, on voit un grouppe de personnes qui semblent toutes fondre en pleurs & en gémissemens ». Mémoires de l’académie, tome VIII.

La description des funérailles de ce roi, conformes à la simplicité de ces tems-là, montrent que les usages & les cérémonies en étoient toutes semblables à celles qui se pratiquent aujourd’hui dans les funérailles des particuliers : car on sait que parmi les catholiques, dès qu’un homme est mort, les jurés-crieurs, pour les personnes qui ont le moyen de les employer, préparent les tentures, drap mortuaire, croix, chandeliers, luminaire, & autres choses nécessaires à la cérémonie ; convient les parens & les amis, ou par billets ou de vive voix ; qu’on expose ensuite le défunt, ou dans une chambre ardente, ou à sa porte dans un cercueil ; que le clergé vient enlever le corps, & le conduit à l’église, suivi de ses parens, amis, &c. & qu’après plusieurs aspersions, & le chant des prieres & pseaumes convenables à cet acte de religion, on l’inhume ou dans l’église même ou dans le cimetiere.

Les funérailles des grands, des princes, & des rois, sont accompagnés de plus de pompe : après qu’on les a embaumés & déposés dans un cercueil de plomb, on les expose pendant plusieurs jours sur un lit de parade, dans une salle tendue de noir & illuminée, où des prêtres & des religieux récitent des prieres jour & nuit ; les cours souveraines, les communautés religieuses, & autres corps, viennent leur jetter de l’eau benite ; & au jour marqué, on les transporte au lieu de leur sépulture, dans un char drapé de noir, avec leurs armoiries, & attelé de chevaux caparaçonnés de noir, grand nombre de pauvres & de domestiques portans des flambeaux : ces cérémonies sont accompagnées de discours pour remettre le corps & le recevoir, suivies à quelque tems de-là de services solennels & d’oraisons funebres. On y porte ordinairement les marques de la dignité du défunt ; comme la couronne ducale, &c. ce sont des officiers ou gentilshommes qui sont chargés de ces fonctions ; & aux funérailles des rois, elles sont remplies par les grands officiers de la couronne.

Parmi les Protestans, on a retranché la plûpart des cérémonies de l’Eglise romaine ; les aspersions ; croix, luminaire, &c. Pour l’inhumation d’un particulier, le ministre le conduit au lieu de sa sépulture ; & lorsqu’on l’a mis en terre, il adresse ces paroles au cadavre : dors en paix, jusqu’à ce que le seigneur te réveille. Celles des rois & des princes se font avec le cérémonial attaché à leurs dignités, & d’usage différent selon les divers pays. (G)