L’Encyclopédie/1re édition/HIPPOCENTAURE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 210).

HIPPOCENTAURE, s. m. (Myth.) monstre fabuleux, qu’on feint avoir été demi-homme & demi-cheval ; on donna ce surnom aux peuples de Thessalie, qui entreprirent les premiers dans la Grece de monter à cheval, ensorte que leurs voisins crurent d’abord que l’homme & le cheval ne faisoient qu’un même composé.

La fable dit que les centaures s’étant mêlés avec des cavales, engendrerent les hippocentaures, monstres qui tenoient en même tems de la nature de l’homme & de celle du cheval ; mais comme de pareils monstres n’ont jamais existé, il est vraissemblable que lorsqu’on parloit d’un Thessalien, on le nommoit hippios ou cavalier ; ces cavaliers dans la suite, pour montrer leur force & leur adresse, s’exercerent à se battre contre des taureaux qu’ils perçoient de leurs javelots, ou les renversoient en les prenant par les cornes. Pline nous apprend que non-seulement cet exercice étoit ordinaire aux Thessaliens qui en étoient les inventeurs, mais que Jules Cesar en donna le premier spectacle aux Romains ; il y a donc bien de l’apparence, qu’on ajouta en parlant de ces Thessaliens au nom d’hippios celui de centaures ; & que de ces trois mots ἵππιος, κεντῶν, ταυρὸς, on composa celui d’hippio-centaure, cavalier perce taureau.

Enfin ces cavaliers s’étant rendus redoutables par leurs brigandages, on n’en parla que comme de monstres, & à l’aide de l’équivoque on les nomma des hippocentaures, confondant ainsi le cavalier avec le cheval qui les portoit. Les poëtes saisirent cette idée ; on sait qu’ils profitoient de tout, pour donner du merveilleux aux sujets dont ils parloient ; & rien certainement ne ressembloit mieux au monstre, tel qu’ils le dépeignoient, qu’un homme à cheval. Des gens qui faisoient passer les oranges pour des pommes d’or, les bergers déguisés pour des satyres, & les vaisseaux à voile pour des dragons aîlés, ne devoient pas faire difficulté dans le tems que l’usage de monter à cheval étoit nouveau, de travestir des cavaliers en hippocentaures.

Ce mot est composé de ἵππος, cheval, κεντέω, je pique, & ταῦρος, taureau, c’est-à-dire, piqueur de chevaux & de taureaux ; voilà tout le merveilleux simplifié. (D. J.)