L’Encyclopédie/1re édition/HABEAS CORPUS

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 5-6).
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HABEAS CORPUS, (Jurisprud. d’Angleterre.) loi commune à tous les sujets anglois, & qui donne à un prisonnier la facilité d’être élargi sous caution.

Pour bien entendre cette loi, il faut savoir que lorsqu’un Anglois est arrêté, à-moins que ce ne soit pour crime digne de mort, il envoye une copie du mittimus au chancelier, ou à quelque juge de l’échiquier que ce soit, lequel est obligé, sans déplacer, de lui accorder l’acte nommé habeas corpus. Sur la lecture de cet acte, le geolier ou concierge doit amener le prisonnier, & rendre compte des raisons de sa détention au tribunal auquel l’acte est renvoyé. Alors le juge prononce si le prisonnier est dans le cas de pouvoir donner caution ou non ; s’il n’est pas dans le cas de la donner, il est renvoyé dans la prison ; s’il en a le droit, il est renvoyé sous caution.

C’est un des plus beaux priviléges dont une nation libre puisse jouir ; car en conséquence de cet acte, les prisonniers d’état ont le droit de choisir le tribunal où ils veulent être jugés, & d’être élargis sous caution, si on n’allegue point la cause de leur détention, ou qu’on differe de les juger.

Cette loi nécessaire pour prévenir les emprisonnemens arbitraires dont un roi se serviroit pour se rendre absolu, pourroit avoir de fâcheuses suites dans les cas extraordinaires, par exemple dans une conspiration, où l’observation exacte des formalités favoriseroit les mal-intentionnés, & assûreroit aux personnes suspectes la facilité d’exécuter leurs mauvais desseins. Il semble donc que dans des cas de cette nature le bien public demande qu’on suspende la loi pour un certain tems ; & en effet depuis son établissement, elle l’a été quelquefois en Angleterre.

Elle le fut pour un an en 1722, parce qu’il y avoit des bruits d’une conspiration formée contre le roi Georges I. & contre l’état. Les seigneurs qui opinerent alors dans la chambre haute pour cette suspension, dirent que quand un acte devenoit contraire au bien public par des circonstances rares & imprévûes, il falloit nécessairement le mettre à l’écart pour un certain tems ; que dans la République Romaine composée du pouvoir royal, de celui des nobles, & de celui du peuple représenté par le sénat & les tribuns, les consuls n’avoient qu’un pouvoir assez limité ; mais qu’au premier bruit d’une conspiration, ces magistrats étoient dès-lors revêtus d’une autorité suprème, pour veiller à la conservation de la république. Cependant d’autres seigneurs attaquerent la suspension en général, & plus encore la durée, à laquelle ils s’opposerent par de fortes raisons. Ils soutinrent qu’un tel bill accordoit au roi d’Angleterre un pouvoir aussi grand que l’étoit celui d’un dictateur romain ; qu’il faudroit que personne ne fût arrêté, qu’on ne lui nommât le délateur qui l’auroit rendu suspect, afin qu’il parût que la conspiration ne servoit pas de couverture à d’autres sujets de mécontentement ; que l’acte habeas corpus n’avoit pas encore été suspendu pour plus de six mois ; qu’en le suspendant pour un an, on autoriseroit par ce funeste exemple le souverain à en demander la prorogation pour une seconde année ou davantage : au moyen de quoi l’on anéantiroit insensiblement l’acte qui assûroit mieux que tout autre la liberté de la nation.

« Il est vrai, dit à ce sujet l’auteur de l’Esprit des loix, que si la puissance législative laisse à l’exécutrice le droit d’emprisonner des citoyens qui pourroient donner caution de leur conduite, il n’y a plus de liberté ; mais s’ils ne sont arrêtés que pour répondre sans délai à une accusation que la loi a rendu capitale, alors ils sont réellement libres, puisqu’ils ne sont soumis qu’à la puissance de la loi. Enfin si la puissance législative se croit en danger par quelque conspiration secrette contre l’état, ou quelque intelligence avec les ennemis du dehors, elle peut, pour un tems court & limité, permettre à la puissance exécutrice de faire arrêter les citoyens suspects, qui ne perdront leur liberté pour un tems, que pour la conserver pour toujours ». (D. J.)