L’Encyclopédie/1re édition/HERNHUTISME

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 183-185).
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HERNHUTISME, (Hist. ecclésiast.) espece de fanatisme introduit depuis quelque tems en Moravie, en Wétéravie & dans les Provinces-Unies.

Les Hernuthers sont aussi connus sous le nom de freres Moraves, & dans les mémoires pour servir à l’histoire de Brandebourg, on les appelle Zinzendorffiens. En effet le Hernhutisme doit son origine & ses progrès à M. le comte Nicolas Louis de Zinzendorf, né en 1700 & élevé à Hall dans les principes du quiétisme. Dès qu’il fut sorti de cette université en 1721, il s’appliqua à l’exécution du projet de former une petite société d’ames fideles, au milieu desquelles il pût vivre uniquement occupé d’exercices de dévotion dirigés à sa maniere. Il s’associa quelques personnes qui étoient dans ses idées, & fixa sa résidence à Bertholsdorf dans la haute Lusace, terre dont il fit l’acquisition.

Bertholsdorf fut bientôt remarquable par l’éclat de cette sorte de piété que M. de Zinzendorff y avoit introduite : la nouvelle en fut portée en Moravie par un charpentier nommé Christian David, qui avoit été autrefois dans ce pays-là, où il avoit inspiré à quelques personnes de l’inclination pour la religion protestante. Il engagea deux ou trois de ses prosélites à se retirer avec leurs familles à Bertholsdorf : ils y furent accueillis avec empressement & y bâtirent une maison dans un bois, à demi-lieue de ce village. Dès la S. Martin 1722, il s’y tint une assemblée de dévots, qui en fut comme la dédicace.

Christian David étoit si persuadé de l’aggrandissement futur de cet endroit, qu’il en traçoit déjà les quartiers & les rues : l’évenement n’a pas démenti ses présages. Bien des gens de Moravie, attirés d’ailleurs par la protection du comte de Zinzendorf, s’empresserent d’augmenter cet établissement & d’y bâtir ; & le comte y vint demeurer lui-même. Dans peu d’années ce fut un village considérable qui eut une maison d’orphelins, & d’autres édifices publics. En 1728 il y avoit déjà trente-quatre maisons fort logeables ; en 1732 le nombre des habitans montoit à six cens. La montagne de Huth-Berg donna lieu à ces gens-là d’appeller leur habitation qui en est tout proche, Huth-des-Hern, & dans la suite Hernhut, ce qui peut signifier la garde ou la protection du seigneur. C’est delà que toute la secte a pris son nom.

Les Hernhutes établirent bientôt entre eux une sorte de discipline qui les lie étroitement les uns aux autres, les partage en différentes classes, les met dans une entiere dépendance de leurs supérieurs, & les assujettit à de certaines pratiques de dévotion & à diverses menues regles ; on diroit d’un institut monastique.

La différence d’âge, de sexe & d’état, relativement au mariage, a formé les diverses classes : il y en a de maris, de femmes mariées, de veufs, de veuves, de filles, de garçons, d’enfans. Chaque classe a ses directeurs choisis parmi ses membres. Les mêmes emplois que les hommes ont entre eux sont exercés entre les femmes par des personnes de leur sexe. Tous les jours une personne de la classe en visite les membres, pour leur adresser des exhortations & prendre connoissance de l’état actuel de leur ame, dont elle rend compte aux anciens. Il y a de fréquentes assemblées de chaque classe en particulier & de toute la société ensemble.

Les conducteurs tiennent entre eux des conférences pour s’instruire mutuellement dans la conduite des ames. D’ailleurs la société est fort assidue aux exercices de religion qui se font à Bertolsdorf & ailleurs. Les membres de chaque classe se sont soudivisés en morts, réveillés, ignorans, disciples de bonne volonté, disciples avancés. On administre à chacune de ces subdivisions des secours convenables. On a sur-tout grand soin de ceux qui sont dans la mort spirituelle.

On veille à l’instruction de la jeunesse avec une attention particuliere. Outre les personnes chargées des orphelins, il y en a qui ont autorité sur tous les autres enfans. Le zèle de M. de Zinzendorf l’a quelquefois porté à prendre chez lui jusqu’à une vingtaine d’enfans, dont neuf ou dix couchoient dans sa chambre. Après les avoir mis dans la voie du salut, il les renvoyoit à leurs parens. Il y a des assemblées pour les petits enfans qui ne marchent pas encore ; on les y porte : là on chante, on prie, & l’on y fait des discours proportionnés à la capacité des petits auditeurs.

