L’Encyclopédie/1re édition/HENNIN

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 131-132).
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HENNIN, s. m. (Hist. des Modes.) nom d’une coëffure colossale des dames françoises du xv. siécle.

Ce nom bizarre a passé jusqu’à nous, parce que l’attirail de tête étoit si singulier, qu’il n’a échappé à aucun historien de ce tems-là, ni à Juvenal des Ursins, ni à Monstrelet, ni à Paradin, ni aux autres ; mais nous emprunterons seulement le vieux Gaulois de ce dernier, pour peindre au lecteur cette folie de mode, dont il n’a peut-être point de connoissance.

Tout le monde (dit cet Ecrivain dans ses Annales de Bourgogne, liv. III. année 428, pag. 700) « étoit lors fort déréglé, & débourdé en accoutremens, & sur-tout les accoutremens de tête des dames étoient fort étranges ; car elles portoient de hauts atours sur leurs têtes, & de la longueur d’une aulne ou environ, aigus comme clochers, desquels dépendoient par derriere de longs crêpes à riches franges, comme étendarts ».

Un Carme de la province de Bretagne, appellé Thomas Conecte, célebre par son austérité de vie, par ses prédictions & son exécution à Rome, où il fut brûlé comme hérétique en 1434, déclamoit de toute sa force contre ces coëffures monstrueuses. « Ce prêcheur avoit cette façon de coëffure en telle horreur, que la plûpart de ses sermons s’adressoient à ces atours des dames, avec les plus véhémentes invectives qu’il pouvoit songer, sans épargner toutes especes d’injures dont il pouvoit se souvenir, dont il se débaquoit à toute bride contre les dames usant de tels atours, lesquels il nommoit les hennins.

Par-tout où frere Thomas alloit, (ajoute Paradin) les hennins ne s’osoient plus trouver, pour la haine qu’il leur avoit vouée ; chose qui profita pour quelque tems, & jusqu’à ce que ce prêcheur fût parti ; mais après son partement, les dames releverent leurs cornes, & firent comme les limaçons, lesquels quand ils entendent quelque bruit, retirent & resserrent tout bellement leurs cornes ; ensuite le bruit passé, soudain ils les relevent plus grandes que devant : ainsi firent les dames, car les hennins ne furent jamais plus grands, plus pompeux & superbes, qu’après le partement de frere Thomas ; voilà ce que l’on gaigne de s’opiniâtrer contre l’opiniâtrerie d’aucunes cervelles. »

D’Argentré (Hist. de Bretagne, liv. X. chap. xlij.) rapporte pareillement « qu’après le partement du moine Conecte, les femmes reprinrent soudainement les cornes avec arrérages, c’est-à-dire bien de la récompense du passé, &c. »

Je laisse les autres historiens dont le récit ne nous apprend rien de plus particulier, pour passer aux réflexions qui naissent du sujet. Les hommes ont toujours eu du penchant à vouloir paroître plus grands qu’ils ne sont, soit en imaginant des talons fort hauts, soit en se servant de cheveux empruntés, soit en réunissant ces deux choses ensemble. D’un autre côté, les femmes avec plus de raison, ont cherché de tout tems à agrandir leur petite taille, par des chaussures très-élevées, & par des coëffures colossales. Dans le siecle de Juvenal, les dames romaines bâtissoient sur leurs têtes plusieurs étages d’ornemens & de cheveux en pyramide ; en sorte, dit le poëte, qu’en les regardant par-devant, on les prenoit pour des Andromaques, pendant qu’elles paroissoient des naines par derriere.

Tot premit ordinibus, tot adhuc compagibus altum
Ædificat caput. Andromachem à fronte videbis,
Post minor est. Juvenal, Sat. VI. v. 500.

Ajoutez-y ce bon mot de Synésius (Epit, 111.) qui dit en parlant d’une nouvelle mariée : Quippe in diem sequentem tæniis ornabitur, atque turrita quemadmodùm Cybele, circumibit.

Voilà donc dans les modes de l’ancienne Rome, celle des hennins du xv. siecle, qui a été finalement renouvellée par une coëffure semblable, qui parut sous le nom de fontange sur la fin du xvij siecle.

Cette derniere étoit un édifice à plusieurs étages fait de fil de fer, sur lequel on plaçoit quantité de morceaux de mousseline, séparés par plusieurs rubans ornés de boucles de cheveux ; le tout étoit distingué par des noms si fous, qu’on auroit besoin d’un glossaire pour entendre ce que c’étoit que la duchesse, le solitaire, le chou, le mousquetaire, le croissant, le firmament, le dixieme ciel, la souris, &c. qui étoient tout autant de différentes pieces de l’échaffaudage. Il falloit, si l’on peut parler ainsi, employer l’adresse d’un habile serrurier, pour dresser la base de ce comique édifice, & cette palissade de fer sur laquelle les coëffeuses attachoient tant de pieces différentes.

Enfin la ridicule pyramide s’affaissa tout-à-coup à la cour & à la ville, au commencement de 1701. On sait à ce sujet les jolis vers de madame de Lassay (ou plûtôt de l’abbé de Chaulieu sous son nom), à madame la duchesse qui demandoit des nouvelles.

Paris cede à la mode, & change ses parures ;
Ce peuple imitateur, ce singe de la cour,
A commencé depuis un jour,
D’humilier enfin l’orgueil de ses coëffures :
Mainte courte beauté s’en plaint, gronde & tempête,
Et pour se rallonger consultant les destins,

Apprend d’eux qu’on retrouve en haussant ses patins,
La taille que l’on perd en abaissant sa tête.
Voilà le changement extrême
Qui met en mouvement nos femmes de Paris ;
Pour la coëffure des maris,
Elle est toujours ici la même.

(D. J.)