L’Encyclopédie/1re édition/HUDSON Baie

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 331-332).
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HUDSON Baie d’, (Géog.) La baie d’Hudson est un grand golfe de la mer du nord, au septentrion de l’Amérique, vers les terres arctiques, entre l’Estotiland, la nouvelle France, & le nouveau Southwalles.

Hudson (Henry), fameux pilote Anglois, la découvrit en 1640 plus exactement que Frédéric Anschild, Danois, qui avoit connu le premier cette baie ; Hudson cherchoit comme lui, un passage pour aller de la mer du nord à celle du sud.

Cette baie s’étend du nord au sud, depuis les 64 degrés d’élévation du pole jusqu’au 51. Sa largeur de l’orient à l’occident, est fort inégale ; elle a près de 200 lieues dans sa partie septentrionale, mais le fond de la baie a à peine 35 lieues de large.

Rien n’est plus affreux que les environs de la baie d’Hudson ; de quelque côté qu’on jette les yeux, on n’apperçoit que des terres incultes & incapables de culture ; que des rocs escarpés qui s’élevent jusqu’aux nues, entrecoupés de ravines profondes, & de vallées stériles, où le soleil ne pénétra jamais, & que les neiges & les glaçons éternels rendent inabordables. La mer n’y est libre que depuis le mois de Juillet, jusqu’à la fin de Septembre, encore y rencontre-t-on alors assez souvent d’énormes glaçons, qui jettent les navigateurs dans de grandes peines, pour se débarasser de ces glaces qui les assiegent.

Ce qui attire les Européens dans ces affreux pays, c’est le lucri sacra fames ; c’est que nulle part, la traite des pelleteries ne se fait avec plus de profit. Ce sont les meilleures du Canada, & qu’on trouve au meilleur marché, à cause de la misere des sauvages qui les fournissent, sur-tout de ceux qui fréquentent le port Nelson. Voyez Hudson, baie d’ (Commerce.) Ces sauvages ne sont pas seulement misérables, mais petits & mal-faits. Ils habitent l’été sous des tentes faites de peaux d’orignal ou de caribou, nom qu’on donne aux rennes en Amérique ; l’hiver, ils vivent sous terre comme les Lapons, les Samoièdes, se couchent comme eux pêle-mêle, pour être plus chaudement, & se nourrissent de chair ou de poisson crud, car leur pays n’est que glace, & ne produit autre chose.

En effet, nous ne connoissons rien de comparable au froid qu’a éprouvé le capitaine Middleton dans l’habitation même des Anglois, à la baie d’Hudson, sous la latitude de 57d. 20′, & dont il a fait le triste récit à la société royale de Londres.

Quoique les maisons de cette habitation soient faites de pierre, que les murs ayent deux piés d’épaisseur, que les fenêtres soient fort étroites, & garnies de volets fort épais, que l’on tient fermés pendant dix-huit heures tous les jours : quoique l’on fasse dans ces chambres de très-grands feux quatre fois par jour, dans de grands poëles faits exprès ; que l’on ferme bien les cheminées, lorsque le bois est consommé, & qu’il n’y reste plus que de la braise ardente, afin de mieux conserver la chaleur, cependant tout l’intérieur des chambres & les lits se couvrent de glace de l’épaisseur de trois pouces, que l’on est obligé d’ôter tous les jours. L’on ne s’éclaire dans ces longues nuits, qu’avec des boulets de fer de 24, rougis au feu, & suspendus devant les fenêtres. Toutes les liqueurs gèlent dans ces appartemens ; & même l’eau-de-vie dans les plus petites chambres, quoique l’on y fasse continuellement un grand feu.

Ceux qui se hasardent à l’air extérieur, malgré leurs doubles & triples habillemens de fourrures, non seulement autour du corps, mais encore autour de la tête, du col, des piés & des mains, se trouvent d’abord engourdis par le froid, & ne peuvent rentrer dans les lieux chauds, que la peau de leur visage ne s’enleve, & qu’ils n’ayent quelquefois les doigts des piés gelés.

L’on peut encore juger de la rigueur du froid extérieur, sur ce que le capitaine Middleton rapporte, que les lacs d’eau dormante, qui n’ont que 10 à 12 piés de profondeur, se gèlent jusqu’au fond, ce qui arrive également à la mer qui se gèle à la même hauteur. La gelée est seulement un peu moindre dans les rivieres qui sont plus près de la mer, & où la marée est forte.

Le grand froid fait fendre quelquefois cette glace avec un bruit étonnant, presque aussi fort que celui du canon.