L’ancien, le co-ancien, le vice-ancien ont une inspection générale sur toutes les classes. Il y a des avertisseurs en titre d’office, dont les uns sont publics & les autres secrets. Il y a plusieurs autres charges & emplois dont le détail seroit trop long.

Une grande partie du culte des Hernhuters consiste dans le chant : c’est sur-tout par les cantiques qu’ils prétendent que les enfans s’instruisent de la religion. M. de Zinzendorf rapporte une chose bien singuliere, c’est que les chantres de la société doivent avoir reçû de Dieu un don particulier & presque inimitable (il pouvoit bien dire tout-à-fait), sçavoir, que lorsqu’ils sont obligés d’entonner à la tête de l’assemblée, il faut que ce qu’ils chantent soit toûjours une répétition exacte & suivie de ce qui vient d’être prêché.

A toutes les heures du jour & de la nuit, il y a à Hernhut des personnes de l’un & de l’autre sexe chargées par tour de prier pour la société ; & ce qui est très-remarquable, c’est que sans montre, horloge, ni réveil, ces gens-là sont avertis par un sentiment intérieur, de l’heure où ils doivent s’acquitter de ce devoir.

Si les freres de Hernhut remarquent que le relâchement se glisse dans leur société ; ils raniment leur zèle en célébrant des agapes ou des repas de charité. La voie du sort est fort accréditée parmi eux ; ils s’en servent souvent pour connoître la volonté du Seigneur.

Ce sont les anciens qui font les mariages ; nulle promesse d’épouser n’est valide sans leur consentement. Les filles se dévouent au Sauveur, non pour ne jamais se marier, mais pour ne se marier qu’à un homme à l’égard duquel Dieu leur aura fait connoître avec certitude qu’il est régénéré, instruit de l’importance de l’état conjugal, & amené par la direction divine à entrer dans cet état.

La société des Hernhuts s’étant formée dans les terres de M. de Zinzendorf, sous sa protection, par ses soins, ses bienfaits, & suivant ses vûes, il étoit naturel qu’il conservât sur elle une très grande autorité ; aussi en a-t-il toûjours été l’ame, l’oracle, & le premier mobile. Dans le troisieme synode général du Hernhutisme, tenu à Gotha en 1740, il se démit de l’épiscopat, auquel il avoit été appellé en 1737, mais il conserva la charge de président ; il se démit de cet emploi-ci en 1743, en faveur du titre bien plus honorable de celui de ministre plénipotentiaire, & d’économe général de la société, avec le droit de se nommer un successeur.

Il a envoyé de ses compagnons d’œuvres presque par tout le monde ; lui-même il a couru toute l’Europe, & il a été deux fois en Amérique. Dès 1733 les missionnaires du Hernhutisme avoient déjà passé la ligne. La société possede, à ce que je crois, Béthléem en Pensylvanie : elle a aussi un établissement parmi les Hottentos ; mais elle n’a fait nulle part d’aussi belles conquêtes qu’en Wétéravie, où elle a Marienborn & Hernhaug, & dans les Provinces-Unies, où elle fleurit singulierement, sur-tout à Isselstein & à Zéist.

M. de Zinzendorf vint en Hollande en 1736, & le nombre de ses sectateurs s’y est accru peu-à-peu, en particulier parmi les Mennonites. Depuis la fin de 1748, il a fait recevoir la confession d’Ausbourg à ses freres Moraves, témoignant en même tems de l’inclination pour toutes les communions chrétiennes ; il déclare même qu’on n’a pas besoin de changer de religion pour entrer dans le Hernhutisme.

C’est le Sauveur qui fait tout dans sa secte, & qui regle l’envoi des missionnaires ; mais comme ils sont en grand nombre, & qu’ils font d’ailleurs des entreprises & des acquisitions coûteuses, ils ont établi une caisse, qu’on nomme la caisse du Sauveur, qui est devenue très-considérable par les donations des prosélites du Hernhutisme, & de ses fauteurs. M. de Zinzendorf a la principale direction de cette caisse, & Madame la comtesse son épouse partage ses travaux.

