L’Encyclopédie/1re édition/HONGRIE
HONGRIE, (Géog. hist.) vaste pays en Asie & en Europe.
La Hongrie asiatique, ou la grande Hongrie, étoit l’ancienne partie des Huns ou Hongrois, qui passerent en Europe vers la décadence de l’empire ; M. de Lisle la met à l’orient de la Bulgarie en Asie ; & comme la Bulgarie est entre le Wolga & la montagne de Caf, qui est une branche de l’Imaüs des anciens, la grande Hongrie est entre cette montagne & l’Irtisch, c’est-à-dire entre les 85. & les 100. deg. de longitude, & entre le 50. & le 55. deg. de latitude. La Valaquie étoit au S. de la Hongrie ; ainsi ces trois nations, les Bulgares, les Hongrois & les Walaques étoient voisins en Asie, comme ils le sont en Europe.
La Hongrie en Europe est un grand pays d’Europe sur le Danube : soit que les Hongrois soient descendans des Huns, soit qu’ils n’ayent rien de commun avec eux que de leur avoir succédé, non contens des terres qu’ils possédoient à l’orient du Danube, ils le passerent & s’établirent dans les deux Pannonies.
La monarchie hongroise comprenoit au commencement du xjv. siecle la Hongrie propre, la Transylvanie, la Moldavie, la Valaquie, la Croatie, la Bosnie, la Dalmatie & la Servie; mais les progrès qu’elle fit en accroissement dans ces tems-là, ressembloient à ceux de la mer qui quelquefois s’enfle, & sort de son lit pour y rentrer bientôt après. Les succès des armes ottomanes ont prodigieusement diminué cette monarchie, & des provinces entieres s’en sont détachées, quoique, par le traité de paix de Passarowitz, l’empereur ait recouvré quelque partie de la Valaquie, de la Bulgarie, de la Servie, de la Bosnie & de la Croatie.
Le royaume d’Hongrie en Europe est de nos jours d’environ 200 lieues de long sur 100 de large ; il est borné au N. par la Pologne, O. par l’Allemagne, E. & S. par la Turquie européenne ; il renferme la Hongrie propre, la Transylvanie & l’Esclavonie.
La Hongrie se divise en haute & basse ; la haute haute contient 24 comtés, la basse 14, & l’Esclavonie 7. Les principales rivieres sont le Danube, la Save, la Drave, la Teisse, le Maros, le Raab, le Vaag, le Graan & la Zarwise ; elles sont fort poissonneuses, mais leurs eaux, à l’exception de celles du Danube, ne passent pas pour être saines ; les plus hautes montagnes sont les monts Krapack, vers la Pologne & la Transylvanie.
Le pays abonde en tout ce qui est nécessaire ou agréable à la vie, les pâturages y sont excellens pour la nourriture des chevaux & des bêtes à corne ; le vin y est admirable, & le gibier très-commun ; il y a des fontaines minérales, des mines d’or, d’argent, de cuivre, de fer, de plomb & de mercure : la religion catholique y est la religion dominante ; mais les protestans en grand nombre y sont tolérés.
Il y a dans la Hongrie deux archevêchés ; Grate ou Strigonie, dont l’archevêque est primat du royaume, & Colocza. On y compte seize évêchés, dont six sont suffragans de Strigonie.
La langue hongroise est un dialecte de l’esclavonne, & par conséquent elle a quelque rapport avec les langues de Boheme, de Pologne & de Russie. La langue latine est aussi familiere aux Hongrois. Enfin la domination impériale a rendu la langue allemande nécessaire à ce peuple ; c’est même une chose remarquable, que presque toutes les villes de Hongrie ont deux noms, l’un Hongrois, l’autre Allemand ; ce que ne doivent pas ignorer les étrangers qui se mêlent de faire des cartes géographiques de ce pays-là. Long. 35-47. latit. 45-49.
Plusieurs écrivains ont publié l’histoire intéressante du gouvernement, des rois & des révolutions de la Hongrie ; nous y renvoyons les lecteurs ; nous nous bornerons ici à quelques faits généraux, que nous crayonnerons d’après un grand maître.
