L’Encyclopédie/1re édition/GÉOGRAPHIE
GÉOGRAPHIE, s. f. (Ordre encycl. Entend. Rais. Philosophie ou Sciences, Sciences de la Nature, Mathém. Mathem. mixtes, Astron. Cosmogr. Géograph.) composé de deux mots grecs, γῆ, terre, & γράφειν, peindre. La Géographie est la description de la terre. L’on ne sait guere à quel tems cette science peut remonter dans l’antiquité. Il est naturel de penser que si les premiers hommes frappés de l’éclat des astres ont été excités à en observer les cours différens, ils n’auront pas eu moins de curiosité à connoître la terre qu’ils habitoient. Ce qu’il y a de certain, c’est que les peuples qui ont eu le plus de réputation, ont reconnu l’utilité de la Géographie : en effet sans elle il n’y eût eu ni commerce étendu ni navigation florissante ; elle servit aux conquérans & aux généraux célebres, comme aux interpretes des écrivains sacrés & profanes ; elle guida toûjours l’historien & l’orateur : florissante avec les Arts, les Sciences, & les Lettres, elle s’est trouvée toûjours marcher à leurs côtés dans leurs transmigrations. Née, pour ainsi dire, en Egypte comme les autres beaux arts, on la vit successivement occuper l’attention des Grecs, des Romains, des Arabes, & des peuples occidentaux de l’Europe.
La premiere carte dont parlent les auteurs anciens, s’il faut les en croire sur des tems si éloignés, est celle que Sesostris le premier & le plus grand conquérant de l’Egypte, fit exposer à son peuple pour lui faire connoître, dit-on, les nations qu’il avoit soûmises & l’étendue de son empire, dont les embouchures du Danube & de l’Inde faisoient les bornes.
L’on reconnoît encore l’antiquité de la Géographie dans les descriptions des livres de Moyse le plus ancien des historiens, né en Egypte, & élevé à la cour par la propre fille du roi. Ce chef du peuple de Dieu & son successeur Josué ne s’en tinrent pas à des descriptions historiques, lorsqu’ils firent le partage de la terre promise aux douze tribus d’Israël. Josephe & les plus habiles interpretes de l’Ecriture, assûrent qu’ils firent dresser une carte géographique de ce pays.
La navigation contribua beaucoup aux progrès de la Géographie. Les Phéniciens les plus habiles navigateurs de l’antiquité fonderent un grand nombre de colonies en Europe & en Afrique, depuis le fond de l’Archipel ou de la mer Ægée jusqu’à Gades. Ils avoient soin d’entretenir ces colonies pour conserver & même augmenter leur commerce. Le besoin que nous avons de connoître les pays où nous faisons des établissemens, doit faire croire que cette connoissance leur étoit indispensable : la nécessité a presque toûjours été l’origine de la plûpart des sciences & des arts.
Il faut convenir que quelqu’antiquité que l’on puisse donner à la Géographie, elle fut long-tems à devenir une science fondée sur des principes certains. C’est dans la suite que les Grecs asiatiques réunissant les lumieres des astronomes chaldéens & des géometres d’Egypte, commencerent à former différens systèmes sur la nature & la figure de la terre. Les uns la croyoient nager dans la mer comme une balle dans un bassin d’eau ; d’autres lui donnoient la figure d’une surface plate, entre-coupée d’eau : mais en Grece des philosophes plus conséquens jugerent qu’elle formoit avec les eaux un corps sphérique.
Thalès le Milesien fut le premier qui travailla sur ce dernier système ; il construisit un globe, & représenta sur une table d’airain la terre & la mer. Selon plusieurs auteurs, Anaximandre disciple de Thalès est le premier qui ait figuré la terre sur un globe. Hécatée, Démocrite, Eudoxe & autres adopterent les plans ou cartes géographiques, & en rendirent l’usage fort commun dans la Grece.
Aristagoras de Milet présenta à Cléomène roi de Sparte une table d’airain, sur laquelle il avoit décrit le tour de la terre avec les fleuves & les mers, pour lui expliquer la situation des peuples qu’il avoit à soûmettre successivement.
Socrate réprima l’orgueil d’Alcibiade par l’inspection d’une carte du monde, en lui montrant que les domaines dont il étoit si fier ne tenoient pas plus d’espace sur cette carte qu’un point n’en pouvoit occuper.
Scylax de Caryande publia sous le regne de Darius Hystaspes roi de Perse, un traité de Géographie & un périple. Voyez Périple.
L’on voit dans les nuées d’Aristophane un disciple de Socrate montrant à Strepsiade une description de la terre.
Ce fut sous les Grecs que la Géographie commença à profiter des secours que l’Astronomie pouvoit lui procurer ; la protection qu’elle trouvoit dans les princes contribua beaucoup à ses progrès.
Alexandre étoit toûjours accompagné de ses deux ingenieurs Diognetes & Beton, pour lever la carte des pays que leur prince traversoit. Ils prenoient exactement les distances des villes & des rivieres de l’Asie, depuis les portes Caspiennes jusqu’à la mer des Indes. Ils employoient les observations que Néarque & Onésicrite avoient faites à bord des vaisseaux qu’Alexandre leur avoit donnés pour reconnoître la mer des Indes & le golfe Persique. Ils observoient les distances des lieux, non-seulement par l’estime du chemin, mais encore par la mesure des stades, lorsque cela leur étoit possible ; & les observations astronomiques, à la vérité beaucoup moins exactes & moins nombreuses que les nôtres, pouvoient remplir à quelques égards, quoique très-imparfaitement, les vuides que causoit le défaut des mesures actuelles.
Pytheas géographe de Marseille florissoit sous Alexandre : sa passion pour la Géographie ne lui permit pas de s’en tenir aux observations faites dans son pays Il parcourut l’Europe depuis les colonnes d’Hercule jusqu’à l’embouchûre du Tanaïs. Il avança par l’Océan occidental jusque sous le cercle polaire arctique. Ayant remarqué que plus il tiroit vers le nord, plus les jours devenoient grands, il fut le premier à désigner ces différences de jour par climats. Voyez Climat. Strabon croyoit ces pays inhabitables, & malgré l’opinion qu’Eratosthène & Hipparque avoient du contraire, il ne put s’empêcher d’accuser Pytheas de mensonge ; mais celui-ci fut justifie pleinement dans la suite, & sa réputation a été entierement rétablie de nos jours par un savant mémoire de M. de Bougainville membre de l’académie des Belles-Lettres.
Aristote disciple de Platon, étoit aussi versé dans la connoissance de la Géographie que dans la Philosophie. Les observations astronomiques lui servirent à déterminer la figure & la grandeur de la terre. L’on attribue à cet ancien un livre de mundo, dédié à Alexandre, dans lequel on trouve une description assez exacte des parties de la terre connues de son tems ; savoir, de l’Europe, de l’Asie & de l’Afrique.
Thimosthènes donna un traité des ports de mers, dont Pline nous a conservé des fragmens, de même que les observations de Séleucus-Nicanor qui succéda à la puissance d’Alexandre dans la haute Asie, jusque dans une partie de l’Inde.
Théophraste disciple d’Aristote, ne se contenta pas de posséder des cartes géographiques ; il ordonna par son testament que ces ouvrages qui avoient fait ses délices pendant sa vie, & dont il avoit reconnu l’importance & l’utilité, fussent attachés au portique qu’il avoit donné ordre de construire.
A cet athénien succéda Eratosthene dont la réputation répondoit à l’étendue de génie. D’après les observations qu’il avoit recueillies de plusieurs auteurs, il corrigea le premier la carte d’Anaximandre, & en publia une nouvelle qui contenoit la surface du monde entier, à laquelle il donnoit cinq cents mille stades de circuit. Le fruit de ses recherches fut trois livres de commentaires géographiques. Il combattoit dans le premier les erreurs reçûes de son tems : le second contenoit les corrections qu’il avoit faites à l’ancienne Géographie ; & le troisieme renfermoit ses nouvelles observations.
Les sciences & les arts présentent toûjours des objets à perfectionner ; aussi releva-t-on des fautes dans Eratosthene, & l’on ajoûta de nouvelles corrections à celles qu’il avoit faites. Son ouvrage eut de grandes contestations à essuyer de la part de Serapion & d’Hipparque. Ce dernier étoit, selon Pline, aussi admirable dans la critique que dans toute autre matiere ; cependant Strabon le représente d’un caractere si opiniâtre dans ses préventions, qu’il osa préferer même l’ancienne carte d’Anaximandre à celle qu’Eratosthène avoit corrigée. Ces disputes exciterent les esprits des Grecs, & leur donnerent une vive émulation qui servit à perfectionner les principes de la Géographie.
Agatharchide le Cnidien, qui florissoit sous Ptolomée Philometor, composa un ouvrage sur le golfe arabique ; Photius nous a conservé quelques extraits de cet auteur dans sa bibliotheque.
Environ 50 ans après, Mnésias publia une description du monde entier.
Artémidore d’Ephèse donna une description de la terre en onze livres, souvent citée par Strabon, Pline & Etienne de Byzance. Marcien d’Héraclée en avoit fait un abrégé qu’on a perdu ; il ne reste de cet ouvrage que le Périple de la Bithynie & de la Paphlagonie.
Cet amour pour la Géographie ne tarda pas à passer avec les arts de la Grece à Rome. Les Romains commençoient déjà à se faire connoître ; ils avoient étendu leurs conquêtes hors de l’Italie, & porté leurs armes victorieuses dans l’Afrique. Scipion-Emilien jaloux du progrès des sciences dans sa patrie autant que de l’empire qu’elle disputoit à Carthage, donna des vaisseaux à Polybe pour reconnoître les côtes d’Afrique, d’Espagne & des Gaules. Polybe poussa jusqu’au promontoire des Hespérides (le Cap verd), & fit de plus un voyage par terre pour mesurer les distances de tous les lieux qu’Annibal avoit fait parcourir à son armée en traversant les Pyrénées & les Alpes.
L’on doit conclure encore que l’usage des cartes géographiques étoit bien connu à Rome, de ce que Varron rapporte dans son livre de re rusticâ, au sujet de la rencontre qu’il fit de son beau-pere & de deux autres romains qui considéroient l’Italie représentée sur une muraille.
Sous le consulat de Jules-César & de Marc-Antoine, le sénat conçut le dessein de faire dresser des cartes de l’Empire plus exactes que celles qui avoient paru jusqu’alors. Zénodoxe, Théodore & Polyclete furent les trois ingénieurs employés à cette grande entreprise.
La conquête de la Gaule par César procura des connoissances sur l’intérieur & les parties reculées de ce pays ; le passage du Rhin & d’un détroit de mer par ce conquérant, donnerent quelques notions particulieres de la Germanie & des îles Britanniques. Ce sont en général les conquêtes & le commerce qui ont aggrandi la Géographie ; & en suivant ces deux objets, on voit successivement les connoissances géographiques se développer.
Pompée entretenoit correspondance avec Posidonius savant astronome & excellent géographe, qui mesura (assez imparfaitement à la vérité) la circonférence de la terre par des observations célestes, faites en divers lieux sous un même méridien.
Entre les auteurs qui écrivirent sur la Géographie sous Auguste & Tibere, deux se distinguerent, savoir Strabon & Denis le Periegete. Auguste contribua à la connoissance des latitudes (voyez Latitude) ; comme les plus hauts gnomons (voyez Gnomons) dont on se servoit pour connoître la hauteur du soleil par la longueur de l’ombre, se trouvoient principalement en Egypte, ce prince ordonna d’en transporter plusieurs à Rome, dont un entr’autres avoit cent onze piés de hauteur sans comprendre le piédestal. Il fit travailler aussi à des descriptions particulieres de divers pays, & sur-tout de l’Italie, où l’on marqua les distances par milles le long des côtes & sur les grands chemins. Ce fut enfin sous son regne que la description générale du monde, à laquelle les Romains avoient travaillé pendant deux siecles, fut achevée sur les mémoires d’Agrippa, & mise au milieu de Rome sous un grand portique bâti exprès.
Les regnes de Tibere, de Claude, de Vespasien, de Domitien & d’Adrien, furent remarquables par le goût qui y regna pour la Géographie.
Isidore de Charax qui vivoit au commencement du premier siecle de l’ere chretienne, avoit composé un ouvrage intitulé σταθμοὶ Παρτικοὶ stations des Parthes, intéressant pour les distances locales de dix-huit petits gouvernemens qui faisoient partie du royaume des Perses.
Pomponius-Mela parut après, qui publia un petit corps de Géographie intitulé de situ orbis.
Suétone rapporte que sous Domitien, Métius-Pomposianus qui montroit au peuple la terre peinte sur un parchemin, fut la victime de l’amour qu’il avoit pour la Géographie ; le prince s’étant imaginé que ce romain aspiroit à l’empire, le sacrifia à ses soupçons & le fit mourir.
Sous le même empereur vivoit Pline le naturaliste. La Géographie qui faisoit partie de l’histoire naturelle qu’il avoit entreprise, l’engagea à faire une description des pays de la terre connus de son tems, laquelle est comprise dans les 3, 4, 5 & 6e livres de son ouvrage. Les noms des auteurs tant romains qu’étrangers qu’il avoit consultés, & dont il fait mention dans la table des chapitres, doivent faire juger par leur nombre considérable non-seulement de son exactitude, mais encore du goût qu’on avoit eu avant lui de cultiver la Géographie, & de l’utilité dont on la croyoit susceptible.
L’on voit dans Florus que du tems de Trajan la science de composer des cartes géographiques étoit en vigueur à Rome.
Marin de Tyr vint ensuite qui corrigea & augmenta de ses connoissances celles des savans qui l’avoient précédé.
Arien de Nicomédie sous l’empereur Adrien laissa deux périples, l’un du Pont-Euxin & l’autre de la mer Rouge.
La Géographie faisoit toûjours peu-à-peu quelques progrès, lorsque Ptolomée vint contribuer à sa perfection par une description du globe terrestre beaucoup plus ample & plus exacte que toutes celles qui avoient paru jusqu’alors. Cet auteur étoit de Peluse ville d’Egypte, & vivoit du tems de Marc-Aurele vers l’an 150 de l’ére chrétienne. Les Grecs le surnommerent très-divin & très-sage, à cause de la connoissance profonde qu’il possédoit des Mathématiques & de la Physique. Je ne m’arrêterai point aux ouvrages qu’il fit sur la Physique du monde ni à ses systèmes ; il me suffira de le donner comme le restaurateur & même le pere de la Géographie. Muni des cartes des anciens & des observations faites de son tems, il corrigea beaucoup de choses dans Marin de Tyr ; il réduisit les distances de tous les lieux de la terre en degrés & minutes, selon la méthode de Posidonius. Il fit usage des degrés de longitude & de latitude, & assujettit la position des lieux à des observations astronomiques. Cette méthode fut adoptée depuis par les meilleurs géographes, qui ont reconnu par expérience qu’elle est la plus exacte & la plus sure pour la construction des cartes géographiques.
Les ouvrages des anciens jusqu’à Ptolomée sont admirables par la sagacité & la force de génie de leurs auteurs ; cependant il faut convenir que la Géographie n’étoit encore qu’ébauchée. Hipparque avoit été réformé par Posidonius ; les cartes de celui-ci le furent par Marin de Tyr, & celles de Marin de Tyr furent trouvées susceptibles de correction par Ptolomée.
