L’Encyclopédie/1re édition/GENTIANE

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GENTIANE, s. f. gentiana, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur monopétale campaniforme, évasée ou tubulée & découpée. Le pistil sort du calice, traverse le fond de la fleur, & devient un fruit membraneux, ovoïde, & pointu, compose de deux panneaux & d’une capsule, & rempli de semences ordinairement plates, rondes, & entourées d’un limbe. Tournefort, inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

Les Botanistes comptent plusieurs especes de gentiane, dont quelques-unes sont cultivées dans les jardins des curieux, entr’autres la gentianelle, qui en vaut bien la peine ; Bradley dit qu’elle est d’un si beau bleu, que l’outre-mer ne l’égale pas. On cultive aussi la grande gentiane jaune, gentiana major lutea de C. Bauh. Parkins. Tournef. Boerh. elle est employée des Medecins, & c’est celle qu’il nous suffira de décrire.

Ses racines sont longues, charnues, jaunâtres, un peu branchues, & fort ameres ; ses fleurs ressemblent à celles de l’hellébore blanc ; elles sont en grand nombre près de la racine, placées vis-à-vis les unes des autres le long de la tige, qu’elles embrassent en se réunissant par leur base ; elles ont trois ou cinq nervures, comme les feuilles de plantain ; elles sont unies, luisantes, ce qui les distingue des feuilles de l’hellébore blanc : ses tiges ont une à deux coudées, & quelquefois davantage ; elles sont simples, lisses, & portent des fleurs qui naissent par tas au nombre de huit ou de dix, disposées en maniere d’anneaux ; elles sont d’une seule piece, en forme de cloche, évasées, découpées en cinq quartiers, de couleur d’un jaune-pâle, garnies d’un pistil de même couleur, qui s’éleve du fond du calice à la hauteur d’un pouce, & perce la partie inférieure de la fleur : ce pistil devient ensuite un fruit membraneux, ovale, terminé en pointe, qui n’a qu’une loge : cette loge s’ouvre en deux panneaux, & est remplie de plusieurs graines rougeâtres, rondes, applaties, & bordées d’un feuillet membraneux.

Pline prétend que cette plante doit son nom à Gentius roi d’Illyrie. Elle vient dans les Pyrénées, dans les montagnes d’Auvergne, & sur-tout dans les Alpes. Haller en donne une charmante description poétique. « C’est ici, dit-il en parlant des Alpes, que la noble gentiane éleve sa tête altiere au-dessus de la foule rampante des plantes plébéïennes ; tout un peuple de fleurs se range sous son étendard ; l’or de ses fleurs est formé en rayons, il embrasse sa tige ; ses feuilles peintes d’un verd-foncé, brillent du feu d’un diamant humide ; la nature suit chez elle la plus juste des lois, elle unit la vertu avec la beauté ». Il est du-moins vrai, pour parler plus simplement, que sa racine est d’un très-grand usage. Voyez Gentiane, (Matiere méd.)

Je n’ajoûte qu’un mot sur la petite gentiane d’Amérique, à fleur bleue, gentianella americana, flore cæruleo, parce que l’artifice & la précaution de la nature pour la conservation de son espece, paroissent en elle évidemment. Il ne faut pas douter que les capsules ne soient les meilleures défenses qu’on puisse imaginer pour la conservation des graines ; car c’est dans cet étui qu’elles demeurent garanties des injures de l’air & de la terre, jusqu’à l’approche du tems le plus propre à les faire sortir. Alors aussi les graines mûres de cette plante sont répandues & semées en terre presqu’aussi exactement que le pourroit faire le plus habile semeur. Dès que la moindre humidité touche le bout de ces capsules, elles crevent avec force, sautent subitement, & par leur vertu élastique répandent les graines à une distance où elles rencontrent un lieu propre à les recevoir. C’est une observation faite par le chevalier Hans Sloane, pendant son séjour à la Jamaïque, sur les capsules de la gentiane de ces pays-là, & cette observation se trouve vérifiée par d’autres exemples semblables. (D. J.)

