L’Encyclopédie/1re édition/GOURME
GOURME, s. f. (Maréch.) maladie que quelques auteurs ont comparée à celle qui dans l’homme est appellée petite vérole, quoiqu’elle paroisse & se montre différemment. Si elles ont l’une & l’autre quelque analogie, c’est par la régularité avec laquelle la premiere affecte la plûpart des chevaux, & la seconde la plûpart des hommes ; c’est aussi parce qu’elles arrivent plus communément dans le premier âge, & enfin parce que leur terminaison est également l’ouvrage de la nature.
Les causes de la gourme sont aussi inconnues que celles de la petite vérole. Dire que ces maladies doivent être envisagées, ou comme une fievre inflammatoire, ou comme une matiere pestilentielle innée, ou comme une espece de levain qui se mêle avec le sang aussi-tôt que l’homme & l’animal sont conçus, ou comme un virus existant dans la masse, c’est parler d’après Rhases, Sidenham & des medecins même célebres ; mais c’est parler vaguement, & convenir des ténebres dans lesquelles on est plongé à cet égard.
M. de Garsaut persuadé de la vérité des faits qu’il a lûs, a cru pouvoir accuser la qualité de la terre & la température de l’air ; il prétend que dans les pays froids les herbes sont trop humides & trop nourrissantes pour le poulain, & qu’une pareille nourriture prise dans un terrein humide & gras, & sur lequel le jeune animal, d’ailleurs souvent exposé aux injures du tems & à des pluies extrèmement froides, trouve du verglas & de la rosée, peut donner origine à ces humeurs crues & à cette lymphe visqueuse qui se sépare dans les glandes du cou & dans celles des naseaux.
Nous observerons d’abord que dans les pays chauds, les chevaux ne sont point, ainsi que l’a avancé M. de Soleizel, exempts de la gourme ; cette maladie est commune à ceux qui habitent le midi & le nord de l’Europe, & j’ai fait des recherches exactes pour m’assûrer de ce point, qui dès-lors détruit tout ce que M. de Garsaut a imaginé sur les causes productives de la maladie dont il s’agit. L’on pourroit encore, quand même on ajoûteroit foi aux allégations de Soleizel, objecter à M. de Garsaut, que dans les pays montagneux le fourrage n’est pas trop nourrissant, que la terre n’y est ni trop humide ni trop grasse, & qu’enfin des poulains nourris au sec & tenus dans des écuries à l’abri du verglas & des tems froids & rigoureux, n’en jettent pas moins ; il ajoûte que des poulains qui jettent se guérissent d’eux mêmes étant à l’herbe : or comment une nourriture qui produit une maladie, peut-elle en être le remede ? Franchissons le pas, ne faisons point parade de systèmes, eussent-ils le caractere de vraissemblance qui pourroit leur donner du crédit ; il est infiniment plus avantageux aux progrès de notre art de confesser notre ignorance, que de vouloir paroître en possession de tous les mysteres qui nous sont voilés.
Quoi qu’il en soit, la gourme attaque les chevaux depuis l’âge de deux ans jusqu’à l’âge de quatre, & quelquefois de cinq ans. Elle se manifeste par un engorgement, une tuméfaction des glandes maxillaires, sublinguales, & même des parotides, vulgairement nommées avives ; par un écoulement d’une humeur visqueuse, gluante, roussâtre ou blanchâtre, qui flue des naseaux ; souvent aussi par des tumeurs & des abcès sur différentes parties du corps ; & dans tous ces cas, le cheval est triste, dégoûté ; il a la tête basse, les oreilles froides, des frissons ; & il tousse plus ou moins violemment dans les deux premiers.
La gourme se fait donc jour de trois manieres : 1°. par les naseaux ; alors elle prend la route la plus heureuse & la moins difficile ; quelquefois aussi elle s’en ouvre deux, une par les naseaux, & une par les glandes tuméfiées qui s’abcedent, ce qui est encore très à desirer : 2°. par ces mêmes glandes seulement : 3°. par des dépôts, ainsi que nous l’avons dit, qui portent un préjudice considérable aux parties sur lesquelles ils sont survenus, si la suppuration n’a pû se frayer facilement une issue.