Dans la suite l’on reconnut que le travail de Ptolomée devoit recevoir quelque réforme ; il s’en falloit de beaucoup que toutes les observations dont il faisoit usage fussent exactes : il étoit obligé de s’en rapporter aux relations des voyageurs, & à l’estime qu’ils faisoient des distances. Des connoissances si incertaines ne pouvoient pas donner une grande exactitude pour les longitudes & les latitudes : de-là les fautes considérables qu’on a reconnues dans la Géographie de Ptolomée, tant pour la situation des îles fortunées ou canaries, & la partie septentrionale des iles britanniques, que pour la portion de la capitale des Sines qu’on croit être les Chinois, qu’il mettoit à trois degrés de latitude ; enfin pour l’île de Taprobane qu’on croit être l’île de Ceylan, ou celles de Sumatra ou de Borneo. Mais ces fautes ne doivent pas empêcher qu’on ne regarde Ptolomée comme celui qui a le plus mérité dans la science dont nous parlons.
Depuis cet auteur jusqu’à la fin du bas Empire, il parut peu d’ouvrages estimables en Géographie. L’on trouve cependant encore les cartes en usage dans les troisieme & quatrieme siecles sous Dioclétien, Constance & Maximien.
L’on croit que c’est au tems de l’empereur Théodose que l’on peut fixer la rédaction de la carte provinciale & itinéraire, connue depuis sous le nom de Peutinger. Il seroit inutile de s’étendre ici sur la nature de cet ouvrage ; l’on peut consulter ce qui en est rapporté dans l’Essai sur l’Hist. de la Géographie publiée en 1755. chez Boudet, & dans lequel on trouvera ce qui en a été dit jusqu’à-présent.
Le dernier ouvrage que l’on peut mettre au rang de ceux des anciens est la notice de l’Empire, attribuée à Ethicus qui vivoit entre 400 & 450 de l’ere chrétienne ; il est précieux par les lumieres qu’il procure tant pour la Géographie que pour l’Histoire.
Les siecles de barbarie qui suivirent la décadence de l’Empire romain, envelopperent presque tous les peuples dans une ignorance profonde. Il ne se trouva, pour ainsi dire, qu’en 535 un nommé Cosme égyptien qui composa une cosmographie chrétienne ; & Hieroclès dans le même siecle qui publia une notice de l’empire de Constantinople : deux ouvrages estimables, & qui ont été toûjours recherchés.
L’amour des sciences & des arts chassé par la barbarie d’Europe en Asie, trouva chez les Arabes un accès favorable. Ces peuples avoient déjà composé plusieurs ouvrages sur leur théologie, leur droit, la Philosophie, l’Astronomie & les Belles-Lettres, lorsqu’Almamon calif de Babylone fit traduire de grec en arabe le livre de Ptolomée de la grande composition, autrement nommé almageste. C’est sous ce prince qu’on vit deux astronomes géometres parcourir par ses ordres les plaines de Sennaar, pour mesurer un degré de grand cercle de la terre.
L’on compte parmi les géographes arabes Abou Isac, Mahamed Ben Hassan, Hossen Ahmed Alkhalé, Schansedden Al Codsi, Abou Rilsan, Abou Abdallah Mohammed Edrissi, connu sous le nom de géographe de Nubie ; enfin Ismaël Abulfeda prince de Hamah ville de Syrie, qui composa une Géographie universelle.
La Perse a eu aussi ses géographes, au nombre desquels l’on peut bien mettre Nassir Edden natif de Thus en Corasan, savant dans les Mathématiques ; il avoit parcouru une partie de l’Asie. Les écrits arabes & indiens lui servirent à construire des tables géographiques.
Pendant que la Géographie étoit cultivée par les orientaux, elle commençoit à se réveiller parmi les européens ; mais il n’y avoit guere que ceux qui avoient connoissance de la sphere qui pussent dire quelque chose d’un peu sensé sur cette science. L’état des sciences en France depuis Charlemagne jusqu’au roi Robert, & depuis ce dernier jusqu’à Philippe-le-Bel, a été le sujet des recherches de M. l’abbé le Bœuf de l’académie des Belles-Lettres : l’on y voit combien les connoissances étoient grossieres non seulement en France, mais même chez les peuples voisins.
Les voyages de Marc-Pol, de Rubruquis & de Plan-Carpin en Tartarie au treizieme siecle, furent fort utiles à la Géographie.
Dans le quatorzieme siecle l’on vit paroître en France une traduction des livres d’Aristote du ciel & du monde, que Nicolas Oresme avoit entreprise par ordre de Charles V.
En Italie François Berlinghieri florentin, publia en 1470 un poëme italien en six livres, dans lequel il expliquoit la Géographie de Ptolomée. Cet ouvrage fut dédié à Frédéric duc d’Urbin, & orné de plusieurs cartes gravées sur le cuivre.
Un vénitien nommé Dominico Mario Negro composa en 1490 une Géographie en vingt-six livres, dont l’Europe & l’Asie occupoient chacun onze livres, & l’Afrique les quatre autres.
Dans le seizieme siecle Guillaume Postel publia un traité de Cosmographie. Un voyage que ce savant avoit fait dans l’orient enrichit l’Europe de la Géographie d’Abulfeda. De retour à Venise il en laissa un abrégé à Ramusius, qui le premier cita cet ouvrage, & indiqua l’usage que l’on en pouvoit faire. Castaldo s’en servit ensuite pour corriger les longitudes & les latitudes des différens lieux ; & c’est sur la foi de ce dernier, qu’Ortelius parle d’Abulfeda dans son thrésor géographique.
Ce fut dans ce siecle que la Géographie commença à prendre vigueur en Europe. L’art de la gravure en bois multiplia les ouvrages ; mais à cet art succéda celui de la gravure en cuivre, qui par la promptitude & la netteté produisit encore une plus grande abondance de morceaux capables de contenter la curiosité des amateurs.
L’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, la Suede, la Russie & la France ont procuré beaucoup de travaux précieux qui sont d’autant plus estimables, qu’ils sont les fruits de la perfection à laquelle les autres parties de Mathématiques ont été poussées.
Il seroit inutile de rapporter ici tous les savans qui ont fait leur étude particuliere de cette science. L’on connoît parmi ceux d’Allemagne les ouvrages de Cluvier, de Jean Mayer, de Mathieu Mérian, des Homann & de leurs héritiers, d’Hasius, de Wieland géometre, auteur du nouvel & grand atlas de Silésie ; & enfin de Micovini mort à Vienne en 1750, qui avoit levé géométriquement toute la Hongrie autrichienne.
En Angleterre l’on a vû Humfreid, Saxton, Speed, Timothée Pont, Robert Gordon, Petty, Ogilby, Elphinston, Douvet, &c. & sur-tout Cambden. Quoique la plûpart de ces savans ayent porté leurs vûes sur tout le monde entier, l’on est redevable cependant à plusieurs d’entr’eux de la connoissance exacte des Etats britanniques.
La Hollande & la Flandre ont eu de la réputation par les travaux considérables de Mercator & d’Ortelius ; on ne doit pas oublier Hondius, Wischer & les célebres Janson & Blaeu, dont on voit encore aujourd’hui l’amour pour la Géographie, par les dépenses considérables qu’ils ont faites pour publier leur atlas en quatre langues différentes. L’on doit parler encore des célebres Dominique Villem Carle & Antoine Hattinga freres, ingénieurs des Etats-Généraux. Les cartes nouvelles de la Zélande, levées sur les lieux depuis 1744 jusqu’en 1752, sont si bien exécutées, qu’elles devroient bien animer ces habiles géometres à lever les autres provinces de la Hollande, ou du-moins à corriger les cartes qui en ont été publiées jusqu’à-présent.
Quant à l’Espagne, l’on ne peut pas y trouver tant de géographes ; mais le petit nombre qu’elle fournit est digne d’une estime aussi grande que ceux dont je viens de parler. On consultera, si l’on le juge à-propos, l’essai sur la Géographie cité ci-dessus. Il me suffira de dire que l’auteur qui mérite le plus d’être consulté est Rodrigo Mendez Sylva ; qu’il parut en 1739 quelques cartes de différentes parties de l’Espagne pour le tems des Romains, par le célebre D. Marc Henri Florez, docteur en Théologie, & historiographe de S. M. catholique. Un autre ouvrage pour lequel on doit avoir encore une attention particuliere, est la carte de la province de Quito, levée par D. Pedre Maldonado, gouverneur de la province de las Esmeraldas en Amérique. Cette carte en quatre feuilles, & dont le roi d’Espagne a les planches, a été dressée par M. d’Anville de l’académie royale des Belles Lettres, & secrétaire de M. le duc d’Orléans. C’est le résultat des opérations que les académiciens espagnols & françois firent de concert pour constater la véritable figure de la terre. Si l’Espagne n’a pas été fertile en géographes comme les pays voisins, l’on en sera bien dédommagé par les nouveaux ordres du gouvernement, pour lever la carte du royaume. Des ingénieurs habiles ont déjà été envoyés par l’académie de Madrid pour cette grande entreprise. Le choix que l’on a fait doit répondre de l’exactitude d’un ouvrage si intéressant pour le progrès des connoissances géographiques.
L’Italie a toûjours été recommandable par de grands hommes en tout genre. Beaucoup d’ingénieurs ont contribué par leurs travaux particuliers à connoître en détail cette partie de l’Europe ; mais il n’y en a pas qui se soit plus signalé que Jean Antoine Magin de Padoue. Il composa à la fin du seizieme siecle une géographie ancienne & moderne, d’après la géographie de Ptolomée, comparée à l’état actuel de son tems. C’est à son fils que l’on est redevable du détail d’Italie, commencé par son pere & dédié au duc Vincent de Gonzague duc de Mantoue en 1600. Cet ouvrage composé de 61 cartes, a toûjours été très-estimé des savans.
Riccioli savant jésuite de Ferrare, publia en 1662 un livre estimable, contenant toutes les parties de Mathématiques qui ont rapport à la Géographie & à l’Hydrographie. Il a été un des premiers qui ait eu le dessein de réformer la Géographie par les observations astronomiques.
Personne n’ignore le grand ouvrage de la méridienne de Rome, entrepris par les PP. Maire & Boscovich jésuites, dont les opérations contribuant encore à déterminer la figure de la terre, doivent produire incessamment une nouvelle carte de l’état ecclésiastique.
La Suede ne compte pas beaucoup de géographes. Les connoissances qu’on avoit de ce pays du tems de Charlemagne n’étoient guere plus certaines que dans les siecles les plus reculés.
La premiere carte que l’on ait publiée de la Suede, & qui ressemble en quelque façon à la configuration de ce royaume, est celle d’Olaüs Magnus archevêque d’Upsal, qui vivoit dans le seizieme siecle.
A cette carte en succéda une autre par Adrien Veno, & gravée à Amsterdam par Hondius en 1613. Elle est supérieure à la précédente, en ce que l’on y reconnoît mieux la figure du pays, qu’Upsal y est porté plus à sa vraie latitude, & que les mers y prennent une situation & une forme plus approchantes de la vérité : mais ces ouvrages, malgré les degrés de perfection qu’ils ont eu successivement, étoient encore remplis d’une infinité de fautes.
Charles IX. conçut le dessein de connoître plus particulierement son royaume ; mais il avoit besoin de géometres. Il se servit d’Andreas Bureus, qu’on peut appeller avec raison le pere de la géographie suédoise. Il étoit né en 1571 ; élevé dans l’étude des Mathématiques, il y fit des progrès si rapides, qu’il eut la charge de premier architecte du royaume, & de chef des Mathématiques. Le roi le mit à la tête des arpenteurs constitués dans chaque province de son royaume, pour lever géométriquement leur district. Bureus recevant les morceaux levés par ces arpenteurs, en composa une carte générale du royaume, qui parut à Stockholm en 1625 en six grandes feuilles, gravées par Trautman.
Après la mort de Gustave Adolphe, la Géographie languissoit en Suede jusqu’à ce que Charles XI. mon ta sur le throne. Ce monarque non-seulement remit en vigueur les anciens établissemens, il les augmenta même & les perfectionna, en nommant une commission d’arpenteurs pour la Livonie, l’Estonie, l’Ingermanie, la Poméranie & le duché de Deux Ponts. Le baron Charles Gripenheim fut mis à la tête de cet établissement. Il mourut en 1684, & eut pour successeur le colonel comte de Dalhberg, qui poussa si vivement les travaux, qu’en 1689 en pouvoit donner des cartes exactes de toute la Suede, lorsque par ordre du roi la publication en fut défendue. L’on reconnut bien-tôt après l’abus de ces défenses. Les cartes parurent successivement, & elles contribuent encore à étendre la réputation du bureau géographique de Stockholm.
La Russie n’a guere commencé à cultiver la Géographie avec succès, que vers la fin du dernier siecle : on avoit pourtant déjà dressé une carte sous le czar Michel Federowitz ; mais il falloit un Pierre le Grand pour faire entrer les Sciences dans ses états. Ce monarque desiroit connoître l’étendue de son empire. Il fit lever des plans & des cartes ; en 1715, le sénat fut chargé de recevoir les rapports des arpenteurs employés pour cette entreprise. Sous ce regne, la mer Caspienne changea de figure.
M. Kyrillow premier secrétaire du sénat, avoit commencé à faire rédiger & graver sous ses yeux les plans que les arpenteurs apportoient. Une carte générale de ce vaste empire, la premiere qu’on eût vûe dans ce pays, fut les prémices de ses travaux. Voulant seconder les intentions de son prince, il publia un recueil de cartes particulieres sous le titre d’atlas de l’empire des Russes, dans le dessein de l’augmenter & de le perfectionner de jour en jour ; mais ce n’étoit qu’un essai encore imparfait.
A ce travail succéda celui que l’académie de Pétersbourg avoit résolu de faire de nouveau. M. Joseph Delisle y fut appellé, non-seulement en qualité d’astronome, mais encore comme géographe. Il mit la main à cet ouvrage, dès qu’il fut arrivé à Petersbourg en 1726. Plusieurs membres de l’académie se joignirent à lui en 1740, pour accélérer l’entreprise dont l’exécution fut achevée en 1745.
Tel est l’état de la Géographie dans les différens pays de l’Europe. Il ne reste plus qu’à parler des progrès que cette science a faits en France depuis François premier, sous le regne duquel les Sciences commencerent à fleurir.
L’on y remarque dans le seizieme siecle des amateurs de la Géographie. Quelques provinces dûrent aux travaux de plusieurs savans les cartes qui en furent publiées. François de la Guillotiere natif de Bourdeaux, fut, pour ainsi dire, le premier qui profitant des lumieres des savans antérieurs & contemporains, & des siennes propres, publia en 1584 une carte générale du royaume. Il en avoit dans ses mains toutes les cartes particulieres, prêtes à être mises au jour.
Celui qui s’est le plus distingué dans le siecle suivant, fut Nicolas Sanson d’Abbeville, né en 1600 d’une famille distinguée de la Picardie. Ses ouvrages sont trop connus pour vouloir les détailler ici. Ses fils Nicolas, Guillaume & Adrien, coururent la même carriere, & soûtinrent avec honneur la réputation de leur pere. Pierre Moulard Sanson, petit-fils de Nicolas Sanson, entra aussi dans les vûes de son ayeul. Le reproche que l’on a fait à ces savans, a été de n’avoir pas mis en usage les observations astronomiques ; mais elles étoient trop récentes pour Nicolas Sanson qui mourut en 1660, & elles demandoient encore à être confirmées par d’autres, pour obliger les fils à refondre le corps complet de géographie sorti de leurs mains. Héritiers & successeurs de ces savans géographes, nous tâchons mon pere & moi, de réparer l’objet de ces reproches par la grande entreprise du nouvel atlas que nous faisons, & dont on peut voir le fondement dans l’essai sur l’histoire de la Géographie.
Du tems des Sansons, Pierre Duval d’Abbeville leur parent, fit aussi son unique occupation de la Géographie ; mais ses ouvrages étoient négligés, & n’étoient pour la plûpart que des copies des cartes des Sansons.
