L’Encyclopédie/1re édition/INDIGOTIER

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 681-683).
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INDIGOTIER, s. m. (Botan. exotiq.) sorte de sous-arbrisseau étranger, dont on tire la fécule si connue sous le nom d’indigo.

Nous allons parler de cette plante & de sa fécule avec beaucoup d’exactitude, à cause de l’utilité que les arts en retirent, & nous nous attacherons à beaucoup d’ordre & de netteté, pour nous garantir des erreurs qui regnent dans quelques ouvrages de botanique, dans tous nos dictionnaires, & plus encore dans les récits des voyageurs.

Noms latins de l’indigotier chez les Botanistes. Nos Botanistes, soit par système, soit par fantaisie, ont fort différentié leurs noms latins de l’indigotier. Il est appellé indigo vera, coluteæ foliis, utriusque Indiæ, act. philos. Lond. n. 276. pag. 703. Nil sive anil glastum indicum, Park. Theat. 600. Emerus americanus, siliquâ incurvâ, Tourn. Inst. 666. Coronilla indica ex quâ indigo volch. 124. Caachira prima, Pis. (ed. 1658.) 198. Hervas de anil, lusitanis, Marcgr. 57. Xiuhquilith pitzahac, sive anil tenuifolia, Hern. 108. Colutea indica herbacea, ex quâ indigo, Herm. Cat. Hort. Lugd. Bat. 168. & Hort. Monsp. 61. Coluteæ affinis fructicosa, floribus spicatis, purpurascentibus, siliquis incurvis, è cujus tincturâ indigo conficitur, Cat. Jamaïc. 141. Hist. 2. 34. Tabula 189. fol. 2. Sban aniliferum indicum, coronillæ foliis, Breyn. Prodr. 2. 91. Ameri, Hort. Malab. 1. 926. Phaseolus americanus, vel Brasilianus sextus, C. B. P. 242. Isatis indica, foliis rorismarini glasto affinis, ejusdem 113. Hin awaru, polygala indica, ex quâ indigo minor, Herm. Mus. Zeil. 43. Indicum, Offic. Dapper appelle cette plante banquets. Les Anglois la nomment the indigo plant, & les François indigotier.

Ses caracteres. Cette plante est de courte durée ; ses feuilles sont rangées par paires, sur une côte terminée à l’extrémité par une seule feuille ; ses fleurs sont du genre des fleurs légumineuses, pour la plûpart disposées en épis, & composées de cinq pétales ; le pétale supérieur ou l’étendard est plus large que les autres ; les pétales inférieurs sont courts & terminés en pointe. Au milieu de la fleur, est situé le pistil, qui devient ensuite une gousse articulée, contenant une graine cylindrique dans chaque cellule exactement fermée.

Ses especes. Il y a trois especes connues d’indigotier.

1°. Anil, sive indigo americana, siliquis in faculoe modum contortis. Marchand, Mém. de l’acad. royale des scien. ann. 1718.

2°. Anil, sive indigo, americana, fruticosa, argentea, floribus è viridi purpureis, siliquis falcatis, Coluteæ affinis, fruticosa, argentea, floribus spicatis, è viridi purpureis, siliquis falcatis, Sloan. Cat. Jam.

3°. Anil, sive indigo siliquis latis, aliquantulùm incurvis ; Emerus, Indicus, siliquâ aliquantulùm incurvâ, ex quo indigo, Breyn.

Description de la premiere espece. Comme la premiere espece est la principale ; qu’on lui a vû porter en Europe des fleurs & des graines dans sa perfection, & qu’elle procure le meilleur indigo, j’en vais donner ici la description de M. Marchand, faite d’après nature.

Son port représente une maniere de sous-arbrisseau, de figure pyramidale, garni de branches depuis le bas jusque vers son extrémité, revêtues de plusieurs côtes feuillées plus ou moins chargées de feuilles, suivant que ces côtes sont situées sur la plante.

Sa racine est grosse de trois à quatre lignes de diametre, longue de plus d’un pié, dure, coriace, cordée, ondoyante, garnie de plusieurs grosses fibres étendues çà & là & un peu chevelues, couverte d’une écorce blanchâtre, charnue, qu’on peut facilement dépouiller de dessus la partie interne dans toute sa longueur. Cette substance charnue a une saveur âcre & amere ; le corps solide a moins de saveur, & toute la racine a une légere odeur, tirant sur celle du persil.

