L’Encyclopédie/1re édition/GOUDRON

La bibliothèque libre.
◄  GOUDA

GOUDRON, s. m. (Hist. nat. Chimie, & Mat. méd.) substance résineuse noire, d’une consistance molle & tenace, d’une odeur forte, balsamique, & empyreumatique, qui porte dans les traites de drogues, outre le nom de goudron, ceux de brai liquide, de tare, de goudran, de poix noire liquide, de poix liquide, & quelquefois de poix navale, pix navalis, pissa. Voyez Poix.

On la retire par une espece de liquation ou de distillation, per descersum, exécutée dans un appareil en grand, des arbres résineux de notre pays ; du pin, du sapin, du meleze, &c. Ces procédés sont décrits à l’article Pin. Voyez cet article. Pomet avance sans fondement que le goudron découle par incision avec sa couleur noire, des troncs des vieux pins dépouilles d’écorce. Voyez Pin.

Le goudron a été mis par les anciens pharmacologistes au rang des médicamens, aussi-bien que tous les produits résineux, soit naturels, soit artificiels, des arbres coniferes. Celui-ci peut, comme toutes les autres matieres balsamiques & résineuses, fournir un ingrédient utile aux emplâtres agglutinatifs, & si l’on veut même aux emplâtres & aux onguens résolutifs ; mais on préfere ordinairement les substances analogues qui n’ont éprouvé aucune altération par le feu ; cette qualité de substance altérée par le feu, & plus encore un vice plus réel, sa grande ténacité ou viscosité ont banni le goudron de l’ordre des médicamens destinés à l’usage intérieur ; ensorte que ce n’étoit plus un remede parmi nous, lorsque nous apprîmes des peuples du nouveau monde à en retirer une infusion à froid, qui fut fort employée il y a quelques années, sous le nom d’eau de goudron, & que nous avons absolument abandonnée aujourd’hui, peut être sans raison, & par pure inconstance : car quoiqu’il soit très-vraissemblable que l’eau de goudron a dû principalement sa vogue au nom du célebre George Berkeley, évêque de Cloyne, qui nous a fait connoître ce remede, & plus encore au singulier ouvrage dans lequel il a publié ses vertus : quoiqu’il ne faille pas croire que l’eau de goudron est un remede souverain contre toutes les affections cachectiques, rhumatiques, arthritiques, scorbutiques, catarrhales, vénériennes, œdémateuses, érésypélateuses, mélancholiques, hystériques, &c. qu’elle produise des effets merveilleux dans l’hydropisie, les coliques, les douleurs néphrétiques, les fleurs blanches, les pleurésies, les péripneumonies, les asthmes, les obstructions des visceres, les hydropisies, les dyssenteries, les ulceres des reins, des poumons, des intestins, de la matrice, les maladies de la peau, la foiblesse de l’estomac, les fievres intermittentes, continues, malignes, les incommodités auxquelles sont particulierement sujets les gens de mer, les femmes, les gens de Lettres, & tous ceux qui menent une vie sédentaire ; qu’elle soit un préservatif assûré contre le venin de la petite vérole & des autres maladies éruptives, contre les maladies des dents & des gencives, &c. & extérieurement en lotion, en bain, en injection, dans les ulceres putrides, rébelles, la galle, les dartres, la paralysie, les rhumatismes, &c. Quoiqu’on ne doive pas craindre, avec le traducteur de l’ouvrage de Berkeley, de ne pas avoir qualifié ce remede assez honorablement, lorsqu’on l’a appellé un spécifique merveilleux ; il est certain cependant que l’eau de goudron n’est pas un secours à négliger dans le traitement de plusieurs maladies de l’estomac, dans les embarras des reins & des voies urinaires, les maladies de la peau, les suppressions des regles, les affections œdémateuses, & peut être même dans les maladies véritablement putrides ou gangréneuses, dans les amas bilieux, les maladies scorbutiques, &c.

Pour faire l’eau de goudron, « versez quatre pintes d’eau froide sur une de goudron, puis remuez-les & les mêlez intimement avec une cuilliere de bois ou un bâton plat, durant l’espace de cinq à six minutes ; après quoi laissez reposer le vaisseau bien exactement fermé pendant deux fois vingt-quatre heures, afin que le goudron ait le tems de se précipiter. Ensuite vous verserez tout ce qu’il y a de clair, l’ayant auparavant écumé avec soin sans remuer le vaisseau, & en remplirez pour votre usage des bouteilles que vous boucherez exactement, le goudron qui reste n’étant plus d’aucune vertu, quoiqu’il puisse encore servir aux usages ordinaires.... Moins d’eau, ou l’eau plus battue, rend la liqueur plus forte ; & au contraire. Sa couleur ne doit pas être plus claire que celle du vin blanc de France, ni plus foncée que celle du vin d’Espagne ».

Recherches sur les vertus de l’eau de goudron, traduites de l’anglois du sieur Berkeley. La dose de cette eau varie selon l’âge, les forces du malade, l’indication à remplir, &c. La regle la plus générale pour les adultes, c’est d’en prendre depuis une demi-livre jusqu’à une livre, & même jusqu’à deux livres tous les jours, le matin à jeun, & le soir ou l’après midi plusieurs heures après le repas, à chaud ou à froid, selon l’état de l’estomac, le goût du malade, &c.

Berkeley dit que son eau de goudron est en même tems un savon & un vinaigre. Cartheuser nous apprend sa composition d’une maniere plus positive : selon cet auteur, l’eau de goudron est chargée d’une substance résineuse, gommeuse, resina gummea, qui se manifeste non-seulement par l’odeur, le goût, & la couleur qu’elle donne à l’eau, mais encore par la distillation (c’est cette substance que le docteur Berkeley appelle savon) ; & de quelques parties acides qui sont sensibles au goût, & qui donnent à l’eau la propriété de rougir le sirop de violette, & de faire effervescence avec les alkalis ; c’est là le vinaigre de Berkeley.

Cartheuser admet encore dans cette eau des parties qu’il appelle oleo spirituosæ balsamicæ : cette expression ne désigne aucun être chimique bien déterminé ; elle peut convenir cependant au principe de l’odeur qui est fort abondant dans l’eau de goudron. L’acide dont elle est chargée, est un produit de la décomposition qu’a éprouvé la résine qui s’est changée en goudron dans l’opération par laquelle on prépare cette derniere substance, comme il arrive dans l’analyse par le feu de toutes les substances balsamiques & résineuses. Voyez Résine. (b)