L’Encyclopédie/1re édition/GARUM
GARUM, s. m. (Littérature.) saumure très-précieuse chez les Grecs & les Romains, qui en faisoient grand cas pour la bonne-chere : mais ou la composition de cette saumure n’étoit pas par-tout la même ; ou, ce qui est fort vraissemblable, elle a souvent changé pour l’apprêt ; & c’est le moyen le plus simple de concilier les auteurs qui la décrivent si diversement.
Quelques modernes nous disent que le garum n’étoit autre chose que des anchois fondus & liquéfiés dans leur saumure, après en avoir ôté la queue, les nageoires, & les arêtes ; que cela se faisoit en exposant au soleil le vaisseau qui les contenoit ; ou bien, quand on vouloit en avoir promptement, en mettant dans un plat des anchois sans les laver, avec du vinaigre & du persil, on portoit ensuite le plat sur la braise allumée ; & on remuoit le tout, jusqu’à ce que les anchois fussent fondus.
Mais les anciens auteurs ne parlent point d’anchois. Quelques-uns d’eux prétendent qu’on employoit à cette saumure les maquereaux, scombri, que l’on pêchoit près des côtes d’Espagne : d’où vient qu’Horace dit, garum de succis piscis Iberi, en parlant de la méchante saumure de thon, que Nasidienus vouloit faire passer pour de la saumure de maquereau ; & suivant Pline, c’étoit-là la saumure la plus estimée de son tems.
Cependant d’autres auteurs assûrent que le garum étoit fait de la pourriture des tripes du poisson nommé par les Grecs garos, & que Rondelet croit être le picarel, qui a conservé son nom de garon sur les côtes d’Antibes. On gardoit les tripes de ce poisson jusqu’à ce que la corruption les eût fondues, & on les conservoit ainsi fondues dans une espece de saumure. La couleur en étoit si brune, que Galien & Aétius l’appellent noire. Ce ragoût, qu’on est venu à détester dans les derniers siecles, a fait long-tems les délices des gens les plus sensuels.
Enfin l’on composa le garum des entrailles de différens poissons confites dans le vinaigre ou dans l’eau, le sel, & quelquefois dans l’huile, avec du poivre & des herbes fines.
Une chose certaine, c’est que le vrai garum du tems de Pline étoit une friandise tellement estimée, que son prix égaloit celui des parfums les plus précieux : on s’en servoit dans les sauces, comme nous nous servons de verjus ou de jus de citron ; mais on n’en voyoit que sur les tables des grands seigneurs.
Au reste, il paroît que pour bien entendre les auteurs anciens, il faut distinguer les deux mots garus & garum. Le premier étoit ordinairement le poisson, des intestins duquel on faisoit la saumure, le second étoit la saumure même ; & quoiqu’on la fît d’un poisson différent que le garus, ou de plusieurs poissons, elle conservoit toûjours le même nom. (D. J.)