La Hongrie se gouvernoit autrefois comme la Pologne se gouverne encore ; elle élisoit ses rois dans ses dietes ; le palatin de Hongrie avoit la même autorité que le primat polonois, & de plus il étoit juge entre le roi & la nation. Telle avoit été la puissance ou le droit du palatin de l’empire, du maire du palais de France, du justicier d’Arragon ; dans toutes les monarchies l’autorité des rois commença toûjours par être balancée.
Les nobles avoient les mêmes priviléges qu’en Pologne, j’entends d’être impunis, & de disposer de leurs serfs. La populace étoit esclave, & l’est encore ; la force de l’état étoit dans la cavalerie composée de nobles & de leurs suivans ; l’infanterie étoit un amas de paysans sans ordre, qui combattoient dans le tems qui suit les semailles jusqu’à celui de la moisson.
On sait que ce fut vers l’an 1000, que la Hongrie reçut le christianisme ; le chef des Hongrois, Etienne qui vouloit être roi, se servit de la force & de la religion. Le pape Silvestre II. ou son successeur, il m’importe guère, le gratifia du titre de roi, & même de roi apostolique. C’est pour avoir donné ce titre dans une bulle, que les papes prétendirent exiger des tributs de la Hongrie, & c’est en vertu de ce mot apostolique que les rois de Hongrie prétendirent donner tous les bénéfices du royaume. On voit qu’il y a des préjugés par lesquels les rois & les nations se gouvernent. Le chef d’une nation guerriere n’avoit osé prendre le titre de roi sans la permission du pape.
Dans le même tems, les empereurs regardoient la Hongrie comme un fief de l’empire, parce que Conrad le Salique avoit reçu un hommage & un tribut du roi Pierre, qui monta sur le trône en 1038. Les papes de leur côté soûtenoient qu’ils devoient donner cette couronne, parce qu’ils avoient les premiers appellé du nom de roi, le chef de la nation hongroise. En 1290, l’empereur Rodolphe de Hapsbourg donna l’investiture de la Hongrie à son fils Albert d’Autriche, comme s’il eût donné un de ses fiefs ordinaires ; mais, en 1308, le pape Boniface VIII. donna ce royaume au prince Carobert, fils de Charles Martel, soûtenu de son parti & de son épée. La Hongrie sous lui devint plus puissante que les empereurs, qui la regardoient comme un fief ; Carobert réunit à ses états la Dalmatie, la Croatie, la Servie, la Transylvanie, la Moldavie, provinces qui furent démembrées du royaume dans la suite des tems.
Le fils de Carobert, nommé Louis, accrut encore la puissance de son royaume ; il s’acquit une vraie gloire, car il fut juste & fit de sages lois. Ce prince cultivoit la Géométrie & l’Astronomie ; il protégeoit les autres arts : c’est à cet esprit philosophique si rare alors, qu’il faut attribuer l’abolition que lui dut la Hongrie, des épreuves superstitieuses du fer ardent & de l’eau bouillante ; superstitions d’autant plus accréditées que les peuples étoient plus grossiers. Un roi qui connoissoit la saine raison, étoit un prodige dans ces climats : la valeur de Louis fut égale à ses autres qualités ; ses sujets le chérirent, les étrangers l’admirerent ; les Polonois, sur la fin de sa vie, l’élurent pour leur roi en 1370. Il régna heureusement 40 ans en Hongrie, & 12 ans en Pologne ; les peuples lui donnerent le nom de Grand, dont il étoit digne ; cependant il est presque Ignoré en Europe, il n’avoit pas regné sur des hommes qui sussent transmettre sa gloire aux nations.
Il étoit si aimé, qu’après sa mort les Hongrois élurent en 1382 sa fille Marie, qui n’étoit pas encore nubile, & l’appellerent Marie-Roi, titre qu’ils ont renouvellé de nos jours pour la fille du dernier empereur de la maison d’Autriche. Sigismond épousa Marie, fut à-la-fois empereur, roi de Boheme & d’Hongrie ; mais en Hongrie, il fut battu par les Turcs, & mis une fois en prison par ses sujets révoltés ; en Boheme, il fut presque toujours en guerre contre les Hussites ; & dans l’empire, son autorité fut sans cesse contre-balancée par les priviléges des princes & des villes.