Le P. Briet jésuite, contemporain & compatriote de Nicolas Sanson, aimoit beaucoup la Géographie. Il en publia un excellent ouvrage, intitulé parallele de la Géographie ancienne & moderne.
Le commencement de notre siecle doit être regardé comme l’époque d’un renouvellement général de la Géographie en France, & pour ainsi dire, dans tous les autres pays de l’Europe, auxquels il semble que ce royaume ait donné le ton. L’académie des Sciences établie sous le feu roi, & protégée par son auguste successeur ; les savans dont elle a été composée, & les observations faites dans différens voyages entrepris par ordre du roi, furent favorables à la perfection de la Géographie, & procurerent la connoissance presque géométrique du globe terrestre. Jusqu’alors on ne connoissoit guere l’application qu’on pouvoit faire des observations astronomiques à la Géographie. Le P. Riccioli jésuite italien, l’avoit entrevûe : mais c’est aux Picard, aux de la Hire, aux Cassini, & autres savans de cette académie, qu’on doit la grande entreprise de la mesure de la terre. Les opérations faites pour tracer la méridienne de l’observatoire, & la prolonger depuis Dunkerque jusqu’à Collioure, firent connoître la nécessité de lever géométriquement toute la France ; ouvrage important, dont on peut voir le détail dans les ouvrages publiés à ce sujet.
Guillaume Delisle, éleve du grand Dominique Cassini, & aggrégé sous ce titre dans l’académie des Sciences, fut le premier qui fit usage des observations de ses maîtres & des autres savans avec lesquels il étoit en correspondance. Il fit un fonds considérable de cartes géographiques, dont quelques-unes de Géographie ancienne.
Je ne m’étendrai pas davantage sur les géographes françois ; il me suffit d’avoir indiqué sommairement les savans qui se sont distingués dans cette science : ce sont des modeles à ceux qui courent la même carriere. Il ne conviendroit pas de parler ici des compatriotes vivans ; leurs travaux seuls doivent servir à faire leur éloge. Il seroit inutile encore de passer en revûe tous les écrivains qui ont travaillé sur la Géographie ; je parle des auteurs d’élémens & de méthodes, auxquels on peut donner le nom de géographes méthodistes. Leur nombre est trop considérable ; il seroit à desirer qu’il s’en trouvât un certain nombre d’utiles. Je joindrai mon suffrage à celui du public en faveur de M. l’abbé de la Croix ; l’on peut dire que c’est la méthode la plus instructive, & je ne balance pas à l’indiquer aux éleves qui me sont confiés.
Il faut considérer présentement la Géographie en elle-même. Elle doit être envisagée sous trois âges différens.
1°. Géographie ancienne, qui est la description de la terre, conformément aux connoissances que les anciens en avoient jusqu’à la décadence de l’empire romain.
2°. Géographie du moyen âge, depuis la décadence de l’empire jusqu’au renouvellement des Lettres. Cette partie est très-difficile à traiter, l’incursion des Barbares ayant enveloppé tout dans une ignorance profonde. Cependant le dépouillement des chroniques, des cartulaires, &c. qui sont en grande abondance, peut fournir de grandes lumieres sur cette partie de la Géographie.
3°. Géographie moderne, qui est la description actuelle de la terre, depuis le renouvellement des Lettres jusqu’à-présent.
La Géographie considérée dans l’ancien tems, ne peut être traitée avec précision que par le secours de la moderne ; c’est par celle-ci que l’on est venu à-bout de déterminer les différentes mesures des anciens. Voyez Mesures itinéraires. Quelque provision que l’on ait de lecture des anciens auteurs, si l’on n’en fait point une comparaison avec ce que les auteurs modernes rapportent, & si l’on ne consulte point les morceaux levés exactement sur les lieux, & rectifiés même par les observations astronomiques, l’on pourra bien composer une carte, mais qui sera plûtôt un dépouillement des auteurs qu’on aura lûs, que le véritable état du pays tel qu’il devroit être convenablement au tems pour lequel on travaille.
Pour la Géographie moderne, il faut faire une distinction entre ceux qui la traitent. Les uns se destinent à prendre connoissance d’une partie d’un royaume ou d’une province, & ils doivent être regardés comme des auteurs originaux ; pour lors ces premiers sont appellés chorographes, ou topographes & ingénieurs, selon la différente étendue de pays qu’ils comprennent dans leurs travaux. Les autres embrassent dans leur travail la description entiere de la terre ; ces derniers sont appellés géographes, & doivent avoir recours aux premiers, & savoir combiner & discuter les matériaux précieux dont ils se servent. Les premiers ont, pour ainsi dire, le droit d’invention par l’avantage qu’ils ont de se transporter sur les lieux pour les considérer par eux-mêmes & en lever géométriquement les différentes situations réciproques. Les seconds doivent avoir un discernement juste pour l’examen des ouvrages des premiers ; souvent le géographe corrige le travail de l’ingénieur, & peut ainsi partager avec lui le droit d’invention. Guidé par les pratiques de la Géométrie & par les lumieres de l’Astronomie, il donne aux parties du globe de la terre les proportions qu’elles doivent avoir. L’astronome & le géometre ont chacun les connoissances qui leur sont propres ; mais le géographe doit les posséder toutes, & être capable de discussion pour concilier & employer à-propos les secours qu’il tire de l’un & de l’autre.
L’on voit donc par ce qui vient d’être dit, que la Géographie a besoin de l’Astronomie ; elle en emprunte les principaux cercles imaginés pour le ciel, méridien, équateur, tropiques, cercles polaires, latitude, horison, les points cardinaux, collatéraux & les verticaux, en un mot tout ce qui se trouve dans les spheres & dans les globes ; c’est ce qu’on appelle Géographie astronomique.
L’on distingue encore la Géographie 1°. en naturelle ; c’est par rapport aux divisions que la nature a mises sur la surface du globe, par les mers, les montagnes, les fleuves, les isthmes, &c. par rapport aux couleurs des différens peuples, à leurs langues naturelles, &c.
2°. En historique, c’est lorsqu’en indiquant un pays ou une ville, elle en présente les différentes révolutions, à quels princes ils ont été sujets successivement ; le commerce qui s’y fait, les batailles, les siéges, les traités de paix, en un mot tout ce qui a rapport à l’histoire d’un pays.
3°. En civile ou politique, par la description qu’elle fait des souverainetés par rapport au gouvernement civil ou politique.
4°. En Géographie sacrée, lorsqu’elle a pour but de traiter des pays dont il est fait mention dans les Ecritures & dans l’Histoire ecclésiastique.
5°. En Géographie ecclésiastique, lorsqu’elle représente les partages d’une jurisdiction ecclésiastique, selon les patriarchats, les primaties, les diocèses, les archidiaconés, les doyennés, &c.
6°. Enfin en Géographie physique ; cette derniere considere le globe terrestre, non pas tant par ce qui forme sa surface, que par ce qui en compose la substance. Voyez l’article suivant. Article de M. Robert de Vaugondy, Géographe ordinaire du Roi.
Géographie physique, est la description raisonnée des grands phénomenes de la terre, & la considération des résultats généraux déduits des observations locales & particulieres, combinées & réunies méthodiquement sous différentes classes, & dans un plan capable de faire voir l’économie naturelle du globe, en tant qu’on l’envisage seulement comme une masse qui n’est ni habitée ni féconde.
A mesure que la Géographie & la Physique se sont perfectionnées, on a rapproché les principes lumineux de celle-ci, des détails secs & décharnés de celle-là. En conséquence de cette heureuse association, notre propre séjour, notre habitation qui ne nous avoit présenté d’autre image que celle d’un amas de débris & d’un monde en ruine, qu’irrégularités à sa surface, que desordres apparens dans son intérieur, s’offrit à nos yeux éclairés avec des dehors où l’ordre & l’uniformité se firent remarquer, où les rapports généraux se découvrirent sous nos pas. On ne s’occupa plus seulement de cette nomenclature ennuyeuse de mots bizarres, qui attestent les limites que l’ambition des conquérans a mises dans les établissemens que les différentes sociétés ont formés sur la surface de la terre ; on ne distingua les pays, les contrées que par les phénomenes qu’ils offrirent à nos observations. Phénomenes singuliers ou uniformes, tout ce qui porta les empreintes du travail de la nature, fut recueilli avec soin, fut discuté avec exactitude. On examina la forme, la disposition, les rapports des différens objets : on essaya même d’apprécier l’étendue des effets, de fixer leurs limites, en suppléant à l’observation par l’expérience. Enfin on fut curieux de parvenir jusqu’aux principes généraux, constans & réguliers. A mesure que les idées se développerent, le géographe dessinateur prit pour base de ses descriptions topographiques, l’histoire de la surface du globe, & distribua par pays & par contrées, ce que le naturaliste décrivit & rangea par classes & par ordre de collection.
Tel est le précis des progrès de la Géographie physique ; elle les doit à la réunion combinée des secours que plusieurs connoissances ont concouru à lui fournir. On ne peut effectivement trop rassembler de ressources, lorsqu’on embrasse dans ses discussions des objets aussi vastes & aussi étendus ; lorsqu’on se propose d’examiner la constitution extérieure & intérieure de la terre, de saisir les résultats généraux des observations que l’on a faites & recueillies sur les éminences, les profondeurs, les inégalités du bassin de la mer ; sur les mouvemens & les balancemens de cette masse d’eau immense qui couvre la plus grande partie du globe ; sur les substances terrestres qui composent les premieres couches des continens qu’on a pû sonder ; sur leur disposition par lits ; sur la direction des montagnes, &c. enfin sur l’organisation du globe : lorsqu’on aspire à l’intelligence des principales opérations de la nature, qu’on discute leur influence sur les phénomenes particuliers & subalternes, & que par un enchaînement de faits & de raisonnemens suivis, on se forme un plan d’explication, où l’on se borne sagement à établir des analogies & des principes.
D’après ces considérations qui nous donnent une idée de l’objet de la Géographie physique, nous croyons devoir dans cet article nous attacher à deux points importans : 1°. à développer les principes de cette science, capables de guider les observateurs qui s’occupent à en étendre de plus en plus les limites, & ceux qui voudront apprécier leurs découvertes : 2°. à présenter succinctement les résultats généraux & avérés qui forment le corps de cette science, afin d’en constater l’état actuel.
I. On peut réduire à trois classes générales les principes de la Géographie physique ; la premiere comprend ceux qui concernent l’observation des faits ; la seconde ceux qui ont pour objet leur combinaison ; la troisieme enfin ceux qui ont rapport à la généralisation des résultats & à l’établissement de ces principes féconds, qui deviennent entre les mains d’un observateur des instrumens qu’il applique avec avantage à la découverte de nouveaux faits.
Principes qui concernent l’observation des faits. Il n’est pas aussi important de montrer la nécessité de l’observation pour augmenter nos véritables connoissances en Géographie physique, que d’en développer l’usage & la bonne méthode. On est assez convaincu maintenant des inconvéniens qu’entraîne après elle cette présomption oisive qui nous porte à vouloir deviner la nature sans la consulter ; bien loin que la sagacité & la méditation puissent suppléer aux réponses solides & lumineuses que nous rend la nature lorsque nous l’interrogeons, elles les supposent au contraire comme un objet préalable vers lequel se porte leur principal effort : ne nous dissimulons jamais ces principes. Héraclite se plaignoit de ce que les philosophes de son tems cherchoient leurs connoissances dans de petits mondes que bâtissoit leur imagination, & non dans le grand. Si nous nous exposions à mériter le même reproche : si nous perdions de vûe ces conseils si sages, nous méconnoîtrions autant nos propres intérêts que ceux de la vérité. Qu’est-il resté de ces belles rêveries des anciens ? Il n’y a que le vrai & le solide qui brave la destruction des tems & les ténebres de l’oubli. Des abstractions générales sur la nature peuvent-elles entrer en comparaison d’utilité avec un seul phénomene bien vû & bien discuté ? Nous voulons donc des faits & des observateurs en état de les saisir & de les recueillir avec succès.
On comprend aisément que la premiere qualité d’un observateur est d’avoir acquis par l’étude & dans un développement suffisant, les notions préliminaires capables de l’éclairer sur le prix de ce qu’il rencontre ; de sorte qu’il ne lui échappe aucune circonstance essentielle dans l’examen des faits, & qu’il réunisse en quelque façon toutes les vûes possibles dans leur discussion ; qu’il ne les apperçoive pas rapidement, imparfaitement, sans choix, sans discernement, & avec cette stupide ignorance qui admet tout & ne distingue rien. On puise dans l’observation habituelle de la nature l’heureux secret d’admirer sans être ébloui ; mais la lecture réfléchie & attentive forme de solides préventions qui dissipent aisément le prestige du premier coup-d’œil.
Il faut avoüer que plusieurs obstacles nous privent de ces avantages. Les personnes en état de mettre à profit leurs connoissances voyagent peu, ou pour des objets étrangers aux progrès de la Géographie physique : ceux qui se trouvent sur les lieux, à portée, par exemple, d’une fontaine singuliere périodique ou minérale, d’un amas de coquillages & de pétrifications, négligent ces objets ou par ignorance ou par distraction, ou enfin parce qu’ils ont perdu à leurs yeux ce piquant de singularité & d’importance. Les étrangers & les voyageurs, même habiles, les rencontrent par hasard, ou les visitent à dessein ; mais ils ne peuvent d’une vûe rapide acquérir une connoissance détaillée & approfondie. Des observations superficielles faites à la hâte, ne présentent les objets que d’une maniere bien imparfaite ; on ne les a pas vûs avec ce sang froid, cette tranquillité de discussion, avec ces détails de correspondance si nécessaires aux combinaisons lumineuses. On supplée par des oui-dire, par des rapports exagérés, à ce que la nature nous montreroit avec précision, si nous la consultions à loisir. Il résulte de cette précipitation, que les observateurs les plus éclairés, frappés naturellement des premiers coups du merveilleux, sont souvent dupes de leur surprise ; ils n’ont pû se placer d’abord au point de vûe favorable ; ils défigurent la vérité parce qu’ils l’ont mal vûe ; & rendant trop fidelement de fausses impressions, ils mêlent à leurs récits des circonstances qui les ont plus séduits qu’éclairés. Si l’on est sujet à l’erreur, même quand on est maître de la nature, & qu’on la force à se déceler par des expériences, à combien plus de méprises & d’inattentions ne sera-t-on pas exposé, lorsqu’on sera obligé de parcourir la vaste étendue des continens & des mers, pour la chercher elle-même où elle se trouve, & où elle ne nous laisse appercevoir qu’une très-petite partie d’elle-même, & souvent sous des aspects capables de faire illusion ?
Un observateur qui s’est consacré à cette étude par goût ou parce qu’il est & s’est mis à portée de voir, doit commencer par voir beaucoup, envisager sous différentes faces, se familiariser avec les objets pour les reconnoître aisément par la suite & les comparer avec avantage ; tenir un compte exact de tout ce qui le frappe & de tout ce qui mérite de le frapper ; recueillir ses observations avec ordre sans trop se hâter de tirer des conséquences prématurées des faits qu’il découvre, ou de raisonner sur les phénomenes qu’il apperçoit. Cette précipitation qui séduit notre amour propre est la source de toutes les fausses combinaisons, de toutes les inductions imparfaites, de toutes les idées vagues dont l’on surcharge des objets que l’on n’a encore envisagés qu’imparfaitement ; en sorte que les parties les moins éclaircies sont par cette raison celles qui ont plus prêté à cette demangeaison de discourir.