De cette racine s’éleve immédiatement une seule tige, haute d’environ deux piés ou davantage, de la grosseur de la racine, droite, un peu ondoyante de nœud en nœud, dure & presque ligneuse, couverte, d’une écorce légerement gercée & rayée de fibres, de couleur gris-cendré vers le bas, verte dans le milieu, rougeâtre à l’extrémité, & sans apparence de moëlle en-dedans.

Les branches & les épis de fleurs sortent de l’aisselle du côté feuillé, & chaque côté selon sa longueur est garni depuis cinq jusque à onze feuilles rangées par paires, à la réserve de celle qui termine la côte, laquelle feuille est unique. Les plus grandes de ces feuilles ont près d’un pouce de long, sur demi pouce de large ; elles sont toutes de figure ovale, lisses, douces au toucher & charnues ; leur couleur est verd foncé en-dessous, sillonnées en-dessus, & attachées par une queue fort courte.

Depuis environ le tiers de la tige jusque vers l’extrémité, il sort de l’aisselle des côtés des épis de fleurs longs de trois pouces, chargés de douze à quinze fleurs, alternativement rangées autour de l’épi. Chaque fleur est composée de cinq pétales, disposés en maniere de fleurs en rose, plus ou moins foiblement teintes de couleur de pourpre, sur un fond verd blanchâtre ; le milieu de la fleur est garni d’un pistil verd.

La fleur n’a point d’odeur, mais les feuilles de la plante étant froissées ou mâchées ont une odeur & une saveur légumineuse. Lorsque les pétales sont tombés, le pistil s’allonge peu-à-peu, & devient une silique cartilagineuse, courbée, longue de plus d’un pouce, articulée dans toute sa longueur ; cette silique étant mûre est de couleur brune, lisse, & luisante en-dehors, blanchâtre en-dedans, & contient six à huit graines, renfermées dans des cellules séparées par de petites cloisons membraneuses. Les graines sont cylindriques, fort dures, & d’un goût légumineux.

La seconde espece s’éleve à la hauteur de cinq ou six piés, & peut subsister deux ou trois ans, mise en hiver dans une bonne serre. On pourroit la cultiver par-tout, où la premiere manqueroit.

La troisieme espece se cultive comme la premiere, & est employée indifféremment avec elle dans les Indes à la préparation de l’indigo.

Culture de l’indigotier en Europe par les curieux. Cette plante est annuelle en Europe. On dit qu’elle dure deux années dans les Indes occidentales, dans le Brésil & au Mexique, où on la cultive en abondance, ainsi qu’on fait depuis long-tems dans l’Egypte, au Mogol, &c.

On seme ici cette plante sur couche au printems, & quand elle a poussé des rejettons à la hauteur de deux ou trois pouces, on les transporte dans de petites caisses remplies de bonne terre, & on plonge ces caisses dans un lit chaud de tan. Quand ces plantes ont acquis quelque force, on leur donne beaucoup d’air, en ouvrant les vitrages des caisses, & au mois de Juin elles produisent des fleurs, qui sont bientôt succédées par des siliques.

Son utilité pour les arts. Quelles que soient les prétendues vertus médicinales qu’on lui attribue, selon Commelin, aux Indes, nous ne les reconnoissons point en Europe, & nous nous contentons d’admirer les usages réels qu’on a su tirer de tems immémorial de la fécule de cette plante.

On appelle ses feuilles préparées inde & indigo, drogue qui est si utile aux Peintres & aux Teinturiers, qu’ils ne sauroient s’en passer pour leur bleu. L’inde donne cette couleur en peinture étant broyé & mêlé avec du blanc, & il donne une couleur verte étant broyé avec du jaune ; les Blanchisseuses en emploient pour donner une couleur bleuâtre à leur linge, & les Teinturiers s’en servent avec le voüéde pour faire leur beau bleu.

Les anciens n’ont point connu l’origine de l’indigo. Pline croit que c’est une écume de roseaux, qui s’attache à une espece de limon qui est noir quand on le broie, & qui fait un beau brun mêlé de pourpre quand on le délaye. Dioscoride pense que c’est une pierre, mais aujourd’hui nous savons non-seulement que l’indigo est une fécule, ou un suc épaissi qu’on tire aux Indes par artifice de la tige & des feuilles de l’indigotier ; nous sommes encore très instruits de la manœuvre de l’opération.