En 1438, Albert d’Autriche, gendre de Sigismond, devint le premier prince de la maison d’Autriche, qui regna sur la Hongrie ; mais, quoique son regne ait été fort court, il fut la source des divisions intestines, qui, jointes aux irruptions des Turcs, dépeuplerent la Hongrie & en firent une des malheureuses contrées de la terre. La guerre civile entre les peuples & les nobles qui suivit les regnes des Ladislas & des Corvins, affoiblit encore prodigieusement ce royaume, il ne se trouva plus en état de résister aux Turcs ; l’armée hongroise fut entierement détruite par celle de Soliman, à la célebre journée de Mokats en 1526. Leur roi Louis II. dit le jeune, beau-frere de Charles V. y fut tué, & Soliman vainqueur, parcourut tout ce royaume desolé, dont il emmena plus de deux cens mille captifs.
« En vain, dit M. de Voltaire, la nature a placé dans ce pays des mines d’or & d’argent, & les vrais trésors des blés & des vins ; en vain elle y forma des hommes robustes, bien faits, spirituels ! on ne voyoit presque plus qu’un vaste désert, des villes ruinées, des campagnes dont on labouroit une partie les armes à la main, des villages creusés sous terre, où les habitans s’ensevellissoient avec leurs grains & leurs bestiaux, une centaine de châteaux fortifiés, dont les possesseurs disputoient la souveraineté aux Turcs & aux Allemands ».
Les empereurs de la maison d’Autriche devinrent finalement rois de Hongrie ; mais le pays dépeuplé, pauvre, partagé entre la faction catholique & la protestante, & entre plusieurs partis, fut à-la-fois occupé par les armées turques & allemandes. C’est ce qu’on vit sous tous les empereurs de cette maison : on vit en particulier sous Léopold, élu en 1655, la haute Hongrie & la Transylvanie être le théâtre sanglant des révolutions, des guerres & des dévastations. Les Hongrois voulurent défendre leurs libertés contre cet empereur, qui ne connut que les droits de sa couronne : il s’en fallut peu que le sang des seigneurs hongrois répandu à Vienne par la main des bourreaux, ne coutât Vienne & l’Autriche à Léopold, & à sa maison le jeune Emerick Tekeli, qui ayant à venger le sang de ses parens & de ses amis, souleva une partie de la Hongrie, & se donna à Mahomet IV. Le siége étoit déja devant Vienne en 1683, lorsque Jean Sobieski roi de Pologne, Charles V. duc de Lorraine, & les princes de l’empire eurent le bonheur de le faire lever, de repousser les Turcs & de délivrer l’empereur.
L’archiduc Joseph son fils fut couronné roi de Hongrie en 1687, héréditairement pour lui & la maison d’Autriche, qui a fini en 1740 dans la personne de Charles VI.
Ce qui restoit de ses dépouilles après sa mort, fut prêt d’être enlevé à son illustre fille, & partagé entre plusieurs puissances ; mais ce qui devoit l’accabler, servit à son élévation. La maison d’Autriche renaquit de ses cendres : la Hongrie, qui n’avoit été pour ses peres qu’un éternel objet de guerres civiles, de résistances & de punitions, devint pour elle un royaume uni, affectionné, peuplé de ses défenseurs. Reine de tous les cœurs, par une affabilité que ses ancêtres avoient rarement exercée, elle bannit cette étiquette qui peut rendre le trône odieux, sans le rendre plus respectable ; elle goûta le plaisir & la gloire de faire nommer empereur son époux, & de recommencer une nouvelle maison impériale. (D. J.)
Hongrie, mal d’, (Medecine.) maladie ainsi nommée, parce qu’elle commença à se faire sentir dans l’armée des impériaux en Hongrie en 1566, d’où elle se répandit ensuite dans toute l’Europe. On dit que c’est une fiévre maligne, accompagnée de défaillances dans l’estomac, d’une douleur & dureté dans la région épigastrique, d’une soif ardente dès le commencement de la maladie, d’une langue séche, d’un mal de tête constant qui finit par un délire. Cette maladie est très-contagieuse. M. Pringle croit que c’est une maladie formée par la combinaison d’une fiévre bilieuse & d’une fiévre d’hôpital. Voyez Supplément du Dictionn. de Chambers, Appendix.
Hongrie, (Art méchan.) on appelle cuirs de Hongrie, de gros cuirs dont les Hongrois ont autrefois inventé la fabrique, & qui depuis ont été parfaitement imités en France. Voyez Cuir de Hongrie.