M. de Zinzendorf rapporte lui-même, que pendant vingt-six ans cette dame a si bien administré les fonds, qu’il n’a jamais rien manqué ni à sa maison, ni à sa société, quoiqu’il ait fallu fournir à des entreprises de plus d’un million d’écus d’Allemagne. Il rend aux grandes qualités de son épouse, le témoignage le plus honorable, & cela après vingt-cinq ans de mariage ; il remercie Jesus de l’avoir formée exprès pour lui ; elle est la seule dans le monde qui lui convînt. Enfin, son heureux état conjugal le conduit à une pensée des plus singulieres & des plus consolantes sur les mariages d’ici-bas ; c’est que si chaque mari vouloit y faire réflexion, il trouveroit de même que la femme qu’il a, est precisément celle qu’il lui falloit, préférablement à toute autre.

Suivant les écrits de M. de Zinzendorf, le Hernhutisme entretenoit en 1749, jusqu’à mille ouvriers répandus par tout le monde ; ses missionnaires avoient déjà fait plus de 200 voyages de mer, & vingt-quatre nations avoient été réveillées de leur assoupissement spirituel ; on prêchoit dans sa secte en vertu d’une vocation légitime en quatorze langues à 20 mille ames au moins ; enfin la société avoit déjà 98 établissemens, entre lesquels se trouvent des châteaux à 20, 30, & 50 appartemens. Il y a sans doute de l’hyperbole dans ce détail, mais il y a beaucoup de vrai, & j’en ai été assez bien instruit dans un voyage que je fis en Hollande en 1750.

La morale des Hernhutes est entierement celle de l’Evangile ; mais en fait d’opinions dogmatiques, le Hernhutisme a ce caractere distinctif du fanatisme, de rejetter la raison & le raisonnement ; il ne demande que la foi qui est produite dans le cœur par le Saint-Esprit seul. La régénération naît d’elle-même, sans qu’il soit besoin de rien faire pour y coopérer ; dès qu’on est régénéré, on devient un être libre ; cependant c’est le Sauveur du monde qui agit toûjours dans le régénéré, & qui le guide dans toutes ses actions.

C’est aussi en Jesus-Christ que la Trinité est concentrée ; il est principalement l’objet du culte des Hernhutes ; ils lui donnent les noms les plus tendres ; Jesus est l’époux de toutes les sœurs, & leurs maris sont, à proprement parler, ses procureurs ; semblables à ces ambassadeurs d’autrefois, qui épousant une princesse au nom de leurs maîtres, mettoient dans le lit nuptial une jambe toute bottée ; un mari n’est que le chambellan de sa femme ; sa charge n’est que pour un tems, & par interim. D’un autre côté, les sœurs Hernhutes sont conduites à Jesus par le ministere de leurs maris, qu’on peut regarder comme leurs sauveurs dans ce monde ; car quand il se fait un mariage, la raison de ce mariage est qu’il y avoit une sœur qui devoit être amenée au véritable époux, par le ministere d’un tel procureur.

Voilà une peinture historique fort abregée, mais fidele, du fanatisme des Hernhutes de nos jours, gens fort estimables par leur conduite & par leurs mœurs. Nous nous sommes bien gardés de leur imputer des sentimens qu’ils n’adoptent pas, ou de tirer de leurs opinions des conséquences qu’ils rejetteroient ; nous n’avons parlé d’eux que d’après eux. Ce que nous venons d’en rapporter, est un précis laconique que nous avons fait du livre d’Isaac le Long, écrit en Hollandois, sous le titre de Merveilles de Dieu envers son Eglise, Amst. 1735, in-8°. Cet auteur êtoit grand admirateur des Hernhutes, & Hernhute lui-même. Il ne publia son livre, qu’après l’avoir communiqué à M. de Zinzendorf, auquel il le dédia, & après en avoir obtenu la permission : c’est ce seigneur qui nous l’apprend à la page 230 d’un de ses propres ouvrages, qui porte pour titre, Réflexions naturelles.

Le Hernuthisme a étonné la Hollande par ses progrès rapides, & ne l’a point allarmée ; il joüit dans les Provinces-Unies de cette tolérance universelle qu’on y accorde à toutes les sectes, & qui paroît être le principe le plus sage & le plus judicieux du gouvernement politique. (D. J.)