La gourme peut arriver à l’âge de sept & même de huit ans ; alors elle est appellée fort improprement fausse gourme. Le cheval fait n’en est en effet attaqué que lorsque dans le tems qu’il étoit poulain, l’évacuation de l’humeur morbifique n’a été que médiocre ; & l’on comprend que c’est la premiere évacuation qui ayant été fort legere, devroit être appellée fausse gourme, & non la derniere. Celle-ci est accompagnée de dyspnée, de fievres, de battemens de flancs ; elle est beaucoup plus rebelle & plus périlleuse ; elle se termine rarement par le flux de l’humeur qui doit découler des naseaux, par les glandes tuméfiées, & elle s’annonce communément par des dépôts suppurés. J’ai vû des chevaux jetter cette prétendue fausse gourme par les oreilles, par les yeux, par les piés, par la queue, par les bourses, &c. & fréquemment ils en périssent, à-moins qu’ils ne soient traités très-méthodiquement, & que la nature ne soit parfaitement secondée. Il est de plus fort à craindre, lorsque le cheval âgé de sept à huit ans est affligé de cette maladie, qu’elle ne dégénere en morve, si l’écoulement a lieu par les naseaux, & si elle est malheureusement négligée.
On doit placer séparément tout cheval qui jette. La gourme se communique non-seulement de poulains à poulains, mais de poulains à de vieux chevaux. On observera cependant que la contagion n’est réelle qu’ensuite d’un contact immédiat, & qu’il importe seulement d’empêcher que le cheval sain ne leche l’humeur qui flue des naseaux du cheval malade ; on doit par conséquent avoir attention de ne point faire boire ce dernier dans les seaux qui servent à abreuver toute l’écurie.
La cure de la gourme qui arrive aux poulains, est des plus simples ; il suffit de maintenir le sang de l’animal dans un état de douceur, par un régime délayant & adoucissant, & de prévenir ou de calmer ce feu ou la sécheresse des visceres du bas-ventre, par des lavemens émolliens. On appliquera encore, & l’on fixera une peau de mouton sous la ganache, après avoir graissé cette partie avec suffisante quantité d’huile de laurier & d’onguent d’althéa ; la chaleur s’oppose à ce que l’humeur ne se coagule dans les glandes ; à-mesure que le mouvement extraordinaire du sang s’appaise ou diminue, elle reprend son cours, & nous évitons les dépôts qui pourroient se former en d’autres lieux. Les onctions en entretenant la souplesse des fibres, concourent à la production des mêmes effets.
Les injections par les naseaux d’une décoction d’orge, dans laquelle on jette une legere quantité de miel commun, en operent de merveilleux, & calment la grande inflammation de la membrane pituitaire.
Quant à ce qui concerne la gourme qui se montre d’une maniere plus formidable, il paroît assez difficile de prescrire une méthode réguliere dans le traitement. Il est très certain que lorsqu’on apperçoit une inflammation considérable, une gêne totale dans la circulation, gêne qui est annoncée par le battement de flanc, par la difficulté que l’animal a de respirer, le meilleur & l’unique remede est la saignée : bien loin d’empêcher, selon le préjugé ordinaire, le développement & l’évacuation de l’humeur nuisible, elle les facilite, parce qu’ensuite de cette opération, la marche circulaire est plus libre, & que les liqueurs étant moins contraintes dans leurs tuyaux, & le mouvement intestin en étant plus aisé, l’espece de fermentation nécessaire au développement desiré, se fera plus heureusement.
Si l’humeur arrêtée dans les glandes ou dans les autres parties qu’elle tuméfie, ne prend point la voie de la résolution, & s’il y a fluctuation, on pourra ouvrir ou avec le bistouri, ou par le moyen d’un bouton de feu. Quant aux cordiaux, ils doivent être absolument proscrits malgré le grand usage qu’en font les Maréchaux ; ils ne doivent être administrés que dans le cas où la nature est réellement en défaut par la lenteur du mouvement circulaire, par l’épaississement du sang, par la foiblesse des fibres, & par l’absence de la fievre & de toute inflammation. A l’égard des dépôts qui arrivent dans la prétendue fausse gourme en favorisant la suppuration, on ne peut qu’être assûré d’un plein succès ; il est même quelquefois utile d’avoir recours aux purgatifs, pour débarrasser entierement la masse ; mais ils ne doivent être employés qu’avec la plus grande circonspection. Voyez au surplus le mot Jetter. (e)