Gentiane, ou Grande-Gentiane, (Matiere médic.) La racine de gentiane est la seule partie de cette plante qui soit employée en Medecine ; elle est très-amere, & elle est fort employée à ce titre, comme stomachique & vermifuge. Voy. Stomachique & Vermifuge. Elle est recommandée contre les obstructions des visceres du bas-ventre, contre la jaunisse, & contre les fievres intermittentes. C’étoit un des fébrifuges que l’on employoit avec le plus de succès avant la découverte du quinquina ; elle passe pour résister aux poisons & à la peste même ; elle est célebre depuis long-tems contre la morsure des animaux venimeux : c’est une des vertus que lui donne Dioscoride. Elle a été recommandée aussi contre la morsure des chiens enragés ; on peut la donner en poudre depuis demi-gros jusqu’à deux. On n’employe intérieurement ni sa décoction ni son suc, à cause de sa grande amertume ; mais on les applique extérieurement pour mondifier les plaies & les ulceres. Ces liqueurs fournissent aussi de bons collyres dans les legeres inflammations des yeux.

On préparoit un extrait de gentiane dès le tems de Dioscoride. Cet extrait contient la partie vraiment médicamenteuse de la plante, qui peut être administrée très-commodément sous cette forme.

La racine de gentiane entre dans les compositions suivantes de la pharmacopée de Paris ; savoir l’eau générale, le décoctum amer, l’élixir de vitriol, le sirop de longue vie, le dioscordium, l’opiate de Salomon, la thériaque, la thériaque diatessaron, le mithridate, l’orviétan ordinaire, l’orvietanum præstantius, le baume oppodeldoc, la poudre arthritique amere. L’extrait entre dans la thériaque céleste. (b)

Gentiane, (petite) ou Gentiane-croisette, (Mat. médicale.) La racine de petite gentiane est très estimée par les modernes, dit Ray, contre la peste & la morsure des animaux venimeux. Mathiole assûre que cette racine étant pilée & appliquée sur le bas-ventre en forme de cataplasme, est un remede éprouvé contre les vers des intestins ; & que la plante fraîche pilée ou séchée, & pulverisée, est d’une grande efficacité contre les ulceres écroüelleux.

Cette plante est absolument inusitée parmi nous.

Usage chirurgical de la racine de gentiane. C’est un fort bon dilatant pour aggrandir un ulcere fistuleux, & en entretenir l’ouverture. Voyez Dilatans & Dilatation. Pour completer sommairement ces articles, nous devons remarquer que la dilatation des sinus fistuleux convient principalement à ceux qui sont environnés de toutes parts de parties respectables, telles que sont les nerfs, les gros vaisseaux, les tendons, les ligamens, &c. Le seul moyen de conserver une ouverture nécessaire contre les progrès de la réunion, est l’usage des dilatans. On dilate, & l’on entretient une ouverture dilatée, pour deux vûes générales ; 1°. pour attendre une exfoliation ou un corps étranger, dont l’extraction ou la sortie se doivent différer ; 2°. pour conserver dans certains cas une issue aux écoulemens, & une entrée aux secours nécessaires à la cure. Ce sont ordinairement des cannules qui remplissent cette seconde vûe. La racine de gentiane s’employe particulierement pour écarter & forcer, pour ainsi dire, la plaie ou l’ulcere à devenir plus large. Elle n’a pas l’inconvénient de l’éponge préparée, qui acquiert dans un sinus où on l’a mise, cinq ou six fois autant de volume qu’elle en avoit en l’y mettant ; & comme elle se gonfle plus où elle trouve moins de résistance, on a quelquefois beaucoup de peine à la retirer. La racine de gentiane introduite dans une plaie, se gonfle, à la vérité ; mais elle ne peut pas acquérir un si grand volume, capable de mettre trop de disproportion. Elle mérite d’ailleurs des préférences sur l’éponge préparée, parce qu’elle a une qualité détersive & antiputride ; elle détruit les chairs fongueuses & calleuses. La poudre de racine de gentiane mise sur les fontanelles ou cauteres dont la suppuration se tarit, ranime les chairs, & produit de nouveau une exudation purulente ; on peut en former des boules en forme de pois, pour mettre dans le creux de ces ulceres artificiels. (I)