Outre cette expérience des mauvais succès qu’ont eu les réflexions précipitées, nous avons d’autres motifs de nous en abstenir. Comme l’inspection attentive & réfléchie de notre globe nous promet une multitude infinie de lumieres & de connoissances absolument neuves, un observateur qui commence à donner un ensemble systématique à la petite portion de faits qu’il a recueillis, semble regarder comme inutiles toutes les découvertes qu’on a lieu de se promettre de ceux qui partageront son travail, ou se flater d’avoir assez de pénétration pour se passer des éclaircissemens qu’ils pourroient lui offrir.
Nous croyons aussi que l’observateur doit être en garde contre toute prévention, toutes vûes fixes & dépendantes d’un système déjà concerté : car dans ce cas, on interprete les faits suivant ce plan ; on glisse sur les circonstances qui sont peu compatibles avec les principes favoris, & l’on étend au contraire celles qui paroissent y convenir.
Nous ne prétendons pas cependant qu’on observe sans dessein & sans vûes : il n’est pas possible que le spectacle de la nature ne fasse naître une infinité de réflexions très-solides à un observateur qui a de la sagacité, & qui s’est instruit avec exactitude des découvertes de ceux qui l’ont précédé, même de leurs idées les plus bizarres : nous convenons que l’on peut avoir un objet déterminé dans ses recherches, mais avec une sincere disposition de l’abandonner dès que la nature se déclarera contre le parti que l’on avoit embrassé provisionnellement. Ainsi on ne se bornera pas à un phénomene isolé, mais on en recherchera toutes les circonstances ; on les détaillera avec ce zele de discussion qu’inspire le desir de trouver la correspondance que ce phénomene peut avoir avec d’autres. Quoique nous condamnions cette indiscrete précipitation de bâtir en observant, nous ne voulons pas qu’on oublie que les matériaux qu’on rassemble doivent naturellement entrer dans un édifice.
Telles sont les vûes par lesquelles on peut se guider dans l’examen réfléchi des faits. mais que doit-on voir dans les dehors de notre globe ? à quoi doit-on s’attacher d’abord ? Je répons qu’il faut s’attacher aux configurations extérieures, aux formes apparentes : ainsi l’on saisira d’abord la forme des continens, des mers, des montagnes, des couches, des fossiles ; & à-mesure qu’on parcourra un plus grand nombre de ces objets, ces formes venant à s’offrir plus ou moins fréquemment à nos regards, elles produiront dans notre esprit des impressions durables, des caracteres reconnoissables qui ne nous échapperont plus, & qui nous donneront les premieres idées de la régularité de toutes ces choses. Nous tiendrons un compte exact des circonstances & des lieux où elles s’annonceront ; & enfin nous serons, par une suite de la même attention, en état de remarquer les variétés & toutes leurs dépendances.
L’examen de ces variétés réitéré & porté sur une multitude d’objets qu’on trouve sous ses pas lorsqu’on fait voir, nous fera distinguer aisément le caractere propre d’une configuration d’avec les circonstances accessoires. On discute avec bien plus d’avantage l’étendue des effets & même la combinaison des causes, lorsque l’on peut décider ce qu’elles admettent constamment, ce qu’elles négligent quelquefois, & ce qu’elles excluent toûjours.
Les irrégularités sont des sources de lumiere, parce qu’elles nous dévoilent des effets qu’une uniformité trop constante nous cachoit ou nous rendoit imperceptibles. La nature se décele souvent par un écart qui montre son secret au grand jour : mais on ne tire avantage de ces irrégularités, qu’autant qu’on est au fait de ce qui, dans telle ou telle circonstance est la marche uniforme de la nature, & qu’on peut démêler si ces écarts affectent ou l’essentiel ou l’accessoire.
Pour avoir des idées nettes sur les objets qu’on observe, on s’attache aussi à renfermer dans des limites plus ou moins précises, les mêmes effets soit réguliers soit irréguliers. On apprétie par des mesures exactes jusqu’où s’étend tel contour, telle avance angulaire dans une montagne, telle profondeur dans les vallons : soit que ceux-ci soient formés par des couches qui s’y courbent & s’y continuent en bon ordre, soit qu’ils ne soient que la suite d’un éboulement subit ; on prend les dimensions des fentes perpendiculaires, l’épaisseur des couches, &c.
Dans l’appréciation des limites assignées aux effets, il est très-utile de passer de la considération d’une extrémité à la considération de l’autre extrémité opposée ; comme de la hauteur des montagnes aux plus profonds abysmes, ou des continens ou des mers ; de la plus belle conservation d’un fossile au dernier degré de sa calcination.
Un observateur intelligent ne se bornera pas tellement dans ses savantes discussions, aux formes extérieures & à la structure d’un objet, qu’il ne prenne aussi une connoissance exacte des matieres elles-mêmes qui par leurs divers assemblages ont concouru à le produire ; il liera même exactement une idée avec l’autre. Telle matiere, dira-t-il, affecte telle forme ; il conclura l’une de l’autre, & réciproquement. Il se formera des distinctions générales des substances terrestres ; il les partagera en matieres vitrescibles & calcaires ; il les reconnoîtra à l’eau-forte ou par des réductions chimiques. Il aura lieu de remarquer que les grès sont par blocs & par masses dans leurs carrieres ; que les pierres calcaires sont par lits & par couches ; que les schistes affectent la forme trapézoïdale ; que certaines crystallisations sont assujetties à la figure pyramidale ou parallelepipede ; que dans d’autres les lames crystallisées s’assemblent & s’adaptent sur une base vers laquelle elles ont une direction, comme vers un centre commun, &c. Toutes ces dépendances jettent dans des détails qui en multipliant les attentions de l’observateur, lui présentent les objets sous un nouveau jour, & donnent du poids à ses découvertes.
Il portera la plus scrupuleuse attention sur les circonstances uniformes & régulieres qui accompagnent certains effets ; elles ne peuvent lui échapper, lorsqu’il sera prévenu quelle influence leur examen peut avoir par rapport à l’appréciation des phénomenes ; cette considération entre même plus directement que toute autre dans l’objet de la Géographie physique. Ainsi, suivant ces vûes, il contemplera les ouvrages de la nature, tantôt dans l’ensemble de leur structure, tantôt dans le rapport des pieces. Un coup-d’œil général & rapide n’apprend rien que de vague ; un mince détail épuise souvent sans présenter rien de suivi ; il faut donc soûtenir une observation par l’autre ; & c’est en les faisant succéder alternativement, que les vûes s’affermissent, même en s’étendant. « Cette étude suppose, dit M. de Buffon, les grandes vûes d’un génie ardent qui embrasse tout d’un coup-d’œil, & les petites attentions d’un instinct laborieux qui ne s’attache qu’à un seul point ». Hist. nat. I. vol. La place qu’occupe un tel corps ou un tel assemblage de corps dans l’économie générale ; sera déterminée relativement à la nature de ces corps. On subordonnera, en un mot, les détails qui concernent les substances & leurs formes à ceux qui tiennent à la disposition relative ; on remarquera exactement que certaines couches de pierres calcaires ou autres, sont d’une égale épaisseur dans toute leur longueur ; mais que celles de gravier amassées dans des vallons n’annoncent pas la même régularité ; que dans les premieres, les coquilles, & les autres corps marins pétrifiés sont à plat ; que dans les secondes, elles sont disposées assez irrégulièrement ; que les fentes perpendiculaires sont plus larges dans les substances molles que dans les matieres les plus compactes, &c. Quelle que soit la multiplicité des agens que fasse mouvoir la nature, & la variété des formes qu’elle donne à ses effets, cependant tout tend à un ensemble : un corps étranger qui se trouve placé au milieu de substances de nature différente ; un amas de talc au milieu des matieres calcaires ; des blocs de grès au milieu des marnes ; des sables au milieu des glaises ; toutes ces observations sont très-essentielles pour connoître la distribution générale.
Comme un seul homme ne peut pas tout voir par soi-même, & que c’est la condition de nos connoissances de devoir leurs progrès aux découvertes & aux recherches combinées de plusieurs observateurs ; il est nécessaire de s’en rapporter au témoignage des autres : mais parmi ces descriptions étrangeres, il y a beaucoup de choix ; & dans ce discernement il faut employer une critique sérieuse & une discussion severe. L’expérience & la raison nous autorisent à nous défier généralement de tous les faits de cette nature dont les anciens seuls sont les garans ; nous ne nous y attacherons, nous n’y ferons attention que pour les vérifier ou qu’autant qu’on l’aura fait & qu’ils seront dégagés de ce merveilleux que ces écrivains leur prêtent ordinairement ; ou enfin lorsque leurs détails rentrent dans des circonstances avérées & indubitables d’ailleurs. Mais nous croyons qu’on doit proscrire nommément tous ces fameux mensonges qui par une négligence blâmable ou par une imbécille crédulité, ont été transmis de siecles en siecles, & qui tiennent la place de la vérité. On peut juger par l’emploi fréquent que s’en permettent les compilateurs, du tort qu’ils font aux Sciences. Cependant pour les proscrire sans retour, il faut être en état de leur substituer le vrai, qui souvent n’est qu’altéré par les idées les plus bizarres. On est entierement détrompé d’une illusion, lorsqu’on connoît les prétextes qui l’ont fait naître.
Quant à ce qui concerne les auteurs qui ont écrit avant le renouvellement des Sciences, ils ne doivent être consultés qu’avec réserve ; privés des connoissances capables de les éclairer & de les guider dans la discussion des faits, ils ne les ont observés qu’imparfaitement ou sous un point de vûe qui se rapporte toûjours à leurs préjugés. Kircher décrit, dessine, présente les coupes des réservoirs soûterreins qui servent, selon lui, à la distribution des eaux de la mer par les sources ; il nous débite de la meilleure foi du monde des détails merveilleux sur les gouffres absorbans de la mer Caspienne, sur le feu central, sur les cavernes soûterreines, comme s’il eût eu des observations suivies par rapport à tous ces objets, qui ne sont autorisés parmi nous que d’après les écrits hasardés d’écrivains aussi judicieux.
En général, les observateurs ou ignorans, ou prévenus, ou peu attentifs, qui voyent les objets rapidement, sans dessein, & sans discussion, ne méritent que très-peu de croyance : je veux trouver dans l’auteur même, dans les détails qu’il me présente, cette bonne foi, cette simplicité, cette abondance de vûes qui m’inspirent de la confiance pour son génie d’observation, & pour l’exactitude de ses récits.
Souvent l’observation nous abandonne dans certains sujets compliqués ; elle n’est pas assez précise ; elle ne montre qu’une partie des effets, ou les montre trop en grand pour qu’on puisse atteindre à quelque assertion qui mette de l’ordre dans nos idées. Alors l’expérience est indispensable ; il faut se résoudre à suivre les opérations de la nature avec une constance & une opiniâtreté que rien ne décourage, sur-tout lorsqu’on est assûré qu’on est sur la voie. Sans cette ressource, on ne peut être fondé à raisonner sur les faits avec connoissance de cause. Tous les détails de l’observation ne pourront se réunir avec cette précision si desirable dans les Sciences, & ne porteront que sur des conséquences vagues, sur des suppositions gratuites, qui présentent plûtôt nos décisions que celles de la nature. Telle est, par exemple, comme nous l’avons remarqué à l’article Fontaine, l’apprétiation de la quantité de pluie qui tombe sur les différentes parties de la terre, & sa comparaison avec la masse des eaux qui circulent dans la même étendue : de-là dépend le dénouement de tout ce qui concerne l’origine des fontaines, la distribution des vapeurs sur la surface des continens & les eaux courantes. On aura rassemblé tous les faits, recueilli toutes les observations les plus curieuses, on ne pourra, sans les résultats précis des expériences, rien prononcer de décisif sur ces objets importans.
Principes qui ont pour objet la combinaison des faits. Comme les faits seuls & isolés n’annoncent rien que de vague, il faut les interpréter en les rapprochant & les combinant ensemble.
On sent plus que jamais aujourd’hui, qu’il est presque aussi important de mettre de l’ordre dans les découvertes, que d’en faire ; les traits épars qui représentent la nature, nous échapperoient sans cette ressource. Presque tous les phénomenes, sur-tout ceux que nous avons en vûe, n’ont d’utilité que dans la relation qu’ils peuvent avoir avec d’autres ; comme les lettres de l’alphabet qui sont inutiles en elles-mêmes, forment par leur réunion les mots & les langues. La nature d’ailleurs ne se montre pas toute entiere dans un seul fait ou même dans plusieurs. Un phénomene solitaire ne peut être mis en réserve, que dans l’espoir qu’il se réunira quelque jour à d’autres de même espece : & comme dans le plan de la nature un tel fait est impossible, un observateur intelligent en trouvera peu de cette nature : un fait isolé, en un mot, n’est pas un fait physique ; & la vraie Philosophie consiste à découvrir les rapports cachés aux vûes courtes & aux esprits inattentifs : un exemple frappant fera sentir la justesse de ces principes. Le P. Feuillée avoit observé « que les coupes des rochers près de Coquimbo, dans le Pérou, étoient perpendiculaires au niveau ; que les unes allant de l’est à l’oüest & les autres du nord au sud, se coupoient à angles droits ; que les premieres coupes étoient paralleles à l’équateur, & les autres au méridien ». Si ce savant religieux eût été conduit par les vûes que nous indiquons ici, bien loin de remarquer, comme il le fait, que la nature avoit ainsi configuré les montagnes pour rendre cette partie du monde déjà si riche par ses mines, plus parfaite que les autres ; il auroit conçû le dessein de se procurer des observations correspondantes dans les autres continens, & ne se seroit pas borné à la considération infructueuse des causes finales. Voy. Causes finales. Cette idée bien combinée depuis valut à M. Bourguet la découverte des angles correspondans, &c.
Ainsi il est facile de sentir la nécessité de combiner les faits ; cette opération délicate s’exécute sur deux plans différens. Il y a une combinaison d’ordre & de collection ; il y a une combinaison d’analogie.
A-mesure que l’on amasse des faits & des observations, on en seroit plûtôt accablé qu’éclairé, si l’on n’avoit soin de les réduire à certaines classes déterminées plûtôt par le sujet que par leur enchaînement naturel : car les recherches n’étant pas assez multipliées, on n’a que des chaînons épars & qui n’annoncent pas encore la correspondance mutuelle qui pourra quelque jour en former une suite non interrompue. Cependant comme on a toûjours besoin d’une certaine apparence d’ordre, on arrange même dans des partitions inexactes : la verité se fera jour plûtôt à-travers de cette petite méprise, qu’à-travers de la confusion ; le tems & les recherches rectifieront l’une, au lieu qu’ils augmenteroient l’autre.
Il faut même avoüer que ces partitions générales, quoiqu’imparfaites, seroient plus convenables à notre travail présent, qui est de recueillir pour l’usage de la postérité, & plus assorties à nos connoissances bornées & imparfaites sur certains sujets compliqués qui n’ont encore reçû que la premiere ébauche, que ces vûes tronquées auxquelles l’imagination donne la forme & l’apparence d’une théorie. Ces tables seroient comme les archives des découvertes, & le depôt de nos connoissances acquises, ouvert à tous ceux qui se sentiroient du zele & des talens pour l’enrichir de nouveau. Les observateurs y parcourroient d’un seul coup d’œil & sous une précision lumineuse, ce que nous délayons quelquefois dans une confusion d’idées étrangeres & bizarres, au milieu desquelles la plus grande sagacité les démêle avec peine.
Cette premiere opération offriroit de très-grandes facilités à la seconde : en contemplant les faits simplifiés, classifiés avec un certain ordre, on est plus en état de saisir leurs correspondances mutuelles & ce qui peut les unir dans la nature ; cette distribution n’auroit pas lieu seulement pour les observations que nous aurions recueillies des autres, mais aussi pour celles que nous aurions faites par nous-mêmes.
