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L’Encyclopédie/1re édition/HYDROPTHALMIE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 382-383).

HYDROPTHALMIE, s. f. terme de Chirurgie, maladie de l’œil, qui consiste dans la dilatation démesurée du globe, causée par l’augmentation contre nature du volume des humeurs. C’est à Nuck qu’on est redevable du mot hydropthalmie, qui exprime proprement la maladie dont nous parlons, & que les anciens appelloient exopthalmie, dénomination équivoque, par laquelle on confondoit la dilatation du globe, avec la chûte de l’œil qui lui fait faire pareillement saillie hors de l’orbite. L’augmentation de l’humeur aqueuse est démontrée dans l’hydropthalmie, par la prééminence de la cornée transparente, & par l’éloignement ou la profondeur de l’iris. L’extrême dilatation de la pupille, est un signe que le corps vitré contribue à l’extension démésurée des tuniques.

Les malades ressentent presque continuellement au fond de l’œil & à la tête, de violentes douleurs accompagnées d’insomnie & de fievre. Cette maladie est ordinairement chronique, & persiste dans son état sans aucun changement, lorsque l’œil est parvenu au dernier degré d’extension que ses membranes lui permettent. Maitre-Jan propose dans cette maladie beaucoup de remedes tant généraux que particuliers, internes & topiques, bien varies, suivant les différentes indications qui peuvent se présenter ; car il croit cette maladie sujette à la résolution & à la suppuration. Dans ce dernier cas il conseille une petite ouverture, comme l’incision d’une saignée à la partie déclive, du côté du petit angle, à côté de l’iris, sur le blanc de l’œil, & qui pénetre par de-là l’uvée. Bidloo propose aussi l’ouverture de l’œil, lorsque sa protubérance est douloureuse ; & il rapporte le cas d’un homme qui est mort de cette maladie, pour n’avoir pas voulu se résoudre à cette légere opération qu’il lui avoit conseillée, avec le célebre Cyprien son collegue, très-habile chirurgien d’Amsterdam. Il ajoûte à cette histoire celle d’un enfant de dix ans, à qui l’œil étoit devenu excessivement gros à la suite de plusieurs fluxions fort douloureuses. On avoit employé en vain les remedes les mieux indiqués pour détourner cette humeur ; on appliqua enfin un cataplasme maturatif, qui attira une tuméfaction prodigieuse de l’œil avec suppuration. Le malade souffrit les douleurs les plus aigues ; on obtint le calme en vuidant l’œil par une incision que Bidloo fit au bord de la cornée transparente. Le globe se rétrecit & se consolida parfaitement en peu de tems, sans autre incommodité que la perte de la vûe.

Bidloo fait un précepte de sa méthode d’opérer dans ce cas. Il ne juge pas que l’incision doive s’étendre par de-là le bord inférieur de la cornée transparente, parce qu’il est possible que l’humeur vitrée ne soit pas liquefiée, & qu’elle reste en place avec le crystallin. Alors le globe de l’œil conservera, dit-il, un certain volume, la cornée transparente ne sera pas défigurée par une cicatrice desagréable, & l’œil conservera autant qu’il sera possible l’apparence d’un état naturel : si au contraire les humeurs sont entierement dissoutes, cette incision sera suffisante pour en permettre l’évacuation.

Quand les tuniques n’ont pas été portées à un point excessif de dilatation, on peut tenter la méthode de Nuck, qu’Heister assure avoir pratiquée avec succès. Elle consiste à faire une ponction au bord de la cornée transparente avec un petit trocart, pour évacuer l’humeur qui cause l’hydropthalmie, & à contenir l’œil avec une plaque de plomb par dessus l’appareil, & les remedes convenables : on réitere ces ponctions aussi souvent que la nécessité le requiert, jusqu’à ce que l’œil soit réduit d’une maniere permanente dans son état naturel. L’usage intérieur des remedes sudorifiques & purgatifs favorise, dit-on, ces procédés curatifs. Mais dans le cas où la dilatation du globe est extrème, Heister conseille une grande incision transversale, ou même cruciale, pour vuider entierement l’œil. Il est le copiste de Saint-Yves, lorsqu’il recommande de retrancher dans certains cas, les membranes qu’on croiroit trop étendues, & qui pourroient empêcher l’œil de se réduire à un petit globe, propre à porter commodément un œil artificiel. Dans une tuméfaction considérable de l’œil, je me suis contenté de faire une simple incision transversale d’un angle à l’autre. Elle fut suivie d’inflammation & de vomissemens lympathiques, qui me donnerent de la défiance sur l’utilité d’une incision aussi étendue : sans retrancher rien des tuniques, elles se sont réduites à un très petit volume. J’ai vu depuis, par un fait, dont je vais donner le précis, l’inutilité de la grande incision que j’avois faite, quoiqu’avec plus de ménagement que Saint Yves & Heister ne la prescrivent. Une fille avoit l’œil gauche fort dilaté depuis plus de 25 ans, à la suite de la petite vérole qu’elle avoit eue à l’âge de six ans. Les douleurs de migraine très-violentes, accompagnées de fluxions de tête, qui se portoient souvent sur les yeux, ne pûrent la déterminer à se laisser vuider l’œil ; le hasard la servit utilement. Elle se donna un coup violent à l’œil, en tombant sur le bâton de l’angle d’une chaise de paille ; la contusion & l’échymose furent considérables. Quelques heures après l’œil s’est ouvert ; il en est sorti du sang fluide & coagulé, avec les humeurs qu’il contenoit ; la guérison a été parfaite en 12 ou 15 jours sans aucun accident. On remarque sur la surface antérieure du bouton globuleux, mobile par l’action des muscles, une protubérance solide & plissée, formée par la cornée transparente. La cicatrice enfoncée qu’on apperçoit, montre que l’œil s’est crevé du côté du petit angle, au milieu de la partie latérale externe du globe, précisément où Guillemeau indique qu’il faut faire l’incision, lorsqu’il est nécessaire de vuider l’œil. L’inspection de celui dont je parle, prouve que cette incision auroit l’inconvénient de laisser une inégalité protubérante ; parce que les membranes en se resserrant sur le centre du globe, la cornée transparente, qui est une portion de petite sphere ajoûtée à une plus grande, doit nécessairement former une saillie sur la surface du globe retréci ; ce qu’on évitera en incisant dans toute l’étendue de la cornée transparente exclusivement. Cette incision suffira pour procurer la réduction du globe fort dilaté à un petit volume, sans retrancher une portion des membranes. On ne peut trop simplifier les opérations de Chirurgie, & cette perfection ne peut être que le fruit de l’étude des faits mûrement réfléchis, & observés judicieusement sous leur véritable point de vûe. Les chirurgiens purement opérateurs pratiquent habilement, mais ils perfectionnent peu. (Y.)