Il y a donc lieu de croire que le froid qu’on éprouve à la baie d’Hudson, est pour le moins aussi grand que celui qu’on ressent en Sibérie, même à Jeniseskoi, dont on peut voir l’article ; mais pour en être parfaitement sûr, il faudroit avoir des observations du thermometre à la baie d’Hudson, & nous n’en avions pas encore en 1750. La société royale est ici priée de nous en procurer à l’avenir ; ce soin n’est pas indigne d’elle. (D. J.)

Hudson (Compagnie de la baie d’) Commerce. Société de négocians anglois qui se forma vers le milieu du dernier siecle pour le commerce de cette partie la plus septentrionale de l’Amérique, où les Européens ayent des colonies.

Les belles pelleteries que Hudson rapporta de cette baie, où il avoit été obligé de passer l’hiver après sa découverte, persuada sa nation qu’on pouvoit y établir un commerce avantageux de cette précieuse marchandise. Alors plusieurs négocians anglois formerent une société, & envoyerent sur les lieux le capitaine Nelson, qui fonda la premiere colonie de cette baie, & éleva un fort de son nom à l’embouchure d’une grande riviere qui s’y jette, & qui prend sa source du lac des Assinipouals.

En 1670, une charte de Charles II. en faveur du prince Robert & de ses associés, leur accorda inconsidérément pour toûjours en propriété toutes les terres voisines & au-delà de la baie de Hudson, qui ne sont point occupées par quelque autre peuple, avec le commerce exclusif de peaux d’ours, de martres, d’hermines, & autres fourrures abondantes dans ces contrées.

La colonie fut déclarée, par cette charte, relever du château royal de Gréenwich, dans le comté de Kent ; S. M. B. ne se réservant que la foi & hommage, avec une redevance de deux élans & de deux castors noirs par an, payables quand ils seroient demandés.

Pour le gouvernement de la compagnie, on établit un gouverneur, un député & sept directeurs.

Son premier fonds capital étoit de 10500 livres sterlings (341500 liv. tournois) ; & ce fonds modique, qui fut suffisant pour les dépenses de l’établissement, a si-bien prospéré, qu’en 1690 la compagnie, pour mettre quelque proportion entre ses dividendes & son capital, prit le parti de le tripler en apparence par un appel simulé sur ses actionnaires, ensorte que chacun d’eux, sans rien débourser, vit avec joie ses fonds tripler ; & pour dire quelque chose de plus, les actions de cette compagnie ont valu jusqu’à 500 livres sterlings. Il est vrai que les guerres presque continuelles qu’il y a eu entre la France & la Grande-Bretagne jusqu’à la paix d’Utrecht, ont souvent apporté de grandes diminutions à la valeur des actions de cette société.

Les François & les Anglois se sont alternativement plusieurs fois chassés de leurs établissemens, les uns pour confirmer leur commerce de pelleterie sur le lac supérieur, les autres pour se maintenir dans le même négoce qu’ils avoient attiré à la baie de Hudson.

Enfin, cette baie a été rendue à l’Angleterre par le traité d’Utrecht ; & les François qui s’en étoient emparés pendant la guerre pour la succession d’Espagne, & qui y avoient construit de nouveaux forts, l’abandonnerent dans l’état qu’elle se trouvoit.

La compagnie d’Hudson, au moyen de la paix dont l’Angleterre a joui depuis 1712 jusqu’en 1720, augmenta jusqu’à 103500 liv. sterlings (2280500 liv. tournois) ses fonds, qu’elle estima (morts & vifs) 94500 livres sterlings (2273500 liv. tournois.)

En effet, quoique le seul négoce de ce pays-là se borne aux pelleteries, il faut que les profits soient bien grands, puisque les deux nations rivales s’en disputent de nouveau la possession, sans se rebuter du froid extrême qu’il fait dans cette partie de l’Amérique, & qui subsiste sept mois de l’année, pendant lesquels la neige y tombe ordinairement de dix ou douze pieds de haut ; la mer s’y glace à la même épaisseur, & les arbres & les pierres s’y fendent par l’excessive rigueur des gelées : ajoûtez que le pays ne fournit absolument rien pour la nourriture, ni pour le vêtement des habitans de ces tristes & malheureuses contrées.

Au reste, l’auteur françois qui a pris, dans un petit ouvrage sur le commerce, le nom de Nickole, a fait voir combien la compagnie de la baie d’Hudson est un exemple sensible & déplorable de cette vérité, qu’une compagnie exclusive peut jouir longtems du négoce le plus lucratif, & négliger toutes les facilités qu’elle a de l’augmenter, au mépris de son devoir & de l’intérêt de la nation dont elle est membre. (D. J.)