Ainsi nous tirerions de très-grands avantages de cette classification des phenomenes, pour saisir leurs rapports : mais il faut convenir que lorsque nous nous serons familiarisés avec les objets eux-mêmes, & que nous aurons acquis l’habitude de les voir avec intelligence, ils formeront dans notre esprit de ces impressions durables, & s’annonceront à nous avec ces caracteres de correspondance qui sont le fondement de l’analogie. Nous nous éleverons insensiblement à des vûes plus générales par lesquelles nous embrasserons à-la-fois plusieurs objets : nous saisirons l’ordre naturel des faits ; nous lierons les phenomenes ; & nous parcourrons d’un seul coup-d’œil une suite d’observations analogues, dont l’enchaînement se perpétuera sans effort.
Mais une premiere condition pour parvenir à ce point de vûe, est d’avoir scrupuleusement observé chaque objet comparé ; autrement on ne peut bien saisir les justes limites des rapports qui peuvent les réunir. Si nous avons été exacts à démêler ce qui pouvoit rapprocher un fait d’un autre, & à découvrir ce qui dans les phénomenes annonçoit une tendance marquée à la correspondance d’organisation, dès-lors les analogies se présenteront à notre esprit d’elles-mêmes.
On se laisse souvent séduire dans le cours de ses observations, ou bien par négligence, ou bien par une prévention de système ; en conséquence on a la présomption de voir au-delà de ce que la nature nous montre, ou bien l’on craint d’appercevoir tout ce qu’elle peut nous découvrir. D’après cette illusion, on imagine de la ressemblance entre les objets les plus dissemblables, de la régularité & de l’ordre au milieu de la confusion.
Dans toutes ces opérations, le grand art n’est pas de suppléer aux faits, mais d’en combiner les détails connus ; d’imaginer des circonstances, mais de savoir les découvrir. En effet, à-mesure qu’on étudie de plus en plus la nature, son méchanisme, son art, ses ressources, la multiplicité de ses moyens dans l’exécution, ses desordres mêmes apparens, tout nous étonne, tout nous surprend ; tout enfin nous inspire cette défiance & cette circonspection qui moderent ce penchant indiscret de nous livrer à nos premieres vues, ou de suivre nos premieres impressions.
Afin de ne rien brusquer, il sera donc très-prudent de ne nous attacher qu’aux rapports les plus immédiats, & de nous servir de ceux qui ont été apperçûs & vérifiés exactement, pour nous élever à d’autres. Pour cela nous rangeons par ordre nos observations, & nous en faisons de nouvelles lorsque les rapports intermédiaires nous manquent. Nous avons l’attention de ne pas lier des faits sans avoir parcouru tous ceux qui occupent l’intervalle, par une induction dont la nature elle-même aura conduit la chaîne. Bien-loin de surcharger de circonstances merveilleuses ou étrangeres les objets compliqués, nous les décomposerons par une espece d’analyse, afin de nous borner à la comparaison des parties ; & à-mesure que nous avancerons dans ce travail, nous recomposerons de nouveau toutes les parties & leurs rapports, pour jouir de l’effet du tout ensemble.
Ainsi nous nous attacherons d’abord aux analogies des formes extérieures, ensuite à celles des masses ou des configurations interieures ; enfin nous discuterons celles des circonstances. J’ai suivi les contours de deux montagnes qui courent parallelement ; j’ai remarqué la correspondance de leurs angles saillans & sentrans ; je penetre dans leur masse, & je découvre avec surprise que les couches qui par leur addition forment la solidité de ces avance angulaires, sont assujetties à la même régularité que les couches extérieures. Je conclus la même analogie de régularité par rapport aux directions extérieures & mutuelles des chaînes, & par rapport à l’organisation correspondante des masses. Je vais plus loin : je dis que la forme extérieure des montagnes prise absolument, a un rapport marqué de dépendance avec la disposition des lits qui entrent dans leur structure intérieure. Je pousserai même mes analogies sur la nature des substances, leurs hauteurs correspondantes, & j’observerai, comme une circonstance très-remarquable, que les angles sont plus fréquens & plus aigus dans les vallons profonds & resserrés, &c.
Un point important sur lequel j’insisterai, sera de ne point perdre de vûe, ni de dissimuler les différences les plus remarquables, ou les exceptions les plus legeres qui s’offriront à mes regards dans le cours des rapports que j’aurai lieu de saisir & d’indiquer. Les rapports que j’établirai en conséquence de cette attention, seront moins vagues ; & d’après ce plan je serai même en état d’établir de nouveaux rapports & des combinaisons lumineuses entre ces variétés, lorsqu’elles s’annonceront avec les caracteres décisifs d’une ressemblance marquée. Par ce moyen je ne me permettrai aucune espece de supposition ; & bien-loin d’être tenté d’étendre des rapports au-delà de ce que les faits me présentent, dans le cas où une exception me paroîtroit figurer mal, l’espoir que j’aurai de l’employer un jour avec succès, me déterminera à ne la pas dissimuler ou négliger, comme j’aurois été tenté de le faire, si je l’eusse regardée comme inutile. Cette exception me donnant lieu d’en former une nouvelle classe de variétés assujetties à des effets réguliers, mon observation n’aura-t-elle pas été plus avantageuse pour le progrès de la Géographie physique, que si j’eusse, à l’aide d’une illusion assez facile, supposé des régularités uniformes ?
Ce n’est qu’avec ces précautions qu’on pourra recueillir une suite bien liée de faits analogues, & qu’on en formera un ensemble dans lequel l’esprit contemplera sans peine un ordre méthodique d’idées claires & de rapports féconds.
Principes de la généralisation des rapports. C’est alors que les principaux faits bien déterminés, décrits avec exactitude, combinés avec sagacité, sont pour nous une source de lumiere qui guide les observateurs dans l’examen des autres faits, & qui leur en prépare une suite bien liée. A force d’appercevoir des effets particuliers, de les étudier & de les comparer, nous tirons de leurs rapports mis dans un nouveau jour, des idées fécondes qui étendent nos vûes ; nous nous élevons insensiblement à des objets plus vastes ; & c’est dans ces circonstances délicates que l’on a besoin de méthode pour conduire son esprit. Quand il faut suivre & démêler d’un coup-d’œil ferme & assûré les démarches de la nature en grand, & mesurer en quelque façon la capacité de ses vûes avec la vaste étendue de l’univers, ne doit-on pas avoir échaffaudé long-tems pour s’élever à un point de vûe favorable d’où l’on puisse découvrir cette immensité ? aussi avons-nous insisté sur les opérations préliminaires à cette grande opération.
La généralisation consiste donc dans l’établissement de certains phénomenes étendus, qui se tirent du caractere commun & distinctif de tous les rapports apperçûs entre les faits de la même espece.
On envisage sur-tout les rapports les plus féconds, les plus lumineux, les mieux décidés, ceux, en un mot, dont la nature nous présente le plus souvent les termes de comparaison : tels sont les objets de la généralisation. Par rapport à ses procédés, elle les dirige sur la marche de la nature elle-même, qui est toûjours tracée par une progression non interrompue de faits & d’observations, rédigés dans un ordre dépendant des combinaisons déjà apperçûes & déterminées. Ainsi les faits se trouvent (par les précautions indiquées dans les deux articles précédens) disposés dans certaines classes générales, avec ce caractere qui les unit, qui leur sert de lien commun ; caractere qu’on a saisi en détail, & qu’on contemple pour-lors d’une seule vûe ; caractere enfin qui rend palpable l’ensemble des faits, de maniere que le plan de leur explication s’annonce par ces dispositions naturelles. Dans ce point de vûe l’observateur joüit de toutes ses recherches ; il apperçoit avec satisfaction ce concert admirable, cette union, ce plan naturel, cet enchaînement méthodique qui semble multiplier un phénomene, par sa correspondance avec ceux qui se trouvent dans des circonstances semblables.
De cette généralisation on tire avec avantage des principes constans, qu’on peut regarder comme le suc extrait d’un riche fonds d’observations qui leur tiennent lieu de preuves & de raisonnemens. On part de ces principes, comme d’un point lumineux, pour éclaircir de nouveau certains sujets par l’analogie ; & en conséquence de la régularité des opérations de la nature, on en voit naître de nouveaux faits qui se rangent eux-mêmes en ordre de système. Ces principes sont pour nous les lois de la nature, sous l’empire desquelles nous soûmettons tous les phénomenes subalternes ; étant comme le mot de l’énigme, ils offrent dans une précision lumineuse plus de jeu & de facilité à l’esprit observateur, pour étendre ses connoissances. Enfin ils ont cet avantage très-important, de nous détromper sur une infinité de faits défigurés ou absolument faux ; ces faits disparoîtront ou se rectifieront à leur lumiere, comme il est facile de suppléer une faute d’impression, lorsqu’on a le sens de la chose.
Mais pour établir ces principes généraux, qui ne sont proprement que des effets généraux apperçûs régulierement dans la discussion des faits combinés, il est nécessaire que la généralisation ait été severe & exacte ; qu’elle ait eu pour fondement une suite nombreuse & variée de faits liés étroitement, & continuée sans interruption. Sans cette précaution, au-lieu de principes formés sur des faits & des réalités, vous aurez des abstractions générales d’où vous ne pourrez tirer aucun fait qui se retrouve dans la nature. De quel usage peuvent être des principes qui ne sont pas le germe des découvertes ? & comment veut-on qu’une idée étrangere à la nature, en présente le dénouement ? Ce n’est seulement que de ce que vous tirez du fonds de la nature, & de ce qu’elle vous a laissé voir, que vous pouvez vous servir comme d’un instrument sûr pour dévoiler ce qu’elle vous cache.
Si l’induction par laquelle vous avez généralisé, n’a pas été éclairée par un grand nombre d’observations, le résultat général aura trop d’étendue : il ne comprendra pas tous les faits qu’on voudra lui soûmettre ; & cet inconvénient a pour principe cette précipitation blâmable qui, au lieu de craindre des exceptions où les faits manquent, & où leur lumiere nous abandonne, se laisse entraîner sur les simples soupçons gratuits d’une régularité constante.
On voit aisément que cette méprise n’a lieu que parce que dans la discussion des faits on n’a pas distingué l’essentiel de l’accessoire, & que dans l’énumération & la combinaison des phénomenes on a formé l’enchaînement sans y comprendre les exceptions ; il falloit en tenir un compte aussi exact, que des convenances qui ont servi aux analogies.
D’un autre côté je remarque que les observations vagues & indéterminées ne peuvent servir à l’établissement d’aucun principe. Toutes nos recherches doivent avoir pour but de vérifier, d’apprécier tous les faits, & de donner sur-tout une forme de précision aux résultats : sans cette attention, point de connoissance certaine, point de généralisation, point de résultats généraux.
Les principes ont souvent trop d’étendue, parce qu’ils ont été rédigés sur des vûes ambitieuses, dictées par une hypothèse favorite ; car alors dans tout le cours de ses observations on a éludé par dissimulation ou par des distinctions subtiles, les exceptions fréquentes : on les a négligées comme inutiles, & l’on a toûjours poursuivi, au milieu de ces obstacles, la généralisation des résultats. Si dans la suite on trouve des faits contraires, on les ajuste comme s’ils étoient obligés de se prêter à une regle trop générale.
D’autres résultats se présentent souvent avec une infinité de modifications & de restrictions, qui font craindre qu’ils ne soient encore subordonnés à d’autres. Cette timidité avec laquelle on est obligé de mettre au jour ses principes, vient d’un défaut d’observations ; il n’y a d’autre parti à prendre pour leur assûrer cette solidité, cette étendue, cette précision qu’ils méritent peut-être d’acquérir, que de consulter la nature : sans cela, les principes dont la généralisation n’est pas pleine & entiere, dont l’application n’est pas fixe & déterminée, seront continuellement une source de méprises & d’illusions.
Ce n’est qu’en s’appuyant sur des faits discutés avec soin, liés avec sagacité, généralisés avec discernement, que l’on peut se flater de transmettre à la postérité des vérités solides, des résultats généraux & incontestables, enfin des principes féconds & lumineux.
II. Lorsqu’on jette un premier coup-d’œil sur notre globe, la division la plus générale qui se présente, est celle par laquelle on le conçoit partagé en grands continens & en mers. Comme dans la partie couverte d’eau on rencontre plusieurs pointes de terre qui s’élevent au-dessus des flots, & qu’on appelle îles, de même on remarque, en parcourant les continens, des espaces couverts d’eau ; si elle y séjourne, ce sont des lacs ; si elle y circule, ce sont des fleuves ou des rivieres.
Les deux portions générales de terres fermes & de mers s’étendent réciproquement l’une dans l’autre, & en différens sens. Dans les diverses configurations relatives des limites qui circonscrivent ces deux parties de notre globe, on observe que la mer environne de tous côtés quatre grands continens, & qu’elle pénetre en plusieurs endroits dans l’intérieur des terres : ce sont des mers Méditerranées, des golfes, des baies, des anses. D’un autre côté, les continens forment des avances considérables dans le bassin de la mer ; ce sont des caps, des promontoires, des peninsules. Le canal resserré par lequel la mer coule entre deux terres pour former des golfes, se nomme détroit. Il y a trois sortes de détroits, en tant que l’on considere les terres qui forment les bords du canal ; ou ces deux lames de terre appartiennent au même continent, ou elles font partie d’un continent & d’une île, ou enfin elles sont les rivages oposés de deux îles. Les détroits, sous un autre rapport, peuvent être considérés comme formant une communication d’un bassin à un autre, & l’on en peut aussi distinguer de trois sortes ; ceux qui forment une communication d’une mer à une mer, comme celui de Magellan ; d’une mer à une baie, comme celui de Babelmandel, qui réunit le golfe arabique à la mer des Indes ; ou enfin d’une baie à une baie, comme celui des Dardanelles. Il y a des golfes qui s’étendent en longueur, d’autres s’arrondissent à leurs extrémités, & présentent une vaste ouverture sans d’autres détroits que ceux qui sont formés entre une île & un continent, ou bien entre une île & une île : tels sont ceux du Mexique, de Bengale. Enfin quelques-uns se ramifient en plusieurs branches, comme la mer Baltique.
Une lame de terre resserrée entre deux mers, se nomme isthme. Les isthmes réunissent de grandes portions de continens à d’autres, & des presqu’îles aux continens.
Je reprends ces idées, & j’oppose les continens aux mers, les îles aux lacs, les golfes aux presqu’îles, & les détroits aux isthmes. Ce sont des configurations correspondantes & opposées, qu’il est bon de saisir sous ce point de vûe d’opposition.
Dans la discussion des affections générales du globe, que nous venons de disséquer en indiquant la nomenclature de ses différentes configurations, il est nécessaire de suivre quelque plan.
1°. Nous présenterons d’abord les résultats généraux des observations qui ont un rapport direct avec l’organisation constante & réguliere du globe, & nous envisagerons cet objet sous deux points de vûe différens ; l’organisation extérieure, & l’organisation intérieure.
2°. Nous nous occuperons des phénomenes généraux qui paroissent indiquer une altération dans cette organisation constante.
3°. Enfin les affections relatives de la terre, dépendantes de l’atmosphere & des différens aspects du globe par rapport au Soleil & à la Lune, feront la matiere de la troisieme section.
Affections générales de l’organisation extérieure du globe. La terre ferme comprend quatre grands continens : 1° l’ancien : 2° le nouveau : 3° les terres australes connues ou soupçonnées : 4° les terres arctiques, dont la séparation d’avec l’Amérique n’est pas encore bien déterminée ; la configuration des terres australes est encore moins connue. Nous nous bornerons donc à raisonner sur l’ancien & le nouveau continent.
