L’Encyclopédie/1re édition/HARUSPICINE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 60-61).
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HARUSPICINE, s. f. (Divin.) l’art ou la science des haruspices, ou divination par l’inspection des entrailles des victimes. Ce mot a la même étymologie qu’haruspice. Voyez ci-devant Haruspice.

L’haruspicine avoit sans doute ses regles ; & il est probable que ceux qui la pratiquoient, suivoient certains principes, quelqu’absurdes qu’ils fussent : mais soit qu’ils ne les communiquassent que de vive voix & sous le secret à leurs disciples, de peur que leurs impostures ne fussent découvertes, & pour rendre leur profession plus respectable, en la couvrant de ce voile mystérieux ; soit que les livres qu’ils en avoient écrit ayent péri par l’injure des tems, il est certain qu’aucun n’est parvenu jusqu’à nous ; & d’ailleurs on ne voit point que les anciens les ayent cités, considération qui doit faire incliner pour le premier sentiment.

Mais si les principes de cette science sont inconnus, les opérations ne le sont pas. Les haruspices considéroient premierement la victime, lorsqu’on l’approchoit de l’autel, & la rejettoient, si elle avoit quelque tache ou souillure légale. Lorsqu’elle étoit immolée, ils examinoient l’état & la disposition du foie, du cœur, des reins, de la rate, de la langue. Ils observoient soigneusement s’il n’y paroissoit point quelque flétrissure, ou autre symptome défavorable. Enfin ils regardoient de quelle maniere la flamme environnoit la victime & la brûloit, quelle étoit l’odeur & la fumée de l’encens, & comment s’achevoit le sacrifice ; ils concluoient de-là pour le bonheur ou le malheur des entreprises.

Nous ajoûterons ce que dit sur cette matiere M. Pluche, hist. du ciel, tome I. page 443. « La bienséance, dit-il, avoit dès les premiers tems introduit l’usage de ne présenter au Seigneur dans l’assemblée des peuples que des victimes grasses & bien choisies ; on en examinoit avec soin les défauts, pour préférer les plus parfaites. Ces attentions qu’un cérémonial outré avoit fait dégénérer en minuties, parurent des pratiques importantes, & expressément commandées par les dieux… Quand on se fut mis en tête qu’il ne falloit rien attendre d’eux, si la victime n’étoit pas parfaite, le choix & les précautions furent portées en ce point jusqu’à l’extravagance. Il falloit à telle divinité des victimes blanches ; il en falloit de noires à une autre : une troisieme affectionnoit les bêtes rousses :

Nigram hyemi pecudem, zephiris felicibus albam.

» Chaque victime passoit par un examen rigoureux ; & telle qui devant être blanche se seroit trouvée avoir quelques poils noirs, étoit privée de l’honneur d’être égorgée à l’autel. La difficulté de trouver des bêtes ou exactement blanches ou exactement noires, ne laissoit pas de faire naître quelque embarras en bien des rencontres, sur-tout quand c’étoit de grandes victimes. Mais on s’en tiroit par un expédient qui étoit de noircir les poils blancs dans les noires, & de frotter de craie tout ce qui se trouvoit rembruni dans les genisses blanches, bos cretatus.

» Après avoir immolé les victimes les mieux choisies, on ne se croyoit cependant pas encore suffisamment acquitté. On en visitoit les entrailles en les tirant pour faire cuire les chairs : & s’il s’y trouvoit encore quelques parties ou vicieuses ou flétries, ou malades, on croyoit n’avoir rien fait. Mais quand tout étoit sain, & que les dedans comme les dehors étoient sans défaut, on croyoit les dieux contens & tous les devoirs remplis, parce qu’il ne manquoit rien au cérémonial. Avec ces assurances d’avoir mis les dieux dans ses intérêts, on alloit au combat, on faisoit tout avec une entiere confiance de réussir.

» Cette intégrité & cet accord parfait des dedans & des dehors des victimes étant le moyen sûr de connoître si les dieux étoient satisfaits, on en fit comme des augures, la grande affaire des ministres de la religion : les rubricaires idiots mirent toute la perfection dans la connoissance des regles qui fixoient le choix & l’examen universel des victimes. Leur grand principe fut que l’état parfait ou défectueux de l’extérieur & des entrailles, étoit la marque d’un consentement de la part des dieux, ou d’une opposition formelle. En conséquence, tout devint matiere à observation ; tout leur parut significatif & important dans les victimes prêtes à être immolées. Tous les mouvemens d’un bœuf qu’on conduisoit à l’autel, devinrent autant de prophéties. S’avançoit-il d’un air tranquille, en ligne droite & sans faire de résistance, c’étoit le pronostic d’une réussite aisée & sans traverse. Son indocilité, ses détours, sa maniere de tomber ou de se débattre, donnoient lieu à autant d’interprétations favorables ou fâcheuses. Ils faisoient valoir le tout tant bien que mal, par des ressemblances frivoles & par de pures pointilleries ».

On ne peut sans doute expliquer avec plus d’élégance & de clarté que fait cet auteur, ce qu’on pourroit appeller l’histoire des principes de l’haruspicine ; mais de nous développer ces principes en eux-mêmes, & quelle relation les haruspices mettoient entre tel & tel signe & tel ou tel événement, c’est ce que nous eussions souhaité faire ; mais ni les Anciens ni les Modernes, ne nous ont donné aucune lumiere à cet égard. (G)