L’Encyclopédie/1re édition/HAUT-APPAREIL, ou TAILLE HYPOGASTRIQUE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 68-69).

HAUT-APPAREIL, ou TAILLE HYPOGASTRIQUE, (Chirurgie.) est une opération par laquelle on tire la pierre hors de la vessie, au moyen d’une incision faite à son fond, à la partie inférieure du bas-ventre, au-dessus de la symphise des os pubis.

On est redevable de l’idée de cette opération à Pierre Franco, natif de Turiers en Provence, qui fixa son établissement à Orange, après avoir exercé la Chirurgie avec distinction en Suisse, où il étoit pensionné des villes de Berne & de Lausanne. L’impossibilité de tirer une pierre du volume d’un œuf de poule à un enfant de deux ans, après de vains efforts ; les grandes douleurs du malade, les vives instances des parens, & un sentiment d’amour-propre, ne voulant pas, dit l’auteur, qu’il lui fût reproché de n’avoir sçû tirer la pierre ; tous ces motifs le déterminerent à faire une incision au-dessus de l’os pubis, sur la pierre même qu’il soûlevoit avec les doigts d’une main, introduits dans l’anus, pendant qu’un aide l’assujettissoit par une compression à la partie inférieure du bas-ventre. La pierre fut tirée, & le malade guérit. Cette observation a été publiée dans la Chirurgie de l’auteur, Lyon, 1561.

Tous ceux qui ont écrit depuis sur l’opération de la taille en haut-appareil, l’ont blâmée sans reserve du conseil qu’il donne de ne pas suivre son exemple. Avec un peu de réflexion, on auroit trouvé dans cet avis & dans ses motifs le fondement du plus grand éloge. Ce trait est le triomphe de l’amour de l’humanité sur l’amour-propre, & la preuve d’un esprit mûr qui sçait juger des choses avec discernement ; rien en effet n’auroit été plus pardonnable à l’auteur que de concevoir de son opération & du succès qu’elle a eu, l’opinion avantageuse qu’en ont pris ceux qui en ont parlé après lui ; mais il n’y avoit aucun exemple d’une semblable opération ; & l’auteur, en publiant celui-ci, loin d’en tirer aucun avantage personnel, se blâme de l’avoir entreprise par un principe de vanité ; ce qui, suivant ses propres expressions, étoit à lui grande folie. Les accidens mirent l’enfant en danger, puisque Franco dit en termes formels que le patient fut guéri, nonobstant qu’il en fût bien malade. D’après ces considérations, comment sur un seul fait, l’auteur, judicieux comme il l’est, se seroit-il crû autorisé à établir une méthode particuliere de taille au-dessus de l’os pubis ? le cas allégué, unique dans son espece, ne pouvoit être regardé que comme une chose extraordinaire ; & cela est d’autant plus vrai, qu’aucun des partisans de la taille du haut-appareil n’a observé les mêmes circonstances. Dans le fait, Franco n’a pas pratiqué la méthode connue actuellement sous le nom de taille au haut appareil. Les Lithotomistes m’entendront, lorsque je dirai qu’il a simplement fait la taille hypogastrique au petit appareil.

Rousset, medecin françois, publia en 1591, son Traité sur l’opération césarienne ; il s’y déclare partisan de la taille au haut-appareil, qu’il n’a jamais pratiquée ni vû pratiquer. Aussi ne parle-t-il qu’incidemment de cette maniere de tailler. Son objet est de prouver qu’elle doit avoir des avantages sur les méthodes de Celse & de Marianes qui se pratiquent au périnée. Le parallele qu’il fait de ces deux opérations avec le haut appareil, lui promettent des succès pour la taille hypogastrique ; il en conclud que l’opération césarienne est pratiquable, à plus forte raison, puisque suivant son idée elle ne peut pas être sujette aux mêmes inconvéniens que l’incision de la vessie. Je n’ai pas trouvé d’ailleurs dans Rousset aucun des détails que des auteurs postérieurs disent donner d’après lui sur la théorie de cette opération & la méthode de la pratiquer.

C’est à M. Douglass, chirurgien écossois, membre de la société royale de Londres, & lithotomiste de l’hôpital de Westminster, qu’on doit le renouvellement ou plûtôt la théorie fondamentale & la pratique de cette opération. Il n’y a aucun exemple sur ce point de Chirurgie entre Franco, avant 1560, & M. Douglass en 1719. M. Cheselden a depuis pratiqué la taille au haut-appareil, ainsi que MM. Paul, Macgill, & Thornhill. M. Pibrac, chevalier de l’ordre de S. Michel, membre de l’académie royale de Chirurgie, & chirurgien major de l’école royale militaire, a perfectionné cette opération, & l’a faite à Paris en 1726, avec le plus grand succès. En 1727, M. Morand tailla par cette méthode un officier invalide âgé de soixante-huit ans ; & M. Berrier a fait deux fois cette opération à S. Germain-en-Laye.

La taille au haut-appareil est essentiellement fondée sur deux principes également vrais ; 1°. qu’on peut ouvrir la vessie sans ouvrir le péritoine ; 2°. que les blessures de la vessie ne sont pas nécessairement mortelles. Voyez le Traité de M. Morand sur le haut-appareil.