En considérant avec attention l’ancien continent & le nouveau, on observe que l’ancien est plus étendu vers le nord que vers le sud de l’équateur, & qu’au contraire le nouveau l’est plus au sud qu’au nord de l’équateur. On voit aussi que le centre de l’ancien continent se trouve à 16 ou 18 degrés de latitude nord, & celui du nouveau à 16 ou 18 degrés de latitude sud. Ce centre est déterminé par l’intersection des lignes menées sur les plus grandes longueurs & largeurs des continens.
Ils ont encore cela de remarquable, qu’ils paroissent comme partagés en deux parties qui seroient toutes quatre environnées d’eau, & formeroient des continens à part, sans deux petits isthmes ou étranglemens de terre ; celui de Suez & celui de Panama. Le premier est produit en partie par la mer Rouge, qui semble l’appendice & le prolongement d’une grande anse avancée dans les terres de l’est à l’oüest, & en partie par la Méditerranée. L’autre est de même produit par le golfe du Mexique, qui présente une large ouverture de l’est à l’oüest.
Bacon observe que ce n’est pas sans quelque raison que les deux continens s’élargissent beaucoup vers le nord, se retrécissent vers le milieu, & alongent une pointe assez aiguë vers le midi. On peut même ajoûter que les pointes de toutes les grandes presqu’îles formées par les avances des continens, regardent le midi ; que quelques-unes même sont coupées par des détroits dont le canal est dirigé de l’est à l’oüest.
Si nous voyageons maintenant sur la partie seche du globe, nous y remarquerons d’abord différentes inégalités à sa surface, de longues chaînes de montagnes, des collines, des vallons, des plaines. Nous appercevrons que les diverses portions des continens affectent des pentes assez régulieres depuis leur centre, ou depuis les sommets élevés des chaînes qui les traversent, jusque sur les côtes de la mer, ou le terrein s’abaisse sous l’eau pour former la profondeur de son bassin : réciproquement, en remontant des rivages de la mer vers le centre des continens, nous trouvons que le terrein s’éleve jusqu’à certains points qui dominent de tous côtés sur les terres qui les environnent.
Osons sonder la profondeur des mers, nous trouverons qu’elle augmente à-mesure que nous nous éloignons davantage des côtes, & qu’elle diminue au contraire à-mesure que nous nous en approchons davantage ; ensorte que le fond de la mer gagne par une élevation insensible les terres qui s’élevent au-dessus des flots. Dans le même examen nous découvrons que la vaste étendue du bassin de la mer nous offre des inégalités correspondantes à celles des continens ; il a ses vallées & ses montagnes : les roches à fleur d’eau, les îles, ne sont que les sommets les plus élevés des chaînes montueuses qui sillonnent par diverses ramifications la partie du globe que la mer recouvre.
Je remarque que les eaux de la mer, en se répandant dans de grandes vallées où le terrein est assujetti à des pentes plus rapides, ont formé les golfes, les mers Méditerranées ; & que réciproquement les terres éprouvant une irrégularité dans leur abaissement vers les côtes de la mer, & se prêtant moins à la courbure des terreins qui se plongent sous les flots, s’avancent au milieu des eaux, & forment des caps, des promontoires, des presqu’îles.
Entrons maintenant dans un plus grand détail, & examinons de plus près chaque objet dont les différentes particularités nous échappoient dans le lointain où ils ont été présentés.
Nous reconnoissons d’abord que toutes les montagnes forment différentes chaînes principales qui se lient, s’unissent, & embrassent tant par leurs troncs principaux que par leurs ramifications collatérales la surface des continens. Les montagnes, qui sont proprement les tiges principales, présentent des masses très-considérables & par leur hauteur & par leur volume ; elles occupent & traversent ordinairement le centre des continens : celles de moindre hauteur naissent de ces chaînes principales ; elles diminuent insensiblement à-mesure qu’elles s’éloignent de leur tige, & vont mourir ou sur les côtes de la mer, ou dans les plaines : d’autres se soûtiennent encore le long des rivages de la mer, ou à une certaine distance de ces rivages.
Dans une masse de montagnes prise en une partie déterminée d’un continent, il est toûjours un point d’elevation extrème d’où les sommets des autres éprouvent une dégradation sensible, & dans la direction du prolongement de la chaîne de part & d’autre jusqu’à une certaine distance, & suivant les parties collatérales.
Les plus hautes montagnes sont entre les tropiques & dans le milieu des zones tempérées, & les plus basses avoisinent les poles. On a entre ou proche les tropiques les Cordelieres au Pérou, les pics des Canaries, les montagnes de la Lune, le grand & le petit Atlas, le mont Taurus, le mont Imaüs, les montagnes du Japon. Les Cordelieres ont presque le double de la hauteur des Alpes. L’ancien continent est traversé depuis l’Espagne jusqu’à la Chine par des chaînes paralleles à l’équateur ; mais elles jettent des branches qui se dirigeant au midi, traversent & forment différentes presqu’iles, comme l’Italie, Malaie, &c. Les Alpes se ramifient dans le nord de l’Europe, & le mont Caucase dans celui de l’Asie. Le grand & le petit Atlas sont de même paralleles à l’équateur ; mais il est à présumer qu’ils se lient aux autres chaînes qui vont se diriger aussi vers le midi, pour former la pointe du cap de Bonne-Espérance. Dans l’Amérique, le gisement des montagnes est du nord au sud.
Les pentes des montagnes, soit dans la direction de leurs chaînes, soit par rapport à leurs adossemens collatéraux, sont beaucoup plus rapides du côté du midi que du côté du nord, & beaucoup plus grandes vers l’ouest que vers l’est ; les précipices sont plus fréquens vers le midi & l’oüest ; & les plaines ont une pente insensible, ainsi que les sommets, vers l’est & le nord.
Si l’on examine en particulier la configuration de ces différentes montagnes, que nous venons de prendre en grand, on observera des phénomenes très-curieux.
Les côtés de ces chaînes présentent des adossemens considérables de terre, ou des avances angulaires dont les pointes font angle droit avec l’alongement de la chaîne montueuse : ainsi la chaîne ayant sa direction du nord au sud, les angles s’étendront d’un côté vers l’orient, & de l’autre vers l’occident.
Lorsque deux chaînes gisent & courent parallelement l’une à l’autre, elles forment dans l’entre-deux des gorges alongées & des vallons figurés, comme les bords d’un canal creusé par les eaux courantes ; ensorte que l’angle saillant de l’une se trouve opposé à l’angle rentrant de l’autre.
Les avances angulaires ou adossemens sont plus fréquens dans les gorges ou vallons profonds & étroits, & leurs pointes angulaires plus aiguës : mais lorsque la pente est plus douce, l’adossement s’appuyant alors sur une base plus large, les angles sont plus obtus ; ils sont aussi plus éloignés les uns des autres : c’est ce qui a lieu dans les vallées qui aboutissent à de larges plaines.
En général on distingue plusieurs parties dans une masse montueuse ; les parties les plus élevées sont des especes de pics ou de cones dégarnis ordinairement de terre ; au pié on trouve des plaines ou des vallons plus ou moins étendus, & qui sont proprement les sommets applatis d’autres montagnes, lesquelles présentent sur leurs croupes différens enfoncemens, & sont adossées par des collines dont les avances angulaires vont enfin se perdre dans les plaines étendues. Ainsi nous voyons qu’il y a deux sortes de plaines ; des plaines en pays bas, & des plaines en montagnes.
Si une chaîne de montagnes après avoir couru dans un continent se dirige en se soûtenant encore à une moyenne hauteur vers une certaine mer, elle s’y continue sous les flots, & va rejoindre & former par ses pointes les plus élevées, les îles qui sont ordinairement dans la suite de la premiere direction. Les parties de la continuation de ces chaînes marines, forment des bas-fonds, des écueils, & des rochers à fleur-d’eau : ensorte que ces terres proéminentes nous tracent sensiblement la route que suivent les chaînes montueuses sous les flots : il y a quelque apparence qu’il y a peu d’interruption.
En conséquence, les détroits ne sont que l’abaissement naturel ou bien la rupture forcée des montagnes, qui forment les promontoires : aussi leur prolongement se retrouve-t-il dans les îles séparées par les détroits ; & leurs appendices sont constamment assujettis à l’alignement des chaînes qui traversent les continens. Par une suite de la même disposition, les détroits sont les endroits où la mer a le moins de profondeur ; on y trouve une éminence continuée d’un bord à l’autre ; & les deux bassins que ce détroit réunit, augmentent en profondeur par une progression constante ; ce qu’on peut voir dans le Pas de Calais.
Cette correspondance des montagnes se remarque bien sensiblement dans les îles d’une certaine étendue & voisines des continens ; elles sont séparées en deux parties par une éminence très-marquée, qui les traverse dans la direction des autres îles ou des continens, & qui en diminuant de hauteur depuis le centre jusqu’à leurs extrémités de part & d’autre, s’abaisse insensiblement sous les eaux : il en est de même de tous les promontoires & des presqu’îles ; les chaînes de montagnes les traversent dans leur plus grande longueur & par le milieu ; telles sont l’Italie, la presqu’île de Malaie, &c.
Ce qui sépare deux mers & forme les isthmes, est assujetti à la même régularité. Les isthmes ne sont proprement que le prolongement des chaînes de montagnes soûtenues à une certaine hauteur, avec leurs avances angulaires ou adossemens collatéraux, mais moins considérables que les masses étendues où les continens s’élargissent & écartent les flots en s’arrondissant davantage : l’isthme de Panama est ainsi formé par l’abaissement & le retrécissement de la chaîne des Cordelieres, qui va se continuer du Pérou dans le Mexique.
C’est par une suite de la dépendance des configurations du bassin de la mer avec le prolongement & le gisement des montagnes, que sa profondeur à la côte est proportionnée à la hauteur de cette même côte ; & que si la plage est basse & le terrein plat, la profondeur est petite ; il est aisé d’en sentir les raisons. Un promontoire élevé s’abaisse sous les flots par une pente brusquée.
On distingue trois especes de côtes ; 1°. les côtes élevées qui sont de roche ou de pierres dures coupées ordinairement à-plomb à une hauteur considérable ; 2°. les basses côtes, dont les unes sont unies & d’une pente insensible, les autres ont une médiocre élévation, & sont bordées de rochers à fleur-d’eau ; 3°. les dunes formées par des sables que la mer accumule.
C’est encore une suite de la structure extérieure du globe hérissé de montagnes, qu’il se trouve entre les tropiques beaucoup plus d’îles que par-tout ailleurs : nous avons de même remarqué sur les continens les plus hautes montagnes dans cette partie du globe ; ensorte que les plus grandes inégalités se trouvent en effet dans le voisinage de l’équateur.
Ces grands amas d’îles qui présentent une multitude de pointes peu eloignées les unes des autres, sont voisins des continens, & sur-tout dans de grandes anses formées par la mer. Les îles solitaires sont au milieu de l’Océan.
Si nous examinons ce que l’Océan nous offre encore, nous y découvrirons différens mouvemens réguliers & constans qui agitent la masse de ses eaux.
Le principal est celui du flux & reflux, qui dans vingt-quatre heures éleve deux fois les eaux vers les côtes, & les abaisse par un balancement alternatif ; il a un rapport constant avec le cours de la lune ; l’intumescence des eaux est plus marquée entre les tropiques que dans les zones tempérées, & plus sensible dans les golfes ouverts de l’est à l’oüest, étroits & longs, que dans les plages larges & basses ; elle se modifie enfin suivant le gisement des terres & la hauteur des côtes.
Il résulte de ce premier mouvement une tendance continuelle & générale de toute la masse des eaux de l’Océan de l’est à l’oüest ; ce mouvement se fait sentir non seulement entre les tropiques, mais encore dans toute l’étendue des zones tempérées & froides où l’on a navigué.
On remarque certains mouvemens particuliers & accidentels dans certains parages, & qui semblent se soustraire au mouvement général du flux & reflux ; ce sont les courans : les uns sont constans & étendus tant en longueur qu’en largeur, & se dirigent en ligne droite ; souvent ils éprouvent plusieurs sinuosités & plusieurs directions ; d’autres sont rapides, d’autres lents. Ils produisent des especes de tournoyemens d’eau ou de gouffres, tels que le Maelstroom, près de la Norwége : cet effet est la suite de l’affluence de deux courans qui se rencontrent obliquement. Lorsque plusieurs courans affluent, il en résulte ces grands calmes, ces tornados où l’eau ne paroît assujettie à aucun mouvement.
Une derniere observation que nous présente l’Océan, est celle de sa salure ; toute l’eau de la mer est salée & mêlée d’une huile bitumineuse ; elle contient environ la quarantieme partie de son poids en sel, avec quelques différences pour les golfes, qui reçoivent beaucoup d’eau douce que les fleuves y versent des continens.
Cette observation nous conduit naturellement à examiner ce qui concerne les eaux qui séjournent & celles qui circulent sur la surface des continens, pour en saisir les phénomenes les plus généraux.
Je remarque d’abord que les principales sources des fleuves, & l’origine des canaux qui versent l’eau des continens dans la mer, se trouvent placées ou dans le corps des chaînes principales qui traversent les continens, ou près de leurs ramifications collatérales. J’apperçois dans différentes parties des continens des contrées élevées qui sont comme des points de partage pour la distribution des eaux qui se précipitent en suivant différentes directions dans la mer ou dans des lacs : j’en vois deux principaux en Europe, la Suisse & la Moscovie ; en Asie, le pays des Tartares Chinois ; & en Amérique, la province de Quito : outre ces principaux, il en est d’autres assujettis toûjours aux montagnes collatérales. Enfin certaines rivieres prennent leurs sources au pié & dans les cul-de-sacs des montagnes qui s’étendent le long des côtes de la mer.
Les sources ou fontaines peuvent se distinguer par les phénomenes que présente leur écoulement, & par les propriétés des eaux qu’elles versent : par rapport à leur écoulement, on en distingue de trois sortes ; 1°. de continuelles, qui n’éprouvent aucune interruption ni diminution rapide ; 2°. de périodiques intercalaires, qui sont assujetties à des diminutions régulieres sans interruption ; 3°. de périodiques intermittentes, qui ont des interruptions plus ou moins longues. Voyez Fontaine.
Par rapport à la nature de leurs eaux, il y en a de minérales, chargées des particules métalliques, de bitumineuses, de lapidifiques chargées de particules terreuses, de claires & de troubles, de froides & de chaudes : d’autres ont une odeur & une saveur particuliere. Voyez Hydrologie.
Lorsque plusieurs sources ne trouvent pas une pente favorable pour former un canal, leurs eaux s’amassent dans un bassin sans issue, & il en résulte un lac ; cette eau franchit quelquefois les bords du bassin, & se répand au-dehors ; ou bien une riviere dans son cours ne trouvant pas de pente jusqu’à la mer, l’eau qu’elle fournit recouvre un espace plus ou moins étendu suivant son abondance, & forme un lac. D’après ces considérations, nous distinguons quatre sortes de lacs ; 1°. ceux qui ne reçoivent sensiblement leurs eaux d’aucun canal, & qui ne les versent point au-dehors ; 2°. ceux qui ne reçoivent point de canal, & qui fournissent des eaux à des rivieres, à des fleuves ; 3°. ceux qui reçoivent des fleuves sans interrompre leur cours ; 4°. ceux qui reçoivent les eaux des rivieres & les rassemblent sans les verser au-dehors : tels sont la mer Caspienne, la mer Morte, le lac Morago en Perse, Titacaca en Amérique, & plusieurs lacs de l’Afrique qui reçoivent les rivieres d’une assez grande étendue de pays ; ces terreins forment une exception à la pente assez générale des continens vers la mer.
