L’Encyclopédie/1re édition/IMPOSTURE
* IMPOSTURE, s. f. (Gram. Morale.) ce mot vient du verbe imposer. Or on en impose aux hommes par des actions & par des discours. Les deux crimes les plus communs dans le monde, sont l’imposture & le vol. On en impose aux autres, on s’en impose à soi-même. Toutes les manieres possibles dont on abuse de la confiance ou de l’imbécillité des hommes, sont autant d’impostures. Mais le vrai champ & sujet de l’imposture sont les choses inconnues. L’étrangeté des choses leur donne crédit. Moins elles sont sujettes à nos discours ordinaires, moins on a le moyen de les combattre. Aussi Platon dit-il, qu’il est bien plus aisé de satisfaire, parlant de la nature des dieux que de la nature des hommes, parce que l’ignorance des auditeurs prête une belle & large carriere. D’où il arrive que rien n’est si fermement cru que ce qu’on sait le moins, & qu’il n’y a gens si assûrés que ceux qui nous content des fables, comme alchimistes, prognostiqueurs, indicateurs, chiromantiens, medecins, id genus omne, auxquels je joindrois volontiers, si j’osois, dit Montagne, un tas d’interpretes & contrôleurs des desseins de Dieu, faisant état de trouver les causes de chaque accident, & de voir dans les secrets de la volonté divine les motifs incompréhensibles de ses œuvres ; & quoique la variété & discordance continuelle des événemens les rejette de coin en coin & d’orient en occident, ils ne laissent pourtant de suivre leur esteuf, & de même crayon peindre le blanc & le noir. Les imposteurs qui entraînent les hommes par des merveilles, en sont rarement examinés de près ; & il leur est toûjours facile de prendre d’un sac deux moutures. Voyez la suite du xxxj. chap. du I. livre des essais.
Imposture, en maladie, est une ruse ou artifice qu’on pratique pour paroître attaqué d’une maladie qu’on n’a pas. Les Medecins & les Chirurgiens, dans les rapports qu’ils sont obligés de faire en justice, doivent être très-attentifs à ne se point laisser tromper. Il y a dans les ouvrages de Galien un petit traité sur ce sujet. Jean-Baptiste Sylvaticus a composé une dissertation dans laquelle il donne des regles pour découvrir les maladies simulées : de iis qui morbum simulant deprehendendis. Tous les auteurs qui ont écrit avec quelque attention sur la medecine légale, n’ont point oublié les tromperies imaginées pour paroître malade. Fortunatus Fidelis, qui passe pour le premier qui ait écrit des questions medicales relatives à la Jurisprudence, a donné sur cette matiere des principes auxquels Zacchias, medecin de Rome, a ajoûté quelques détails. Mais ils ont tous été devancés dans cette carriere par notre fameux chirurgien Ambroise Paré, qui a spécialement écrit sur les impostures des gueux qui feignent d’être sourds & muets, qui contrefont les ladres, sur les artifices des femmes qui paroissent avoir des cancers à la mammelle, des descentes de matrice, & autres maux, pour exciter la compassion du peuple, & en recevoir de plus amples aumônes. Il est entré de l’art & de l’industrie jusque dans les moyens d’abuser le public par les voies les plus honteuses. En général, il y a trois motifs auxquels on peut rapporter tous les faits dont les auteurs ont fait mention ; la crainte, la pudeur & l’intérêt. C’est par la crainte du supplice qu’un criminel contrefait l’insensé ; par pudeur, une fille se plaint d’hydropisie, pour cacher une grossesse ; par intérêt, une femme se dit enceinte, & prend les précautions qui peuvent le faire croire, afin de pouvoir supposer un enfant, &c. Il y a beaucoup de circonstances délicates où il faut user d’une grande prudence, & être capable de discernement pour aller à la recherche de la vérité, & rendre aux juges un témoignage fidele & éclairé. Le motif présumé conduit à l’examen des différentes impostures qu’on a rangées sous trois genres, qui ont chacun leurs regles générales & particulieres. Le premier genre comprend les maladies dont la nature ne se manifeste pas, & qui n’ont d’autres signes de leur existence supposée que les plaintes & les cris de ceux qui s’en disent attaqués. On met dans le second genre des maladies réelles, mais factices ; & sous le troisieme, les apparences positives de maladies qui n’existent point, comme des échymoses artificielles pour s’être frotté de mine de plomb, des crachemens de sang simulés, &c. Il faut voir ces détails dans les livres qui en traitent, afin d’être en garde contre de pareilles supercheries, par lesquelles on pourroit être l’occasion de torts fort préjudiciables, par des jugemens portés avec légereté, faute de connoissances ou d’attention suffisante. (Y)