L’Encyclopédie/1re édition/HERTE, ou HERTHE

La bibliothèque libre.
Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 186-187).
◄  HERSTEIN
HERTFELDT  ►

HERTE, ou HERTHE, s. f. (Antiq.) divinité que d’anciens peuples de Germanie, comme les Semnons, les Neudinges ou Thuringes, les Avions, les Angles, les Varins, les Eudons, les Suardons, & les Nuitons adoroient.

Tacite est le seul qui nous en instruise, & il pourroit bien lui-même avoir été mal informé ; cependant ce qu’il en rapporte est trop singulier, pour le passer sous silence. Il dit dans son livre des mœurs des Germains, chap. xl. qu’il y avoit dans l’Océan (c’est apparemment la mer Baltique qu’il nomme ainsi), une isle (on soupçonne que c’est l’isle de Rugen) où se trouvoit une forêt appellée Castum, au milieu de laquelle étoit un char consacré à la déesse Hertus.

Il n’étoit permis qu’au seul prêtre de toucher à ce char, parce qu’il savoit le tems que la déesse qu’on y adoroit venoit dans ce lieu ; quand il sentoit la présence de cette divinité, il atteloit des buffles à ce char, & le suivoit avec grande vénération ; tout le tems que duroit cette cérémonie, c’étoit des jours de fête, & par-tout où le char alloit, on le recevoit avec beaucoup de solennités ; toute guerre cessoit, toutes les armes se renfermoient, on ne respiroit que la paix & le repos, jusques à ce que le prêtre eût reconduit dans son temple la déesse rassasiée de la conversation des hommes. Alors on lavoit le char dans un lieu secret, & les étoffes qui le couvroient, & la déesse elle-même ; on se servoit pour cela d’esclaves, qui étoient aussi-tôt après jettés & engloutis dans un lac voisin.

Vossius conjecture que cette déesse Hertus doit être Cybèle ; mais il est plus vraissemblable que c’est la Terre ; le nom y répond du moins parfaitement ; les Allemans emploient encore le mot herth, pour signifier la terre, & les Anglois ont toujours dit earth dans le même sens ; comme la plûpart des peuples se sont imaginés n’avoir point d’autre origine que la terre, les Germains pourroient bien l’avoir adorée, & plusieurs raisons concourent à se le persuader.

Il y a dans la plaine du comté de Salisbury en Angleterre, des amas de pierres circulaires, que plusieurs savans croyent avoir été un temple de la déesse Herte ; on nomme ces pierres stone-henges, c’est-à-dire pierres suspendues, parce qu’elles sont mises les unes sur les autres, de maniere qu’elles paroissent être en l’air, telles qu’on suppose qu’étoit le temple de Herte. Mais cette supposition n’est au fond qu’un fruit de l’imagination, qu’on ne peut appuyer d’aucune preuve.

On ignore parfaitement quel étoit l’usage de cette espece de monument, que les anciens appelloient en latin chorea gigantum. On dispute même de la nature de ces pierres ; car les uns prétendent qu’elles sont naturelles, tandis que d’autres les regardent comme artificielles, composées de sable, de chaux, de vitriol, & d’autres matieres bitumineuses. Ce dernier sentiment paroît le moins vraissemblable : quoi qu’il en soit, les curieux qui n’ont pas vû les stone-henges de Salisbury, peuvent consulter sur leur nature & leur ancienne destination apparente, les Antiq. britann. de Cambden, & même ils en trouveront le dessein dans cet auteur. Je pense que les Transactions philosophiques en parlent aussi, mais cet article ne devoit pas être oublié dans le supplément de Chambers. (D. J.)