Les lacs qui se trouvent dans le cours des fleuves, qui en sont voisins, ou qui versent leurs eaux au-dehors, ne sont point salés : ceux au contraire qui reçoivent les fleuves sans qu’il en sorte d’autres, sont salés ; les fleuves qui se jettent dans ces lacs, y ont amené successivement tous les sels qu’ils ont détachés des terres. Ceux qui ne reçoivent aucun fleuve & qui ne versent point leurs eaux au-dehors, sont ordinairement sales s’ils sont voisins de la mer ; ils sont d’eau douce, s’ils en sont éloignés.
La plûpart des lacs semblent aussi dispersés en plus grand nombre près de ces especes de points de partage que nous avons observés sur les continens : en Suisse, j’en trouve jusqu’à trente-huit ; il en est de même dans le point de partage de Russie, & dans celui de la Tartarie Chinoise en Asie, &c.
Mais j’observe généralement que les lacs des montagnes sont tous surmontés par des terres beaucoup plus élevées, ou sont au pié des pics & sur la cime des montagnes inférieures.
Les rivieres se portant toûjours des lieux élevés vers les lieux bas, & des croupes de montagnes ou principales ou collatérales vers les côtes de la mer ou dans des lacs ; c’est une conséquence naturelle que la direction des sommets & des chaînes alongées soit marquée par cette suite de points où tous les canaux des eaux courantes prennent leurs sources, & par cet espace qu’ils laissent vuide entre eux en se distribuant vers différentes mers.
Ainsi les crêtes des chaînes principales, des ramifications collatérales, des collines mêmes de moyenne grandeur, servent à former ces partages des eaux que nous avions découverts & indiqués en général : c’est ainsi que les Cordelieres distribuent les eaux vers la mer du Sud & dans les vastes plaines orientales de l’Amérique méridionale. Les Alpes de même distribuent leurs eaux vers diverses mers par quatre canaux différens, le Rhin, le Rhone, le Pô, & le Danube.
On voit sensiblement, d’après ces observations générales, que les rivieres & les fleuves sont des canaux qui épuisent l’eau répandue sur les continens. J’observe qu’au lieu de se ramifier en plusieurs branches, ils réunissent au contraire leurs eaux, & les vont porter en masse dans la mer ou dans les lacs. Je ne vois qu’une exception à cette disposition générale, c’est la communication de l’Orénoque avec une riviere qui se jette dans le fleuve des Amazones : les hommes ont senti l’avantage de cette espece d’anastomose, en liant les lits des rivieres par des canaux. Que nous diront sur cela les sectateurs des causes finales ?
La direction des fleuves dans tout leur cours est assujettie aux configurations des montagnes & des vallons où ils coulent ; de sorte qu’une des montagnes qui borde un vallon ayant une pente moins rapide que l’autre qui lui est opposée, la riviere prend son cours plus près de celle qui a une croupe plus roide & plus escarpée, & ne garde point le milieu du vallon : elle n’occupe le milieu que lorsque la pente est égale. Les fleuves ne suivent les montagnes principales d’où ils tirent leur origine, que tant qu’ils sont resserrés entre deux chaînes ; mais dès qu’ils se répandent dans les plaines collatérales, ils coulent perpendiculairement à la direction des chaînes, en suivant les vallons des montagnes de la seconde & troisieme grandeur, où ils trouvent différentes rivieres qui les enrichissent de leurs eaux. En conséquence de la plus grande pente que les fleuves trouvent en s’échappant des plaines montueuses qu’ils rencontrent ordinairement dans l’intérieur des terres, la direction de leur canal est ordinairement droite sur une certaine longueur, & leurs sinuosités ne se multiplient que lorsque l’on approche de leur embouchure dans la mer. On remarque que les grands fleuves coulent perpendiculairement à la côte où ils se jettent dans la mer, & qu’ils reçoivent de part & d’autre des rivieres qui s’y rendent, en indiquant une pente marquée des deux côtes. Dans l’arrondissement de certains golfes, vous observez un semblable arrondissement pour les rivieres qui s’y jettent en s’y portant comme vers un centre commun, leurs canaux s’épanoüissent dans tout le contour ; ils indiquent le vallon qui a formé le golfe. Cette disposition est sensible dans les rivieres qui se jettent à l’extrémité du golfe de Bothnie.
Un phénomene régulier & constant, est cet accroissement périodique qu’éprouvent un grand nombre de fleuves, & sur-tout ceux qui ont leurs sources entre les tropiques ; ils couvrent les plaines voisines de leurs eaux à une très-grande distance : les autres n’éprouvent que de ces crûes irrégulieres & brusquées qui sont la suite de la fonte des neiges ou des pluies abondantes : les uns sont rapides, d’autres roulent plus tranquillement leurs eaux ; & cela paroît, toutes choses égales d’ailleurs, dépendant de la distance de leur source à leur embouchure : ensorte que de deux fleuves qui partent du même point de partage, & qui vont à la mer par différentes routes, celui-là est le plus rapide, dont le cours est le moins étendu. Quelques autres se perdent dans les sables, ou disparoissent dans des soûterreins : enfin je remarque aux embouchures des grands fleuves, quelques îles & quelques amas de sable qui divisent leur canal en plusieurs bras.
Affections générales de la structure intérieure & réguliere du globe. Ce qui me frappe d’abord en creusant dans la terre, c’est que la masse est composée de lits & de couches, dont l’épaisseur, la direction, &c. sont assujetties à des dispositions régulieres & constantes. Quelque part que l’on fouille, on rencontre de ces couches ou des bancs de différentes épaisseurs, depuis une ligne jusqu’à cent piés ; & plus on creuse dans l’intérieur du globe, plus les couches sont épaisses. Ces bancs, ces lits recouvrent aussi une très grande étendue de terrein en tout sens ; excepté la couche de terre végétale, toutes ces couches sont posées parallelement les unes sur les autres ; & chaque banc a une même épaisseur dans toute son étendue.
Les lits de substances terrestres qui sont paralleles à l’horison dans les plaines, s’élevent & se courbent avec les croupes des montagnes qu’elles forment & qu’elles franchissent pour aller s’abaisser ensuite dans le vallon qui se trouve au-delà. Si la pente de la montagne est douce, l’inclinaison des couches est très-grande : si la croupe de la montagne est escarpée, ou bien les couches sont coupées à-plomb & interrompues par des éboulemens, ou bien elles s’abaissent presque sans s’incliner, & gagnent la plaine.
Lorsqu’au sommet d’une montagne les couches sont de niveau, toutes les autres qui composent sa masse sont aussi de niveau ; mais les lits du sommet panchent-ils, les autres couches de la montagne suivent la même inclinaison.
Dans certains vallons étroits formés par des montagnes escarpées, les couches que l’on y apperçoit coupées à-plomb & tranchées, se correspondent par rapport à la hauteur, à l’épaisseur, à la disposition, à la matiere qui les composent ; comme si la montagne eût été séparée par le milieu.
Dans les masses des montagnes figurées, les lits intérieurs des angles saillans ou rentrans éprouvent la même disposition que les contours extérieurs : ainsi les phénomenes de la surface paroissent liés avec ceux de la configuration intérieure, & nous la découvrent.
La même régularité a lieu par rapport à deux collines qui se suivent parallelement ; les mêmes couches s’y continuent de l’une à l’autre en bon ordre, en se courbant sous le vallon. Il est bon d’observer que le niveau n’a lieu pour la hauteur des couches correspondantes, que dans le cas où les deux collines ont une même hauteur ; ce qui est assez ordinaire.
Il faut cependant remarquer que cette organisation ne se présente pas par-tout ainsi. Les montagnes les plus élevées, soit dans les continens soit dans les îles, ne sont proprement que des pics ou cones composés de roc vif, de grès, ou de matieres vitrifiables ; celles dont les sommets sont plats contiennent des marbres, des pierres à chaux. Les collines dont la masse est de grès, présentent par-tout des pointes irrégulieres qui indiquent des couches peu suivies & un amas de décombres : celles qui sont composées de substances calcaires, de marbres, de pierres à chaux, de marnes, &c. ont une forme plus arrondie & plus réguliere.
D’après les différentes observations dont nous venons d’indiquer les résultats, on peut distinguer huit situations & formes différentes dans les couches terrestres ; 1°. de paralleles à l’horison ; 2°. de perpendiculaires ; 3°. de diversement inclinées ; 4°. de courbées en arc concave ; 5°. de courbées en arc convexe ; 6°. d’ondoyantes ; 7°. d’arrondies ; 8°. d’angulaires.
Ces différentes formes paroissent dépendantes des bases sur les quelles les lits ou assises sont posés. En suivant l’arrangement des couches, on n’a point trouvé que les substances qui les forment soient disposées suivant leur pesanteur spécifique. Les couches de matiere plus pesante se trouvent sur des couches de matieres plus legeres ; des rochers massifs portent sur des sables ou sur des glaises.
Sous la mer, dans les détroits, & dans les îles, on retrouve les substances terrestres disposées par couches, ainsi que dans les continens. Dans certains détroits on a découvert que le fond de la mer est de la même nature de terre que les couches qui servent de base aux côtes élevées qui forment leur canal. On apperçoit des deux côtés du détroit les mêmes couches & les mêmes substances comme dans les deux croupes escarpées de deux montagnes qui forment un vallon : dans d’autres détroits, les couches des deux bords du canal s’abaissent insensiblement sous les flots, pour aller rejoindre leurs correspondantes.
On divise ordinairement les matieres qui composent les premieres couches du globe en deux classes générales : la premiere comprend les substances vitrifiables ; la seconde renferme les substances calcaires. Soit seules, soir par leur mélange, ces matieres composent les terres, les pierres, les métaux, les minéraux de toute espece ; il n’est pas de notre objet de les détailler. Nous ne nous attachons à ces diverses substances, qu’autant que nous nous occupons de leurs dispositions relatives par rapport à la structure intérieure du globe.
Les argilles, les sables, les schitz, les charbons de terre, les rocs vifs, les grès étendus, les marnes, les pierres à chaux sont posés par lits & par bancs : mais les tufs, les grès en petites masses, les cailloux, les crystaux, les métaux, les minéraux, les pyrites, les soufres, les stalactites, les incrustations, se trouvent par amas, par filons, par veines irrégulierement disposées, mais cependant assujetties à quelques formes, sur-tout les crystallisations & les sels.
Mais ce qui a singulierement attiré l’attention des observateurs parmi les substances qui composent les couches terrestres, est cette multitude considérable de fossiles en nature ou en pétrifications. On trouve des coquilles de différentes especes, des squelettes de poissons de mer qui sont parfaitement semblables aux coquilles, aux poissons actuellement vivans dans la mer. Ces fossiles par leur poli, leurs couleurs, leur émail naturel, présentent des dépouilles reconnoissasables des animaux. Les coquilles sont entieres ; tout y est semblable, soit au dedans soit au-dehors, dans leur cavité, dans leur convexité, dans leur substance ; les détails de la configuration, les plus petites articulations y sont dessinées : on trouve les coquillages de la même espece par grouppes, de petits & de jeunes attachés aux gros ; & tous sont dans leur tas & dans les lits posés sur le plat & horisontalement. Certaines coquilles paroissent avoir éprouvé une espece de calcination plus ou moins grande, & une décomposition qui en altere la forme en grande partie ; elles sont imparfaites, mutilées, par fragmens.
Les bancs qu’on a trouvés en différens endroits, ont une étendue très-considérable ; il y en a une masse de plus de cent trente millions de toises cubiques en Touraine ; dans la plûpart des carrieres de pierre, cette substance lie les autres & y domine. Quant aux pétrifications qui ne présentent que les empreintes ou en relief ou en creux, d’animaux & de végétaux, elles sont d’une substance pierreuse, métallique, & diversement colorée ; les unes présentent une forme parfaite, d’autres sont mutilées, courbées, applaties, alongées.
On trouve enfin une multitude étonnante de fossiles ou conservés ou altérés ou pétrifiés, dans les couches des montagnes comme sous les plaines ; au milieu des continens, comme dans les îles ; dans les premiers lits, comme dans les plus profonds ; depuis le sommet des Alpes, jusqu’à cent piés sous terre dans le terrein d’Amsterdam ; dans toute la chaîne qui traverse l’ancien continent depuis le Portugal jusqu’à la Chine ; dans les matieres les plus legeres, comme dans les substances les plus dures & les plus compactes. Ces fossiles y sont incorporés, pétrifiés, & remplis constamment de la substance même qui les environne. On trouve enfin des coquilles legeres & pesantes dans les mêmes matieres ; dans un seul endroit, les especes les plus disparates ; dans les endroits les plus éloignés, les especes les plus ressemblantes, & dont les analogues, soit végétaux soit animaux, sont ou dans des mers éloignées ou dans des parages voisins, ou ne sont pas encore connus.
Il faut remarquer qu’il y a plus de coquilles & de pétrifications dans les matieres calcaires, dans les marnes, dans les pierres à chaux, &c. que dans les matieres vitrifiables : on en trouve de dispersées dans les sables. On n’a point encore vû de coquilles dans les grès & le roc vif en petites masses : enfin on n’a pû découvrir de coquilles au Pérou dans les montagnes des Cordelieres.
La disposition de toutes ces couches dont nous venons d’examiner les formes & la substance, sert à recueillir & à distribuer régulierement les eaux de pluie, à les contenir en différens endroits, à les verser par les sources, qui ne sont proprement que l’interruption & l’extrémité d’un aqueduc naturel formé par deux lits de matieres propres à voiturer l’eau : car les eaux tombant sur ces couches, se filtrent par les issues & par les fréquentes interruptions qu’elles éprouvent sur-tout dans leurs courbures, elles se chargent souvent des molécules de substances ou terrestres ou métalliques qu’elles peuvent dissoudre, & acquierent par cette opération les différentes qualités que nous avons remarquées ci-devant. Les couches de glaise & d’arene qui regnent dans une grande étendue du globe, contiennent les eaux ; la pente des couches leur procure un écoulement ; & suivant la profondeur de ces couches, les eaux séjournent ou près de la surface de la terre ou à de grandes profondeurs. Un lac ne sera précisément que la réunion des eaux qui coulent entre les couches qui viennent se terminer à son bassin, & le former par leur courbure.
Phénomenes qui indiquent un travail postérieur au premier, & qui tendent a changer la face du globe. Les couches du globe même les plus solides, sont interrompues par des fentes de différente largeur, depuis un demi-pouce jusqu’à plusieurs toises ; elles sont perpendiculaires à l’horison dans les matieres calcaires, obliques & irrégulierement posées dans les carrieres de grès & de roc vif : on les trouve assez éloignées les unes des autres, & plus étroites dans les substances molles & dans les lits plus profonds : plus fréquentes & plus larges dans les matieres compactes, comme dans les marbres ou les autres pierres dures & dans les premieres couches ; souvent elles descendent jusqu’à la base depuis le sommet des masses ; d’autres fois elles pénetrent jusqu’aux lits inférieurs. Les unes vont en diminuant de largeur ; d’autres ont une même largeur dans toute leur étendue.
C’est dans ces fentes que se trouvent les métaux, les minéraux, les crystaux, les soufres, les sucs épaissis ; elles sont intérieurement garnies dans les grès & les matieres vitrifiables, de crystaux, de cailloux, & de minéraux de toute espece : dans les carrieres de marbre ou de pierres à chaux, elles sont remplies de spath, de gypse, de gravier, & d’un sable terreux. Dans les argilles, dans les craies, dans les marnes, on trouve ces fentes ou vuides ou remplies de matiere déposée par les eaux de pluie.
On peut ajoûter à ces fentes d’autres dégradations considérables qu’offrent les rochers & les longues chaînes de montagnes : telles sont ces coupures énormes, ces larges ouvertures produites par des éboulemens ou par des affaissemens qui remplissent les plaines de débris énormes de montagnes dont les bases manquent ; & ces débris offrent des grès irrégulierement semés à la surface des terres éboulées, ou bien de longues couches de terre bouleversées sans ordre. C’est de cette sorte que se présentent aux yeux des observateurs les portes qu’on trouve dans les chaînes de montagnes & dans les ouvertures de certains détroits ; comme les Thermopyles, les portes du Caucase, des Cordelieres, le détroit de Gibraltar entre les monts Calpé & Abyla, la porte de l’Hellespont, les détroits de Calais, de Palerme, &c.