Comme le détail en est fort curieux, & qu’il intéresse le commerce, les Arts, la Physique & la Chimie, j’ai tâché d’en puiser quelques lumieres dans les meilleures sources.

Culture de l’indigotier aux Indes pour le commerce. Pour éviter toute équivoque, je nommerai anil ou indigotier la plante ; & inde ou indigo la fécule qu’on en tire, & dont on fait tant d’usage. Les Espagnols nomment cette fécule anillo.

Nous connoissons deux plantes qui donnent le bleu après une préparation préliminaire : l’une est l’isatis ou glastum, qu’on nomme pastel en Languedoc, & voüede en Normandie, où on le cultive & où on le prépare. L’autre est l’anil qui croît dans les Indes orientales & occidentales, duquel on tire une préparation sur ils lieux, sous le nom d’inde ou d’indigo, & que l’on envoie en Europe.

L’anil ou indigotier demande une bonne terre, grasse, unie, qui ne soit point trop seche ; il veut être planté seul, mangeant & dégraissant beaucoup le terrein où on le cultive ; aussi ne peut-on prendre trop de précautions pour arracher les herbes qui croissent autour, lorsqu’il commence à pousser, & jusqu’à ce qu’il soit en parfaite maturité.

On sarcle & on nettoie plusieurs fois le terrein où l’on veut planter la graine d’anil. Il me semble qu’on devroit dire semer ; mais le terme de planter est consacré dans les îles. On pousse quelquefois la propreté si loin, qu’on balaie le terrein comme on balayeroit une chambre. Après cela on fait les trous où l’on doit mettre les graines : pour cet effet, les esclaves ou autres qui doivent y travailler, se rangent sur une même ligne à la tête du terrein, & marchant à reculons, ils font de petites fosses de la largeur de leur houe, de la profondeur de deux à trois pouces, éloignées en tous sens les unes des autres d’environ un pié, & en ligne droite le plus qu’il est possible.

Quand le terrein a été bien préparé, & les mauvaises herbes bien extirpées, on plante la graine de l’anil dans les trous dont on vient de parler, qui sont tirés au cordeau, & éloignés les uns des autres d’un pié en tous sens ; ils mettent onze ou treize graines dans chaque trou ; une espece de superstition ayant établi de le semer ainsi en nombre impair : la superstition se mêle par-tout.

Ce travail est le plus pénible qu’il y ait dans la manufacture de l’indigo ; car il faut par l’usage que ceux qui plantent soient presque toujours courbés sans se redresser, jusqu’à ce que la plantation de toute la longueur de la piece soit achevée. Lorsqu’ils sont arrivés au haut de la piece, ils reviennent sur leurs pas, & recouvrent les fosses où ils ont mis la graine, en y poussant avec le pié la terre qu’ils en ont tirée ; & ainsi la graine se trouve couverte d’environ deux pouces de terre.

Toute saison est bonne pour semer la graine d’anil ; il faut cependant observer que ce ne soit pas par un tems trop sec. On choisit donc pour l’ordinaire un tems humide & qui promette de la pluie ; & alors on est sûr de voir la plante levée au bout de trois ou quatre jours.

Quelque précaution qu’on ait prise pour nettoyer le terrein où les graines ont été plantées, il ne faut pas s’endormir quand l’anil est hors de terre, parce que la bonté du terrein jointe à l’humidité, à la chaleur du climat, & aux abondantes rosées qui tombent toutes les nuits, fait naître une quantité prodigieuse de mauvaises herbes qui étoufferoient & gâteroient absolument l’indigotier, si on n’avoit pas un soin extrème de sarcler dès qu’il en paroît, & d’entretenir la plante dans une propreté extraordinaire ; souvent même les herbes sont en partie cause qu’il s’engendre une espece de chenilles qui dévorent en moins de rien toutes les feuilles d’indigotiers.

Depuis que la plante est sortie de terre, il ne faut que deux mois pour la mûrir entierement, & la mettre en état d’être coupée ; autrement elle fleuriroit, & ses feuilles devenant trop dures & trop seches, donneroient moins d’indigo. Après cette premiere coupe la plante repousse, & l’on peut continuer de la couper de six en six semaines, supposé que le tems soit pluvieux ; car lorsqu’on coupe en tems de sécheresse, on perd les chouques, c’est-à-dire les piés de la plante qui étant bien ménagée peut durer deux années, après quoi il faut l’arracher.

Quant à la maniere d’en tirer la fécule colorante, voyez l’article Indigo.