Pour pratiquer cette opération, le malade restera couché dans son lit ; on injecte la vessie avec de l’eau tiede (voyez Injection), pour lui faire faire une éminence au-dessus de l’os pubis. Aussi-tôt on fait immédiatement au-dessus du pénil une incision longitudinale qui commence à un travers de doigt au-dessus de l’os pubis, & qui s’étend de quatre ou cinq travers de doigt du côté de l’ombilic. Cette premiere incision n’intéresse que la peau & la graisse, & découvre la ligne blanche.

Une seconde incision qui commencera supérieurement un peu au-dessous de la partie la plus éminente de la vessie, coupe la ligne blanche, & découvre la partie antérieure & supérieure de la vessie, dans laquelle l’opérateur plongera obliquement un bistouri droit, dont le dos doit être tourné du côté de l’ombilic, & le tranchant du côté de la symphise des os pubis. Cette ponction étant faite avec la main droite qui tient le bistouri dans la vessie, l’opérateur doit couler le doigt index gauche le long du dos du bistouri, entrer dans la vessie, & recourber ce doigt sous l’angle supérieur de la plaie de la vessie, pour la soûtenir du côté de l’ombilic, pendant qu’avec le bistouri on allonge autant qu’il est nécessaire l’incision vers le cou, sous la voûte que font les os pubis.

L’opérateur retire le bistouri ; & continuant de soûtenir la partie supérieure de la vessie avec le doigt index de la main gauche, il introduit le pouce & l’index de la main droite, s’ils suffisent pour tirer la pierre, ou il la saisira avec des tenettes convenables pour en faire l’extraction.

Les partisans de cette opération répondent assez avantageusement à la plûpart des objections qu’on leur fait. On dit 1°. qu’il est très-difficile d’injecter la vessie au point nécessaire, pour lui faire faire éminence au-dessus des os pubis, sans exciter des douleurs insoûtenables, & que les malades par leurs cris & par l’action de toutes les forces qui servent à l’expulsion de l’urine, font sortir l’injection ; 2°. que le peu de capacité naturelle ou accidentelle de la vessie, rendra cette injection absolument impraticable ; 3°. que dans cette opération l’ouverture n’est pas placée aussi favorablement que dans les autres méthodes, pour procurer, quand la vessie est malade, l’écoulement de la suppuration ; 4°. qu’il est extrèmement difficile de tirer les fragmens d’une pierre qui s’écrase ; & que les injections ni l’urine ne pourront entraîner les graviers qui resteront dans le fond de la vessie, où ils seront le germe de nouvelles pierres.

Ce dernier inconvénient m’a paru sans réponse solide. M. Douglass trouve l’objection plausible ; il se contente de dire qu’elle est détruite par l’expérience : il ne manque que la vérité à cette assertion.

Quels que soient les inconvéniens généraux de la taille au haut-appareil, il peut se rencontrer des circonstances avantageuses pour cette opération ; 1°. si la vessie est naturellement grande, & qu’elle n’ait pas encore assez souffert pour jetter le malade dans ces fréquentes envies d’uriner qui accompagnent presque toûjours les grosses pierres ; l’injection est pratiquable, & la vessie faisant tumeur au-dessus du pubis, peut être ouverte sans peine & sans danger, parce qu’il n’y a point de vaisseaux à craindre en faisant l’incision, & parce que l’expansion du péritoine qui recouvre la vessie est soulevée du côté de l’ombilic. D’ailleurs on peut bien, avant l’opération, habituer la vessie à une dilatation suffisante, par des injections préparatoires graduées. On évitera la douleur d’une extension forcée, en injectant pour l’opération, après l’incision des tégumens & de la ligne blanche, suivant la méthode de M. Pibrac. Dans l’opération faite à Saint-Germain par M. Berrier, le 10 Décembre 1727, on s’apperçut, après l’incision des parties contenantes, que la vessie ne contenoit pas assez de fluide ; la sonde portée dans la vessie servit de guide par son extrémité ; on ouvrit ce viscere, & l’opération réussit, la plaie ayant été cicatrisée au bout de trente jours. Dans une seconde opération pratiquée par le même chirurgien le 26 Septembre 1728, sur un sujet de treize à quatorze ans, l’injection fut faite après l’incision, avec tout le fruit qu’on en attendoit ; on tira une pierre murale de la grosseur d’un petit œuf de poule ; la plaie fut cicatrisée le dix-huitieme jour, & la cure ne fut traversée par aucun accident. On peut conclure de tout ceci, que lorsque la vessie est dilatable, qu’elle n’a aucune maladie particuliere à sa substance, & que la pierre a assez de consistence pour ne pas se mettre en morceaux ; le haut appareil est une excellente méthode qu’il ne faut pas rejetter de la pratique par les raisons suivantes. 1°. L’urethre & le cou de la vessie restent dans leur entier & ne souffrent en aucune maniere ; 2°. Les prostates ne sont ni attaquées ni meurtries, en quelque maniere que ce soit ; ce qui peut être la source des fistules qui suivent quelquefois les opérations faites au périnée ; 3°. la plaie de la vessie peut être promptement refermée, de même qu’une plaie simple, sur-tout si l’on fait ensorte qu’elle ne soit plus mouillée après l’opération ni par l’eau qu’on avoit injectée, ni par l’urine ; ce qui est très-facile en tenant une algalie dans la vessie par l’uretre : alors il ne restera que la plaie des tegumens qui sera bientôt guérie. (Y)