Lorsque ces affaissemens n’ont agi que sur les couches intérieures, ou que les eaux seules ayant miné profondément les terres, ont entrainé de l’intérieur des montagnes les sables & les autres matieres de peu de consistence, & n’ont laissé que les voûtes formées par les rochers & les bancs de pierre, il résulte de toutes ces dégradations des cavernes : c’est dans ces conduits soûterreins que certains fleuves disparoissent, comme le Niger, l’Euphrate, le Rhone. C’est dans ces cavernes formées dans le sein des montagnes, que sont les réservoirs des sources abondantes ; & lorsque les voûtes de ces cavernes s’affaissent & les comblent, les eaux qu’elles contiennent se répandent au-dehors & produisent des inondations subites & imprévues.
Les eaux de pluie produisent aussi à la surface extérieure de grands changemens. Les montagnes diminuent de hauteur, & les plaines se remplissent par leur travail journalier ; les cimes des montagnes se dégarnissent de terre, & il ne reste que les pics. Les terres entraînées par les torrens & par les fleuves dans les plaines, y ont formé des couches extraordinaires de gravier & de sable ; on en trouve de larges amas le long des rivieres & dans les vallées qu’elles traversent. Ces couches ont cela de particulier, qu’elles éprouvent des interruptions ; qu’elles n’annoncent aucun parallélisme ni la même épaisseur ; & par l’examen des amas de gravier, on reconnoît qu’ils ont été lavés, arrondis, & déposés irrégulierement par les tournans d’eau, &c. Parmi ces sables & ces graviers, on trouve sans ordre, sans disposition réguliere, des coquilles fluviatiles, des coquilles marines brisées & isolées, des débris de cailloux, des pierres dures, des craies arrondies, des os d’animaux terrestres, des instrumens de fer, des morceaux de bois, des feuilles, des impressions de mousse ; & les différentes parties de cet assemblage se lient quelquefois avec un ciment naturel produit par la décomposition de certains graviers.
Aux environs des étangs, des lacs, & des mers, le long des rivieres, ou près des torrens, on trouve des endroits bas, marécageux, dont le fond est un mélange de végétaux imbibés de bitume : des arbres entiers y sont renversés tous suivant une même direction. Certaines couches limoneuses durcies se sont moulées sur les roseaux des marais qu’elles ont recouverts : souvent ces couches de végétaux ou en nature ou en empreinte dans la pierre ou dans la terre durcies, sont recouvertes par des amas de matiere qui forment une épaisseur de cinquante, soixante, cent piés ; ces additions & ces terres accumulées sont considérables, sur-tout au pié des hautes plaines ou des montagnes, & paroissent être des adossemens qui s’appuient & tendent vers les montagnes plus élevées.
Les rivages de la mer annoncent de même des dégradations produites par les eaux. A l’embouchure des fleuves nous trouvons des îles, des amas de sables, ou des dépôts de terres dont les eaux des rivieres se chargent, & qu’elles déposent lorsque leur cours est ralenti. Quelques observateurs ont prétendu que certains fleuves charrient le tiers de terre, ce qui est exagéré ; mais il suffit de faire envisager cette cause avec toutes les réductions qu’on jugera convenables, pour conclure l’étendue de ses effets. Certaines côtes sont minées par les flots de la mer ; elle en recouvre d’autres de sable : elle abandonne certains rivages, se jette & fait des invasions sur d’autres ou petit-à-petit, ou par des inondations violentes & locales.
Un autre principe étendu de destruction est le feu. Certaines montagnes brûlent continuellement ; elles éprouvent par reprises des accès violens, des éruptions dans lesquelles elles lancent au loin des tourbillons de flammes, de fumée, de cendres, de pierres calcinées ; & dans la fureur de leur embrasement, les soufres, les minéraux en fusion se font jour au-travers des flancs de la montagne entr’ouverts par l’expansion des vapeurs qui redoublent la fureur du feu. Je trouve tous les volcans dans des montagnes élevées ; leur foyer est peu profond, & leur bouche est au sommet & dans le plan de l’horison. Certains volcans sont éteints, & on les reconnoît alors aux précipices énormes que des montagnes offrent à leurs sommets, qui sont comme des cones tronqués ; & aux laves ou matieres calcinées qui sont dispersées sur les croupes.
Le fond de la mer n’est pas exempt de ces tourmentes violentes ; il y a aussi de ces volcans dans les montagnes dont le sommet est sous les flots. Ils s’annoncent près des îles dont ils sont la continuation & les appendices. Ces volcans sou-marins élevent quelquefois des masses de terre énormes qui paroissent au-dessus des flots, & vont figurer parmi les îles ; ou bien ces matieres enflammées ne trouvant pas dans leurs explosions des masses contre lesquelles elles puissent agir, élevent les flots, & forment des jets immenses, des Typhons ou trombes affreuses. La mer est alors dans une grande ébullition, couverte de pierres calcinées & legeres qui y flottent sur un espace très-étendu, & l’air est rempli d’exhalaisons sulphureuses.
Tous ces effets sont ordinairement accompagnés de tremblemens de terre, phénomene qui porte au loin la desolation ou les alarmes. On peut en distinguer de deux sortes, des tremblemens locaux & des tremblemens étendus : les tremblemens locaux circonscrivent leurs commotions, s’étendent en tous sens autour d’un volcan ou de leur foyer. Les autres suivent certaines bandes de terrein, & sur-tout celles qui sont parsemées de montagnes ou composées de matieres solides ; ils s’étendent beaucoup plus en longueur qu’en largeur : ces convulsions désastreuses s’annoncent par différens mouvemens. Les uns s’exécutent par un soulevement de haut en bas ; les autres par une inclination telle que l’éprouveroit un plan incliné, soulevé par la partie la plus haute & fixé par le bas ; enfin d’autres, par un balancement qui porte les objets agités vers les différens points de l’horison, & par des reprises marquées. De ces différentes agitations résultent les commotions meurtrieres, irrégulieres, brusquées, suivies de grands desastres, & ces secousses tranquilles qui balancent les objets sans les détruire. On peut mettre parmi les effets des tremblemens de terre, les affaissemens & les éboulemens de certaines montagnes, les fentes, les précipices & les abysmes.
Les secousses se propageant par les montagnes & les chaînes qui se ramifient dans le fond de la mer, se rendent sensibles aux navigateurs, & produisent par voie de retentissement des commotions violentes aux vaisseaux sur la surface de la mer unie & paisible : souvent la mer se déborde dans les terres, après que les côtes ont éprouvé des convulsions violentes. Enfin les côtes de la mer semblent plus exposées aux tremblemens de terre que les centres des continens.
Phénomenes dépendans de l’atmosphere & de l’aspect du soleil. Cette division nous offre beaucoup de faits & peu de résultats généraux ; on peut réduire à trois points ce qui nous reste à y discuter. Le premier comprend la considération de la diverse température qui regne dans les différentes parties du globe : le second les agitations de l’atmosphere & leurs effets ; le troisieme la circulation & les modifications des vapeurs & des exhalaisons qui flottent dans l’atmosphere.
La température qu’éprouvent les différentes portions de la terre peut se représenter avec assez de régularité par les zones comprises entre les degrés de latitude ; cependant il faut y comprendre la considération du sol, du séjour plus ou moins long du soleil sur l’horison, & des vents. Toutes ces circonstances modifient beaucoup l’effet de la direction plus ou moins inclinée des rayons du soleil dans les différens pays.
L’intervalle qui se trouve entre les limites du plus grand chaud & du plus grand froid dans chaque contrée, croît à-mesure qu’on s’éloigne de l’équateur, avec quelques exceptions toûjours dépendantes du sol, & sur-tout du voisinage de la mer. Un pays habité, cultivé, desséché est moins froid : un pays maritime est moins froid à même latitude, & peut-être aussi moins chaud.
A-mesure qu’on s’éleve au-dessus des plaines dans les hautes montagnes, la chaleur diminue & le froid même se fait sentir. Sur les montagnes des Cordelieres la neige, qui recouvre le sommet de quelques-unes, ne fond pas à la hauteur de 2440 toises au-dessus du niveau de la mer, & la chaleur respecte cette limite dans toute l’étendue de la Cordeliere. Dans les zones tempérées, les pays montagneux ont aussi des sommets couverts de neige, & même des amas monstrueux de glace que la chaleur des étés ne fond point entierement ; seulement la ligne qui sert de limite à la neige qui ne fond point est moins élevée dans ces zones que sous la torride.
Mais le froid ne se répand jamais dans les plaines des zones torrides, comme il fait ressentir ses effets dans l’étendue des zones tempérées & glaciales. Les fleuves gelent à la surface des continens, ainsi que les lacs dans une partie des tempérées & dans toute l’étendue des zones glaciales ; mais la salure en préserve les plaines mers à ces latitudes. Ce n’est que vers les côtes, dans les parages tranquilles, dans les golfes ou détroits des zones glaciales, que la mer gele ; & les glaces ne s’étendent pas à une vingtaine de lieues des côtes. La mer gele sur-tout dans les endroits vers lesquels les fleuves versent une grande quantité d’eau douce, ou charrient de gros glaçons qui s’accumulant à leur embouchûre, contribuent à la formation de ces énormes montagnes de glaces qui voyagent ensuite dans les mers plus méridionales ; en sorte que les glaces qu’on trouve dans les plaines mers indiquent de grands fleuves qui ont leurs embouchûres près de ces parages. Par rapport à la température des soûterreins & de la mer à différentes profondeurs, nous ne pouvons offrir aucuns résultats bien déterminés.
Les principales agitations de l’air que nous considérons sont les vents ; en général les courans d’air sont fort irréguliers & très-variables : cependant le vent d’est souffle continuellement dans la même direction, en conséquence de la raréfaction que le soleil produit successivement dans les différentes parties de l’atmosphere. Comme le courant d’air qui est la suite de cette dilatation doit suivre le soleil, il fournit un vent constant & général d’orient en occident, qui contribue par son action au mouvement général de la mer d’orient en occident, & qui regne à 25 ou 30 degrés de chaque côté de l’équateur.
Les vents polaires soufflent aussi assez constamment dans les zones glaciales ; dans les zones tempérées il n’y a aucune uniformité reconnue. Le mouvement de l’air est un composé des vents qui regnent dans les zones collatérales, c’est-à-dire des vents d’est & de nord. A combien de modifications ces courans ne doivent-ils pas être assujettis, suivant que les vents d’est ou de nord dominent ? Le vent d’oüest paroît être même un reflux du vent d’est modifié par quelques côtes.
Sur la mer ou sur les côtes les vents sont plus réguliers que sur terre ; ils soufflent aussi avec plus de force & plus de continuité. Sur les continens, les montagnes, les forêts, les différentes bases de terreins changent, & alterent la direction des vents. Les vents réfléchis par les montagnes se font sentir dans toutes les provinces voisines ; ils sont très-irréguliers, parce que leur direction dépend de celle du premier courant qui les produit, ainsi que des contours, de la situation & de l’ouverture même des montagnes. Enfin les vents de terre soufflent par reprises & par boutades.
Au printems & en automne les vents sont plus violens qu’en hyver & en été, tant sur mer que sur terre ; ils sont aussi plus violens à-mesure qu’on s’éleve au-dessus des plaines & jusqu’au-dessus de la région des nuages.
Il y a des vents périodiques qui sont assujettis à certaines saisons, à certains jours, à certaines heures, à certains lieux ; il y en a de reglés produits par la fonte des neiges, par le flux & reflux. Quelquefois les vents viennent de la terre pendant la nuit, & de la mer pendant le jour. Nous n’avons point encore assez d’observations pour connoître s’il y a quelque rapport entre les vicissitudes de l’air dans chaque pays. Nous savons seulement par les observations du barometre, qu’il y a plus de variations dans les zones tempérées, que dans les zones torrides & glaciales ; qu’il y en a moins dans la région élevée de l’atmosphere, que dans celle où nous vivons.
En vertu de la chaleur du soleil l’air ayant acquis une certaine température, dissout l’eau & s’en charge ; c’est ce qui produit cette abondante évaporation des eaux de dessus les mers & les continens. Ces vapeurs une fois condensées forment les nuages que les vents sont circuler dans une certaine région de l’air dépendante de leur densité & de la sienne ; ils les transportent dans tous les climats : les nuages ainsi voiturés ou s’élevent en se dilatant, ou s’abaissent en se condensant suivant la température de la base de l’atmosphere qui les soûtient ; lorsqu’ils rencontrent dans leur course l’air plus froid des montagnes, ou bien ils y tombent en flocons de neige, en brouillards, en rosées, suivant leur état de densité & d’élevation ; ou bien ils s’y fixent & s’y resolvent en pluies. Le vent d’est les disperse surtout entre les tropiques ; ce qui cause & les pluies abondantes de la zone torride, & les inondations périodiques des fleuves qui ont leurs sources dans ces contrées.
Quelquefois les nuages condensés au sommet des montagnes s’en trouvent éloignés par des vents réflechis, ou autres qui les dispersent dans les plaines voisines.
Les montagnes contribuent tellement à cette distribution des eaux, qu’une seule chaîne de montagnes décide de l’été & de l’hyver entre deux parties d’une presqu’île qu’elle traverse. On conçoit aussi que le sol du terrein contribuant à l’état de l’atmosphere, il y aura des pays où il ne tombera aucune pluie, parce que les nuages s’éleveront au-dessus de ces contrées en se dilatant.
Enfin nous concevons maintenant pourquoi nous avons trouvé certains points de partage pour la distribution des eaux qui circulent sur la surface des continens : ces points de partage sont des endroits élevés & hérissés de montagnes & de pics qui raccrochent, condensent, fixent & resolvent les nuages en pluies, &c.
Lorsque des vents contraires soufflent contre une certaine masse de nuages condensés & prêts à se résoudre en pluie, ils produisent des especes de cylindres d’eau continués depuis les nuages d’où ils tombent jusque sur la mer ou la terre : ces vents donnent à l’eau la forme cylindrique en la resserrant & la comprimant par des actions contraires. On nomme ces cylindres d’eau trombes, qu’il ne faut pas confondre avec le typhon ou la trombe de mer. On peut rapporter à ces effets ceux que des vents violens & contraires produisent lorsqu’ils élevent des tourbillons de sable & de terre, & qu’ils enveloppent dans ces tourbillons les maisons, les arbres, les animaux.
Telle est l’idée générale des objets dont s’occupe la Géographie physique, & qui seront développés dans les différens articles. Il est aisé de voir par cet exposé, qu’un système de Géographie physique n’est autre chose qu’un plan méthodique où l’on présente les faits avérés & constans, & où on les rapproche pour tirer de leur combinaison des résultats généraux : opérations auxquelles préside cette sagesse, cette bonne foi qui laisse entrevoir les intervalles où la continuation de l’enchaînement est interrompue, qui ne se contente pas tellement des observations déjà faites, qu’elle ne montre le besoin de nouveaux faits & les moyens de les acquérir. Dans les théories de la terre on suit d’autres vûes ; tous les faits, toutes les observations sont rappellées à de certains agens principaux, pour remonter & s’élever de l’état présent & bien discuté à l’état qui a précédé ; en un mot des effets aux causes. L’objet des théories de la terre est grand, élevé & pique davantage la curiosité ; mais elles ne doivent être que les conséquences générales d’un plan de Géographie physique bien complet. Cet article est de M. Desmarest.